Faux positifs et cancers, des liaisons dangereuses

Cancer Rose, 17 mai 2025

Trois publications s’intéressent à la relation entre des évènements de faux positifs et le développement de cancers du sein ultérieurs.

Ces trois papiers suggèrent que les femmes ayant subi plusieurs examens mammographiques avec résultats faussement positifs présenteraient un risque accru de cancer du sein.

Faux positif, de quoi s’agit-il ?

Les fausses alertes constituent, avec le surdiagnostic et l’irradiation, un des inconvénients majeurs du dépistage mammographique.
Un autre écueil est le cancer d’intervalle, c’est à dire un cancer qui se développe après une mammographie de dépistage étiquetée comme normale ; les cancers d’intervalle sont plutôt à considérer comme des échecs du dépistage.

Une fausse alerte, ou faux positif, est définie comme la suspicion d’un cancer, sur une image mammographique, qui ne se confirmera pas, mais cela seulement après d’autres examens complémentaires.
C’est donc un non-cancer, ce que l’on sait après avoir réalisé d’autres examens que la mammographie.
Ces examens supplémentaires qu’il faut rajouter pour infirmer cette suspicion peuvent être lourds, et se soldent parfois même par des biopsies dont le nombre s’est largement accru depuis qu’on dépiste, cette situation étant favorisée par la double lecture effectuée dans le cadre du dépistage (un deuxième radiologue examine les clichés réalisés dans un premier cabinet).
Connaître une fausse alerte est souvent très stressant, car la femme doit attendre parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant la confirmation de l’absence de maladie, notamment pour les résultats des biopsies, où selon les régions le délai est entre une semaine et un mois.
Son chiffrage :
Pour 1000 femmes au-dessus de 50 ans participant au dépistage pendant 20 ans, il y aurait en France environ 1000 fausses alertes conduisant à 150 à 200 biopsies inutiles. (Revue Prescrire, février 2015/Tome 35 N°376)
Mais d’autres évaluations existent, donnant des chiffres plus élevés. Voici par exemple une évaluation australienne [1]. Elle donne un résultat sur 25 ans, période correspondant à la durée globale de dépistage dans la vie d’une femme si elle suit le dépistage de 50 à 74 ans.
Lire l’article exhaustif ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/19/quelle-est-la-difference-entre-fausse-alerte-et-surdiagnostic/

Trois études sur la relation faux positifs/cancers du sein

Nous résumons ici les conclusions de trois publications, celle de Blanch et col publiée dans PLOS One en 2014, celle de Castells et col, publiée dans Radiology en 2016, et celle de Mao et col publiée dans JAMA oncology en 2023.

Dans la première publication il s’agit d’une étude rétrospective d’une cohorte de 645 764 femmes dépistées dans 32 services de radiologie de cinq régions d’Espagne, ayant bénéficié d’une mammographie entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 et ayant été suivies jusqu’au 30 juin 2009 pour l’identification d’un cancer d’intervalle. Ces femmes ont subi un total de 1 508 584 mammographies de dépistage.

L’étude de X.Castells est une étude de cohorte rétrospective incluant 521 200 femmes âgées de 50 à 69 ans qui ont subi un dépistage dans le cadre du programme espagnol de dépistage du cancer du sein entre 1994 et 2010, et qui ont été observées jusqu’en décembre 2012.

La dernière publication est aussi une étude de cohorte appariée basée sur une population en Suède du 1er janvier 1991 au 31 mars 2020. Elle a inclus 45 213 femmes ayant reçu un premier résultat de mammographie faussement positif entre 1991 et 2017, et 452 130 femmes-témoins appariées sur l’âge, l’année civile de la mammographie et les antécédents de dépistage (ce groupe n’avait aucun résultat faussement positif antérieur).
L’étude a également inclus 1 113 femmes ayant eu un résultat faussement positif et 11 130 témoins appariés avec des informations sur la densité mammaire provenant de l’étude Karolinska Mammography Project for Risk Prediction of Breast Cancer.

Il s’agit donc d’études de cohortes de grande envergure.

L’étude de Blanch démontre que les caractéristiques des femmes, à savoir le statut préménopausique, les antécédents familiaux de cancer du sein et aussi la biopsie mammaire bénigne antérieure étaient des facteurs de risque pour le cancer d’intervalle et le cancer détecté par dépistage.
Le cancer d’intervalle, rappelons-le, est la survenue d’un cancer entre deux mammographies de dépistage, c’est à dire après une mammographie normale et avant la prochaine mammographie prévue. C’est un échec du dépistage qui s’explique par des cancers très véloces à caractéristiques agressives, que le dépistage ne peut anticiper, ou des cancers occultes, ratés à la mammographie.

Pour Blanch et col. la présence d’un résultat faussement positif antérieur était un facteur de risque pour le cancer détecté par dépistage et le cancer d’intervalle, mais l’association avec le cancer d’intervalle était plus forte.

Castelles et col, eux concluaient :  » les femmes présentant des résultats faussement positifs présentaient un risque accru de cancer du sein, en particulier celles présentant des calcifications à la mammographie. Les femmes ayant subi plusieurs examens avec des résultats faussement positifs et dont les caractéristiques mammographiques évoluaient au fil du temps présentaient un risque fortement accru de cancer du sein. »

La publication de Mao est peut-être la plus intéressante, apportant plusieurs résultats détaillés :
Dans cette vaste étude de cohorte populationnelle avec un suivi prolongé, les femmes ayant obtenu un résultat faussement positif à la mammographie présentaient un risque accru de cancer du sein ultérieur, persistant jusqu’à 20 ans, et le risque était plus élevé chez les femmes âgées de 60 à 75 ans.
De plus, les auteurs ont constaté un risque plus élevé de tumeurs de grande taille (≥ 20 mm) et de tumeurs sur le sein sur lequel un résultat faussement positif avait été établi. Un risque accru de cancer du sein du côté homolatéral (le même côté) a été le plus élevé au cours des 4 premières années de suivi, tandis qu’un taux stable de risque accru à long terme a été observé pour les cancers survenus sur le sein controlatéral.
Toutefois, le pronostic des patientes atteintes d’un cancer du sein ne différait pas selon qu’elles avaient ou non obtenu des résultats faussement positifs auparavant.
Les auteurs écrivent : « Étant donné que les résultats faussement positifs sont fréquents (c’est­ à­ dire qu’environ la moitié [49,0 %] des femmes aux États­Unis et 20,0 % des femmes en Europe auront au moins un résultat faussement positif après 10 dépistages, nos résultats soulignent qu’ils constituent un problème de santé publique crucial. »

Il y a donc un lien entre les évènements de fausses alertes que connaissent les femmes dépistées et le risque de cancer du sein ultérieur.

Des pistes d’explications

Seule la dernière étude citée, celle de Mao et col dans le Jama Oncology tente d’apporter des explications.

Le premier mécanisme pouvant expliquer la corrélation entre faux positif et cancer serait, selon les auteurs, la co-existence possible d’une lésion pouvant devenir maligne, petite et non encore détectée. Ce qui pose une question : doit-on envisager de ce fait, pour ces femmes avec des faux positifs, des procédures chirurgicales plus intensives, ou des suivis plus intensifs ? On voit bien là l’entrée dans une spirale de gestes invasifs et d’imageries sans fin, dont on entrevoit le caractère néfaste et anxiogène pour les femmes concernées.

Une deuxième explication avancée serait que l’évènement du faux positif constitue un  indicateur d’un risque généralement plus élevé de cancer du sein.

Une hypothèse toutefois jamais avancée, dans aucune de ces études, et qu’on pourrait pourtant raisonnablement émettre, est que ce sont justement nos manœuvres de diagnostic (radiographies et irradiations répétées, compressions traumatiques du sein, biopsies elles-mêmes traumatiques) qui provoqueraient une altération des tissus du sein et une évolution en cancer invasif.

La iatrogénicité de nos procédures, pourtant à caractère intrusif non négligeable, n’est jamais évoquée, car elle va à contre-courant de l’image anodine qu’on veut leur donner, et qu’on retrouve autant dans les messages des autorités sanitaires que dans les campagnes d’octobre rose incitatives, mais bien peu informantes.

Cette relation entre les fausses alertes, que certaines femmes subissent parfois plusieurs fois dans leur parcours de dépistées, et la survenue ultérieure de cancers pose pourtant crument la question de l’agressivité de nos procédures diagnostiques, autant sur le plan physique que sur le plan psychologique, l’anxiété générée par ces évènements étant elle-même insuffisamment étudiée, et son retentissement physique certainement très sous-évalué.

Pour conclure

Il est plus que temps, au vu des résultats très décevants de ce dépistage n’apportant pas les bénéfices escomptés, de nous poser les bonnes questions sur nos pratiques. Le primum non nocere est le premier pilier de notre profession. Il faut plus que jamais privilégier le choix des femmes qui doivent connaître ces écueils du dépistage mammographique (faux positifs, surdiagnostic, irradiation, cancers d’intervalle) et leurs conséquences sur leur santé.
Les femmes sont majoritairement sous-informées des inconvénients et échecs de ce dispositif de santé auquel elle sont fortement incitées.


[1] Jolyn Hersch. Aide à la décision pour le dépistage du cancer du sein pour les femmes à partir de 50 ansC’est votre choix. (Brochure australienne). Page 7. [En ligne : https://drive.google.com/file/d/16yDg3f71DytiDTNbNaJIHYPgNsx9x2N0/preview


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