Actualisation de l’arrêté du 29/09/06 sur le programme de dépistage du cancer du sein

Résumé Dr C.Bour, 11 mars 2020

L’arrêté du 29 septembre 2006 du Code de la Santé Publique, destiné à définir les programmes de dépistage des cancers comme programmes de santé intégrés dans le plan de mobilisation nationale contre le cancer, a été actualisé depuis notre critique de 2016.

Arrêté du 29 septembre2006_version consolidee au 27/02/2020

Pour le cancer du sein, l’examen de dépistage reconnu c’est la mammographie.

l’arrêté du 29 septembre 2006 relatif aux programmes de dépistage des cancers était conçu pour décrire l’organisation des lectures des mammographies et listait les indicateurs des dépistages des cancers du sein et du cancer colorectal.  ( JO, 21 déc. 2006, 19240, Texte n°49). Plus tard il a été complété par  l’arrêté du 24 janvier 2008 portant introduction de la mammographie numérique dans le programme de dépistage organisé du cancer du sein,( JO, 5 fév., 2008, 2211, texte n°25).

Alors que dans ses annexes était mis en exergue le principe fondamental qui régit l’information fournie dans le cadre d’un dépistage :  « doit être précise et aisée d’accès pour tous. Elle doit s’appuyer sur des données scientifiques, y compris celles relatives aux inconvénients potentiels des dépistages » , cet arrêté était fortement incitatif pour les femmes et les occurrences « informations » y étaient rares.

Une rapide recherche avec le mot clé « information » ne faisait ressortir que deux mentions sur « l’information » :

1/ Il s’agit de données relatives à la lettre d’invitation systématique que chaque femme reçoit dès 50 ans. On peut lire que « Ce document doit comporter une information sincère sur les avantages et les possibles inconvénients du dépistage, en cohérence avec les messages nationaux ». Lesquels messages se bornaient jusqu’en 2016 de  rassurer les femmes sur la possible douleur de l’examen.

2/ Lors de la description minutieuse de la « réalisation pratique du dépistage », il était précisé que « La femme est accueillie et informée (éventuellement avec l’aide de documents d’information conformes aux messages nationaux)». Lesdits messages nationaux étant eux-même des outils de persuasion, où les méfaits du dépistage, à l’époque, étaient au mieux minimisés quand ils n’étaient pas carrément ignorés sur les sites des autorités sanitaires, et également sur celui de la caisse nationale de l’assurance maladie, comme le rapport de la concertation citoyenne de 2016 le dénonce.[1]

L’arrêté initial

A chaque article, chaque ligne de cet arrêté, il s’agissait de tout mettre en œuvre pour sensibiliser et inciter le plus de femmes possible au dépistage : étaient sollicités les fonctionnaires des structures de gestion, les médecins du travail, les médecins libéraux, les pharmaciens, les kinésithérapeutes, les infirmières, les travailleurs sociaux, les sages-femmes…

Nous avions alors rédigé cet article demandant l’abrogation de ce décret obsolète, et insuffisamment axé sur une information loyale et objective des femmes, prenant appui sur le principe de la connaissance inscrit dans la Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

Mais nous avions aussi souligné, dans une lettre envoyée à plusieurs députés [2], l’impact important du surdiagnostic sur des femmes qui, jusqu’ici, n’étaient pas malades : « des milliers de femmes asymptomatiques, saines, sont projetées abusivement dans la maladie, le désarroi, le malheur, avec des retentissements physiques, psychologiques, professionnels, économiques, familiaux ».

Cette action fut mentionnée dans la page 73 du rapport de la concertation, laquelle intervint en 2016, et rendit dans son rapport un constat critique et sévère sur le niveau d’information délivré aux femmes..

Que disait le rapport de la concertation sur le niveau d’information et sur l’arrêté ?

Le rapport explique que l’arrêté était conçu pour présenter le cahier des charges des dépistages de ces deux cancers et qu’il confiait aux structures de gestion le recueil des indicateurs d’évaluation.

Or ces indicateurs sont fort nombreux : Indicateurs d’évaluation et de pilotage nationaux, taux de participation, indicateurs d’organisation, indicateurs de qualité du programme, Indicateurs d’efficacité du programme, dont « le nombre de cancers diagnostiqués à l’issue du processus de dépistage ». Le rapport souligne que tous ces indicateurs sont quantitatifs. Tous sont recueillis par le centre de gestion. Mais la satisfaction des femmes, leur projet de continuer le dépistage par exemple, sont absents, et d’ailleurs n’est pas intégrée la possibilité que les femmes puissent refuser le dispositif, cette possibilité de refus n’est toujours pas prévue dans les formulaires de convocation.

« Aujourd’hui », constate le rapport de concertation (page 123) : »avec la polémique sur ce dépistage et les conclusions de ce rapport, les nouvelles orientations devront faire l’objet d’une évaluation de processus et de résultats :

  • Information des femmes pour leur permettre une décision en connaissance de cause : outils et modalité de leur élaboration et de leur diffusion.
  • Information et formation des médecins généralistes, gynécologues et sages-femmes à cette information et à la décision éclairée.
  • Décisions des femmes : dépistage accepté ou refusé « en connaissance de cause » devant faire l’objet d’études qualitatives.
  • Taux de dépistage individuel, en dehors des recommandations de ce rapport, qui doit être suivi par une nomenclature adaptée.
  • Identification des modalités de dépistage liées aux inégalités sociales et de santé.
  • Évaluation médico-économique des options retenues. « 

Qu’en est-il de nos jours, depuis la concertation, examinons l’actualisation effectuée sur la rédaction de l’arrêté

Les occurrences sur l’information sont nettement plus nombreuses.

L’arrêté stipule que « Le centre régional de coordination des dépistages des cancers assure la mise en œuvre des programmes de dépistage dans la région conformément au cahier des charges ….. Il contribue, en conformité avec la communication nationale et en l’adaptant au contexte local si nécessaire, à délivrer une information loyale, claire et appropriée sur les programmes de dépistage organisé permettant une décision libre et éclairée des personnes sur le choix de participer ou non (enjeux, stratégies de dépistage en fonction des niveaux de risques, intervalles de dépistage, bénéfices, limites et risques, parcours de dépistage, prise en charge, données épidémiologiques, et le cas échéant sur les stratégies de prévention et de détection précoce recommandées …).

Il participe, en lien avec les partenaires et acteurs locaux, notamment les médecins traitants, à l’information sur la prévention des risques et le dépistage des cancers, dans une approche intégrée de parcours de santé. » Page 10 et 11 de l’arrêté.

En page 12,  » Le message véhiculé par les actions de communication locales doit être homogène, sans ambiguïté, et conforme à la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. L’information fournie doit être précise et aisée d’accès pour tous et aborder les enjeux du dépistage, les bénéfices attendus, ainsi que les limites et les éventuels effets délétères. Elle doit s’appuyer sur des données scientifiques, y compris celles relatives aux inconvénients potentiels des dépistages. « 

Page 13/14 : « Le centre régional de coordination des dépistages des cancers ….. participe, dans le respect des préconisations nationales, à l’information des professionnels de santé sur les programmes de dépistage organisé (stratégies de dépistage en fonction des niveaux de risques, intervalles de dépistage, bénéfices, limites et risques, données épidémiologiques, innovations techniques et scientifiques …). « 

Quelques bémols

Un petit bémol encore sur quelques velléités persistantes d’orienter les femmes vers le système de dépistage organisé :

Page 33 nous lisons : « Dès le démarrage et tout au long de la campagne, le centre régional de coordination des dépistages des cancers :
-invite les médecins à motiver et informer leurs patientes, à proposer la mammographie et à les adresser vers les radiologues du programme dont la liste leur est fournie. »

Et juste au dessus :

« Invitation par les professionnels de santé :
Des modalités d’invitation impliquant les médecins généralistes et spécialistes concernés (gynécologues, radiologues) sont mises en œuvre de manière à toucher la population cible le plus largement possible pour l’entrée dans le dépistage. Les médecins du travail doivent également être sensibilisés afin d’inciter les personnes concernées ou leurs ayants droit à participer au dépistage. « 

Nous voyons donc un certain effort bien réjouissant, dans le texte, de réduire la terminologie prépondérante de l’ancienne version (sensibiliser, inciter…), mais suggérant quand-même aux professionnels de santé de motiver les troupes…

L’absence persistante depuis les demandes de la concertations de 2016 des outils de décision est décevante, alors que recommandés dans cette nouvelle version de l’arrêté :

Page 33  » Dès le démarrage et tout au long de la campagne, le centre régional de coordination des dépistages des cancers :le centre régional de coordination des dépistages des cancers :
-délivre une information spécifique aux médecins (formation/ information des généralistes et gynécologues portant sur l’épidémiologie, l’intérêt et les limites du dépistage et l’organisation pratique) avec l’aide des outils élaborés au niveau national…. »

Nous avions fait la critique du livret et du site de l’INCa [3] [4] pointant les insuffisances et défauts persistants de l’information pour les femmes.

Les convocations envoyées aux femmes ne comportent toujours pas de feuillet d’information que les citoyennes ont demandé d’y adjoindre[5] .

Concernant la possibilité de cocher l’option de refus du dépistage en cas de non-participation cela varie selon le lieu, en Moselle p.ex. la femme peut cocher « cela ne m’intéresse pas », sans avoir besoin de justifier son choix ; dans le département du Tarn (Occitanie) la femme doit encore indiquer à la structure de gestion le motif de son refus .[6]

Quant aux outils d’aide à la décision au niveau national, ils ne sont toujours pas élaborés par l’INCa, alors que l’arrêté le demande bien, page 39 :

« Les modèles nationaux, normés, des lettres d’invitation et de relance, des différents courriers d’information, de suivi et de résultats et les documents d’information d’accompagnement sont fournis par l’Institut national du cancer. »

Nécessité d’outils d’aide à la décision

Sur la faisabilité d’un outil d’aide à la décision « à la française » pour les femmes selon les critères stricts IPDAS (International Patient Decision Aid Standards), nous nous sommes déjà exprimés ici : https://cancer-rose.fr/2020/01/22/faisabilite-dun-outil-daide-a-la-decision-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-a-la-francaise-selon-les-criteres-ipdas/

Un projet de création d’un tel outil est en cours (groupe DEDICACES formé de membres du Conseil National des Généralistes Enseignants en collaboration avec l’Institut National du Cancer). Il sera forcément imparfait en l’absence de registre national du cancer français, support indispensable de collecte de données exhaustives exploitables pour des études fines, afin de répondre aux critères IPDAS.

Néanmoins il devient urgent que la France, à la traîne par rapport à d’autres pays en matière d’information des femmes, se penche sur la confection d’un outil comportant des informations élaborées sur des données et études non triées, non choisies, indépendantes, réellement complètes et neutres, basées sur les dernières avancées de la science les plus récentes, alléguant aussi les chiffrages les plus pessimistes des effets adverses et risques du dépistage, notamment en matière de surdiagnostic et de surtraitement, et restituant des données objectives de mortalité totale, toutes causes confondues comprenant également les décès imputables aux traitements administrés aux femmes, et résultant de procédures de dépistage.

Références

[1] Page 95 du rapport de la concertation : citation prise (à l’époque) sur le site de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts)

« ….la fiche documentaire, qui est à jour au 26 juin 2016, le présente (le dépistage NDLR) sous la forme d’un slogan,  » Le dépistage du cancer du sein, c’est efficace, simple et gratuit » : efficace, car plus ce cancer est détecté tôt, plus il «se guérit facilement»  »

[2] https://cancer-rose.fr/2016/05/28/resume-des-actions-2016/

[3] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[4] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/2175-2/

[5] page 111 du rapport de la concertation 2.3. La lettre d’invitation

« L’analyse des documents disponibles pour les femmes et notamment des lettres d’invitation (cf. supra) révèle qu’ils expliquent la finalité du dépistage organisé et ses bénéfices (à savoir le fait que le diagnostic précoce du cancer du sein avant l’apparition de symptômes permet de mieux le soigner), mais tendent { occulter les risques qu’il comporte (douleurs, faux-positifs, surdiagnostics, effets secondaires, stress, etc.). Il est donc nécessaire que les lettres d’invitation présentent explicitement les incertitudes actuelles concernant le rapport bénéfices / risques associé au dépistage du cancer du sein, de telle façon que les femmes concernées puissent prendre, en toute connaissance de cause, leur décision d’y participer ou non. »

[6] Page 112/113 du rapport :

« Une invitation et non une convocation
Ces informations doivent inclure en premier lieu une précision sur la nature même de la participation au dépistage. Une clarification s’impose sur l’invitation faite aux femmes de participer au dépistage organisé. Il doit être précisé qu’il ne s’agit pas d’une convocation mais bien d’une invitation, ce qui signifie que la femme peut décider de ne pas y prendre part, car ce dépistage n’a pas de caractère obligatoire. Bien qu’il s’agisse d’une invitation, celle-ci peut en effet être comprise comme étant une convocation, ce qui lui confère un caractère prescriptif de nature { introduire une confusion, peu propice à l’expression d’un libre choix.

La lettre d’invitation devrait également préciser les bénéfices et les risques de cette participation (faire part des arguments contradictoires), et faire état de la possibilité, pour les femmes, d’en discuter avec un professionnel de santé, en lui précisant lequel et comment. »


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