Culte du dépistage, une nouvelle religion

"La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer."

David Ropeik dans "Psychology Today", texte publié le 30/08/2023,
traduction et restitution par Cancer Rose
"Can It Be True? Does Cancer Screening Provide No Net Benefit?
"

"Cela peut-il être vrai ? Le dépistage du cancer n'apporte-t-il aucun bénéfice net ?
Etude : Les bénéfices rallongeant la durée de vie ne sont pas supérieurs aux risques la raccourcissant."
Avis de l'auteur à propos d'une étude que nous avons relayée

David Ropeik : ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.

Points clés

- Nous croyons profondément au dépistage du cancer, la seule chose que nous puissions faire pour lutter contre la maladie la plus redoutée.

- Les partisans du dépistage, comme les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques, mettent en avant ses bénéfices, mais pas ses effets néfastes.

- Une nouvelle étude révèle qu'en termes d'années de vie nettes sauvées, le dépistage du cancer n'apporte aucun bénéfice.

"Ce n'est pas possible"

Cela semble presque impossible à croire, et même après avoir lu ce post, vous vous direz peut-être : "Ce n'est pas possible".
Pourtant, une importante étude publiée dans le JAMA Internal Medicine révèle que les formes les plus courantes de dépistage du cancer ne permettent pas de gagner des années de vie nettes pour l'ensemble de la population. Les mammographies, les tests PSA (dépistage du cancer de la prostate, NDLR), les coloscopies, les sigmoïdoscopies (qui n'examinent que la partie inférieure du tube colorectal) et les tests de recherche de sang occulte dans les selles (prélèvement à domicile que l'on envoie à un laboratoire) permettent de sauver quelques vies, selon l'étude.
Mais si l'on compare ces résultats à toutes les années de vie perdues en raison des effets secondaires néfastes du dépistage, auxquels la plupart des gens ne pensent jamais et que les partisans du dépistage ignorent presque tous, le résultat est sans appel.
En termes d'années de vie nettes sauvées pour l'ensemble de la population qui se soumet au dépistage, par rapport aux personnes qui ne se soumettent pas au dépistage, le dépistage du cancer ne présente aucun bénéfice.

Pas de bénéfice net ! Vous direz peut-être : "Mais mon médecin me dit que je devrais faire un dépistage. Tous les experts disent qu'il faut faire un dépistage. Ils affirment qu'il est préférable de détecter le cancer à un stade précoce, lorsqu'il est plus facile à traiter. Je connais tant de personnes qui ont fait un dépistage et qui ont découvert un cancer curable à un stade précoce. Le dépistage leur a sauvé la vie".

Les dégâts

En effet, j'ai des amis précieux pour qui c'est vrai.
Mais combien d'entre vous connaissent quelqu'un dont le cancer précoce a été détecté et traité, mais que le traitement a tué - une infection après une opération de la prostate ou une mastectomie, une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral après une opération des poumons, ou une hémorragie qui n'a pas pu être arrêtée à la suite de l'ablation d'un polype au cours d'une coloscopie ? Cela arrive aussi, et bien que ces événements soient rares, il s'avère que les vies sauvées par le dépistage le sont aussi. La mammographie, par exemple, ne sauve que deux vies pour mille personnes dépistées, sur une période de dix ans. Les tests PSA pour le cancer de la prostate n'ont pas permis de sauver des vies par rapport à l'absence de dépistage.
Donc, si l'on fait le total, comme l'a fait cette étude, et que l'on compare les années de vie sauvées parce que le dépistage a permis de détecter un cancer qui a été guéri, aux années de vie perdues en raison de toutes les autres causes de décès dont souffrent les patients dépistés, on obtient un résultat nul.

Et puis il y a les dizaines de milliers de personnes qui ne meurent pas mais qui souffrent des graves effets secondaires des traitements pour des cancers surdiagnostiqués que des technologies de dépistage plus performantes peuvent désormais détecter, de minuscules formations qui répondent à la définition cellulaire du cancer mais qui ne causeront jamais de dommages à la personne : cancer du sein in situ de bas grade, cancer de la prostate à croissance lente, et minuscules microtumeurs de la thyroïde et du poumon.
Cette étude n'a pas même comptabilisé ces préjudices.

Croyances populaires

Tout cela va profondément à l'encontre des croyances populaires. La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer. Après tout, c'est la seule chose que nous pensons pouvoir faire pour avoir au moins un certain contrôle sur la maladie que nous craignons plus que toute autre.
Une étude a montré que les gens souhaitent un dépistage du cancer même lorsqu'ils savent qu'il ne les aidera pas et qu'il pourrait même leur nuire.
Les participants ont été informés d'un test de dépistage du cancer (mammographie pour les femmes, test PSA (antigène prostatique spécifique) pour les hommes) et ont été avertis que "des années de recherche ont incontestablement montré que le test ne prolonge pas la vie ou ne réduit pas le risque de décès" et que le test pourrait "conduire à des traitements inutiles" ; 51 % d'entre eux ont tout de même voulu ce dépistage.

Il y a deux aspects du problème.
Premièrement, nous craignons tellement le cancer, plus que toute autre maladie, même les maladies cardiaques, qui tuent 10 % d'Américains en plus chaque année.
Deuxièmement, les partisans du dépistage, y compris les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques qui tirent profit du dépistage et des soins onéreux qu'il entraîne, font appel à notre peur mais ne nous donnent qu'une partie de l'histoire du dépistage : la partie rose, "le dépistage sauve des vies".
Notre croyance aveugle dans les bénéfices du dépistage du cancer, due à l'ignorance de ses inconvénients potentiels, est dépassée. Ces croyances obsolètes nous causent de réels préjudices, parfois mortels. Des études comme celle-ci s'inscrivent dans le cadre d'un effort croissant pour réduire ce coût.

Au nom de la santé publique

Au nom de la santé publique, il faut aller beaucoup plus loin. Les militants de la lutte contre le cancer, aussi honorables soient-ils, doivent être plus honnêtes et plus ouverts sur les coûts et les bénéfices du dépistage. Peu d'entre eux le font actuellement.
Aussi difficile que cela puisse être, l'énorme industrie des soins de santé qui profite non seulement du dépistage du cancer, mais aussi des soins onéreux qu'il entraîne, doit faire de même. Dans le cas contraire, ils causent un réel préjudice.

Et nos médecins doivent être plus francs avec nous. Ils doivent nous donner non seulement ce que nous voulons - le dépistage - mais aussi toutes les informations dont nous avons besoin pour choisir en toute connaissance de cause de procéder ou non à un dépistage. C'est précisément ce que demandent les auteurs de cette étude : "...les organisations, les institutions et les décideurs politiques qui promeuvent les tests de dépistage du cancer pour leur capacité de sauver des vies peuvent trouver d'autres moyens d'encourager le dépistage. Il serait peut-être judicieux (...) d'informer objectivement les personnes intéressées sur les bénéfices absolus, les préjudices et le fardeau des tests de dépistage qu'elles envisagent d'entreprendre".

Toute l’histoire du dépistage du cancer nous aidera tous à faire les choix les plus sains. Nous n’avons pas encore toute l’histoire.

David Ropeik

David Ropeik est ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.
Il est l'auteur de How Risky Is It, Really ? Why Our Fears Don't Always Match the Facts et co-auteur de RISK, a Practical Guide for Deciding What's Really Safe and What's Really Dangerous in the World Around You, publié par Houghton Mifflin en 2002. Il est le créateur et le directeur du programme "Improving Media Coverage of Risk", un programme de formation destiné aux journalistes.
David Ropeik a été journaliste de télévision pour WCVB-TV à Boston de 1978 à 2000, où il s'est spécialisé dans les reportages sur l'environnement et les questions scientifiques. Il a remporté à deux reprises le prix DuPont-Columbia, souvent cité comme l'équivalent télévisuel du prix Pulitzer, ainsi que sept prix EMMY régionaux.
Il a été Knight Science Journalism Fellow au MIT de 1994 à 1995, et membre du conseil d'administration de la Society of Environmental Journalists de 1991 à 2000. Il a enseigné le journalisme à l'université de Boston, à l'université de Tufts et au MIT.

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