Traduction, restitution et commentaires par Cancer Rose, 17/09/2023
Les nouvelles recommandations de l’USPSTF sur la mammographie – Un point de vue divergent
- Steven Woloshin, M.D.,
- Karsten Juhl Jørgensen, M.D., D.Med.Sci.,
- Shelley Hwang, M.D., M.P.H.,
- and H. Gilbert Welch, M.D., M.P.H.
De : Dartmouth Institute and Dartmouth Cancer Center, Lebanon, NH (S.W.); the Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine, Norwich, VT (S.W., K.J.J., S.H., H.G.W.); Cochrane Denmark and the Center for Evidence-Based Medicine Odense, Department of Clinical Research, University of Southern Denmark, Odense (K.J.J.); the Department of Surgery, Duke University, Durham, NC (S.H.); and the Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston (H.G.W.).
https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2307229
September 16, 2023
Le groupe de travail américain (USPSTF) émettant les recommandations sur les dispositifs de santé publique a émis de nouvelles recommandations pour le dépistage mammographique au mois de mai 2023, préconisant le début des mammographies de routine à 40 ans.
Il s’agit d’un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
La décision a été motivée sur la base de deux arguments :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.
Nous avons synthétisé cette annonce ainsi que les réactions qu’elles ont suscité ici : https://cancer-rose.fr/2023/05/16/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/
Cette modification des recommandations d’âge a soulevé beaucoup de contestations, notamment sur l’argumentation avancée d’une meilleure ‘égalité’ de traitement pour les classes sociales les plus pauvres.
Cette recommandation n’est pas anodine du tout et le tribut à payer pour les femmes risque d’être très lourd, c’est ce qui motive la mise en garde des auteurs, publiée hier.
Pourquoi cela doit nous concerner ?
Premièrement, plusieurs études toutes récentes, de cette années, mettent en cause de façon flagrante l’efficacité-même du dépistage mammographique.
Non, il ne permet pas de ‘sauver des vies’, ce mythe a fait long feu, il n’y a pas de prolongement de la durée de vie par les dépistages en général.
Non, ce n’est pas le dépistage mammographique qui est responsable d’une baisse de mortalité par cancer du sein ; le risque de décès par cancer du sein est en baisse, dépistage ou pas. Les traitements du cancer du sein s’améliorent de façon spectaculaire, ainsi la valeur de la détection primaire diminue, ce qui, à l’avenir, devrait le dépistage obsolète.
Non, le dépistage mammographique n’est pas anodin, les risques surpassent le bénéfice qu’on pourrait en attendre et le surdiagnostic est pire dans les évaluations actuelles.
Deuxièmement les recommandations américaines, très favorables aux fournisseurs du secteur de l’imagerie de la femme, risquent de servir d’exemple et d’ouvrir une boîte de Pandore qu’il sera impossible ensuite de refermer ; déjà des voix s’élèvent ici ou là pour demander un dépistage mammographique même annuel…
Il n’y a rien de ‘complotiste’ dans cet argument, en effet la prise en charge du cancer du sein est, il faut pouvoir le dire publiquement, une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l’égard de cette maladie. » Ce business du cancer est ce que le journaliste John Horgan explique longuement dans cet article.
Troisièmement, un essai européen, appelée MyPEBS, vient d’achever l’intégration des femmes réparties dans les différents groupes d’étude. Or cette étude, censée évaluer un dépistage individualisé basé sur le risque de chaque femme de faire un cancer est de toute évidence calibrée pour inciter à dépister plus et plus jeune, car elle recrute des femmes dès 40 ans, et elle comporte des biais flagrants que nous avons dénoncés dans une lettre ouverte en compagnie d’autres groupes de vigilance sanitaire.
Les femmes n’auront pas à choisir entre dépistage ou pas dépistage, mais entre dépistage standard et … davantage de dépistage si elles sont désignées ‘à risque’.
Cependant le sous-groupe de femmes dit ‘à faible risque’ comprendra très peu de femmes, et toutes les autres seront réparties dans des sous-groupes à plus haut risque très rapidement puisque le logiciel, non validé scientifiquement, admet des critères de risques très généreux et les femmes se verront davantage examinées par mammographies.
Par exemple, le fait d’avoir eu une biopsie du sein pour lésion même bénigne représente un facteur de risque, or le nombre d’actes biopsiques chez des femmes jeunes pour des lésions bénignes telles que des fibro-adénomes a très considérablement augmenté ces dernières années, ce qui va rendre de facto beaucoup de femmes abusivement « à risque ».
En bref, alors que le dépistage mammographique peine de plus en plus à démontrer une quelconque pertinence et que les preuves de sa nocivité s’accumulent, on s’achemine Outre-Atlantique comme en Europe vers plus de dépistages, chez plus de jeunes, au mépris des risques auxquels on expose la population, et bien sûr sans l’en informer.
Il ne faudrait pas que ça se sache….
Le point de vue divergent
Nous restituons in extenso ci-dessous la publication du NEJM-
Récemment, la U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) a modifié sa recommandation concernant l’âge de début du dépistage par mammographie de 50 à 40 ans.1 Précédemment, la Task Force considérait que le dépistage chez les femmes de 40 à 50 ans relevait d’un choix personnel. Les recommandations de l’USPSTF étant très influentes, le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans deviendra probablement une norme de performance des services de santé ; si c’est le cas, il s’agira d’un impératif de santé publique auquel les praticiens de soins primaires devront se conformer. Un tel changement affectera plus de 20 millions de femmes américaines et soulève des questions importantes.
Premièrement, existe-t-il de nouvelles preuves de l’augmentation de la mortalité due au cancer du sein ? Au contraire, la mortalité due au cancer du sein n’a cessé de diminuer aux États-Unis, ce qui constitue une réussite majeure de la médecine moderne. La réduction a été la plus prononcée chez les femmes de moins de 50 ans, dont la mortalité par cancer du sein a été réduite de moitié au cours des 30 dernières années, selon le système national des statistiques de l’état civil. Des tendances similaires sont observées dans d’autres pays à revenu élevé, y compris ceux où le dépistage chez les femmes de 40 ans est très rare (Danemark et Royaume-Uni) et ceux où le dépistage est rare dans tous les groupes d’âge (Suisse) – ce qui suggère que le déclin résulte en grande partie de l’amélioration des traitements, et non du dépistage (voir les graphiques).
Deuxièmement, existe-t-il de nouvelles preuves que les bénéfices de la mammographie augmentent ? Depuis la précédente recommandation de l’USPSTF, il n’y a pas eu de nouveaux essais randomisés sur le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans.
Huit essais randomisés portant sur cette tranche d’âge, dont le plus récent (l’essai britannique sur l’âge), n’ont révélé aucun effet significatif.2 Ce résultat reflète à la fois la rareté des décès liés au cancer du sein chez les femmes de 40 ans et le fait que le dépistage réduit moins la mortalité qu’on ne l’espérait – probablement parce que la maladie est plus agressive dans cette tranche d’âge. Les cancers à croissance rapide sont plus susceptibles de ne pas être détectés par le dépistage, car ils apparaissent souvent dans l’intervalle entre deux examens.
Sans nouvelles données issues d’essais cliniques, la nouvelle recommandation se fonde sur des modèles statistiques qui estiment ce qui pourrait se passer si l’âge de début du dépistage était abaissé. Les modèles partent du principe que le dépistage par mammographie réduit la mortalité par cancer du sein d’environ 25 % et concluent que le dépistage de 1 000 femmes âgées de 40 à 74 ans, au lieu de 50 à 74 ans, permettrait de réduire d’un à deux le nombre de décès par cancer du sein au cours de la vie.
Le recours croissant de l’USPSTF à des modèles statistiques complexes est problématique. Les effets estimés peuvent être extrêmement sensibles aux hypothèses de modélisation, qui reflètent souvent la perception générale du moment.
Un modèle important, réalisé avant l’étude Women’s Health Initiative, prévoyait que presque toutes les femmes ménopausées verraient leur espérance de vie augmenter grâce à un traitement hormonal substitutif. Les modèles peuvent paraître attrayants en raison de leur précision quantitative apparente, mais ils ne sont fiables que si les données d’entrée et les hypothèses utilisées le sont également. Comme d’autres l’ont souligné, les décideurs politiques ne devraient utiliser les modèles que s’ils comprennent les paramètres et les hypothèses sur lesquels ils reposent3.
Dans le cas présent, il est particulièrement problématique que la réduction modélisée de 25 % du risque relatif de mortalité par cancer du sein grâce au dépistage mammographique dépasse celle observée dans les méta-analyses des essais randomisés : une réduction de 16 % du risque relatif pour les huit essais combinés (intervalle de confiance [IC] de 95 %, 27 % à 4 % de réduction) et une réduction de 13 % du risque relatif dans les trois essais présentant un faible risque de biais (IC de 95 %, 27 % de réduction à 3 % d’augmentation).2
Ainsi, la balance des bénéfices et préjudices justifie-t-elle un nouvel impératif de santé publique ? Les réductions du risque relatif peuvent être trompeuses car elles ne contiennent aucune information sur le risque absolu, qui est déjà faible et en constante diminution pour ce groupe d’âge. Pour clarifier les effets potentiels de la recommandation actualisée en termes absolus, le tableau (ci-dessous) résume les bénéfices et préjudices.
Pour les femmes américaines à la quarantaine, le risque de décès, quelle qu’en soit la cause, au cours des dix prochaines années est d’environ 3 %, indépendamment du dépistage. Le bénéfice modélisé de la mammographie représente une réduction du risque de décès par cancer du sein sur 10 ans d’environ 0,3 % à environ 0,2 %, soit une différence de 0,1 point de pourcentage (un décès par cancer du sein pour 1 000 femmes dépistées pendant 10 ans). En d’autres termes, grâce au dépistage, la probabilité de ne pas mourir d’un cancer du sein au cours des dix prochaines années passe de 99,7 % à 99,8 %.
Cet effet est faible, surtout si l’on tient compte des préjudices potentiels et de ce qui semble être des hypothèses trop optimistes en matière de bénéfices. Les fausses alertes sont manifestement les conséquences les plus fréquentes : le modèle de l’USPSTF estime que 36 % des femmes âgées de 40 à 49 ans en subiront au moins une dans le cadre d’un dépistage bisannuel sur 10 ans. Toutes devront subir des examens supplémentaires pour confirmer qu’elles n’ont pas de cancer ; certaines subiront des examens multiples et devront payer des frais substantiels. Et certaines éprouveront de la peur : environ un tiers des femmes décrivent l’expérience comme « très effrayante » ou « la période la plus effrayante de leur vie « 4.
Environ 6,6 % des femmes dépistées auront une fausse alerte nécessitant une biopsie. En outre, le modèle de l’USPSTF estime que 0,2 % des femmes seront surdiagnostiquées et traitées pour un cancer qui n’est pas destiné à causer des préjudices. Ces préjudices peuvent être plus fréquents dans la pratique, étant donné que les données du modèle provenant du Consortium de surveillance du cancer du sein ne reflètent probablement que les taux des pratiques les plus performantes. Les préjudices seront plus fréquents si le dépistage a lieu tous les ans plutôt que tous les deux ans, comme c’est le cas actuellement pour la plupart des femmes américaines.
Le tableau illustre le compromis critique pour les femmes d’une quarantaine d’années : les bénéfices, qui profiteront à peu de femmes, l’emportent-ils sur les risques qui affecteront beaucoup plus de femmes ? La solution est un choix de valeur que les femmes devraient pouvoir faire elles-mêmes, plutôt que de se voir imposer un impératif de santé publique par des médecins recevant des incitations pour atteindre un niveau de « qualité ». Compte tenu de la baisse constante de la mortalité au cours des 30 dernières années, attribuable à l’amélioration des traitements, il est probable que de moins en moins de femmes bénéficieront du dépistage au fil du temps, tandis qu’un dépistage plus poussé augmentera les risques.
La Task Force affirme également que la nouvelle recommandation constitue une première étape importante dans la réduction de la disparité entre les femmes noires et les femmes blanches en matière de mortalité due au cancer du sein. Bien que la mortalité chez les femmes dans la quarantaine ait diminué de moitié dans les deux groupes depuis 1990 (voir l’annexe supplémentaire, disponible sur le site NEJM.org), la disparité est inquiétante et persistante : Selon le système national des statistiques de l’état civil, les femmes noires sont beaucoup plus susceptibles de mourir d’un cancer du sein que les femmes blanches (23 contre 13 décès pour 100 000 femmes). Mais il est difficile d’imaginer comment le fait de recommander la même intervention aux deux groupes pourrait réduire la disparité, d’autant plus que les taux de dépistage sont déjà aussi élevés pour les femmes noires et blanches dans la quarantaine (environ 60 %, selon le National Center for Health Statistics).
L’augmentation du dépistage ne peut pas résoudre les différences sous-jacentes dans la biologie du cancer : l’incidence du cancer du sein triple négatif (qui n’exprime pas le récepteur des œstrogènes, le récepteur de la progestérone et le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain) chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l’Institut national du cancer. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus à risque de ne pas être détecté par le dépistage.5
Un dépistage précoce ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, souvent les femmes noires dans une mesure disproportionnée, problèmes tels que la moindre qualité des services médicaux disponibles, le suivi tardif des scanners anormaux, les retards de traitement et le plus faible recours aux thérapies adjuvantes. En fait, l’abaissement de l’âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi. Nous devons faire davantage ce qui fonctionne vraiment : veiller à ce que les femmes pauvres atteintes d’un cancer du sein aient plus facilement accès à un traitement de haute qualité.
Une modification des recommandations relatives à la mammographie serait justifiée s’il était prouvé que les conséquences du cancer du sein s’aggravent ou s’il existait de nouvelles preuves que le dépistage chez les femmes plus jeunes présente des bénéfices clairs. En fait, aucune de ces deux conditions n’est remplie.
Nous espérons que les décideurs politiques reconsidéreront la décision d’abaisser l’âge de début du dépistage par mammographie. Les modèles de la Task Force sont insuffisants pour soutenir un nouvel impératif de santé publique, étant donné les bénéfices limités et les risques courants et importants pour les femmes en bonne santé.
Il serait préférable de permettre aux femmes de prendre leurs propres décisions sur la base de leur propre évaluation des données et de leurs valeurs – et de réorienter les ressources pour garantir que toutes les femmes atteintes d’un cancer du sein reçoivent le meilleur et le plus équitable des traitements possibles.
Références
- Preventive Services Task Force. Draft recommendation statement — breast cancer: screening. May 9, 2023 (https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/draft-recommendation/breast-cancer-screening-adults. opens in new tab).
2. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013;2013(6):CD001877-CD001877.
3. Kramer BS, Elmore JG. Projecting the benefits and harms of mammography using statistical models: proof or proofiness? J Natl Cancer Inst 2015;107(7):djv145-djv145.
4. Schwartz LM, Woloshin S, Fowler FJ Jr, Welch HG. Enthusiasm for cancer screening in the United States. JAMA 2004;291:71-78.
5. Hayse B, Hooley RJ, Killelea BK, Horowitz NR, Chagpar AB, Lannin DR. Breast cancer biology varies by method of detection and may contribute to overdiagnosis. Surgery 2016;160:454-462.
Articles et vidéos connexes
Point de vue de Russell P. Harris, MD, MPH
du Centre Cecil G. Sheps pour la recherche sur les services de santé, Université de Caroline du Nord, Chapel Hill, Caroline du Nord (R.P.H.). https://doi.org/10.7326/M23-2908
Publication du 6 février 2024
L’auteur explique l’évolution des recommandations émises au fil des années par l’USPSTF, et revient sur la confusion que ces nouvelles directives engendrent :
La nouvelle proposition de recommandation de la U.S. Preventive Services Task Force sur le dépistage du cancer du sein chez les femmes dans la quarantaine : Le message doit-il changer ?
En mai 2023, l’U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) a publié un nouveau projet de recommandation pour le dépistage du cancer du sein, recommandant le dépistage par mammographie pour les femmes âgées de 40 à 74 ans (recommandation B) (voir ci-dessous les grades des recommandations, NDLR).
Il s’agit de la dernière d’une série de recommandations de l’USPSTF sur ce sujet, qui remonte à 1989. Bien que la recommandation concernant le dépistage des femmes âgées de 50 à 74 ans soit restée relativement constante au cours de ces années, la recommandation concernant les femmes âgées de 40 à 49 ans a été source de confusion pour de nombreuses personnes. Cette dernière recommandation peut contribuer à cette confusion. Comme j’ai participé à la fois à l’examen des données probantes (pendant 20 ans) et aux travaux de l’USPSTF (pendant 5 ans), je me propose de replacer la nouvelle recommandation dans son contexte en passant brièvement en revue l’évolution des données probantes et des recommandations.
A = forte recommandation, bénéfice substantiel ; B = recommandation, bénéfice net modéré ; C = recommandation sélective à discuter entre professionnel et patiente, bénéfice net faible ; D = non recommandation, bénéfice incertain et risques prédominants ;
…..la première recommandation de l’USPSTF (1989) sur le dépistage du cancer du sein faisait état de 3 essais contrôlés randomisés (ECR) fournissant des preuves de l’efficacité du dépistage du cancer du sein chez les femmes dans la quarantaine, puis de 6 essais lors de la deuxième recommandation en 1996 ; tous incluaient presque exclusivement des femmes blanches et comportaient de 2 à 5 cycles de dépistage. Une méta-analyse de 1995, citée en référence par l’USPSTF, de ces essais cliniques randomisés et de 4 études cas-témoins basées sur la population a révélé une réduction statistiquement significative du risque de décès par cancer du sein grâce au dépistage par mammographie chez les femmes âgées de 50 à 74 ans (rapport de risque, 0,74 [IC à 95 %, 0,66 à 0,83]) avec un suivi de 7 à 9 ans, mais aucune réduction statistiquement significative chez les femmes âgées de 40 à 49 ans (rapport de risque, 0,93 [IC, 0,76 à 1,13]). Ainsi, en 1989 et 1996, l’USPSTF n’était pas certain de l’efficacité du dépistage chez les femmes de 40 ans et n’a pas formulé de recommandation pour ce groupe, tout en recommandant la mammographie pour les femmes âgées de 50 à 69 ans.
Avec un suivi plus long des 6 essais, une méta-analyse de l’USPSTF de 2002 a constaté une légère réduction de la mortalité par cancer du sein chez les femmes de 40 ans et une réduction plus importante chez les femmes plus âgées : 1 décès par cancer du sein évité sur 14 ans de suivi pour 1792 femmes dépistées dans la quarantaine, mais seulement 838 femmes dépistées entre 50 et 69 ans.
L’USPSTF a également constaté les inconvénients du dépistage. Environ 1 femme sur 4 âgée de 50 à 69 ans et jusqu’à 1 femme sur 2 dans la quarantaine auraient au moins un résultat de mammographie faussement positif sur 10 ans de dépistage. Certaines de ces femmes subiraient des biopsies inutiles et la plupart d’entre elles souffriraient d’une anxiété au moins temporaire. Le risque de surdiagnostic et de surtraitement des cas de cancer du sein qui n’ont pas évolué – plus probable lorsque le dépistage commence plus tôt – constitue un autre préjudice. Bien que l’ampleur exacte de ce risque soit incertaine, même les estimations les plus prudentes indiquent qu’environ deux fois plus de femmes seraient surdiagnostiquées que celles qui éviteraient un décès dû au cancer du sein. Ainsi, le bénéfice était plus élevé pour les femmes plus âgées, mais les inconvénients étaient plus importants pour les femmes plus jeunes. Pour de nombreuses personnes, le bénéfice chez les femmes âgées de 50 à 69 ans semblait plus important que les inconvénients, ce qui était plus discutable pour les femmes dans la quarantaine.
Estimant que le bénéfice net (bénéfices moins inconvénients) du dépistage par mammographie augmentait probablement de manière progressive avec l’âge plutôt que d’augmenter soudainement à l’âge de 50 ans, l’USPSTF de 2002 a émis une recommandation positive qualifiée (B) pour le dépistage des femmes âgées de 40 ans ou plus. Le groupe a nuancé sa recommandation en écrivant que « [l]’âge précis auquel les avantages du dépistage par mammographie justifient les inconvénients potentiels est un jugement subjectif qui doit tenir compte des préférences des patientes »).
Dans sa mise à jour de 2009, l’USPSTF a examiné les six RCT précédents et un nouvel RCT. Une méta-analyse a révélé que l’ampleur des avantages et des inconvénients était similaire à celle constatée en 2002. L’USPSTF de 2009 a estimé que le message qu’elle avait tenté de faire passer en 2002 – à savoir que la décision de commencer le dépistage devait être individualisée plutôt qu’universelle – n’avait pas été entendu. Au contraire, de nombreuses organisations influentes faisaient passer le message selon lequel tout le monde devait commencer le dépistage à l’âge de 40 ans. Essayant à nouveau de faire passer le message qu’il souhaitait, l’USPSTF a décidé de donner aux femmes âgées de 40 à 49 ans une recommandation de dépistage de type C, indiquant la nécessité de discussions individuelles. Utilisant des termes presque identiques à ceux de 2002, le groupe a écrit que « la décision de commencer […] la mammographie de dépistage avant l’âge de 50 ans doit être individuelle ». N’ayant trouvé aucun nouvel essai contrôlé randomisé, l’USPSTF de 2016 a utilisé la même formulation pour formuler la même recommandation en faveur de décisions individualisées (recommandation C).
Le projet de revue systématique 2023 n’a pas trouvé de nouveaux RCTs pertinents pour la décision de commencer le dépistage, pourtant le projet de recommandation 2023 était que toutes les femmes âgées de 40 à 74 ans subissent un dépistage (recommandation B). Le raisonnement qui sous-tend cette recommandation émane d’un désir louable de réduire la disparité de la mortalité par cancer du sein, plus élevée chez les femmes noires que chez les femmes blanches ; il s’appuie fortement sur des modèles d’analyse de décision.
Les modèles, qui reposent sur plusieurs hypothèses discutables, ont révélé que le dépistage à partir de l’âge de 40 ans permettrait d’éviter davantage de décès chez les femmes noires que chez les femmes blanches (1,8 contre 1,3 pour 1 000 femmes dépistées, sur toute la durée de la vie). La question de savoir si l’efficacité de la mammographie diffère selon l’ethnie n’a toutefois jamais été testée dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé. En outre, aucune explication n’a été donnée sur la manière dont un dépistage supplémentaire réduirait la disparité, car les taux de dépistage actuels sont plus élevés chez les femmes noires que chez les femmes blanches.
Le projet de recommandation ne dit rien sur l’individualisation de la décision de commencer le dépistage, comme l’avaient fait les recommandations de 2002, 2009 et 2016.
La confusion concernant les recommandations de l’USPSTF pour le dépistage des femmes dans la quarantaine sera peut-être réduite si l’on comprend la cohérence sous-jacente des recommandations de 2002 à 2016, et si l’on comprend la différence entre les preuves pour ces femmes et celles âgées de 50 à 69 ans.
Mais en ne reconnaissant pas la nécessité pour les femmes de prendre une décision personnelle, la nouvelle recommandation de 2023 risque d’aggraver la confusion.
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