26 avril 2022
Résumé Dr C.Bour
https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2791002
Dans cette étude publiée dans le JAMA, Dr Ishani Ganguli, (Brigham and Women’s Advanced Primary Care Associates, South Huntington) et ses collègues ont examiné la prévalence (cas existants + nouveaux cas) des « cascades de soins » après les dépistages du cancer du sein par IRM du sein, c’est à dire les successions d’examens occasionnés à cause d’une image trouvée lors de l’IRM mammaire.
Ils ont comparé les patientes dépistées par IRM avec celles dépistées par mammographies, en les appariant les deux groupes en fonction de l’âge, de l’état de leur santé, de leurs antécédents médicaux et autres variables.
Nous nous étions fait l’écho, en 2019 d’une étude publiée dans le NEJM sur l’utilisation de l’IRM mammaire en complément de la mammographie pour le dépistage des femmes à seins dense. L’étude péchait par un échantillon faible, par une conclusion suggérant que les cancers d’intervalle pourraient être moins nombreux avec l’IRM, mais concédant qu’en revanche cette méthode était génératrice de beaucoup de faux positifs (et par la suite de cascades d’examens justement), tout cela sans gain probant en termes de mortalité.
Méthode utilisée dans l’étude
Etude de cohorte portant sur 9 208 femmes recevant une IRM et sur 9 208 femmes avec mammographie. Les femmes sont âgées de 40 à 64 ans.
Résultats
l’utilisation de l’IRM en dépistage mammaire est associée à davantage d’événements mammaires et extramammaires en cascade et de dépenses par rapport à la mammographie, avec un potentiel préjudice de santé pour ces femmes et de coût pour le système de santé.
Cela veut dire que ces femmes dépistées par IRM mammaire subissent, après découverte d’images IRM dans leurs seins, des examens d’imagerie médicale supplémentaires, des procédures supplémentaires (échographies, biopsies, tests de laboratoire), des hospitalisations supplémentaires, des consultations supplémentaires, à la fois concernant le sein exploré que concernant des organes autres que leurs seins (par exemple découverte fortuite d’un kyste rénal pour lequel un nouveau bilan est demandé).
Pour 1000 femmes aux seins denses dépistées par IRM, on trouvera pour 2,5 femmes un cancer d’intervalle (entre deux mammographies), mais 80 femmes subiront un résultat faussement positif, c’est à dire une fausse suspicion de cancer. En raison de leurs taux élevés de faux positifs et de l’absence de bénéfices probants, les IRM pour les femmes à risque moyen ne sont pas recommandées par les sociétés savantes américaines.
Pour 1000 patientes ayant reçu une IRM, il y a eu 50 tests d’imagerie supplémentaires, 173 procédures, 130 visites, 30 diagnostics et 3 hospitalisations liées à une cascade d’examens. Pour chaque tranche de 1000 patientes ayant subi une IRM, il y a également eu 158 visites chez le médecin de plus pour des découvertes fortuites non liées au cancer du sein.
Selon les auteurs, ces résultats peuvent aider à évaluer les coûts-bénéfices des procédés médicaux avant de les généraliser, et les politiques de couverture médicale afin de garantir que l’IRM mammaire soit réservée aux patientes pour lesquelles les avantages l’emportent sur les inconvénients.
Les « cascades d’examens »
les « cascades médicales » désignent la succession invraisemblable d’examens, inutiles souvent, qui suit la découverte fortuite d’une « anomalie » lors d’un test médical.
L’auteure principale s’en était déjà émue dans une publication en 2019.
La cascade conduit inéluctablement à toujours plus d’examens, de prélèvements, de suivis et d’investigations, n’apporte pas grand-chose au patient, ne débouche sur aucune amélioration particulière en termes de gain de mortalité et expose ainsi aux problèmes des fausses alertes et des surdiagnostics.
Près de 90 % des médecins interrogés dans l’étude de 2019 ont répondu que la pratique médicale « protocolée » imposée, notamment les tests de dépistage, entraînaient des découvertes fortuites lesquelles occasionnaient des « bourbiers » d’évaluations coûteuses, et tout cela sans apporter de résultat exploitable ou significatif, mais aboutissant à des suivis sans fin.
Ce phénomène inhérent à la pratique médicale est très certainement aggravé par les attentes culturelles dans notre monde occidental. Le grand public est inondé de campagnes de sensibilisation sur les maladies, sans relâche, mais il n’y a pas de mois de « sensibilisation à la surmédicalisation ».
Cette attitude de surmédicaliser fait fi de la iatrogénie (maladie causée par l’intervention médicale) qui est une des causes majeures de mortalité dans le monde, à côté des maladies cardio-vasculaires et des maladies cancéreuses. Cette iatrogénie n’est jamais comptabilisée dans les erreurs médicales….
Commentaire de Judith Garber, journaliste scientifique du Lown Institute
A une période où la pandémie Covid a mis nos systèmes de santé à rude épreuve, il est légitime de se poser la question de la pertinence des soins et des coûts mobilisés.
« Les patientes qui ont subi une IRM », explique Mme Garber, « ont engagé 1 404 $ de plus en coûts totaux, et 31 $ de plus en frais remboursables. Cela peut sembler peu, mais si les plus de 50 millions de femmes en âge de dépistage obtenaient toutes des IRM au lieu de mammographies, il y aurait plus de 57 millions de dollars de coûts supplémentaires, sans aucune preuve de bénéfice. »
Il existe aux Etats unis une législation exigeant que les femmes soient renseignées sur leur densité mammaire, et plusieurs de ces états revendiquent que les assureurs couvrent un dépistage supplémentaire par IRM pour les femmes à seins denses. Le battage médiatique autour de tout cela a conduit à une multiplication des examens IRM sans preuve de sauver plus de vies.
(Lire à ce sujet particulier un point de vue dans le JAMA sur la décision de FDA américaine demandant une information des femmes sur leur densité mammaire.)
Comme l’énonce Mme Judith Garber en guise de conclusion, Les fabricants de technologies d’imagerie, qui financent (aux Etats Unis) les efforts faits en matière de communication de la densité mammaire aux femmes (p.ex. DenseBreast-info.org), ont beaucoup à gagner d’un dépistage accru par IRM, bien plus que les femmes à faible risque de cancer du sein ont à gagner à se faire dépister davantage par IRM.
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