Que signifie le critère « survie », et tout d’abord, qu’est-ce qu’il ne signifie pas ?
- Être en vie 5 ans après le diagnostic ne veut pas dire être guéri.
- La survie n’a aucun impact sur la longévité ou l’espérance de vie, qui n’est en rien modifiée par l’amélioration de la survie.
Prenons pour exemple une femme qui aurait une longévité de 65 ans.
- Une survie de 90% à 5 ans signifie que 9 femmes sur 10 seront en vie à 5 ans. Mais ceci uniquement pour des cancers détectables à un stade précoce, lorsque peu agressifs.
Les cancers à potentiel agressif et rapidement évolutifs ne peuvent souvent pas être détectés à un stade précoce, ce qui améliorerait grandement leur prise en charge, les taux de survie sont en conséquence bien moins bons….
Un biais bien connu qui améliore artificiellement la survie
Il s’agit du biais dit de « devancement ».
En effet, la survie mesure la durée de vie du patient en connaissance de son cancer. avec une détection par le dépistage, on anticipe la « date de naissance » du cancer qui se serait manifesté, sans dépistage, plus tard. La durée de vie du patient avec son cancer apparaît ainsi plus longue.
Voici un schéma pour comprendre [1] :
Pour prendre une analogie :
un train qui roule vers Paris déraille à Orléans à 15 heures emportant la vie de nombreux passagers. Si vous montez dans ce train à Bordeaux, alors vous vivrez encore trois heures et demie. Si vous montez dans ce même train à Tours, vous vivrez encore 30 minutes. Quoi qu’il en soit, votre train, lui, déraillera toujours à 15 heures.
La survie dépend surtout de deux paramètres qui l’amplifient
1°- L’efficacité thérapeutique
L’accumulation des données épidémiologiques apportent, surtout depuis 2015, la preuve accablante que les améliorations dans la prise en charge des patients ont joué un rôle prépondérant dans les réductions de mortalité par cancer du sein observées en Europe, en Océanie et en Amérique du Nord, alors que celui de la mammographie de dépistage est marginal.
Autant la survie est un critère inadaptée pour juger de l’efficacité du dépistage, autant la survie reste le marqueur le plus utilisé, et probablement pertinent, pour mesurer l’efficacité d’un traitement.
2° – le surdiagnostic
Plus le surdiagnostic augmente, et plus la survie s’améliore automatiquement de façon fallacieuse; en effet, les lésions surdiagnostiquées par définition ne tuent pas, plus on détecte et on comptabilise des lésions qui de toute façon n’auraient jamais conduit au décès, et plus la survie tendra vers 100%.
Prenons là aussi une analogie : admettons que nous traitions tous les petits rhumes hivernaux par une trithérapie antibiotique, on pourra alors prétendre avoir sauvé tous les patients de graves pneumonies. Mais on sait que même sans aucun traitement antibiotique la très grande majorité des rhumes saisonniers guérit spontanément. On enjolive ainsi un effet de l’action humaine de façon trompeuse, en la présentant comme salutaire alors que la contrepartie sera l’induction de nombreuses résistances médicamenteuses.
D’où vient le chiffre de 99% de survie ?
Les chiffres sont issus de données américaines du programme américain SEER[2] ; mais cette survie n’est pas la même selon le stade du cancer :
– cancers du sein localisés : 99% de survie à 5 ans
– cancers du sein avec extension régionale : 86% de survie à 5 ans
– cancers du sein avec métastases à distance : 29% de survie à 5 ans.
Dire que le taux de survie du cancer du sein est de 99% à 5 ans tend à faire croire qu’avec le dépistage 99% des cancers vont guérir. Mais comme on le voit ci-dessus, la survie est meilleure dans les formes peu évoluées que dans les formes avancées ; ces formes avancées gagneraient à être détectées très tôt, mais la véritable question est : le dépistage est-il capable d’éviter les formes avancées ?
Les formes graves le sont souvent d’emblée, elles sont à évolution très rapide parce qu’intrinsèquement agressives, de telle sorte que le dépistage les rate[3]. Le dépistage est davantage apte à trouver trop de petits cancers peu évolutifs et les moins menaçants, dont une bonne partie est de détection inutile. Cette aptitude à trouver des cancers essentiellement non évolutifs augmente le surdiagnostic avec une illusion de guérisons de lésions qui de toute façon n’auraient pas tué, et de ce fait les taux de survie sont artificiellement améliorés.
Une survie qui augmente, sans bénéfice pour les femmes
Les deux schémas ci-dessous (reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur[4]) montrent comment la survie est améliorée avec l’augmentation du surdiagnostic, et cela sans aucun bénéfice en termes de mortalité pour les femmes.
Attention, ceci est une démonstration poussée à l’extrême pour illustrer comment, selon l’ampleur du surdiagnostic, un taux de survie est susceptible de présenter des variations importantes, il s’agit d’un scénario hypothétique. Mais il figure à quel point les deux paramètres sont étroitement liés, plus on accentue le surdiagnostic, d’autant plus on « améliore » fallacieusement un taux de survie.
Voyons ce que cela donne dans le cas du dépistage du cancer du sein.
Graphique de dr Vincent Robert. Cliquez sur l’image pour accéder à l’article complet.
Les surdiagnostics sont comptabilisés avec tous les autres cancers. Comme, par définition, ils ne provoquent aucun décès, ils créent une illusion d’amélioration de la survie qui serait imputable au dépistage. C’est ce qu’illustre le graphique ci-dessous, qui montre comment 20% de surdiagnostics font passer la survie de 90 à 92% alors que le pronostic des cancers évolutifs n’a pas changé.
Une vidéo explicative et pédagogique pour bien comprendre :
N’hésitez pas à mettre les sous-titres en français, traduction d’Alain Le Roux
Si la survie n’est pas un bon critère d’efficacité du dépistage, quels sont les bons critères alors ?
Les trois critères principaux de l’efficacité d’un dépistage sont :
- la diminution significative de la mortalité spécifique
- la diminution des formes avancées de la maladie
- la diminution des traitements les plus lourds.
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En conclusion
1. La survie des cancers localisés est exagérément optimiste du fait des
surdiagnostics qui augmentent, avec l’illusion de guérison qui les accompagne.
2. La survie serait en effet meilleure dans les formes évoluées mais le dépistage est inapte à les détecter à temps.
3. La survie n’est pas un bon marqueur de l’efficacité des dépistages, mais de l’efficacité des traitements.
Références
[1] https://apps.who.int/iris/handle/10665/330852
[2] Le programme Surveillance, Epidemiology, and End Results ( SEER ) du National Cancer Institute (NCI) est une source d’ information épidémiologique sur l’incidence et les taux de survie du cancer aux USA.
[3] https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/
[4] https://www.armchairmedical.tv/media/The+Lisa+Schwartz+Lecture+Steve+Woloshin/0_1y9lo5q5
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