Synthèse d’une publication , par Cancer Rose, 9 mars 2023
https://www.bmj.com/content/380/bmj-2022-073149
Il s’ait là d’une publication d’auteurs britanniques, parue dans le BMJ le 1er mars 2023 concernant les attentes qui ont été placées dans les scores polygéniques pour prédire la survenue de cancers chez un individu.
Qu’est un score polygénique ?
Les scores polygéniques examinent des milliers de variantes génétiques dans le génome d’une personne pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
C’est une analyse effectuée dans un laboratoire de génétique, habituellement sur un prélèvement salivaire.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on estime pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une maladie.
Contrairement aux variantes monogéniques (comme par exemple les mutations BCRA impliquant clairement un sur-risque pour le cancer du sein, cette variation ayant un effet très marqué sur le risque de cancer), les scores polygéniques, eux, peuvent être établis pour toutes sortes de maladies ; les deux applications les plus importantes, disent les auteurs, concernent le risque de cancer et le risque de maladie coronarienne.
Mais on trouve actuellement d’autres utilisations, par exemple la prédiction de la réponse aux médicaments antipsychotiques chez les patients atteints de schizophrénie.
Nous examinerons la problématique en cancérologie que les auteurs ont analysée.
Leurs messages clés :
- Les scores polygéniques seront toujours limités dans leur capacité à prédire la maladie, car une grande partie du risque de maladie d’une personne est déterminée par des facteurs que les scores polygéniques ne peuvent pas mesurer.
- Il faut communiquer efficacement sur ces limitations.
- L’enthousiasme suscité par les scores polygéniques ne doit pas détourner l’attention des efforts visant à lutter contre les facteurs de risque modifiables d’une maladie (par exemple la lutte sur des facteurs environnementaux, ou hygiéno-diététiques favorisant cette maladie)
Les auteurs écrivent :
« Dans l’espoir que les scores polygéniques « changeront tout le paradigme des soins de santé », nous devons reconnaître que ces scores sont limités dans leur capacité à prédire la maladie. Si nous ne définissons pas nos attentes en conséquence, elles pourraient nuire plutôt qu’aider. »
Les scores polygéniques seront toujours limités dans leur capacité à prédire la maladie
En introduction de ce paragraphe les auteurs écrivent :
» Les scores polygéniques offrent la possibilité d’évaluer simultanément le risque génétique d’une personne pour plusieurs maladies, à tout moment de son parcours de vie. Mais ils ne tiennent pas compte des effets des facteurs environnementaux ou non-génétiques mal compris qui contribuent à la plupart des maladies courantes. Ainsi, les scores polygéniques resteront toujours l’un des nombreux facteurs de risque et n’atteindront jamais un point où ils pourront prédire avec précision qui développera et qui ne développera pas la maladie. »
Pour évaluer l’utilité d’un test ou d’une procédure de dépistage on utilise deux paramètres, la sensibilité et la spécificité.
Commençons par la spécificité :
Elle mesure la capacité d’un test à donner un résultat négatif lorsque l’hypothèse de maladie n’est pas vérifiée.
Mais le test peut-être dans certains cas positif alors que la personne n’est pas malade, c’est ce qu’on appelle un faux positif.
la sensibilité :
Il s’agit de la probabilité que le test soit positif pour un sujet vraiment malade.
Mais il arrive que le test soit négatif alors que la personne est réellement porteuse de cancer, c’est alors un faux négatif.
Les auteurs donnent un exemple concret pour comprendre la complexe relation entre ces deux paramètres, qui rend l’utilisation des scores imparfaite.
Il a été évalué que les scores polygéniques ont une capacité de prévenir des maladies avec une spécificité fixée à 95 % ; ceci signifie que pour 5 % des personnes il y aura un score élevé alors qu’il n’y aura pas de développement pas la maladie (5% de faux positifs).
La sensibilité typique pour un score polygénique, selon cette évaluation, est de 10-15 % ; ce qui signifie que seulement 10 à 15 % des personnes qui développeront la maladie auront un score polygénique élevé.
Lorsqu’on cherche à augmenter la sensibilité d’un score polygénique on en réduit la spécificité, et inversement.
Pour exemple, un score polygénique développé pour détecter les femmes présentant un risque de cancer du sein au cours de leur vie supérieur à 17 % a une sensibilité de 39 % ; il identifiera donc 39 % des femmes qui développeront un cancer du sein, mais en ratera 61 % ; avec sa spécificité de 78 % , il y aura 22 % des femmes classées comme ayant un «score de risque élevé» alors qu’elles ne développeront pas de cancer du sein.
Dans le cas du cancer du sein, si on part sur une spécificité fixée à 95 %, la meilleure sensibilité atteignable serait de 19 %. Il aura une meilleure spécificité que dans l’exemple ci-dessus, on réduira les faux positifs, mais la capacité du score à identifier des femmes avec risque (sa sensibilité) sera plus faible.
Les variantes polygéniques seront toujours limitées dans leur capacité à différencier les personnes qui développeront la maladie de celles qui ne la développeront pas.
Équilibrer les avantages et les inconvénients des scores polygéniques dans la pratique clinique
Dans ce deuxième paragraphe, les auteurs étudient la capacité des scores à améliorer la prédiction lorsqu’ils sont intégrés dans la prédiction avec d’autres facteurs de risque, dans le but de donner un aperçu plus holistique du risque de maladie.
Selon les auteurs : » En utilisant cette stratégie, les scores polygéniques améliorent légèrement la prédiction du risque. »
Par exemple pour l’étude MyPebs cherchant à étudier la pertinence d’un dépistage individualisé du cancer du sein basé sur le risque individuel de chaque femme, le score polygénique est intégré parmi d’autres facteurs dits de risque de cancer du sein comme l’âge, les antécédents familiaux, la densité des seins.
Les auteurs de cette publication toutefois alertent :
» Beaucoup espèrent que les scores polygéniques amélioreront les programmes de dépistage du cancer grâce à un dépistage précoce ou plus fréquent pour les personnes à risque polygénique plus élevé. Il a par exemple été proposé de proposer une mammographie annuelle aux femmes âgées de 40 à 50 ans présentant des scores polygéniques indiquant qu’elles présentent un risque modéré ou élevé de cancer du sein. Cela a le potentiel de détecter 1 700 cancers supplémentaires, mais au prix de 5 722 résultats faussement positifs et de 4 112 cancers encore manqués. »
Les auteurs proposent une illustration parlante. Il s’agit d’une projection sur 100 personnes indiquant comment les scores polygéniques fonctionneraient pour la détection de cancers, pour trois types de cancers, le sein, la prostate, le cancer colo-rectal.
- Colonne de gauche : projection pour le test polygénique seul (un score haut est un test positif)
- Colonne du milieu : projection pour le test de dépistage habituel positif (pour le sein il s’agit de la mammographie montrant une image, pour la prostate c’est un taux de PSA sanguin élevé, pour le cancer colo-rectal, il s’agit de la présence de sang dans les selles).
- Colonne de droite : score élevé et test de dépistage habituel positif (score élevé+mammographie avec image, score élevé+PSA élevés, score élevé+sang dans les selles)
Les points colorés représentent, pour les rouges, les vrais positifs, à savoir les personnes à test positif et réellement malades.
Pour les jaunes, il s’agit des tests négatifs pour une personne pourtant malade, les faux négatifs donc.
Les points bleus représentent les personnes à test positif mais non malades, les faux positifs.
Enfin les points grisés correspondent aux tests négatifs pour des personnes qui ne seront pas malades, donc les vrais négatifs.
On constate que l’adjonction des deux tests (test classique plus score polygénique) apporte essentiellement une amélioration sur les faux positifs.
Pour les auteurs, globalement les scores polygéniques apportent un bénéfice modeste.
Une étude portant sur le dépistage du cancer colorectal dans la population a révélé que l’ajout d’un score polygénique aux tests immunochimiques fécaux n’améliorait pas la précision du diagnostic, avertissent-ils, mais augmentait la complexité et les coûts en santé.
D’autre part expliquent-ils, les scores polygéniques ne peuvent pas lutter contre le surdiagnostic, un préjudice majeur du dépistage (découvertes de cancers non évolutifs, d’aucune utilité pour le patient).
Il y a un autre aspect qu’ils évoquent, ce sont les tests faussement positifs qui peuvent entraîner des cascades d’examens inutiles. Explication :
La plupart des scores polygéniques pour le cancer sont basés sur des variants associés à l’incidence( survenue de nouveaux cas dans la population), et non à la mortalité, ce qui compromet leur utilité pour des maladies comme le cancer de la prostate, dont de nombreux hommes meurent avec leur cancer plutôt qu’à cause de ce cancer.
Le dépistage existant (taux de PSA sanguin) a déjà des limites, la probabilité que le sujet testé soit réellement malade avec un test positif est faible.
Le test, parfois (que ce soit la mammo ou le taux de PSA), peut être positif avec une personne pourtant non malade. A la question « Docteur, j’ai une mammographie anormale, quel est le risque que j’aie vraiment un cancer du sein ? », la valeur (qu’on appelle valeur prédictive positive) du dépistage de base est déjà très faible (10% pour la mammo de dépistage, ce qui signifie signifie que pour une femme pour laquelle la mammographie est jugée positive et à laquelle on réalise une biopsie de l’image incriminée, il y a 90% de chances pour que la biopsie revienne négative et donc ait été proposée excessivement…).
Cette valeur prédictive positive pour les scores polygéniques est aussi très limitée et rajoute peu de précision diagnostique. Ce manque pourrait ainsi augmenter le nombre de personnes positives au test, mais qui ne développeront pas de cancer, mais qui néanmoins se verront proposer des investigations de confirmation invasives, puisque le test objectivement est positif. Cela occasionnerait des explorations sans fin :
« L’ambition d’introduire un score polygénique généralisé pour le cancer de la prostate nécessiterait un investissement sans précédent dans l’imagerie diagnostique, telle que l’imagerie par résonance magnétique… » selon les auteurs.
Qu’est-ce que la population peut attendre des scores polygéniques ?
Dans ce paragraphe est pointée la vulnérabilité des scores polygéniques. La communication sur les risques des maladies envers la population est en général très complexe.
La personne peut avoir certes un risque absolu autour d’un certain pourcentage pour une maladie, mais on doit tenir compte du risque relatif par rapport au risque sous-jacent de la maladie dans la population générale.
Par exemple, les personnes dans les 5 % des scores polygéniques les plus élevés pour le cancer du sein ont un risque, au cours de leur vie, de 19 % , mais le risque de la population est de 11,8 %, ce dont il faut tenir compte.
Pour des affections moins courantes, expliquent les auteurs, » l’effet sur le risque absolu est souvent plus modeste. Les personnes dans les 5 % supérieurs des scores polygéniques pour le cancer de l’ovaire, par exemple, ont un risque durant leur vie de 2,1 %, contre un risque de 1,6 % dans la population. »
Même lorsqu’un risque absolu d’une personne est faible, cette personne pourrait être tentée de discuter de ce résultat avec un clinicien, demander des consultations occasionnant des coûts supplémentaires et mettant à rude épreuve les services de santé.
À l’inverse, on peut craindre que des personnes qui n’ont pas de scores polygéniques «à haut risque» pourraient être faussement rassurées et moins susceptibles de consulter un médecin pour des symptômes pourtant existants et préoccupants qu’elles négligeront.
Les auteurs mettent en garde :
Les résultats des scores polygéniques » peuvent être mal compris et causer de la détresse. Une enquête auprès de 227 personnes accédant aux scores polygéniques en ligne sans conseil, pour une grande variété de maladies (dont certaines sans options claires de prévention ou de traitement) a révélé que seulement 25,6 % ont répondu correctement à toutes les questions relatives à la compréhension et à l’interprétation des scores polygéniques, mais que 60,8 % vivaient l’expérience d’une réaction négative (sujet bouleversé, anxieux ou triste sur l’échelle des « sentiments à propos des résultats des tests génomiques »), après avoir reçu leurs résultats.
Une compréhension plus faible des scores polygéniques était associée à une réaction psychologique négative. »
De plus, si l’utilisation de ces tests étaient généralisée, on pourrait craindre que des assureurs cherchent à utiliser ces scores afin de déterminer l’éligibilité à l’assurance des personnes demandeuses.
Les facteurs de risque non génétiques nécessitent une plus grande attention
Dans cette ultime partie, les auteurs soulignent le fait que si les scores polygéniques apparaissent attractifs pour prédire un risque de maladie, ils ne doivent pas faire oublier des facteurs de risque « peu prestigieux » mais bien établis comme le tabagisme, l’obésité et la privation socio-économique, qui comptent plus que les antécédents génétiques d’une personne, certains de ces facteurs étant évitables.
Il faut investir davantage dans la lutte contre les facteurs de risque de maladie liés au mode de vie avec des initiatives et des politiques d’arrêt du tabac p.ex., et donner aux populations les moyens de faire des choix sains en matière d’alimentation et d’exercice.
La plupart des maladies surviendront chez des personnes n’ayant pas de score polygénique élevé.
De plus écrivent les rédacteurs de cette publication, autant les scores polygéniques n’améliorent au mieux que bien légèrement la prédiction du risque de chaque personne, l’utilisation de scores polygéniques profitent encore moins aux personnes d’ascendance non européenne, auxquelles ils n’ont pas été adaptés.
Pour les auteurs, » l’enthousiasme autour des scores polygéniques ne doit pas nuire aux efforts visant à lutter contre les grands facteurs de risque modifiables, qui ont une utilité généralisable à l’échelle de la population. »
Résumé des auteurs
- Les scores polygéniques présentent des avantages modestes et des inconvénients.
- Ils ne doivent pas détourner les ressources en santé et l’attention mise sur d’autres facteurs de risques qui contribuent, eux, bien plus aux maladies.
- Cliniciens et public doivent être conscients du fait que l’intérêt des scores est très limité et son impact décevant sur la prédiction des risques.
» Les scores polygéniques ont le potentiel d’améliorer légèrement la prédiction du risque pour les maladies courantes, mais les avantages de leur utilisation seront modestes.
Une discussion plus large concernant les limites des scores polygéniques est essentielle, ainsi que des recherches solides qui examinent leur utilité clinique dans le monde réel.
Cela est nécessaire pour garantir qu’une concentration excessive sur les risques génétiques ne détourne pas le temps, l’argent et l’attention portés à d’autres contributeurs de maladie beaucoup plus importants. Contrairement à ce à quoi de nombreuses personnes pourraient s’attendre compte tenu des discours déterministes habituels sur la génomique, un score polygénique élevé aura généralement un impact plutôt décevant sur le risque absolu, et les cliniciens et le public doivent le savoir. »
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