Cancer du sein, travail de nuit et inégalités professionnelles de genre

Cancer du sein, travail de nuit et inégalités professionnelles de genre

Annette LEXA

Docteur en Toxicologie EUROTOX

Le sujet du risque de cancer du sein au travail est un sujet négligé.

Alors que, selon les statistiques européennes, environ 7% des salariés de l’UE travaillent de nuit (7.2% en France en 2010), les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention. Il y a peu de littérature scientifique à ce sujet. Ce manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme fait l’objet d’une attention extrême – voire tatillonne – de la part des technocrates et leurs bataillons de fonctionnaires territoriaux de la santé depuis l’arrêté ministériel de 2006 .

En France, la prévention primaire sur le lieu de travail, l’amélioration des conditions de travail, le suivi par la médecine du travail des femmes à risques (travail de nuit, hôtesses de l’air) ne font pas partie du plan cancer ni de l’arrêté de 20063.

Pourtant, depuis 2008, le travail de nuit posté (avec alternance irrégulière de périodes de travail de jour et de nuit) a été classé par le Centre International de Rechercher sur le Cancer (CIRC) comme cancérogène probable pour l’être humain. Le CIRC s’est appuyé sur des modèles animaux et des études épidémiologiques réalisées auprès d’infirmières de nuit et d’hôtesses de l’air soumises au décalage horaire. Ces études mettent en évidence un risque accru de développer un cancer du sein parmi ces femmes par rapport à celles qui travaillent de manière classique . Le travail de nuit provoquerait de perturbations de l’horloge biologique interne qui régule l’alternance de veille et de sommeil . A long terme, l’exposition nocturne à la lumière bloque la synthèse de mélatonine (hormone du sommeil) et cela entraîne une baisse des défenses immunitaires. On pense également que cette exposition à la lumière pourrait altérer l’expression de certains gènes pouvant aboutir à la formation de cellules cancéreuses. Le rôle de la mélatonine sur les estrogènes expliquerait l’excès de risque de cancer du sein1 et 6. Par contre, le rôle des expositions professionnelles dans l’apparition de cancer du sein chez l’homme (l’individu de sexe masculin) est connu depuis longtemps (solvants, rayonnements ionisants) .

La sociologue Marie Ménoret va plus loin 4 : « Zeneca Pharmaceutical , le plus grand vendeur au monde de médicaments anticancéreux pour le cancer du sein, grâce à son brevet pour le Tamoxifène est également producteur de pesticides et autres produits délétères, connus pour être cancérigènes » .

Selon une étude réalisée par le Breast Cancer Fund en 2015, le risque de développer un cancer du sein est augmenté de 50% chez les infirmières. Il est multiplié par 5 chez les coiffeuses et les esthéticiennes ainsi que dans l’industrie alimentaire. Il est multiplié par 5 parmi les travailleuses du nettoyage à sec et de la blanchisserie et par 4 chez les ouvrières de l’industrie papetière et des arts graphiques ainsi que dans la production de produits en caoutchouc et plastique. Les facteurs de risque sont multiples et peuvent en outre s’ajouter les uns aux autres : le stress au travail est pointé du doigt, le travail de nuit et les décalages horaires fréquents, les rayonnements ionisants et les substances chimiques telles que le benzène, les solvants organiques, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les pesticides et de nombreux perturbateurs endocriniens peu ou pas identifiés par la réglementation.

Une prévention professionnelle féminine au rabais

En France 2, 61 % des salariés mentionnent connaître le CHSCT (Comité de Sécurité, d’Hygiène et Conditions de Travail) mais 62.7% des hommes contre seulement 59% des femmes. Les femmes sont donc moins bien informées. Seulement 35% des hommes salariés connaissent l’existence du document d’évaluation des risques contre 24% des travailleuses. Ce %age doit descendre beaucoup plus bas lorsqu’il s’agit de la connaissance de la fiche individuelle d’exposition pourtant obligatoire. Pire, être une femme multiplie par 2 la probabilité d’être oubliée par la médecine du travail (sans doute parce qu’elle considère que les femmes consultent plus facilement à titre privé). Et cette situation de déni rend encore plus compliqué – voire impossible – la reconnaissance en maladie professionnelle d’un cancer du sein.

« Penser politiquement le cancer du sein »

L’invisibilité des risques spécifiques de cancer du sein pour les femmes au travail démontre de manière criante l’inégalité de genre des politiques de prévention des risques professionnels, alors que des millions de femmes en Europe, souvent employées par de petites structures, mal informées et insuffisamment suivies, sont exposées à des produits chimiques, des horaires de nuit, des rayonnements ionisants (y compris dans le diagnostic médical) ainsi qu’au stress de la double journée5 d’autant plus pénible pour les femmes en situation de monoparentalité .

Pour paraphraser Marie Ménoret, le cancer du sein est décidément une affaire politique que les féministes ont totalement oublié de traiter. Il en va de la vie des femmes elles-mêmes. Il est urgent que les jeunes générations s’en emparent.

Bibliographie

1/ Travailleurs de nuit : des travailleurs en rupture, HESA Mag n°5 , 1er semestre 2012, 31-35

2/ « Chausser les lunettes du genre » pour comprendre les conditions de travail, Laurent Vigel, HESA mag,N°12, 2e semestre 2015, 12-17

3/ Arrêté du 29 septembre 2006 relatif aux programmes de dépistage des cancers

4/ Ménoret M., 2006, « Prévention du cancer du sein : cachez ce politique que je ne saurais voir », Nouvelles questions féministes, 25(2), 32-47.

5/ Le temps de travail hebdomadaire moyen des femmes s’élève à 64 heures contre 53.4% pour les hommes. Le différence provient du travail domestique non rémunéré (26.4h pour les femmes contre 8.8h pour les hommes)

6/ Document pdf « Travail posté de nuit et cancers » par  M. Druet-Cabanac, Y. Aubert, D. Dumont, Consultation de Pathologies Professionnelles, CHU de Limoges


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