L’information des femmes, ça ne s’arrange pas…

Par Cancer Rose, 5/11/2023

L'infographie contenue dans l'article reçu dans le mail d’information envoyé régulièrement par la CNAM à destination des professionnels regroupe les motifs pour lesquels les femmes rechigneraient à participer au dépistage mammographique.

ABSENCE DE MENTION DES RISQUES MAJEURS DU DEPISTAGE

Les véritables motifs majeurs qui devraient éloigner les femmes du dépistage mammographique, surdiagnostics, fausses alertes et radiotoxicité, n'ont visiblement pas été prévus à être des items du sondage. Et les femmes ne les ont apparemment pas évoqués.
Dans la mesure où pour Ameli les risques du dépistage n'existent tout bonnement pas, ce n'est pas inattendu. Et dans la mesure où les femmes sont informées le moins possible de ces risques, ce n'est pas étonnant.

L'objectif avoué d'Ameli est d'augmenter les chiffres de participation , alors il vaut mieux laisser de côté les éléments dissuasifs.
(Lire : https://cancer-rose.fr/2022/12/29/un-courrier-dameli/)

En revanche il n'est plus acceptable qu'Ameli poursuive les travers que la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein avait déjà pointés du doigt en 2016, entre autres le fait qu'il y ait un amalgame constamment fait dans la communication de la caisse entre dépistage et prévention, comme on peut à nouveau le constater puisque l'article contenant l'infographie est titré "prévention".

La critique de la communication de la caisse primaire d'assurance maladie est clairement détaillée dès la page 95 du rapport de concertation.et notamment en page 99 :

1. le choix a été fait par l’Assurance maladie, aussi bien sur son site que dans les conventions médicales de considérer le dépistage du cancer du sein comme une modalité de prévention, conception critiquable341, car elle véhicule l’idée auprès des femmes que le dépistage serait un moyen d’échapper au cancer du sein ....

2. La femme qui fait appel à son médecin traitant pour qu’il la soigne et qui est incitée par ce dernier à prendre part au dépistage organisé se trouve dans une situation voisine de celle à qui est adressée une invitation à réaliser une mammographie : pas plus que cette dernière, elle ne l’a sollicitée ; toutefois, sa situation est beaucoup plus pernicieuse, car c’est à l’occasion d’une démarche pour laquelle elle attend une réponse qu’une proposition lui est faite à laquelle elle ne s’attend pas, car elle est sans rapport avec sa demande.

OMISSION DE LA PREOCCUPATION SUR LE RISQUE RADIQUE

C'est une préoccupation féminine très souvent exprimée, et complètement occultée dans cette infographie.

La mammographie est irradiante, même si partout on clame que l'irradiation est "minime", là n'est pas le problème. Elle EST, elle n'est pas si 'minime', elle est cumulative et nul ne connaît la radio-susceptibilité de chacune.

Selon les travaux des radiobiologistes, les microdoses répétées présentent une radiotoxicité plus élevée sur les brins d'ADN (qui se cassent sous l'effet du rayonnement ionisant et qui n'ont le temps ni de se reformer ni de se réparer entre les différents clichés) qu’une dose équivalente délivrée en une seule fois. Avec des cassures mal réparées la cellule peut dégénérer en cellule cancéreuse.

Bien identifiée par le travail des radiobiologistes, la radiotoxicité est d'autant plus forte que les premières mammographies ont lieu tôt dans la vie d’une femme, que les examens sont fréquents et que l'on multiplie le nombre de clichés par séance.
Le risque est plus important chez les femmes porteuses de mutations favorisant le cancer du sein (BRCA1 ou BRCA2), femmes davantage radiosensibles, et qui souvent débutent les mammographies très jeunes.
Mais même chez les femmes n’ayant pas de mutation particulière il faut tout de même prendre en compte ce risque d'exposition aux faibles doses.
Par ailleurs il faut considérer le fait qu'une femme dans son existence subira probablement d’autres examens à rayons X, comme les scanners par exemple et dont les doses se cumulent avec les examens mammographiques.

Lire ici : https://cancer-rose.fr/2018/11/03/quest-ce-que-la-radiotoxicite/

LA SURVIE

L'infographie met en avant la survie, qui n'est en aucun cas un indicateur d'efficacité du dépistage.

La survie dépend du surdiagnostic et de l'efficacité des traitements. Plus on diagnostique des patientes qui par définition ne seraient jamais décédées de leur cancer détecté, plus la survie est fallacieusement améliorée.
Pour une maladie où les traitements gagnent en efficacité comme le cancer du sein, la survie ne fait également qu'augmenter.

Mais elle ne nous renseigne pas sur l'efficacité-même du dépistage, pour cela les deux seuls indicateurs sont la diminution drastique de mortalité et la diminution drastique des cas graves, ce qui n'est pas le cas pour le cancer du sein.

La survie à 5 ans est une proportion dans laquelle le dénominateur est le nombre de patients chez lesquels un cancer a été diagnostiqué et le numérateur est le nombre de patients qui sont encore en vie 5 ans plus tard.
Le surdiagnostic augmente à la fois le dénominateur (nombre de personnes diagnostiquées) et le numérateur (nombre de personnes en vie 5 ans plus tard), ce qui entraîne une augmentation de la survie à 5 ans même si le nombre de décès reste inchangé.
Exemple :
Imaginons que sans dépistage, un cancer du sein soit diagnostiqué chez 100 femmes, et que 20 d'entre elles soient encore en vie cinq ans après. La survie à 5 ans est donc de 20 % (= 20/100).
Imaginons à présent un dépistage qui fait passer l'incidence du cancer du sein à 125 femmes, si les 25 femmes supplémentaires détectées sont toutes des surdiagnostics, alors ces 25 femmes s'ajoutent à la fois au numérateur et au dénominateur de la statistique de survie.
La survie à 5 ans est désormais de 36 % (20+25=> 45/125).
Elle apparaît bien meilleure alors même que le nombre de personnes décédées 5 ans après diagnostic est le même dans l'hypothèse 'pas dépistage' comme dans l'hypothèse 'dépistage' : 80 personnes des deux côtés (= 100-20 et = 125-45).

Le texte avance également qu' "On observe 99 % de survie à 5 ans pour un cancer détecté à un stade précoce et seulement 26 % pour un cancer diagnostiqué à un stade tardif."
C'est exact, mais la question fondamentale est que le dépistage ne parvient pas à détecter suffisamment tôt ces cancers au stade tardif, qui sont d'emblée de mauvais pronostic et d'emblée, de par leur caractéristiques biologiques, déjà péjoratifs, et surtout si véloces qu'ils échappent à une détection suffisamment précoce, d'où une survie médiocre.

DISTORSION DE LA PERCEPTION DES FEMMES

L’augmentation de l'incidence (il y a plus de diagnostics de cancers) à cause d'un dépistage débridé, la répartition plus favorable des stades (une plus grande proportion de cancers sont diagnostiqués à un stade bas) et l'augmentation de la survie à 5 ans sont pour les médecins et les décideurs politiques des preuves numériques manifestes de la pertinence du dépistage, mais sont des données trompeuses, entraînant un biais majeur pour les femmes dans la compréhension de l'efficacité du dépistage.

Le chapitre "évaluation et critères de qualité" masque l'indigence du programme sur les vraies questions que se posent les femmes (aurais-je moins de risques d'avoir un cancer grave en participant ? Pourrais-je mourir moins d'un cancer grâce au dépistage ?), en mettant en avant comme vernis de façade le suivi des procédures et "la qualité de la chaîne mammographique ... contrôlée deux fois par an par des organismes agrées selon les recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé."
Tout cela ne nous dit rien du tout sur l'efficacité du dispositif, mais ça en jette.... 

Et illustre aussi à quel point l'information donnée aux femmes est biaisée, racoleuse, trompeuse et bien loin de ce que la loi exige :

En conclusion

Une thèse sur les freins et résistances des femmes au dépistage a déjà été réalisée en 2018, que nous avons relatée ici.

Le plus intéressant qui ressortait de l'enquête était qu’à force d’injonctions répétées les femmes se sentent harcelées, et que certaines finissent par se désengager complètement des insistances médicales.

Le principal levier des campagnes roses est la peur du cancer toujours renouvelée et insufflée aux femmes. Finalement, elle semble contre-productive.
L'incitation ne semble pas plus performante.

Et si, au lieu de nous préoccuper de la participation des femmes, de leur faire peur, de les inciter, de tordre les données pour les rendre plus flatteuses, on leur octroyait tout simplement l'information loyale claire et appropriée que la loi rend obligatoire et que les citoyennes ont revendiquée, afin que la participation ou non au dépistage devienne LEUR choix ?

Article connexe

Participation au dépistage mammographique en France 2005-2022, cliquez sur l'image ci-dessous :

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.