Une analyse critique de l’étude « Dépistage du cancer du sein : impact sur les trajectoires de soins »

23 octobre 2021

Par Dr Vincent Robert

Glossaire
ALD = Affection de Longue Durée
CCAM = Classification Commune des Actes Médicaux = nomenclature de tous les actes médicaux, chirurgicaux, de radiologie, .... Cette nomenclature est utilisée aussi bien à l'hôpital (pour le PMSI) qu'en ville pour la facturation à la Caisse.
CIM-10 = Classification Internationale des Maladies 10ème révision = système de codage des pathologies actuellement utilisé en France.
PMSI = Programme de médicalisation du système d'information = recueil de données concernant toutes les hospitalisations (conventionnelles, en hôpital de jour, en séances), incluant les diagnostics, codés en CIM-10, et les actes réalisés, codés en CCAM.
DO = dépistage organisé

Rappel de l'étude

PDF de l'étude

Cette étude a été réalisée en s'appuyant sur des données de remboursement, pour les prises en charge en ville, et du PMSI, pour les prises en charge hospitalières. Les codes CIM-10 des ALD ou du PMSI ont permis de répérer les cancers du seins et l'existence d'un envahissement ganglionnaire ou de métastases. Les codes de la CCAM ont permis de repérer les actes réalisés, en particulier: mammographies (en distinguant mammographies dans le cadre du dépistage organisé, mammographies de dépistage en dehors du dépistage organisé et autres mammographies), chirurgie du cancer du sein, séances de radiothérapie, séances de chimiothérapie. Les auteurs ont eu accès à des données nominatives, ce qui a permis de rattacher à chaque femme l'ensembe de codes CIM-10 et CCAM (y compris attribués à des moments différents lors de prises en charge différentes).

L'étude porte sur l'ensemble des cancers du sein codés pour la 1ère fois en 2014 chez des femmes de 50 à 74 ans, après exclusion des femmes en ALD pour cancer du sein entre 2010 et 2013, ayant déjà un autre code de cancer, ayant un code d'antécédent familial de cancer du sein ou un code de dysplasie mentionné entre 2010 et 2013 et des dossiers sans code de mammographie.

Les cancers retenus pour l'étude ont été classés en 2 groupes : groupe DO (dépistage organisé) si le dossier comprenait un acte CCAM de mammographie de dépistage dans le cadre du dépistage organisé et groupe DIDC dans le cas contraire (le groupe DIDC comprend donc des femmes non dépistées et des femmes dépistées sur initiative individuelle).

Les résultats, détaillés dans les tableaux 1 et 3 ci-dessous, montrent dans le groupe DO une plus forte proportion de cancers localisés et une plus faible proportion de cancers avec envahissement ganglionnaire ou métastases. Parallèlement, les proportions de mastectomies totales et de chimiothérapie sont plus faibles dans le groupe DO.

Les auteurs en concluent que :

  • –  le dépistage organisé permet de détecter des cancers à un stade plus précoce
  • –  le dépistage organisé est associé à des traitements moins lourds (notamment moins de mastectomies totales et moins de chimiothérapie)

Critique

Outre les limites, discutées dans l'article, sur les possibles erreurs de codage, cet article et sa conclusion me semblent poser 2 problèmes.

  1. Les 2 groupes sont composés de femmes qui ne sont certainement pas comparables. Dans ces conditions, il est impossible d'attribuer au dépistage organisé l'intégralité des différences observées, tant dans les stades tumoraux que dans les traitements.
  2. Raisonner en pourcentage, c'est négliger le problème des surdiagnostics.
    Les surdiagnostics sont quasi-exclusivement des cancers localisés. Dans une expression des résultats en pourcentage, les surdiagnostics augmentent la proportion de cancers localisés et par contre-coup diminuent celle des cancers avec envahissement ganglionnaire et celle des cancers métastatiques.
    Le même raisonnement s'applique pour les traitements. Les surdiagnostics font l'objet de traitements moins lourds que des cancers évolués et ils faussent les proportions de traitements lourds.

Pour illustrer le problème des surdiagnostics et de l'erreur de raisonner en pourcentage, faisons l'hypothèse suivante : dans la cohorte de l'étude, les proportions de femmes DO et DIDC sont conformes à la participation des femmes au dépistage organisé, autrement 52,1% de la cohorte sont dans le groupe DO et 47,9% de la cohorte dans le groupe DIDC (en 2014, la participation au dépistage organisé était de 52,1%).
(Remarque : si l'hypothèse d'une cohorte composée de 52,1% de femmes dans le groupe DO et 47,9% dans le groupe DIDC n'est pas, au moins approximativement respectée, l'étude n'a aucun intérêt car elle décrit une population de femmes "hors sol" qui n'existe pas dans la réalité.)

Sous cette hypothèse, on peut dresser le tableau suivant :

Conclusion

Ce tableau décrit une situation beaucoup plus contrastée que celle présentée dans l'article.
Le DO permettrait de réduire le nombre de cancers avec envahissement ganglionnaire ou métastase mais au prix d'un nombre considérable de surdiagnostics.
Le DO permettrait de réduire le nombre de mastectomies totales mais en augmentant sensiblement le nombre d'interventions chirurgicales. Le DO diminue le nombre de chimiothérapies mais augmente le nombre de radiothérapies et d'hormonothérapies.

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