5 juin 2020
Résumé Dr C.Bour
Le CIRC s’inquiète du surdiagnostic du cancer de la thyroïde
Le surdiagnostic est un réel problème dans nos sociétés modernes surmédicalisées. Il devient un vaste enjeu de santé publique, car il entraîne des populations entières dans les affres de la maladie que ces populations n’auraient pas connue sans les surdétections inutiles par des dépistages en tous genres, dont la médecine dite « préventive » est si friande.
Le médecin et méthodologiste D.Sackett est très critique sur la médecine préventive qu’il qualifie :
- D’affirmative sur des individus sains sans aucun symptôme, leur disant quoi faire pour rester en bonne santé ;
- De présomptueuse, prétendant que ses interventions vont généralement faire mieux plutôt que pire à ceux qui y souscrivent ;
- De tyrannique, faisant tout pour exercer son autorité par des campagnes médiatiques basées sur les peurs du public, et en attaquant ses contestataires.
Concernant le dépistage du cancer de la thyroïde dont nous allons parler ci-dessous, la population féminine fait une fois de plus les frais, comme pour le cancer du sein, d’une surmédicalisation débridée.
Le surdiagnostic des cancers
Le surdiagnostic est l’invité surprise et indésirable des dépistages massifs des populations. Pour le dépistage du cancer du sein, le Dr B.Duperray a énormément contribué à sa meilleure connaissance.
Le dépistage du cancer de la prostate, encore toujours prescrit, n’est plus recommandé par les autorités sanitaires en raison de dommages graves sur la santé des hommes, nous traitions en 2017 de son surdiagnostic.
Les choses semblent plus nuancées pour le dépistage du cancer du colon, avec un dépistage dont la logique de promotion se déplace d’un dépistage pour tous à une proposition plutôt aux patients les plus à risque (avec risque de cancer colorectal à 15 ans ≥3%), cela avec une information loyale du patient et une décision partagée.
Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde
Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde est un phénomène bien connu, déjà évoqué dès 2016 [1] déjà par le CIRC [2] lui-même[3].
Dans une étude du NEJM de 2016 on estimait à plus d’un demi-million le nombre de patients surdiagnostiqués entre 1988 et 2007 dans 12 pays à revenu élevé, avec une dominante dans la population féminine. A l’époque le CIRC dénonçait déjà la très forte hausse du nombre de petits cancers papillaires de la thyroïde (forme la plus fréquente et la moins dangereuse) , et ce depuis les années 80-90 .
Selon des chercheurs cette augmentation affolante du nombre de petits cancers papillaires, constatée en France et dans plusieurs pays développés (Etats-Unis, Corée du Sud, Italie, Japon), est avant tout la conséquence de l’utilisation croissante de moyens d’imagerie de plus en plus précis, en particulier l’échographie cervicale, et non la conséquence d’autres facteurs invoqués parfois comme l’impact des accidents nucléaires.
Toujours selon les chercheurs, jusqu’à 90 % des cancers de la thyroïde diagnostiqués ces dernières décennies, chez les femmes majoritairement (84 % en France), sont le plus souvent des surdiagnostics.
Nouvelle alerte du CIRC
« Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde augmente rapidement dans le monde et est devenu un grand défi de santé publique », alertent à nouveau les chercheurs du Centre international de recherche sur le cancer.
En collaboration avec l’Institut national du cancer Aviano en Italie, les registres de cancer de 26 pays sur quatre continents ont été étudiés. Publiée récemment dans « The Lancet Diabetes & Endocrinology », l’ étude constate une augmentation très importante de l’incidence (taux des nouveaux cas) du cancer de la thyroïde entre les périodes de 1998 à 2002 et de 2008 à 2012, et ceci dans tous les pays analysés.
Ce surdiagnostic du cancer de la thyroïde est plus marqué chez les femmes d’âge moyen (entre 35 et 64 ans). La proportion du surdiagnsotic de 2008-2012 variait autour de 40 % en Thaïlande et à plus de 90 % en Corée du Sud.
En France
En France, le taux de surdiagnostic chez les femmes est évalué par les auteurs à 83 %, ce qui correspond en chiffres bruts à 25 000 patientes entre 2008 et 2012.
Dans l’ensemble des pays
Plus de 830 000 femmes et plus de 220 000 hommes pourraient avoir été surdiagnostiqués entre 2008 et 2012.
L’origine du problème
Elle est à chercher dans la médecine elle-même, les auteurs invoquent la surveillance accrue de la glande thyroïde notamment par l’échographie cervicale conduisant à une sur détection de nombreuses tumeurs inoffensives, mais qui seront toutes traitées une fois découvertes.
En Corée du Sud où le phénomène a été bien suivi, le surdiagnostic était la conséquence de l’examen de la thyroïde pratiqué systématiquement dans les programmes de dépistage.
Recommandation du CIRC
Les chercheurs du CIRC invitent les États à la vigilance et à revoir les recommandations du dépistage chez les patients asymptomatiques.
Le surdiagnostic engendre des dommages à vie, les lésions surdiagnostiquées sont toutes traitées avec une ablation radicale de la thyroïde et des traitements de sustitution pour tout le reste de l’existence du patient. Les conséquences psychologiques de l’annonce d’un cancer sont souvent dramatiques et il ne faut pas les sous-estimer.
Une considération financière n’est pas négligeable : les coûts générés par le surdiagnostic détournent les ressources des pays pour d’autres pôles de soins plus appropriés à la santé des populations.
EN PRATIQUE-A RETENIR
- Les micronodules sont extrêmement fréquents : dans les séries autopsiques on trouve 60% de micronodules et 35% de microcarcinomes.
- 10% à 15% de ces nodules seulement vont grossir
- NE PAS BIOPSIER si le nodule est < 1 cm
- OPTER POUR UNE SURVEILLANCE ACTIVE (même en cas de microcarcinome papillaire avéré) si le nodule est inférieur à 1cm, et situé loin de la capsule de la thyroïde (au moins à 2mm). P.ex. :
- La surveillance active des microcarcinomes thyroïdiens : annuelle les 5 premières années, espacée ensuite si stabilité à raison d’une fois à 7 ans, puis ensuite à 10 ans.
- Pas de surveillance active si un microcarcinome papillaire augmente en taille.
- La localisation isthmique n’est pas une condition idéale pour une surveillance active.
- La présence de microcalcifications est un facteur péjoratif (augmentent la probabilité de métastases ganglionnaires).
- La surveillance active est possible chez un patient consentant et bien informé, à partir de l’âge de 40 ans, sans adénopathie, avec un nodule qui reste stable et qui est éloigné de la capsule thyroïdienne.
- Dans les cas idéaux on réfléchit à une extension de la surveillance active aux nodules < 15 mm.
NDLR
Ce problème est très bien évoqué par l’article de John Horgan , journaliste scientifique sur ce qu’il nomme l’industrie du cancer, dont nous nous sommes fait le relai.
Références
[1] https://www.revmed.ch/RMS/2016/RMS-N-528/Surdiagnostic-de-cancer-de-la-thyroide-560-000-cas-en-vingt-ans
[2] Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, basé à Lyon
[3] https://www.vidal.fr/actualites/19934/cancer_de_la_thyroide_face_au_surdiagnostic_massif_et_ses_consequences_le_circ_appelle_a_la_prudence/
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