Dépistage du cancer chez les personnes âgées ; mauvaise idée

Auteurs : Dr Jenna Smith.... Kirsten J McCaffery
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34748004/

  • Wiser Healthcare, École de santé publique de Sydney, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney, NSW, Australie.
  • Sydney Health Literacy Lab, Sydney School of Public Health, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney, NSW, Australie.

Objectif de l'étude:

Résumer les facteurs de décision que rapportent les patients âgés, qui les font décider de recourir à des dépistages, comme le dépistage du cancer du sein, de la prostate, le dépistage colorectal et celui du col de l'utérus.

Méthode :

21 études ont été incluses.
Les facteurs associés à la prise de décision de recourir au dépistage ont été synthétisés en 5 catégories : démographique, sanitaire et clinique, psychologique, médico-sociale et systémique. 
Les facteurs les plus couramment identifiés comprenaient les antécédents personnels ou familiaux de cancer, les attitudes positives au dépistage, la routine ou l'habitude, l'acquisition de connaissances, les amis et la recommandation d'un médecin.

Résultats :

Bien que les lignes directrices suggèrent d'intégrer l'espérance de vie et l'état de santé pour éclairer les décisions de dépistage du cancer des personnes âgées, les croyances enracinées des personnes âgées sur le dépistage peuvent aller à l'encontre de ces concepts. 

Il en découle que des stratégies de communication sont nécessaires pour aider les personnes âgées à prendre des décisions éclairées en matière de dépistage du cancer, en abordant les croyances sous-jacentes en matière de dépistage, dans le contexte de leur risque perçu et de leur risque réel de développer un cancer.

Actualisatiton du 5 novembre 2022, publication accessible ici : https://academic.oup.com/fampra/advance-article/doi/10.1093/fampra/cmac126/6804418?login=false

conclusion
"Des stratégies pour soutenir les conversations entre les médecins généralistes et les personnes âgées sur les avantages et les inconvénients potentiels du dépistage chez les personnes âgées et la justification des limites d'âge supérieures pour les programmes de dépistage peuvent être utiles. Des recherches supplémentaires dans ce domaine sont nécessaires."

Commentaire Cancer Rose

Nous avions analysé la campagne du CNGOF de 2019, stupéfiant "cri d'alerte" pour un dépistage du cancer du sein chez la femme âgée, avec grand renfort médiatique spectaculaire dans un ciel serein, alors qu'aucun pays pratiquant le dépistage ne recommande le dépistage au-delà de 74 ans, ni même l'OMS...

Pourquoi cette campagne, toujours relayée sur la page d'accueil de la société savante, est une mise en danger des personnes âgées ?

Une étude de l'université de Leyden apporte une réponse.


Lire ici : https://cancer-rose.fr/2019/04/07/la-campagne-pour-le-depistage-de-la-femme-agee-par-le-college-national-des-gynecologues-et-obstetriciens-de-france-cngof/


Peu d'essais ont été consacrés au dépistage chez les femmes au grand âge. L'étude des chercheurs de l'université de Leyden, sur les données des Pays Bas, publiée en 2014 dans le BMJ, rattrape ce manque [5].

Selon les auteurs, après 70 ans, le dépistage organisé du cancer du sein serait inutile. En effet, à cet âge, la pratique du dépistage n'améliore pas de façon significative la détection des cancers aux stades avancés mais fait en revanche bondir le nombre de surdiagnostics et donc de surtraitements.

Aux Pays-Bas, le dépistage du cancer du sein est proposé aux femmes jusqu'à 75 ans depuis la fin des années 1990. «Pourtant, rien ne prouve que le dépistage chez les femmes plus âgées est efficace », expliquent les auteurs de l'étude, mentionnant aussi le fait que peu d'essais aient été réalisés spécifiquement sur ces groupes d'âge.

Pour les chercheurs néerlandais, le dépistage systématique après 70 ans entraînerait surtout la détection et donc les traitements de lésions qui n'auraient pas évolué en maladie durant la vie des patientes.

Ces traitements inutiles entraînent un impact sur la santé trop important, et une co-morbidité trop lourde chez ces personnes âgées, qui supportent moins bien les effets secondaires des traitements, chirurgicaux, des radiothérapies et des chimiothérapies.

C'est pourquoi ils recommandent la non-extension du dépistage généralisé chez les plus de 70 ans et recommandent une décision personnalisée, en fonction de l'espérance de vie, du risque de cancer du sein, de l'état général et de la préférence des femmes concernées.

Rappelons aussi que le système immunitaire s’affaiblit avec l’âge. Ce qui suppose qu’on contracte davantage de cancers, de maladies infectieuses.  Tous les organes s'épuisent et fonctionnent moins bien, les facultés de cicatrisation, de régénération tissulaire sont moindres, tout cela est en prendre en compte dans l'administration de traitements lourds.

Conclusion

Un point de vue publié dans le JAMA en 2019 reposait la question de la pertinence du dépistage chez la personne âgée. Alors que toutes les recommandations stoppent ce dépistage à 74 ans, il n'est malheureusement pas rare de voir des personnes au-delà être envoyées à des dépistages et des "check-up".

Les auteurs arguent qu'il faut se garder d'inciter des femmes sous prétexte de nouvelles technologies disponibles, à faire l’objet d’un dépistage, alors qu'elles n’en profiteront pas, dépistage qui pourraient même leur être défavorable en raison du problème du surdiagnostic.

Encore une fois, il faut utiliser des outils d'aide à la décision pour soutenir une communication efficace sur les avantages réduits et les risques accrus du dépistage du cancer chez les personnes les plus âgées, afin d’aider ces personnes âgées et les omnipraticiens à faire des choix plus éclairés en matière de dépistage du cancer.

Le principe de la non-malfaisance implique de ne pas porter préjudice aux personnes, un principe que même une société savante comme le CNGOF doit faire sien.

Une communication à Glasgow

L' auteure australienne Jenna Smith vient de faire une communication lors du congrès de Glasgow de cette semaine, sur une étude basée sur interviews impliquant des généralistes, sur le même sujet, le résumé est ci-dessous :

Congrès

ICCH2022 INTERNATIONAL CONFERENCE ON COMMUNICATION IN HEALTHCARE
https://each.international/eachevents/conferences/icch-2022/programme/

5 - 9 SEPTEMBER 2022

CALEDONIAN UNIVERSITY, GLASGOW

Présentateur: Jenna Smith, Univeristy de Sydney, Australie

O.9.1 Approches des médecins généralistes en matière de dépistage du cancer chez les personnes âgées : Une étude qualitative par entretiens

Contexte : Les personnes âgées continuent à subir un dépistage du cancer avec une connaissance limitée des risques potentiels. En Australie, les médecins généralistes (GP) peuvent jouer un rôle important dans la communication et la prise de décision concernant le dépistage du cancer chez les personnes âgées. Cette étude visait à étudier les attitudes et les comportements des médecins généralistes concernant le dépistage du cancer (sein, col de l'utérus, prostate et intestin) chez les patients âgés de ≥70 ans (car les programmes de dépistage ont récemment commencé à cibler les 70-74 ans). Méthodes : Des entretiens semi-structurés ont été menés avec des médecins généralistes exerçant en Australie (n=28), recrutés par de multiples voies pour assurer des perspectives diverses (par exemple, réseaux de recherche basés sur la pratique, réseaux de santé primaire, médias sociaux, emailing à froid). Les enregistrements audio transcrits ont fait l'objet d'une analyse thématique. Résultats : Certains médecins généralistes ont entamé des discussions sur le dépistage uniquement avec des patients plus jeunes que l'âge supérieur ciblé par les programmes de dépistage (c'est-à-dire que certains pensaient à 69 ou 74 ans). D'autres ont entamé des discussions au-delà des âges recommandés. Lors de la communication d'informations, certains médecins généralistes n'étaient pas à l'aise pour expliquer pourquoi les rappels de dépistage s'arrêtaient, d'autres pensaient que les patients devraient payer pour avoir accès au dépistage du cancer du sein, et les discussions détaillées sur les avantages et les inconvénients étaient plus probables pour le dépistage de la prostate. En ce qui concerne les préférences des patients, les généralistes ont décrit des patients qui étaient ouverts à la recommandation, qui insistaient pour continuer/arrêter, ou qui étaient offensés de ne plus être invités, et ont adapté leurs réponses en conséquence. En fin de compte, c'est le patient qui a le dernier mot. Enfin, les omnipraticiens ont tenu compte de l'état de santé général/du fonctionnement du patient, du risque et de l'expérience antérieure en matière de dépistage pour déterminer si le dépistage était utile à un âge avancé. 

Discussion : Il n'existe pas d'approche uniforme de la communication sur le dépistage du cancer et de la prise de décision pour les adultes plus âgés en médecine générale, et les personnes âgées et les médecins généralistes comprennent mal pourquoi le dépistage a une limite d'âge supérieure. Des outils permettant de communiquer efficacement sur les avantages réduits et les risques accrus du dépistage du cancer à un âge avancé sont nécessaires pour aider les personnes âgées et les médecins généralistes à faire des choix plus éclairés en matière de dépistage du cancer.

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