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L’auteur
Steven Woloshin est codirecteur du Center for Medicine and Media du Dartmouth Institute (New Hampshire) et interniste.
Lui et sa partenaire de recherche, Lisa Schwartz, ont travaillé pour améliorer la communication des preuves médicales auprès des médecins, des journalistes, des décideurs politiques et du public afin d’aboutir à une communication médicale plus honnête et neutre.
Grâce à lui le terme ‘surdiagnostic’ a été inclus dans le « MeSH » , un thésaurus de références dans le domaine biomédical.utilisé pour indexer, cataloguer et rechercher des articles de revues, des livres et d’autres informations biomédicales liées à la santé.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/12/13/le-surdiagnostic-cest-officiel/
Steven Woloshin a été interviewé lors de la réunion Medicine & the Media à Florence, à l’instar de K.J.Jorgensen, sur la décision du groupe américain sur les services préventifs d’abaisser l’âge du dépistage à 40 ans
Transcription
Oncoinfo : Le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) a récemment modifié sa recommandation concernant l’âge de début du dépistage par mammographie, le faisant passer de 50 à 40 ans. Pourquoi cette décision n’est-elle pas aussi bonne qu’elle le paraît ? Nous avons posé la question à Steven Woloshin (Center for Medicine and Media – The Dartmouth Institute) lors de la conférence Medicine & the Media à Florence.
« Récemment, le groupe de travail sur les services préventifs américain a modifié la recommandation concernant le début du dépistage par mammographie pour les femmes. Auparavant, il était recommandé de commencer à l’âge de 50 ans. Désormais la recommandation est de débuter à l’âge de 40 ans. Beaucoup d’entre nous ont été surpris lorsque le groupe de travail a fait cette recommandation. Nous nous sommes demandé quelle en était la raison, existe-t-il des preuves que la mortalité due au cancer du sein augmente chez les femmes de 40 ans ?
Existe-t-il des preuves que le dépistage mammographie est devenu plus efficace pour ces femmes ?
Nous nous sommes également demandé si l’un des arguments du groupe de travail était que la mise en œuvre de ce changement permettrait également de remédier aux disparités raciales aux États-Unis ? Car malheureusement, on sait que les femmes noires ont un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé. Le fait est qu’en examinant chacune de ces questions, la réponse était non pour chacune d’entre elles. »
Des preuves pour justifier l’abaissement de l’âge du dépistage ?
« Nous avons donc écrit un article dans le New England Journal pour exprimer nos inquiétudes et tenter de nous opposer à cette recommandation qui, selon nous, n’était pas justifiée. (« A dissenting view« )
La première question que nous nous sommes posée était de savoir s’il existait des preuves d’une augmentation de la mortalité par cancer du sein dans cette population.. En fait, c’est tout le contraire, la mortalité par cancer du sein a baissé de façon spectaculaire chez les femmes dans la quarantaine, en fait ceci est aussi le cas pour les femmes dans la cinquantaine et plus.
Mais la baisse était encore plus importante surtout chez les femmes de 40 ans. Et si l’on considère des pays ayant des stratégies de dépistage différentes, on constate que la baisse est la même.
Il est donc difficile d’affirmer que la baisse de la mortalité est liée au dépistage. Ainsi, aux États-Unis, où le dépistage est très répandu chez les femmes de 40 ans, il est difficile de dire que la baisse de la mortalité est liée au dépistage par rapport à la Suisse, par exemple, où il n’y a presque pas de dépistage.
La baisse de la mortalité est presque la même, et c’est donc un argument qui nous avait fait penser qu’il n’était pas exact.
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La deuxième question était de savoir s’il existait des preuves que le dépistage par mammographie protégeait mieux les femmes de ce groupe d’âge.
Et il n’y a pas de nouvelles preuves par rapport aux essais qui ont été réalisés. Il n’y a pas de nouveaux essais randomisés.
Et pour ceux qui ont inclus des femmes dans la quarantaine, une méta-analyse réalisée par mon collègue Karsten Jorgenson et al. sur l’effet de la mammographie montre qu’il n’y a vraiment pas d’effet sur la mortalité par cancer du sein dans cette tranche d’âge.
Enfin, en ce qui concerne les disparités raciales et sur la question de savoir si ce changement les améliorerait, nous pensons qu’en réalité, c’est le contraire qui se produirait. La raison en est qu’aux États-Unis, environ 60 % des femmes dans la quarantaine se font dépister pour le cancer du sein, qu’elles soient noires ou blanches. Il n’y a donc pas de disparité dans le dépistage. La disparité se situe au niveau des suites. Cela ne peut donc pas être dû à une différence de dépistage, puisque les taux (de dépistage NDLR) sont les mêmes, cela doit être dû à d’autres facteurs.
Eh bien, malheureusement, il y a de nombreuses preuves montrant qu’il existe d’autres facteurs limitants, tels que l’accès limité aux meilleurs traitements disponibles, ou l’accès à un traitement en temps utile, aux thérapies avancées que nous connaissons, aux meilleures nouvelles options thérapeutiques personnalisées ».
Les problèmes de l’extension du dépistage
« Le problème, c’est que par l’extension du dépistage, nous allons détourner des ressources vers un dépistage qui n’aidera pas, au détriment de mesures qui aideraient.
À mon avis, l’investissement dans le dépistage devrait plutôt être utilisé à améliorer l’accès aux meilleurs soins disponibles. Le seul élément nouveau proposé par le groupe de travail était un nouveau modèle.
Et ce nouveau modèle contenait beaucoup d’hypothèses qui, selon nous, ne sont pas justifiées.
En particulier, on a supposé que le dépistage réduisait le risque relatif de mortalité par cancer du sein de 25 %. Ce chiffre est beaucoup plus élevé que celui observé dans les essais et surtout dans la méta-analyse.
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Ceci dit, dans notre tableau (voir ci-dessous) nous avons essayé de donner le meilleur scénario pour la mammographie, afin que les femmes puissent décider, en sachant que le bénéfice de la mammographie est probablement moindre.
Et dans ce cas, la différence sur 10 ans en termes de risque de décès avec la mammographie passe d’environ 3 pour mille à environ 2 pour mille.
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On peut donc argumenter qu’il s’agit d’un grand nombre, ou d’un petit nombre, mais de cette façon, en fournissant des chiffres aux femmes, elles peuvent prendre une décision en connaissance de cause.
Le tableau met également en évidence les inconvénients de la mammographie, car vous savez qu’il y a toujours des inconvénients dues aux interventions et aux traitements.
Dans ce cas les fausses alertes sont parmi les plus fréquents : environ un tiers des femmes qui subissent une mammographie tous les deux ans sur une période de 10 ans finissent par avoir au moins une fausse alerte. Environ 7 % d’entre elles auront une fausse alerte nécessitant une biopsie, ce qui est important car il s’agit d’un examen très difficile et anxiogène.
Il y a quelques années, nous avons réalisé une étude, une enquête sur les femmes américaines en leur demandant comment cela se passait pour celles qui avaient eu une fausse alerte nécessitant une biopsie. Et la plupart de ces femmes ont déclaré que c’était l’une des choses les plus effrayantes qu’elles aient jamais vécues jusqu’à ce que la biopsie soit négative.
Il s’agit donc vraiment d’un aspect important.
Enfin, la dernière question concerne les surdiagnostics, c’est-à-dire le diagnostic de cancers ou de ce qui ressemble à des cancers au microscope, mais qui n’auraient jamais été destinés à causer des préjudices s’ils n’avaient pas été découverts ou traités.
Les fourchettes des estimations concernant le surdiagnostic sont très larges, le groupe de travail a utilisé des chiffres qui sont très conformistes.
Nous pensons qu’ils sont sous-estimés, mais même ainsi il y aurait environ deux surdiagnostics pour mille femmes, ce qui est plus élevé que l’estimation des bénéfices de la mammographie. »
En conclusion
NDLR
L’extension de l’âge du dépistage ne peut pas résoudre les différences dans la biologie du cancer : l’incidence des cancers de stade avancé reste stable malgré le dépistage en raison-même de leur biologie qui en fait des cancers d’emblée véloces et agressifs et qui échappent au dépistage ; l’incidence du cancer du sein triple négatif chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l’Institut national du cancer américain. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus sujet à être non détecté par le dépistage.
Un dépistage plus précoce dans les tranches d’âge plus jeunes ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, souvent les femmes noires aux Etats Unis, problèmes tels qu’un accès moindre aux services de santé, des retards de traitement et un plus faible recours aux thérapies adjuvantes.
En fait, l’abaissement de l’âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi au lieu d’une amélioration de l’accès pour ces femmes plus défavorisées.
Pour finir les deux scientifiques (Woloshin et Jorgensen) sont préoccupés par l’exposition des femmes de façon majorée aux fausses alertes et aux surdiagnostics, les effets indésirables majeurs de ce dépistage.
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Interview de K.J.Jorgensen, co-auteur de l’article « a dissenting view »
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