De la pertinence des dépistages de nos jours, à propos de deux articles

23/01/2019

Synthèse Dr C.Bour

 

Il est temps d’abandonner la détection précoce

Le premier de ces deux articles que nous allons examiner est un éditorial paru en ce début d’année 2019, ici :

« Time to abandon early detection cancer screening »

Il pose la question de la pertinence de l’abandon en général des procédures de détection précoce, autrement dit des dépistages.

Dans les références de cette publication on trouve le deuxième article qui nous intéresse, de V.Prasad, paru dans le BMJ en 2015, ainsi que le colossal travail de synthèse de Pr P.Autier (voirdossier Autier/Boniol).

Les auteurs de « il est temps d’abandonner la détection précoce par dépistage » expliquent qu’après un demi-siècle de lutte contre les cancers, la bataille n’est pas remportée de façon significative ; les avancées sont davantage celles des thérapeutiques que des préventions.

L’espoir de guérir les cancers en les détectant plus tôt, avant l’arrivée des symptômes, a failli.

Actuellement, l’incitation aux dépistages demeure promotionnelle et présentée comme fondamentale pour le contrôle actuel et futur des cancers, malgré des preuves de plus en plus nombreuses de l’absence de bienfaits pour la plupart des tests couramment utilisés.

Les gens devraient être informés de façon non passionnée et objective, et la non-participation éclairée devrait être un choix admis. En conséquence, la participation des populations à ces dépistages doit être abandonnée en tant qu’indicateur d’efficacité.

Après une pratique généralisée durant trois décades, la preuve que les tests de dépistage comme la mammographie ou le dépistage du cancer de la prostate par le PSA (dont l’utilisation a été contestée et regrettée par le concepteur lui-même du test) comportent des effets nocifs (fausses alertes, surdiagnostic) n’a fait que s’accroître. Ceci a conduit par exemple le Conseil Médical Suisse à proposer l’abolition des programmes de mammographie.

 

Pourquoi pas d’efficacité ?

L’absence de succès du dépistage précoce du cancer n’est pas tout à fait surprenante. Avec une énorme variabilité du taux de croissance des cellules, le processus de transformation maligne peut prendre de nombreuses années ou décennies ; pour le cancer du sein, il peut commencer très tôt. Mais l’avancement du diagnostic par le dépistage d’une ou quelques années ne représente qu’une petite fraction de la période pendant laquelle la croissance et la progression tumorale ont lieu. La supposition qui fait croire en la détection salutaire de nombreux cancers durant la courte période entre un stade curable à un stade incurable est trop optimiste. (NDLR : L’évolution des cancers n’est pas linéaire, les cancers graves échappent au dépistage car véloces souvent, et nombre de petits cancers détectés alimentent le surdiagnostic).

Comme de récentes études le montrent la plupart des programmes de dépistage en population n’ont pas réussi à réduire la mortalité par cancer, et la question se pose de savoir s’ils ont causé des dommages, au-delà du gaspillage de ressources et des effets secondaires des traitements qui peuvent être fréquents et graves. La réponse, très courte, est oui.

Intervenir dans des populations saines et transmettre à une proportion d’individus l’idée qu’ils pourraient avoir un cancer mais qu’ils ont besoin d’une analyse diagnostique plus poussée pour confirmer ou exclure ce diagnostic, cela peut avoir de profondes implications. Il en ressort d’importantes conséquences psychologiques et de répercussions en terme d’angoisses existentielles indéniables, un diagnostic de cancer confirmé provoque des effets psychiatriques et somatiques sévères de stress pour les patients, cela est maintenant fermement établi, peu importe que le cancer soit surdiagnostiqué, curable ou déjà métastatique et létal. Cet aspect est largement abordé et souligné chez Prasad.

Les programmes de dépistage infligés à la population font qu’une proportion de la population est inutilement précipitée dans une cascade de processus diagnostiques avec les dangers qu’ils comportent, le surdiagnostic n’étant pas le dernier, avec un non recul de mortalité et des formes graves.

Les prédictions selon lesquelles des outils de dépistage plus performants pourraient fonctionner mieux à l’avenir que ceux existants actuellement abondent : des techniques d’imagerie fortement sensibles, la détection de cellules tumorales circulantes ou des biomarqueurs ..

Toutefois on peut craindre que ces outils qui s’ajoutent à l’arsenal du dépistage existant ne conduisent à d’autres surdiagnostics supplémentaires, à des traitements excessifs (n’apportant pas de bénéfices) et à l’amplification des analyses diagnostiques, des traitements, des procédures de surveillance ainsi qu’à l’escalade des coûts des programmes de dépistage sans bénéfice à l’échelle populationnelle. Et il n’y a pas de garantie que le surdiagnostic consécutif à cette augmentation d’intensité diagnostique soit réservé seulement à ces cancers pour lesquels la documentation sur ce problème est déjà écrasante : neuroblastome, mélanome malin et cancers de la thyroïde, du sein et de la prostate. Le surdiagnostic généralisé pourrait en effet être une conséquence inévitable consécutive à une intensité diagnostique accrue. (NDLR, programme australien de désescalade)

 

 

Et à l’avenir ?

Au cours d’un demi-siècle, le dépistage précoce du cancer a été fortement promu, presque glorifié, comme stratégie visant à améliorer la lutte contre le cancer.

Au fil du temps, la communauté scientifique et les prestataires des soins de santé ont été étonnamment réticents à accepter les preuves que le dépistage des cancers par détection territoriale à grande échelle sur les populations n’a pas répondu à nos attentes, et qu’il a en fait causé des dommages considérables à une grande population de personnes en bonne santé.

Il est nécessaire actuellement de relever le difficile défi de l’éducation du public à la santé.

Selon les auteurs cela devrait de préférence se faire de façon organisée, et en utilisant des études pour pouvoir en mesurer les effets.

Une deuxième option consisterait à modifier et à restreindre les intervalles d’âges concernés et à réduire la fréquence des dépistages, ce qui réduirait à terme l’utilisation totale de ces tests de dépistage.

Une troisième option consisterait à se concentrer davantage sur la prise de décision partagée, dans le cadre d’un examen préalable, ce qui semble plus respectueux du malade et plus réaliste plutôt que d’imposer des dépistages inopérants.

 

 

L’article de Prasad et col.,

paru dans le BMJ en 2015, soulevant lui aussi l’inefficacité des programmes de dépistage

https://pdfs.semanticscholar.org/a85e/a6882916c171564738b1c9db456c1e774b6d.pdf

Que constate-t on après ces décennies de dépistages ?

 

  • Pas de réduction de mortalité

Les auteurs énoncent 2 raisons majeures : les essais manquent de puissance à trouver une minime réduction de mortalité. Et les minimes bénéfices en terme de mortalité peuvent être contre-balancées par les décès imputables aux effets en aval du dépistage.

Les méta-analyses sur les analyses sanguines occultes fécales pour rechercher un cancer colo-rectal, ont montré, selon les auteurs, une légère augmentation des décès non liés au cancer colorectal mais associés au dépistage, ce qui impliquerait des effets en aval de ce test de dépistage, pouvant partiellement ou entièrement annuler les gains pour cette maladie spécifique.
Ces « décès hors cible » surviennent plus particulièrement dans les cas de tests de dépistage exposant à des résultats faussement positifs, à du surdiagnostic de cancers non nocifs et à la sur-détection de lésions fortuites ou incidentalomes. C’est le cas pour la thyroïde, le neuroblastome, la prostate, le sein..
Par exemple, les tests d’antigènes spécifiques de la prostate (PSA) donnent de nombreux résultats faussement positifs, qui contribuent à plus d’un million biopsies de la prostate par an. Sans parler des surdiagnostics…

Les auteurs rappellent que les hommes avec un diagnostic de cancer sont plus souvent enclins aux suicides ou attaques cardiaques dans l’année suivant le diagnostic, ou exposés à mourrir de complications dues aux traitements, et ce pour des cancers détectés qui n’auraient jamais causé de symptômes. Le même argument est valable pour d’autres détections, comme le cancer du poumon, le neuroblastome, le cancer thyroidien…

 

Le données de mortalité doivent être examinés avec minutie.

Les essais randomisés devraient rapporter la mortalité toutes causes dans les groupes dépistage et les groupes témoin (ce que les essais mammographie n’ont jamais fait). Ce paramètre est important ne serait-ce que pour détecter une surmortalité due aux effets secondaires du dépistage.

La mortalité toutes causes ne peut pas représenter un objectif principal pour les cancers conduisant au décès à un âge relativement jeune, ce qui est le cas du cancer col utérin. La mortalité spécifique par ce cancer est élevée et le dépistage par frottis du col contribue à  drastiquement baisser la mortalité par ce cancer. Pour le cancer du sein en revanche, le gain en mortalité spécifique par cancer du sein est faible et pourrait être contrebalancé par des décès dus à d’autres causes (y compris les effets létaux des thérapeutiques).

La mortalité toutes causes doit représenter l’objectif principal à examiner pour le dépistage concernant des personnes plus âgées (p.ex : le cancer prostate, où on peut ainsi intégrer les effets nocifs induits par les traitements ), ou pour des cancers causés par un agent affectant d’autres systèmes de l’organisme (par ex pour le cancer du poumon qui serait dépisté pour les gros fumeurs, la mortalité toutes causes intégrerait les décès par maladie cardio-vasculaire induite par le tabagisme, qui est aussi un facteur important de mortalité chez le fumeur en dehors du cancer du poumon).

Dans tous les cas, la mortalité globale est un argument si indiscutable, qui peut rapporter tant de renseignements pour quantifier les effets indésirables mortels inattendus, qu’elle devrait faire d’office partie des critères à inclure dans les essais en population.

 

  • La perception par le public

Prasad mentionne l’étude de Domenighetti G et col, emblématique de la perception très avantageuse par les femmes du dépistage du cancer du sein, très éloignée de la réalité, le schéma reproduit ici https://www.cancer-rose.fr/la-perception-et-la-realite/ est éloquent sur ce sujet.

 

  • La nocivité des dépistages

Les résultats faussement positifs du dépistage du cancer du sein ont été associés à une détresse psycho-sociale aussi grande qu’un réel cancer du sein diagnostiqué, 6 mois après ; le surdiagnostic affecte plus ou moins largement les populations dépistées, c’est le risque majeur des programmes de dépistage, largement explicité dans ce site.

 

Et maintenant ?

Les évolutions de la mortalité, basées sur des données populationnelles, en particulier pour la prostate et pour le cancer du sein ne sont pas liées aux dépistages. La détection accrue des cancers du sein et d’autres cancers n’a pas entraîné un déclin proportionnel des maladies.

Prasad pose la question : comment peut-on encore prétendre que les dépistages sauvent des vies ? Nous avons maintenant besoin d’essais cliniques de bien plus large ampleur que ceux réalisés jusqu’alors. Des chercheurs postulent que, concernant le dépistage colo-rectal par exemple, 4,1 millions de participants seraient nécessaires pour démontrer une réduction de la mortalité globale, comparée au 150 000 pour l’étude de la mortalité spécifique.

Des essais cliniques pourraient déterminer toutes les causes de décès chez tous les participants afin de surveiller toute augmentation des « décès hors cible ».
Ce serait une amélioration par rapport aux normes actuelles, mais ne résoudrait pas la plupart des problèmes.
Les données des études primaires devraient être disponibles dans un format utilisable pour une ré-analyse.

Les auteurs encouragent les prestataires de soins de santé à être francs sur les limites des dépistages, les maléfices des dépistage sont avérés, mais le bénéfice en terme de réduction de la mortalité globale ne l’est pas. Faire baisser les procédures de dépistage peut être un choix raisonnable et prudent pour beaucoup.
Les autorités de santé devraient aussi encourager la participation à des études ouvertes.
Prasad et col. appellent à des normes de preuves plus élevées car il s’agit de permettre la prise de décisions raisonnables et partagées entre médecins et patients.

 

En conclusion :

Selon Otis Brawley, chef scientifique et médecin du travail de la Société de Cancer américaine :
« Nous devons être honnêtes sur ce que nous savons et sur ce que nous ne savons pas, mais que simplement nous croyons.  »

 

Voir aussi un autre article publié deux mois plus tard :  https://cancer-rose.fr/2019/03/15/retours-et-considerations-sur-les-programmes-de-depistages/

 

 

 


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