L’anatomopathologie, des incertitudes possibles

Synthèse par Dr C.Bour, 18 décembre 2021

Une observation :

Il s’agit d’une femme de 65 ans, début des mammographies à 40 ans en raison d’un antécédent familial (la mère à l’âge de 80 ans). Elle a déjà subi des biopsies démontrant une simple mastose (état bénin du sein, se manifestant par des tensions et douleurs des seins, ainsi qu’une consistance « granuleuse » à la palpation des seins, là où la glande mammaire est plus présente et plus dense.)

On découvre ensuite chez cette patiente, sur une mammographie et dans un seul sein deux petits foyers de microcalcifications, une première macrobiopsie est réalisée, échouée en raison d’une difficulté de repérage. Puis une deuxième macrobiopsie est alors effectuée quelques mois plus tard.

Les 2 foyers biopsiés ont révélé d’une part un carcinome in situ et une lésion classée « hyperplasie atypique ». Une mastectomie complète (ablation complète) du sein est préconisée sur la base du compte rendu d’anatomopathologie, en raison de la présence de deux lésions concomitantes.

L’anatomopathologie n’est pas infaillible

Les échantillons de biopsie mammaire sont parfois d’analyse difficile.

Dans une étude publiée en 2016 par le  BMJ , des chercheurs américains ont évalué 12 stratégies différentes pour évaluer l’efficacité de chacune à réduire les erreurs d’interprétation, (deuxième avis demandé pour tous les échantillons, deuxième avis uniquement en cas d’atypies, ou uniquement en cas du souhait du premier anatomo-pathologiste ou encore pour des premiers lecteurs présentant une moins bonne expérience en pathologie mammaire etc…).
115 pathologistes ont interprété  240 échantillons de biopsie mammaire à raison d’une lame pour chaque cas, et leurs avis comparés aux diagnostics de référence d’un consensus d’experts.

Les résultats de cette étude furent les suivants : les pathologistes ayant accepté de participer à l’étude étaient en désaccord  avec le consensus du groupe d’experts dans environ 25 % des cas ; la plupart des désaccords concernaient des échantillons provenant de conditions difficiles à interpréter, comme les atypies, lorsque les cellules semblent anormales mais ne sont pas cancéreuses, et le carcinome canalaire in situ (CIS), appelé aussi stade 0 du cancer du sein.

La conclusion de l’étude : à l’exception des cas de cancer invasif où car le deuxième avis diffère rarement de l’interprétation initiale, TOUTES les stratégies demandant un deuxième avis améliorent la concordance diagnostique et réduisent les taux d’erreur de classification des échantillons mammaires de 24,7% à 18,1%, ce qui montre que la variabilité dans les diagnostic n’est quand-même qu’incomplètement éliminée, en particulier pour les spécimens mammaires avec atypie.

Le deuxième avis est donc recommandé car il peut faire la différence entre un diagnostic d’hyperplasie bénigne ou de carcinome in situ et influer ainsi sur les sanctions chirurgicales, sur la nécessité d’une ré-intervention, d’une radiothérapie et/ou d’une chimiothérapie.

Le deuxième avis peut ainsi aider la patiente dans son choix thérapeutique.

Pourquoi ne pas proposer plus systématiquement une deuxième lecture des lames ?

En cas de biopsie positive, dans les cas litigieux (donc en dehors du cancer invasif où l’incertitude est plus rare), on définit le départ de la maladie par ce seul examen du tissu prélevé au microscope (diagnostic histologique). Et il est stupéfiant de constater comment, d’une part, le CIS est considéré comme un stade 0 du cancer du sein avec un très bon pronostic, et comment d’autre part les sanctions thérapeutiques pour ce CIS et à fortiori pour les lésions pré-cancéreuses peuvent être extrêmement lourdes, aussi lourdes que pour un « vrai » cancer invasif.

La patiente, elle, ne connaît pas le nom de celui qui a lu sa biopsie ; pire encore, elle n’a pas le choix du lecteur de sa biopsie, de l’anatomopathologiste donc, contrairement au choix dont elle dispose pour le médecin généraliste, le gynécologue et même un chirurgien le cas échéant.

Ce compte-rendu d’anatomie pathologique n’est jamais communiqué à la patiente, pourtant il est strictement nécessaire et obligatoire pour commencer le traitement. Le traitement et les choix des options thérapeutiques en dépendent.
Et pourtant encore, le compte- rendu anatomopathologique fait partie du dossier- patient, il peut donc logiquement être réclamé par la patiente.

Conduite à tenir pour les patientes en cas de découverte d’un carcinome in situ ou d’une lésion frontière ou atypique.

D’abord pas de panique, prenez votre temps. Vous pouvez :

1- Demander l’envoi du résultat de la biopsie au médecin traitant

2- En cas d’échec, demander la copie intégrale du dossier médical (obligatoire dans les 8 jours)

3- En cas d’échec, demander au Conseil de l’Ordre des médecins d’intervenir pour l’obtenir. Le dossier médical vous appartient.

4- Avec le résultat, il est légitime de demander une révision des lames, on peut même faire relire le dossier par un expert (il suffit que votre médecin généraliste en fasse la demande).

5-Il vous est également possible de demander un second avis à un autre chirurgien, éventuellement situé dans une autre région.

Le choix thérapeutique peut être discuté : une intervention moins agressive ou même tout simplement une « surveillance attentive », en sachant que malheureusement en France, pour l’instant très peu de praticiens sont adeptes de cette attitude attentiste qui est à l’étude dans plusieurs grands essais européens, dont l’essai LORD qui intègre encore des patientes. Lire ici : https://www.dcisprecision.org/clinical-trials/lord/https://www.dcisprecision.org/clinical-trials/lord/
(-Depuis février 2019 sont acceptés aussi les CIS grade II, en plus du grade I
-Depuis juillet 2020 l’essai randomisé a été transformé en essai de préférence du patient :  les femmes ont le choix du bras d’essai (soit surveillance soit traitement classique)
-Un test des récepteurs oestrogenes et HER2 a été rajouté avant l’inclusion des patientes dans l’essai pour éliminer les cas de lésions de haut grade, afin de rendre les essais encore plus sécurisants
-Il y a à présent 28 sites ouverts aux Pays Bas,  6 en Belgique et 15 sites vont ouvrir dans d’autres pays dont la France, à venir !)

Conclusion

Un diagnostic anatomopathologique devrait être revu et discuté, et non accepté comme un « gold standard » par les soignants, car il peut déclencher une succession de traitements lourds, dont l’utilité devrait être discutée avec la patiente.

Pour en savoir plus lire : https://www.gyneco-online.com/cancerologie/prise-en-charge-des-carcinomes-canalaires-situ-une-desescalade-therapeutique-est-elle

Pour quelles patientes peut-on envisager une désescalade thérapeutique ?


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