15 octobre 2022
Nous avions réalisé une analyse critique en 2017 sur le livret d’information de l’Institut National du Cancer (INCa) pour les femmes concernant le dépistage du cancer du sein et qui leur était envoyé avec leur première convocation.
Le score de qualité de l’information à l’époque n’était pas brillant.. Une nouvelle édition 2022 a été mise en ligne à la disposition des femmes. Nous allons comparer les ajustements et examiner l’actualisation qui a été faite entre les deux éditions.
Notre patiente référente Sophie s’est penchée sur un travail comparatif entre les deux livrets pour voir l’évolution de la communication de l’INCa, elle en a réalisé une analyse que nous restituons ci-dessous.
Les points négatifs
1) Envoi du livret une seule fois à 50 ans ; ensuite est envoyé un dépliant à chaque dépistage qui ne mentionne aucun des risques du dépistage et qui renvoie vers un site internet. Au fil des années il est clair que le message ancré qui restera dans les esprits sera celui du dépliant , sans présentation des risques qui seront complètement oubliés.
2) Dans les bénéfices, mise en avant de la survie à 5 ans, qui n’est pas un indicateur d’efficacité du dépistage.
3) La baisse de mortalité est exprimée en pourcentage de réduction relative (15-21%) alors que le pourcentage du surdiagnostic l’est en pourcentage absolu (10- 20%), ce n’est pas comparable. Ce travers est déjà présent dans le livret de 2017.
ATTENTION : 20% de diminution de mortalité par cancer ne signifie pas que 20 femmes dépistées sur 100 femmes, en moins, mourront du cancer.
Il s’agit là de l’indication uniquement du risque relatif. Les rédacteurs font fi de la revendication des citoyennes de ne plus être bernées par des chiffres qui ne signifient pas ce qu’ils semblent dire. Les 20% de décès en moins ne signifient en aucun cas que 20 femmes en moins sur 100 mourront de cancer du sein si elles se font dépister. Ces 20% ne correspondent qu’à une réduction de risque relatif entre deux groupes comparés de femmes.
En fait, selon une projection faite par le Collectif Cochrane basée sur plusieurs études, sur 2 000 femmes dépistées pendant 10 ans, 4 meurent d’un cancer du sein ; sur un groupe de femmes non dépistées dans le même laps de temps 5 meurent d’un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en valeur absolue un seul décès de femme sera évité (risque absolu de 0.1% ou 0.05% ).
En fait cela correspond à une réduction de risque absolu de 0.05% (1 femme sur 2000) à 0.1 % (1 femme sur 1000) au terme de 10 à 25 années de dépistage selon les estimations retenues (américaines, revue Prescrire, US TaskForce). (5)
Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/
Concernant le taux du surdiagnostic, les 10 à 20% indiqués correspondent à l’évaluation la plus basse, d’autres études suggèrent des taux de surdiagnostics bien plus hauts.
4) Le site du NIH (National Cancer Institute américain) est cité dans les références du livret pour étayer les statistiques de la survie que le livret met en avant, mais omet la page de ce même institut qui indique que la survie justement n’est pas un bon indicateur de l’efficacité du dépistage, et omet également la page où le taux de surdiagnostic est donné à un taux de 20 à 50%. Dans un document, donner un taux à sa fourchette basse est une option, mais la fourchette haute doit aussi être indiquée avec honnêteté.
Que dit exactement le NIH sur ces deux paramètres ?
Sur les taux de surdiagnostics
https://www.cancer.gov/types/breast/hp/breast-screening-pdq#_13_toc
Magnitude de l’effet : Entre 20 % et 50 % des cancers détectés par dépistage représentent un surdiagnostic en fonction de l’âge des patientes, de leur espérance de vie et du type de tumeur (carcinome canalaire in situ et/ou invasif) [11,12]. Ces estimations reposent sur deux méthodes d’analyse imparfaites : [11,13]
Le suivi à long terme des essais cliniques randomisés de dépistage (RCT).
Le calcul de l’incidence excédentaire dans des programmes étendus de dépistage [11,12].
Conception de l’étude : RCTs, descriptifs, comparaisons entre populations, séries d’autopsies, et séries de prélèvements de résection mammaire.
Sur la survie et l’efficacité de dépistage
https://www.cancer.gov/about-cancer/screening/research/what-screening-statistics-mean
Une bonne partie de la confusion entourant les bénéfices du dépistage provient de l’interprétation des statistiques qui sont souvent utilisées pour décrire les résultats des études de dépistage. Une amélioration de la survie – c’est-à-dire de la durée de vie d’une personne après un diagnostic de cancer – chez les personnes qui ont subi un test de dépistage du cancer est souvent interprétée comme signifiant que le test sauve des vies.Mais la survie ne peut pas être utilisée correctement dans ce but en raison de plusieurs sources de biais.
5) Le titre ne mentionne plus le choix, le dernier chapitre sur le choix de dépistage a été supprimé et remplacé par des témoignages incitatifs sur les bénéfices. (témoignage rassurant d’ un dépistage qui a « sauvé » la vie, et celui d’une femme qui ne s’est pas fait dépister et aurait subi des traitements plus lourds).
Cette option du choix figurait à la fin du livret de 2017 :
6) Il n’y a toujours pas de pictogramme visuel, ce que les citoyennes ont demandé, qui illustre en nombre absolu les bénéfices et les risque, ceci pour avoir une vision globale et pour que les femmes puissent faire leur choix.
7) on continue à appeler les risques du dépistage, des « limites » (page 13 du livret) , alors que le terme en anglais c’est « harms », ce qui signifie les dommages.
« Limites », cela implique plutôt l’incapacité à dépister correctement.
8) On utilise le message de personnalités (président de l’INCa), d’autorités (recommandation en Europe), appel à la peur (si on se fait pas dépister …), comme techniques d’influence.
Les points positifs
1) Une page spécifique qui regroupe les risques du dépistage (présents aussi en 2017, mais non regroupés et sans titre clair pour chaque risque).
2) Une meilleure organisation de l’information sur la prévention (facteurs de risque et protecteurs, tableau sur les statistiques de cancer liés à chaque facteur de risque, page 9)
3) Document plus facile à lire, plus visuel
4) L’ajout de la sage femme (alternative au médecin généraliste ou gynécologue) dans les examens cliniques de suivi et pour les questions sur le dépistage.
Comparaison des textes des deux livrets en tableau
En conclusion
Ce livret, de préférence corrigé sur les insuffisances persistantes que Sophie a analysées pour nous, pourrait être envoyé aussi lors de chaque convocation au dépistage, pas seulement une fois à l’âge de 50 ans.
Dans le dépliant prévu pour les dépistages subséquents (après 50 ans) les risques du dépistage et les informations sur la prévention ont été supprimés, ce qui constitue une information tronquée et incomplète.
Or les femmes doivent maintenant être informées complètement et dûment, selon les exigences de la concertation citoyenne, et ce jusqu’au bout de leur vie de dépistée.
Celles qui ont déjà eu leur premier dépistage antérieur à 2022 ne recevront jamais cette information.
Cela peut être mis en oeuvre sans trop de difficulté en remplaçant le dépliant prévu pour les invitations suivantes tout simplement par ce livret, dûment complété et corrigé sur ses faiblesses.
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