Courrier à la Commission Nationale de l’Information et des Libertés, sujet étude MyPEBS

25 mai 2019

Le 18 avril 2019, notre collectif a adressé à la  CNIL (Commission Nationale de l’Information et des Libertés) une lettre lui demandant un examen soigneux et critique du logiciel utilisé pour déterminer le niveau du risque pour les participantes à l’étude européenne MyPEBS sur un dépistage individualisé du cancer du sein.

Nous sommes inquiets des manquements dans sa validation scientifique, dans les liens d’intérêts entre promoteurs de l’étude et la start up créatrice du logiciel ainsi que dans l’information donnée aux femmes enrôlées dans l’étude.

Par ailleurs le consentement des femmes à participer à l’étude inclut l’autorisation à l’utilisation de leur matériel génétique recueilli pour l’étude, à fin de réaliser à l’avenir d’autres recherches de toutes sortes non précisées.

Vous trouverez la reproduction du courrier envoyé, ci-dessous.

(Pour consulter le site dédié à l’étude MyPEBS : http://mypebs.cancer-rose.fr/)

Nous vous informerons d’une éventuelle réponse de la CNIL, à ce jour non reçue.

COURRIER :

Commission Nationale de l’Information et des Libertés                18/04/2019

Responsable des études scientifiques européennes

en particulier étude MyPEBS

 

Dr Bour Cécile, radiologue

Présidente du Collectif Cancer Rose

 

 

Madame, Monsieur

 

Nous sommes un collectif de professionnels de santé, le collectif Cancer Rose, et nous alarmons sur le projet d’étude européenne MyPEBS sur le dépistage stratifié du cancer du sein.

 

Dans l’étude MyPEBS, pour « stratifier » le risque, celui-ci sera évalué selon un algorithme, le Mammorisk, défini par le comité directeur de l’étude (c’est à dire la coordinatrice de l’étude : Dr Suzette Delaloge, chef du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy ; et l’investigateur principal en France : Dr Corinne Balleyguier, chef du service d’imagerie diagnostique de Gustave Roussy ).

 

1° La validation scientifique du logiciel pose problème. 

Sur le site de la société Predi-Life (ou Statlife) n’apparaît aucune source bibliographique.

Sur le document de présentation du logiciel, page 13, trois sources bibliographiques sont mentionnées :

 

 

Des posters et des communications orales sont aussi mentionnées, alors que ce type de communication scientifique ne fait l’objet d’aucune revue par les pairs et n’a pas de valeur scientifique reconnue.

 

La première référence est la seule à avoir été publiée.

Laureen Dartois et al, A comparison between different prediction models for invasive breast cancer occurrence in the French E3N cohort, Breast Cancer Research and treatment, 2015.

A cette étude ont contribué Mme Suzette Delaloge, coordonnatrice de l’étude MyPEBS ainsi que Mr Emilien Gauthier, qui  n’est autre que le directeur de recherche et de développement pour Mammorisk de la société Predilife [1] . Elle fait état d’une vérification a minima de la validité d’un modèle de prédiction du risque de cancer du sein à Paris. Cependant il semble que le modèle qui doit être utilisé dans l’étude MyPeBS soit différent puisque le protocole prévoit de manière assez évasive : « La stratification du risque sera effectuée en utilisant un algorithme défini par le comité directeur de l’essai clinique et fondé sur la littérature la plus récente (scores de risque clinique et polymorphismes pertinents). L’évaluation du risque sera réalisée sur un logiciel centralisé et spécialisé d’évaluation du risque. Il utilisera les variables suivantes : âge, antécédents familiaux, antécédents de biopsie mammaire bénigne, antécédents hormonaux et reproductifs personnels, densité mammaire à la mammographie et résultats de génotypage (score de risque polygénique). »

 

La deuxième référence n’a pas été publiée dans une revue médicale. Le texte indique que l’étude est « in press » en 2017 dans le European Journal of Cancer. En réalité, comme le montre une recherche faite sur le site de ce journal au 16 avril 2019, aucune étude signée par Mr Ragusa n’a été publiée dans cette revue en 2017, ni 2018, ni 2019. Le plus probable est que la publication a été refusée à la suite de la revue par les pairs. (voir annexes jointes)

Son contenu correspond cependant à un poster présenté au Symposium de San Antonio de 2016, dont les auteurs principaux sont Mr Stéphane Ragusa, président et créateur de la société Predi-Life et Mr Emilien Gauthier, sus-cité.[2]

Comme co-auteure nous retrouvons Mme Suzette Delaloge, oncologue de l’Institut Gustave Roussy et promoteure de l’étude MyPEBS. Il est important de noter que les communications dans les symposiums ne font pas l’objet d’une revue par les pairs et n’ont pas la même valeur qu’une publication dans une revue médicale.

 

La troisième référence est l’étude RIVIERA[3] [4] dont les résultats ont fait l’objet d’une conférence de presse en octobre 2017 [5], mais qui, à notre connaissance, n’a pas fait l’objet d’une publication scientifique. Rien d’étonnant d’ailleurs puisqu’il s’agit d’une simple enquête auprès d’un échantillon non représentatif de 452 femmes, pour savoir si elles déclaraient bien comprendre les explications qui leur étaient données et si elles acceptaient l’idée d’une « consultation de prévention du risque de cancer du sein » auprès d’un médecin non hospitalier. Elle a été décrite ainsi par ses auteurs : « RIVIERA – Evaluation du niveau de risque de cancer du sein chez des femmes de la population générale par leur médecin de ville: faisabilité, ressenti, acceptabilité, satisfaction, adhésion aux programmes de suivi. »

Une telle étude ne valide pas les choix faits lors de la conception de MyPeBS, ni pour la stratification du risque (notamment pas l’utilisation du Mammorisk°), ni pour les modes de dépistage par niveau de risque.

Riviera a été promue par l’IGR (Institut Gustave Roussy) comme cela est précisé dans le descriptif de l’étude (voir référence 2) et financée par l’ARC (Fondation pour la Recherche contre le Cancer).[6] Elle a été effectuée en collaboration avec la société Statlife, avec le partenariat de l’Institut Gustave Roussy. Son investigatrice principale était Mme Delaloge.

 

Au total la seule étude scientifique publiée date de 2015 et porte apparemment sur une étape intermédiaire à la mise au point du Mammorisk°. Quand bien même il s’agirait bien du Mammorisk° actuel, sa validation scientifique nécéssiterait au miminum la confirmation par une seconde étude réalisée par une équipe indépendante.

L’état des recherches concernant le Mammorisk° est donc insuffisant, comme le confirme l’avis de la Haute autorité de santé (lire plus loin).

 

2° les liens d’intérêts

Ci-dessous nous vous livrons un schéma démontrant les intrications et donc les liens d’intérêts entre les promoteurs scientifiques et les développeurs commerciaux du logiciel utilisé.

MMe Suzette Delaloge est présidente du groupe French Breast Cancer Intergroup – UNICANCER (UCBG) [7] qui est partenaire de l’étude MyPEBS, dont elle est aussi la coordinatrice principale ; elle est oncologue, chef du comité de pathologie mammaire à l’IGR, investigatrice principale de l’étude RIVIERA, faite en partenariat avec la société Statlife qui commercialise le logiciel Mammorisk intégré dans l’étude MyPEBS.

La société Statlife (ou Predilife) et l’IGR sont partenaires de l’étude Riviera qui valide l’acceptabilité du Mammorisk° produit par la société Statlife (ou Predilife), cette étude ainsi que le logiciel sont financés par l’association ARC. [8]

L’IGR est membre d’Unicancer. [9]

Les coordonnateurs de l’essai MyPEBS et certains instituts impliqués dans MyPEBS promeuvent des « études » permettant l’intégration de dispositifs médicaux avec une validation scientifique a minima et auto-promue, émanant d’une start-up privée, afin d’intégrer leur produit dans une étude européenne à grande échelle financée par les deniers de l’Union Européenne.

Nous soulevons le danger d’un possible démarchage des médecins participants dans un processus d’incitation à souscrire un contrat de licence, afin de pourvoir continuer à utiliser cet algorithme informatique.

 

3° L’avis de la HAS [10]

 

« Seuls les modèles intégrant les facteurs de risque individuels sont exploitables pour déterminer des populations à risque accru (ou diminué) de cancer du sein. La comparaison avec le risque en population générale permet de cibler des populations pouvant faire l’objet de recommandations spécifiques. Toutefois, la capacité des modèles à prédire la survenue de cancer du sein reste médiocre (indice de concordance autour de 0,65). Tous les facteurs de risque ne sont pas pris en compte, notamment les antécédents médicaux personnels, la contraception hormonale, la consommation d’alcool ne sont pas inclus dans les modèles. Enfin, les outils ne sont pas disponibles pour toutes les populations (femmes de moins de 35 ans, femmes américaines hispaniques, etc.). A notre connaissance, ces modèles n’ont pas fait l’objet de validation dans la population française, et l’article de de Pauw et al. (31) montre que, pour une même femme présentant trois antécédents familiaux de cancers du sein, les différents modèles estiment des risques de survenue de cancer du sein très différents, de 13 à 34 %. Ces modèles ne sont pas fournis avec des grilles de lecture et des algorithmes de décision pour le clinicien, permettant de choisir une stratégie de surveillance en fonction de l’estimation obtenue. »

 

4° L’information des femmes et le recueil de leur consentement

 

Les femmes ne sont pas informées de l’objectif principal de l’essai, qui est un essai de non infériorité portant sur l’incidence des cancers avancés, avec un seuil de 25%. Cela signifie que le but principal de l’essai n’est pas de démontrer la supériorité du dépistage personnalisé sur le dépistage standard, mais sa « non infériorité ». Autrement dit, si dans le groupe dépistage personnalisé, il apparait une augmentation de 24% du nombre de cancers avancés (et donc une augmentation de 24% de la mortalité par cancer), le dépistage personnalisé sera tout de même considéré comme « non inférieur » ou « équivalent » au dépistage standard.

Le terme de « non infériorité » n’apparaît nulle part dans la brochure destinée à l’information des participantes et au recueil de leur consentement (dans la version 1.3 du 24 juillet 2018 qui nous a été communiquée). Et il n’est évidemment pas expliqué. Au contraire, le texte déclare de manière mensongère que l’objectif de l’essai est de savoir « si le dépistage du cancer du sein personnalisé selon le risque individuel de développer un cancer du sein dans les 5 prochaines années est au moins aussi efficace que le dépistage standard actuel ».

Le formulaire de consentement qui est demandé comporte aussi un engagement des femmes extrêmement vague et large : « J’accepte que mes données, le matériel génétique et les images recueillies pendant cette étude soient utilisées à des fins de recherche ultérieure, y compris de recherche génétique ». En réalité, ce consentement autorise absolument n’importe quelle utilisation, notamment du matériel génétique, pour des recherches de toutes sortes. Ce point est d’autant plus inquiétant que les auteurs précisent que les données concernées pourront être transmises très largement aux « partenaires » du promoteur de la recherche et «  aux autorités compétentes, en France ou à l’étranger ». Les participantes disposent bien d’un droit d’opposition au traitement de ces données, mais ce droit est limité : « Si le traitement est nécessaire dans l’intérêt public, UNICANCER ne pourra répondre favorablement à l’exercice de ce droit d’opposition. » Or rien ne vient préciser comment et par qui sera défini « l’intérêt public ». Ces points sont d’autant plus cruciaux que le document ne comporte aucun engagement du promoteur de l’essai à informer les participantes des éventuelles utilisations ultérieures des données recueillies. En somme, le document autorise le promoteur à quasiment toute utilisation des données recueillies (notamment génétiques) pour toute recherche.

 

 

En conclusion :

Le traitement des données médicales (notamment génétiques) dans l’essai MyPeBS pose de nombreux problèmes :

  • La question se pose du réel intérêt scientifique de l’étude MyPeBS par l’analyse du logiciel Mammorisk°, qui en est la « pierre angulaire » pour l’évaluation du risque.
  • L’organisation de cette recherche fait apparaître de nombreux liens d’intérêts avec la commercialisation du Mammorisk°
  • L’avis de la Haute autorité de santé confirme que la capacité discriminante des logiciels d’évaluation du risque de cancer du sein est encore médiocre. Rien n’indique précisément comment a été choisi l’algorithme de l’essai MyPeBS
  • L’information donnée aux participantes, telle qu’elle est prévue, est incomplète et trompeuse.
  • L’autorisation d’utilisation des données médicales recueillies (notamment génétiques) est extrêmement vague et large, et permet au promoteur de l’essai de proposer ces données pour toutes sortes de recherches non précisées.

Nous espérons de votre part un examen soigneux de l’acceptabilité du logiciel dont dépend l’intégration de milliers de femmes dans une étude comportant des risques pour elles, notamment ceux d’une inclusion dès l’âge de 40 ans, âge auquel l’irradiation par la mammographie n’est pas négligeable.

Ceci pose un grave problème éthique, surtout quand l’intérêt scientifique du logiciel central du projet n’est pas avéré.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

[1] https://mammorisk.com/fr/societe-predilife/#

 

[2] https://mammorisk.com/fr/poster-presente-au-san-antonio-breast-cancer-symposium/#

Sujet du poster

« Développement et validation d’un nouveau modèle non paramétrique d’évaluation des risques de cancer du sein sur les populations américaines et européennes de dépistage. »

 

[3] https://mammorisk.com/fr/etude-riviera-mammorisk/#  

 

[4] https://www.gustaveroussy.fr/fr/igr-2422

 

[5] https://www.gustaveroussy.fr/fr/riviera-resultats-positifs-mammoriskr-depistage-cancer-sein

[6] https://www.fondation-arc.org/actualites/gustave-roussy-presente-resultats-positifs-etude-clinique-riviera-mammorisk

 

[7] http://www.unicancer.fr/la-recherche-unicancer/french-breast-cancer-intergroup-unicancer-ucbg

[8]  https://mammorisk.com/fr/societe-predilife/

 

[9] https://www.gustaveroussy.fr/fr/gouvernance-generalites

 

[10] https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-05/depistage_du_cancer_du_sein_chez_les_femmes_a_haut_risque_volet_1_vf.pdf

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