Efficacité et surdiagnostic du dépistage mammographique aux Pays Bas, étude populationnelle

BMJ 2017;359:j5224 http://dx.doi.org/10.1136/bmj.j5224

http://www.bmj.com/content/359/bmj.j5224

7 décembre 2017

Auteurs :

Philippe Autier,

University of Strathclyde Institute of Global Public Health at iPRI, Allée Claude Debussy, 69130 Ecully, Lyon, France

Magali Boniol

International Prevention Research Institute, Lyon, France

Alice Koechlin,

Cécile Pizot

Mathieu Boniol

Objectif

 

L’objectif de l’étude est d’analyser l’incidence spécifique des cancers selon leur gravité auprès des femmes aux Pays Bas, invitées tous les deux ans au dépistage mammographique depuis 1989 (sur la base du registre du cancer du pays).

On souhaite vérifier si le dépistage mammographique permet la réduction des formes les plus avancées (stades 2 à 4), ce qui définirait l’efficacité d’un dépistage mammographique.

L’étude évalue les variations de mortalité et tente de quantifier le surdiagnostic.

Méthodes

Le nombre supplémentaire de cancers in situ (CIS) et de tumeurs du sein de stade 1 dû au dépistage est estimé en comparant les taux de CIS et de tumeurs de bas stade (stade 1) dans le groupe de femmes de 50 à 74 ans dépistées, avec les taux parmi les femmes de mêmes tranches d’âges mais non dépistées.

En effet on estime que le réservoir le plus important du surdiagnostic sont les CIS et les tumeurs de stade peu élevé de malignité, dont le taux s’envole dès lors qu’on dépiste. Les auteurs ont considéré les stades 2 à 4 comme des stades ‘avancés’, expliquant que cette distinction est conventionnelle et utilisée ainsi dans les essais d’évaluation des programmes de dépistage.

Le surdiagnostic a été évalué après soustraction des cancers d’intervalle.

La réduction de mortalité entre 2010 et 2012 a été chiffrée sans et avec considération de l’effet de cohortes (en effet on considère que les cohortes n’ont pas toutes des caractéristiques uniformes, mais que la pyramide des âges ou les périodes de naissance peuvent induire des effets sur les cohortes étudiées.)

Résultats :

L’incidence des cancers des stades 2 à 4 parmi les femmes des tranches d’âge au-delà de 50 ans était de 168 pour 100 000 femmes en 1998, et de 166 pour 100 000 en 2012.

Ceci tendrait à démontrer qu’il n’y a pas de « rattrapage » des tumeurs des stades les plus élevés par le dépistage.

mortalité :

La mortalité par cancer du sein a décliné de 38% entre 1989 et 2013.

En ne tenant pas compte de l’effet de cohorte le dépistage serait associé à une réduction de mortalité de 5%, et à aucune réduction de mortalité si on tient compte de l’effet de cohorte (c.àd. de l’influence de la pyramide des âges et des périodes de naissance des populations).

Dans les deux cas les améliorations thérapeutiques seraient responsables de 28% de la réduction de la mortalité.

surdiagnostic :

L’étude soutient une manifeste augmentation du surdiagnostic avec l’extension du dépistage notamment aux femmes plus âgées, (entre 70 et 75 ans), favorisée par la mammographie numérique qui détecte de plus en plus petites lésions, la plupart sans importance clinique.

Parmi les cancers détectés avec le dépistage, on évalue le surdiagnostic en soustrayant les cancers d’intervalle et les cancers des stades 2 à 4.

Le programme avec la mammographie numérique a généré, selon les auteurs, 16 surdiagnostics pour une vie « sauvée », cela de façon d’autant plus flagrante chez les femmes de la tranche d’âge 70-75 ans.

Les auteurs évoquent un surdiagnostic aux alentours de 50% parmi les cancers détectés au dépistage.

La procédure du ganglion sentinelle :

Dès 2002 elle contribue à une « migration du stade », c’est à dire à un « upgrading » du stade des tumeurs, essentiellement du stade 2 au stade 3 dès 2002. Les tendances observées entre 1989 et 2012 montrent une augmentation considérable de l’incidence des tumeurs in situ et des cancers de stade 1, tandis que les tendances des cancers de stade 2 à 4 sont restées relativement stables.

Conclusion :

  • Absence de réduction significative des taux des cancers avancés.
  • Un effet marginal sur la réduction de la mortalité. (Entre 0% et 5%, donc bien plus faible que les 20% à 30% affirmés depuis des années.)
  • Environ la moitié des cancers dépistés constitue du surdiagnostic.
  • Dans les deux scénarios, en considérant ou alors sans considérer l’effet de cohortes, la réduction de mortalité imputable au dépistage est marginale, alors que celle attribuable aux traitements est de l’ordre de 28%

Que disent ces courbes ?

  • Les cancers de stade avancé ne régressent pas et tendent même à rejoindre des taux d’avant l’instauration du dépistage.
  • En revanche, l’incidence des cancers in situ et de stade 1 a fortement augmenté. La comparaison de l’incidence entre les groupes d’âge montre des différences notables dans les tendances dans le temps qui sont corrélées à l’invitation au dépistage et au remplacement de la mammographie sur film par une mammographie numérique

Commentaires/parallèle avec la situation et les études faites en France

L’étude d’efficacité du dépistage mammographique aux Pays-Bas, par l’équipe de l’IPRI, BMJ 7/12/2017

L’étude réalisée par le Pr Autier et son équipe s’est donnée pour objectif de vérifier si le dépistage mammographique permettait réellement la réduction des formes les plus avancées (stades 2 à 4) du cancer du sein, l’efficacité d’un dépistage étant définie à la fois par la réduction de la mortalité due à la maladie et par la diminution significative des formes les plus graves.

En France règne la conviction que les indicateurs de mortalité sont insuffisants en raison d’une participation trop faible (50%) de la population féminine.

A ce titre les constats décevants de l’étude de Autier et col. prennent d’autant plus de poids que la participation aux Pays-Bas, elle, est de 80% ; ces constats sont :

  • effet marginal du dépistage sur la mortalité,
  • absence de recul des formes les plus avancées du cancer du sein.

Un surdiagnostic massif

Mais c’est l’évaluation du surdiagnostic qui interpelle dans de cette étude, puisque chiffrée jusqu’alors aux alentours de 20 à 30%, jamais au-delà de 50%.

Les auteurs de l’ évaluation néerlandaise publiée ici soutiennent une manifeste augmentation du surdiagnostic, favorisée par la mammographie numérique. Ils évoquent un taux de surdiagnostic aux alentours de 50% (pouvant atteindre 52%) des cancers détectés, ce qui rejoint l’estimation de B.Junod, réalisée sur trois cohortes de femmes en France et publiée en 2011 dans British Medical Journal. [1]

Junod et Zahl avançaient à l’époque un taux de 60% de surdiagnostics chez les femmes dépistées.

Surtraitement, l’étude française de « vraie vie »

 

Les auteurs de l’IPRI joignent deux graphiques dans les annexes de leur étude, il s’agit des tendances des incidences spécifiques des tumeurs selon leur stade, et qui illustrent la constante augmentation des tumeurs de bas stade de gravité ainsi que des CIS, qui seront traitées avec la même agressivité que les autres formes de cancers, ce que corrobore l’étude française menée par notre collectif, récente, publiée par la Revue Médecine en octobre 2017, « le dépistage permet-il d’alléger le traitement chirurgical des cancers du sein ? ». [2]

Dans notre étude basée sur les données publiques d’une base de facturation des actes hospitaliers (Scansanté), on constate les faits suivants :

  • Une augmentation significative des actes de mastectomies totales et des actes de mastectomies toute chirurgie confondue, depuis 2000.
  • L’examen des ratios mastectomies totales/incidence des cancers invasifs et total actes/incidences des cancers invasifs montre une stabilité des ratios pour les mastectomies totales, et une augmentation des ratios concernant les mastectomies tous actes confondus.
  • Il y a bien une diminution, statistiquement significative, de la part des mastectomies totales. Mais elle n’est pas synonyme d’allègement des traitements chirurgicaux, car n’est pas due à une diminution des mastectomies totales mais bien à une augmentation des mastectomies partielles plus importante que celle des mastectomies totales.

lire aussi : https://www.cancer-rose.fr/explication-de-letude-sur-les-mastectomies-en-france/

Conclusion :

On réalise donc de plus en plus d’actes chirurgicaux, y compris radicaux, depuis le dépistage systématisé, et non pas uniquement pour les seuls cancers invasifs.

Le surtraitement que notre étude française dénonce, est la résultante d’un surdiagnostic plus important qu’on l’estimait auparavant, massif à l’instar de ce que pressentait l’étude Junod/Zahl, ce que semble confirmer aujourd’hui l’étude de Philippe Autier et de ses collaborateurs.

[1] Junod B, Zahl P-H, Kaplan RM, Olsen J, Greenland S. An investigation of the apparent breast cancer epidemic in France: screening and incidence trends in birth cohorts. BMC Cancer. 2011 Sep 21;11(1):401.

[2] http://www.jle.com/fr/revues/med/e-docs/le_depistage_organise_permet_il_reellement_dalleger_le_traitement_chirurgical_des_cancers_du_sein__310529/article.phtml

Autres lectures et analyses en lien avec l’étude

Communiqué de presse : Communiqué de presse

Mette Kalager, professeure et chercheuse (Université d’Oslo) pose la question « si on était mieux sans mammographie? »

A lire ici : http://www.bmj.com/content/359/bmj.j5625

L’analyse de Dr Grange, ici : http://docteurdu16.blogspot.fr/2017/12/

Et la synthèse sur le dépistage Autier/Boniol : https://www.cancer-rose.fr/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/


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