Un billet d’Isabelle LACATON, 26 octobre 2024
Isabelle est professeure des écoles, photographe, musicothérapeute,
Une manifestation fourre-tout
Plus les années passent, plus « Octobre Rose » m’oppresse, et je suis loin d’être la seule… Petit rappel historique pour mieux comprendre de quoi nous parlons : cette campagne est née en 1985 aux Etats Unis de la collaboration de l’American Cancer Society avec l’entreprise Imperial Chemical industries Pharma (dont est issu AstraZeneca). Elle est reprise en France en 1994 sous l’impulsion des marques de cosmétiques Estée Lauder, Clinique et du magazine Marie-Claire. Avec deux objectifs, récolter des fonds pour la recherche médicale et sensibiliser au dépistage.
Dans la réalité, « Octobre Rose », malgré ce que l’on voudrait nous faire croire, est devenu un carnaval rose puant le marketing et les actions mercantiles gorgées d’opportunisme commercial. Cette campagne est devenue une manifestation fourre-tout, avec un activisme certain des marques pour vendre toujours plus, au nom de la « bonne cause » et abusant de la naïveté et de la générosité des gens. Et quel sens donner à cette débauche d’objets « made in China » (parapluies roses suspendus partout en France, et détruits au premier coup de vent, ballons, tee-shirts et autres flonflons) remplis de polluants cancérigènes ?
Florilège Octobre Rose 2024
Vu dans Charente Libre : à Cognac, « 200 motards roses de plaisir » défilent pour la Ligue Contre le Cancer, à grand coup de particules fines et de fumigènes roses. Dans Ouest-France, éloge d’un pâtissier de Saint-Pol-de-Léon : « Ses gâteaux Octobre Rose en forme de seins, avec ou sans cicatrice, partent comme des petits pains. Ces seins, avec ou sans mamelon ou cicatrice, sont une façon poétique, délicieuse de parler du cancer du sein et de lever les tabous ». Croquer un gâteau en forme de sein ? Décidément le corps de la femme n’est qu’un produit de consommation décliné sous toutes les formes – bien glauques -. Une agence immobilière, si vous y entrez, vous offre un ruban rose et reverse 0,10 € à un institut. Avec, en vitrine, un ruban rose et ce message placardé « Je suis forte, je suis belle, je suis unique, je suis à la hauteur, je suis capable de grandes choses, tout ira bien aujourd’hui ». La palme revenant aux Pompes Funèbres Générales : un gros ruban rose sur la porte, et une belle promotion, « Pour que son souvenir resté gravé, 20% offerts sur les monuments. Et ainsi de suite. Ce « pinkwashing » à renfort d’injonctions, de messages culpabilisants, infantilisants, et d’appâts commerciaux, devient insupportable.
Dépistage n’est pas prévention
« Octobre Rose » enrobe le cancer de guimauve rose, avec un seul mot d’ordre : dépistage. Or le dépistage de masse ne réduit en rien la mortalité par cancer du sein. Et ce n’est pas de la prévention ! On leurre les femmes avec ce message erroné. Alors il est peut-être temps de se poser les bonnes questions, d’informer correctement les femmes, et de faire de vraies actions de prévention en évitant les risques d’avoir un cancer, en agissant sur certains leviers : travail de nuit des femmes (qui selon l’Inserm, augmente de 26% le risque de cancer du sein), facteurs environnementaux (pesticides, perturbateurs endocriniens, polluants divers dans l’eau, dans l’air), mode de vie (alcool, tabac, sédentarité).
(Lire aussi https://cancer-rose.fr/2023/09/08/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/)
Le cancer, ce n’est pas rose
Toute cette démagogie autour d’Octobre Rose occulte totalement la réalité, et la « vraie vie » des femmes confrontées au cancer du sein. Et c’est loin d’être rose. Lourdeurs des traitements, et conséquences tout au long de la vie, tant physiques que psychologiques, même quand on la chance d’être guérie. C’est vivre, oui, mais avec une surveillance médicale parfois lourde, avec des soins de kinésithérapie sur le long terme car ablation du sein et reconstruction perturbent l’équilibre du corps. C’est faire financièrement des choix de vie car trop de frais restent encore non remboursés. C’est parfois rencontrer des difficultés dans le milieu professionnel, parce que nos priorités sont autres et qu’elles ne sont pas toujours comprises. Et que dire des femmes qui en décèdent ? Qu’elles n’ont pas été assez « vaillantes » ?
Octobre Rose est une manifestation commerciale. Que toutes ces entreprises qui semblent s’intéresser au cancer du sein fassent directement des dons conséquents pour des organismes de recherche. Mais ce saupoudrage saveur guimauve en octobre ne vaut rien. Les femmes ont besoin d’une information fiable, et d’un réel accompagnement tout au long de la vie, pendant et après la maladie. Tout le reste n’est que poudre aux yeux.
Pour un véritable accompagnement tout au long de la vie
En aucun cas une manifestation commerciale ne peut revêtir un intérêt quelconque en matière de santé publique. Ce saupoudrage rose saveur guimauve en octobre, jusqu’à l’overdose, ne vaut rien. Les femmes ont besoin d’une information fiable, et d’un réel accompagnement tout au long de la vie, pendant et après la maladie. Tout le reste n’est que poudre aux yeux et instrumentalisation.
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