Un ADN « mobile » pour expliquer l’agressivité de certains cancers

Traduction, synthèse et commentaires par Cancer Rose, 8/11/2024, https://www.nature.com/articles/s41586-024-08107-3

Cette étude à grande échelle établit un lien entre la présence de minuscules molécules d’ADN extra-chromosomiques et l’agressivité accrue de certaines tumeurs malignes, ces petits bouts d’ADN circulaire serait présents chez de nombreux patients porteurs de tumeurs à pronostic défavorable.

Le bioinformaticien espagnol Oriol Pich et le scientifique britannique Chris Bailey ont identifié cet ADN circulaire chez 17 % de près de 15 000 patients atteints de cancer dans 39 types de tumeurs différents. « Sa présence est associée à un taux de survie plus faible pour les patients », explique Oriol Pich.

Un ADN mobile connu depuis longtemps

En 1965 déjà, des scientifiques étatsuniens et du Royaume-Uni avaient détecté une forme énigmatique d’ADN circulaire extrachromosomique, beaucoup plus petit que l’ADN situés dans les chromosomes, et cela dans des échantillons prélevés sur des patients atteints de tumeurs. En 2017, l ‘équipe du Dr Paul Mischel, co-auteur de l’étude, a découvert que ces minuscules particules d’ADN circulaire favorisaient le développement du cancer.
En 2022, un consortium international, dirigé par Mischel approfondit l’étude de ce mystérieux ADN et ses dernières découvertes ont été publiées mercredi dans la revue scientifique Nature.

Comment fonctionne cet ADN mobile ?

L’ADN d’une personne est organisé en quelque 21 000 gènes, qui contiennent chacun les codes, c’est à dire les instructions nécessaires à la production des protéines essentielles à la vie. De leur côté les molécules partielles d’ADN circulaires ne contiennent que quelques gènes, et ceux-là apparaissent souvent liés à des tumeurs malignes ou, du moins, à la capacité d’échapper aux défenses immunitaires de l’organisme.

Selon Oriol Pich, « Le cancer n’a pas de cause unique, il est multifactoriel, il est donc difficile d’affirmer que l’ADN circulaire extrachromosomique est la cause du cancer », mais, explique le scientifique, il s’agit d’un facteur de progression et d’un marqueur de mauvais pronostic.
On sait que lorsque l’ADN circulaire extrachromosomique est abondant, la situation du patient s’aggrave et qu’il est corrélé à une tumeur beaucoup plus agressive. Si une personne possède deux copies du même gène, l’une de sa mère et l’autre de son père, l’ADN circulaire peut entraîner une centaine de copies d’un gène associé au cancer.

Il s’agit d’une progression dans la connaissance, car jusqu’à il y a moins de dix ans, on pensait que l’ADN circulaire n’apparaissait en quantité significative que dans 2 % des tumeurs. Les nouveaux travaux ici publiés montrent que sa présence est généralisée dans les cancers les plus agressifs.
Et on constate aussi que la fréquence de l’ADN circulaire extrachromosomique dans les métastases, souvent responsables du décès du patient, est plus élevée que dans les tumeurs primaires.

Récemment les chercheurs ont observé, en laboratoire, que le blocage de l’activité d’une protéine appelée CHK1 entraîne la mort de ces cellules tumorales contenant de l’ADN circulaire extrachromosomique. Chez des souris atteintes d’un cancer gastrique induit par l’ADN circulaire, le blocage de CHK1 a entraîné une régression de la tumeur. A partir de ce constat un traitement expérimental va être développé sur des patients cancéreux humains.

Un biochimiste madrilène, Juan Méndez s’est exprimé sur cette découverte et appelle à la prudence quant aux résultats. Selon lui « les cellules dont l’ADN circulaire est extrachromosomique présentent des avantages qui facilitent l’adaptation et la résistance des tumeurs, comme un plus grand nombre de copies d’oncogènes et de gènes immunomodulateurs ». Cependant ajoute-t-il : « Il n’a pas été suffisamment démontré que les molécules d’ADN circulaire extrachromosomique sont à l’origine du cancer ».
Pour le prouver, il faudra mener d’autres études génétiques complexes sur des milliers de personnes avec des lésions précancéreuses pour étudier lesquelles se transformeront en tumeurs malignes et sous quelles influences.

Conclusion

Pour l’instant on ne sait déterminer si l’énigmatique ADN circulaire est un des facteurs déclenchant du cancer ou simplement une conséquence de celui-ci, ce que des recherches plus approfondies devront éclaircir.

Commentaires Cancer Rose

Nous avons souvent expliqué que l’histoire naturelle des cancers est plus complexe qu’imaginée et que le dépistage ne peut résoudre le problème de l’avènement des cancers d’intervalle, ces cancers spontanément et originellement péjoratifs, issus de lignées cellulaires dont les caractéristiques moléculaires en font d’emblée des cancers agressifs et véloces, et qui ne découlent pas de lignées cellulaires à caractéristiques biologiques de moindre agressivité. Il s’agit de lignées cellulaires comportant d’emblée des composantes biologiques qui en feront ces cancers les plus létaux.

Ces cancers échappent au dépistage, et lui échapperont toujours. Multiplier les dépistages, les rendre plus fréquents, les commencer parmi des populations toujours plus jeunes, améliorer les méthodes de détection pour des détections de plus petites lésions, tout cela c’est regarder le problème par le mauvais bout de la lorgnette.
La balle n’est pas dans le camp du dépistage, le dépistage rate ces cancers agressifs même déjà « petits », même au stade cellulaire ; ces cancers peuvent se développer en quelques semaines, quelques mois, même après une mammographie strictement normale.
Et même en ayant l’extrême chance de tomber dessus lors d’un dépistage, ce sont des cancers intrinsèquement agressifs, métastatiques d’emblée, avec des localisations à distance qui sont simultanées à leur genèse.

Il faut donc retourner aux recherches fondamentales, comprendre pourquoi certains cancers sont d’emblée des tueurs, et pourquoi certaines personnes sont affectées par ces cancers particuliers.
Il est bien sûr utile et nécessaire d’isoler ces gènes responsables de la résistance thérapeutique et du mauvais pronostic de certains cancers, comme les triple négatifs du sein ou des tumeurs cérébrales comme le glioblastome, mais il faut sortir néanmoins de la tentation d’expliquer le cancer par le « tout-génétique ».
Quel est le processus et quels sont les facteurs qui amènent la cellule à ces « réarrangements » de gènes et à l’amplification de ceux induisant des tumeurs avancées ?

De l’aveu des auteurs eux-mêmes et de scientifiques internationaux, le cancer est multifactoriel, les facteurs produisant le cancer sont multiples et variés, l’origine génétique fait partie des causes mais n’en est pas la seule explication, et d’autres causes sont certainement intriquées avec les causes génétiques dans la très grande complexité de la carcinogenèse.

Vouloir résoudre le problème du cancer et promettre aux populations toujours plus de dépistages donnés pour salvateurs et qui tordraient le coup au cancer, c’est faire des promesses fallacieuses et passer à côté de la véritable cible, à savoir : cesser de consacrer les ressources à des méthodes de détection toujours plus puissantes et inefficaces, et les attribuer plutôt à des recherches fondamentales qui permettront de comprendre mieux l’histoire naturelle du cancer, à « l’amont » du cancer, c’est à dire aux facteurs de la transformation cellulaire et aux paramètres qui la conduisent vers telle ou telle forme de cancer plus ou moins agressive.

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