26/01/2023
Par C.Bour-Synthèse à partir d’un article de Bjorn Hofmann
Professeur au Département des sciences de la santé, Norwegian University of Science and Technology, Gjøvik
Les tests de diagnostic, « juste pour être du côté sûr », ne sont pas recommandés
https://norwegianscitechnews.com/2023/01/diagnostic-tests-not-recommended-just-to-be-on-the-safe-side/
Dans cet article, l’auteur illustre la difficulté pour le médecin traitant de bien apprécier la pertinence d’un test de routine qui peut lui être demandé par un patient, et de la difficulté d’orienter de façon utile le patient demandeur.
Nous allons restituer ici les idées principales et les démonstrations de l’auteur.
L’exemple donné est celui d’un patient souffrant d’algies du dos.
Le cas clinique
Imaginez que vous contactiez votre médecin traitant parce que vous avez mal au dos. Vous souhaitez faire examiner votre dos et vous demandez une IRM. Le médecin sait que si la douleur a duré moins de quatre à six semaines et que vous ne ressentez pas certains symptômes d’alerte, il ne vous sera d’aucune utilité de vous envoyer passer une IRM.
Mais vous, vous estimez qu’il vaut mieux savoir que ne pas savoir et vous insistez pour passer l’IRM. Le médecin généraliste veut venir en aide et accepte de vous orienter vers l’IRM.
Vous vous présentez à votre rendez-vous quelques semaines plus tard et après quelques jours, vous avez la réponse:
Les résultats de l’IRM montrent plusieurs hernies discales. On ne sait pas si elles sont en relation avec votre douleur actuelle, ou bien s’il s’agit d’anciennes hernies discales.
Pourtant, vous pensez toujours que cette découverte pourrait être une cause possible de la douleur, et vous vous renseignez sur les hernies discales.
La chirurgie pourrait-elle aider? Vous demandez à votre médecin généraliste de vous orienter vers un chirurgien orthopédiste pour évaluation. Le médecin vous répond qu’il n’y a aucune bonne raison de le faire, mais vous êtes incertain sur la meilleure option à adopter- votre dos vous fait vraiment mal et vous êtes encore plus indécis à présent qu’avant l’IRM.
Faut-il se faire opérer ? Une opération réussirait-elle – et quels en sont les risques ?
Ce n’est là qu’un exemple de la façon dont nous pouvons devenir plus incertains en essayant de réduire l’incertitude. Dans le cas ci-dessus, l’IRM a généré un résultat (aléatoire) de signification ambiguë.
En d’autres termes, dit le Pr Hofmann, vous découvrez autre chose que ce que vous recherchez réellement, qui peut ou non être important pour votre santé. L’action que vous avez choisie augmente votre incertitude au lieu de la réduire.
Dans ce cas, il aurait probablement été préférable d’écouter le médecin traitant et de tester d’autres mesures pour réduire votre douleur, avant de passer une IRM.
Je vous propose un deuxième cas clinique de mon expérience de radiologue.
Une jeune femme de 37 ans présente des douleurs thoraciques qui irradient vers son sein, après un faux mouvement. Le bilan radiologique (radiographies du dos, du gril costal..) est négatif. La patiente insiste pour passer une mammographie, le médecin traitant finit par céder pour pouvoir rassurer cette femme et demande un bilan sénologique. A l’hôpital où elle consulte la mammographie lui est pratiquée en dépit de son jeune âge. Cet examen n’est pas contributif en raison de la densité mammaire. Une échographie est réalisée mettant en évidence, du côté de la douleur, un petit kyste mammaire de 6 mm, non inquiétant mais pas complètement liquidien car vraisemblablement ancien. Il est absolument certain que cette découverte n’a aucun lien avec les doléances de la patiente. L’échographiste demande, dans le doute sur cette image, une biopsie mammaire. Celle-ci ne sera pas effectuée par le radiologue correspondant, car le kyste est très petit, et le geste est jugé trop invasif compte tenu de l’absence de signes échographiques alarmants. Une ponction à l’aiguille est réalisée (geste plus simple avec une aiguille plus fine) pour prélever un peu de liquide du kyste et l’envoyer en analyse, afin essentiellement de démontrer qu’il n’existe aucune malignité. Le prélèvement s’avère acellulaire (donc sans matériel à analyser pour l’anatomo-pathologiste) et malheureusement non contributif.
La patiente est de plus en plus anxieuse et nous la voyons (4ème cabinet de radiologie consulté) pour avis et pour une demande insistante d’une IRM mammaire complémentaire, examen très déroutant à ce jeune âge en raison de nombreuses fausses images, faisant croire à une anomalie, mais correspondant simplement à des vaisseaux ou des zones du sein très vascularisées et qui se « rehaussent » sur l’image lorsqu’on injecte le produit de contraste. Cela peut évoquer une image suspecte alors qu’il n’y a que du tissu normal.
Il est très difficile à ce moment-là de discuter avec la patiente et de la convaincre d’une simple abstention d’examen, et d’un simple recontrôle échographique dans quelques mois….
Voilà où nous en sommes dans cette escalade d’examens, là où un traitement relaxant aurait suffi…
Comme l’explique le Pr Hofmann, les médecins généralistes ont une tâche importante en anticipant si un test de dépistage sera utile à leur patient, ou les conduira simplement à plus d’incertitude. Ils doivent évaluer la probabilité que le patient ait réellement une maladie, et ils doivent apprécier la probabilité que le test fournisse une réponse à ce que le patient lui demande.
Ce qui augmente l’incertitude lors des pratiques routinières
L’incertitude, explique l’auteur, peut augmenter alors qu’on essaie de la réduire en pratiquant divers dépistages médicaux ou tests diagnostiques.
A- Les découvertes accidentelles,
Ce qu’on appelle les « incidentalomes » augmentent l’incertitude en trouvant autre chose que ce que nous recherchons, et dont la signification n’est pas claire.
Par exemple, on réalise des scanners abdominaux pour des douleurs abdominales vagues et mal étiquetées et on trouve un nodule de la surrénale, ceci est une situation fréquemment rencontrée. On ne sait souvent que faire de ces découvertes : intervention ? Surveillance ? Bilans ?
Le principal problème est de reconnaitre les tumeurs qui auront un impact délétère sur le patient et qui justifient donc d’être enlevées chirurgicalement.
B- Des tests inexacts peuvent nous donner de mauvaises réponses,
et moins nous avons de raisons de passer le test – c’est-à-dire moins le test est ciblé – plus les erreurs sont importantes.
Aucun test n’est parfait ou 100% fiable.
Un test, dit Pr Hofmann, – qu’il s’agisse d’une imagerie ou d’un test sanguin – qui donne un résultat incorrect est un autre exemple d’augmentation de votre incertitude lorsque vous essayez de la réduire. Les tests ne sont pas parfaits. Ils peuvent se tromper. Le résultat du test peut indiquer que vous avez une maladie même si ce n’est pas le cas, générant ce qu’on appelle un résultat de test faussement positif.
Le test pourrait également indiquer que vous n’avez pas la maladie même si vous en avez une, donnant un résultat de test faussement négatif. Dans ce dernier cas, vous obtenez un faux sentiment de sécurité, perdre un temps précieux et potentiellement connaître un pronostic plus mauvais.
Dans le cas d’un résultat faussement positif, vous pourriez être reconvoqué pour d’autres nouveaux tests et/ou traitements, souvent inutiles qui peuvent être à la fois ennuyeux et nocifs.
Moins le test est précis, plus il est susceptible de générer de faux résultats de test. Des tests inexacts donnent des réponses peu claires. Cette incertitude augmente d’autant qu’il y a peu de raisons de passer un test, par exemple si le test est effectué « juste pour être plus sûr ».
Il faut également se poser la question de l’utilité du test de routine, selon Pr Hofmann. Pour les personnes qui présentent des « symptômes avant-coureurs », la probabilité est plus grande qu’elles aient effectivement une maladie identifiable, ce qui est très rare pour les personnes qui ne présentent pas de tels symptômes.
C’est le problème posé par la recherche de lésions dans des groupes de personnes parfaitement saines et qui ne se plaignent de rien.
Selon Pr Hofmann, chercher une aiguille dans une pile d’aiguilles donne plus de chances de trouver une aiguille que de chercher une aiguille dans une botte de foin, là où ce qui ressemble à une aiguille peut n’être qu’une paille….
Les professionnels diraient qu’une prévalence élevée donne une valeur prédictive positive. C’est à dire que la qualité d’un test dépend non seulement de sa précision, mais aussi de probabilité de la survenue (ou prévalence) d’une certaine condition ou maladie dans le groupe examiné.
Encore en d’autres termes, chercher une maladie particulière dans la partie de la population qui y est exposée est plus utile et productif que la chercher systématiquement chez tout le monde.
Par exemple rechercher un cancer du poumon dans une population tabagique est plus pertinent que de faire une détection massive dans toute la population d’adultes à partir de 16 ans ; ou encore dépister un cancer du sein par examen clinique régulier, IRM et/ou échographie parmi des personnes porteuses d’une mutation particulière favorisant ce cancer serait plus utile que de faire un dépistage dans toute la population féminine dès 30 ans comme certains le réclament lors des campagnes roses, population qu’on exposera ainsi à un surdiagnostic massif.
Pr Hofman propose une illustration :
Les symptômes, dit-il, déterminent à quel groupe vous appartenez, comme illustré dans l’exemple suivant :
Illustration : Bjørn Hofmann : Trouvez la mite dans les images, elle est plus facile à trouver lorsqu’il y en a plusieurs.
Un test donné, démontre-t-il ainsi, n’est pas utile de façon égale pour tous les usagers.
Si vous avez des symptômes d’alerte, le test peut réduire l’incertitude. Pour qu’un test réduise l’incertitude de la maladie, il doit y avoir des raisons de croire que vous êtes malade.
L’importance capitale du médecin généraliste réside dans l’évaluation de la probabilité que vous ayez une maladie, souvent appelée probabilité pré-test.
Un test réduit l’incertitude avec une probabilité pré-test élevée, mais avec une faible probabilité pré-test, l’incertitude augmente.
C- Le surdiagnostic
C’est une incertitude quant à ce qui pourrait arriver dans le futur, une incertitude portant sur le pronostic : nous ne savons pas si ce que nous découvrons est utile au patient, si cela se transformera en une réelle maladie symptomatique.
Lorsque nous trouvons des lésions-précurseurs de la maladie, nous ne savons pas si le patient chez lequel on détecte cette lésion sera sauvé ou au contraire surdiagnostiqué et surtraité.
Cette situation expose à une peur inutile, à des traitements lourds. Des personnes tombent « malades » alors que, sans le test, elle n’auraient jamais connu de maladie.
Nous avons tendance à penser qu’il est sage de détecter tôt afin d’intervenir rapidement et de prévenir les maladies graves. C’est vrai dans de nombreux cas, mais – et cela pas si rarement, dit l’auteur – nous découvrons des ‘précurseurs’ de maladie qui ne se développeront pas davantage si on les avait ignorés.
Nous finissons alors par traiter des conditions détectées, mais complètement inutilement. Le surdiagnostic conduit au surtraitement.
A ce propos nous vous invitons à lire : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
La « cascade du dépistage » présentée lors d’un webinaire récent sur le sujet illustre parfaitement la problématique de la découverte inutile d’incidentalomes, des faux positifs, des détections inutiles au patient, et du surdiagnostic (encart grisé en bas à droite du schéma).
Il est donc sage d’écouter votre médecin, insiste le Pr Hoffmann, et de réfléchir à deux fois avant de vous faire tester.
Comment réduire l’incertitude ?
Pr Hofmann écrit : On peut donc faire plusieurs choses pour éviter d’augmenter l’incertitude alors qu’on veut la réduire. L’action la plus importante est de discuter avec votre médecin pour savoir si vous avez vraiment besoin d’un certain test, quelles sont ses conséquences et qu’est-ce qui pourrait arriver si vous ne l’effectuez pas. Quelles options avez-vous ?
Vous devez garder trois choses à l’esprit :
- Ne faites pas de tests « juste pour être du côté plus sûr ».
- Faites des tests lorsque vous avez de bonnes raisons de les faire pour votre santé, par exemple lorsque vous avez des raisons de croire que vous pourriez avoir une maladie – lorsque vous avez des symptômes clairs, c’est-à-dire lorsque la probabilité avant-test est élevée.
- Soyez prudent lorsque vous vous faites tester pour des maladies qui se développent lentement et dont de nombreuses personnes meurent avec, mais pas à cause d’elles.
Tester « juste pour être du côté sûr » peut augmenter votre incertitude – et causer des dommages. Discutez avec votre médecin de ce qui VOUS convient.
Conclusion
Cette conclusion n’est que l’avis de la rédactrice de ce post.
L’accès pour le public aux informations médicales par l’intermédiaire des médias, d’articles dits « vulgarisants », de médecins médiatiques, de réseaux informatiques contribue à concurrencer l’autorité médicale fondée sur le savoir.
Le patient a facilement accès à des informations techniques concernant les maladies et les tests disponibles, informations « amalgamées » avec prévention, et cet amalgame est souvent fait par les autorités sanitaires elles-mêmes.
Le colloque singulier que constitue la consultation médicale est fragilisé par les ‘certitudes’ des données documentaires, parfois partielles, partiales, avec une communication médiatique vers le public plus sensationnaliste qu’objective.
Il n’est donc pas rare que les patients arrivent en consultation avec des exigences de prises en charge influencées par des modes médiatiques.
Il est très dommageable pour les deux partis que le patient et le médecin deviennent en quelque sorte des concurrents, la réponse médicale n’est pas l’apport d’un renseignement qui sera imposé au malade, mais davantage une écoute bienveillante et un échange en vue d’un soin. Si le médecin n’a plus l’aura du ‘sachant’ parlant un jargon excluant le patient, avec un savoir ‘descendant’, en revanche il reste le garant d’une « information », une vraie, neutre et objective, dont on a fait un droit du patient. Il faut qu’il soit le véhicule de cette information-là, mais il faut aussi que le patient manifeste de son côté la volonté de l’écoute, parfois de données contrevenant à ses convictions.
Cette écoute et cet échange permettent, dans la valorisation du « consentement éclairé », une préservation de la dignité du patient, un respect de ses choix et une possibilité d’éclairage de la part du médecin sur les tenants et les aboutissants d’une procédure, serait-ce même à l’encontre des injonctions d’autorités médicales et de leaders d’opinion. Éclairer le consentement n’est pas pour le médecin concevoir le patient comme un rival, et recevoir cet éclairage n’est pas non plus pour le patient concevoir le médecin comme un opposant ou un donneur de leçon, mais il s’agit au contraire d’une association active à des choix et des décisions dans un meilleur profit pour la santé du consultant.
Car le patient peut parfois être… un impatient. Cette impatience est contemporaine d’une société tournée vers l’action plutôt que l’attentisme. Elle est due à l’opposition de temporalités, celle de la technicité médicale qui semble rendre toute réponse immédiate, disponible et possible dans l’instant, et celle de la maladie qui peut être certes réelle et exprimée, mais qui peut être latente et jamais exprimée, et même inutile à être découverte.
C’est très contre-intuitif.
Nous devons accepter la probabilité de connaître telle ou telle situation de santé, mais jamais en termes de certitudes, aucune technologie, aucun test n’étant capable de nous prévoir avec une certitude absolue ce qu’il va advenir. Et parfois ce test peut même nous induire en erreur.
Evaluer un risque est difficile, et la précipitation peut conduire à des décisions délétères ; en cela le médecin traitant est un allié pour n’être pas piégé par des slogans, des poncifs tout prêts et simplistes, des campagnes médiatiques outrancières et bêtifiantes, et par des injonctions de leaders d’opinion dont les liens d’intérêts ne sont pas toujours bien annoncés.
Les efforts de bon nombre de confrères spécialistes en médecine générale se heurtent aux revendications de la société d’immédiateté, d’ « action », ceci favorisé par un sensationnalisme et une désinformation médicale, là où de l’attente, de la patience seraient salutaires pour une prise de décision sereine et en plein consentement éclairé.
Il est parfois urgent d’attendre…. et de respecter le temps d’une réflexion.
A lire :
Gare aux torts causés par les surdiagnostics engendrés par le dépistage, l’abaissement des seuils de diagnostic et par la découverte d’incidentalomes
https://www.cfp.ca/content/69/2/e33
Excellente publication canadienne, à propos d’un cas clinique, des conséquences pratiques sur la vie d’un patient ne se plaignant de rien.
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