Mammographie numérique

Résumé par Dr C.Bour 26/04/2021

Dans le Journal of The National Institute Volume 113, Numéro 1, janvier 2021, est édité un article de 2020 portant sur une importante méta-analyse. Celle-ci traite de l’apport de la mammographie numérique dans le dépistage du cancer du sein, publication que nous avions relayée ici : https://cancer-rose.fr/2020/06/28/la-mammographie-numerique-pas-plus-efficace-dans-la-reduction-des-cancers-les-plus-graves-selon-meta-analyse-australienne/

La mammographie numérique, approuvée en 2000 par la FDA américaine, est utilisée largement en France également. 
Des études suggéraient en effet que la nouvelle technologie était équivalente à l’ancienne technologie analogique sur film pour la détection du cancer.

Un peu de technique

La mammographie analogique produit une image imprimée directement sur un film argentique. 

La radiographie par capteur numérique (CR), qui a actuellement complètement remplacé l’analogique, est une technique de mammographie indirecte qui capte l’image sur une plaque réutilisable. Ce récepteur d’image contient un luminophore photostimulé, les rayons X entrainent une excitation des molécules luminescentes qui convertissent les rayons X en lumière. Un convertisseur analogique-numérique produit ensuite une image numérique qui peut être archivée.

La radiographie numérique directe (DR) n’emploie pas de plaques réutilisables. Des capteurs convertissent directement le flux de rayons X en un signal électrique qui sera par la suite numérisé et transféré à l’écran. L’ image est visible et analysable sur écran directement par le radiologue. L’image est alors améliorable si elle est sur-ou sous-exposée pour un meilleur rendu. Ici aussi les images peuvent être stockées sous forme de fichiers numériques dans un système d’archivage informatique.

L’article

Dans l’article de la revue du National Institute les auteurs Otis W Brawley (oncologue et épidémiologiste à Baltimore USA) et Channing J Paller (oncologue et urologue à Baltimore, USA) rappellent tout d’abord les réultats de cette importante méta-analyse.

La mammographie numérique certes se justifie par un stockage et une manipulation plus aisés des images. Il existe également une possibilité de diagnostic assisté par ordinateur et une meilleure performance pour l’exploration des seins denses. La mammographie numérique présente aussi une exposition au rayonnement inférieure à celle de la mammographie sur film, si tant est qu’on ne multiplie pas le nombre de clichés de façon déraisonnable… Nous en reparlerons plus loin.

Pour un dépistage efficace rappellent les auteurs, trois objectifs doivent être atteints : davantage de tumeurs localisées trouvées en même temps qu’une diminution des cancers d’intervalle (tumeurs diagnostiquées entre deux dépistages), et une diminution de l’incidence des cancers avancés.

Malheureusement la méta-analyse australienne de Faber et col. (Ecole de santé publique de Sydney, Australie) confirme le problème du surdiagnostic accru par cette méthode permettant davantage de détection de petites lésions, notamment des carcinomes in situ dont la grande majorité n’impacte pas la vie de la femme diagnostiquée, en revanche il n’y a pas de différence sur les taux de détection des cancers invasifs.
L’étude suggère que 11% des cancers détectés par mammographie numérique sont des surdiagnostics. Mais d’autres analyses sont citées dans l’article, beaucoup plus pessimistes sur ces taux de surdiagnostics imputables au système numérique [1].

La technique numérique n’a aucun effet non plus sur les cancers d’intervalle qui ne s’en trouvent pas diminués.

Aux États-Unis, le taux d’incidence ( nouveaux diagnostics) du cancer du sein ajusté en fonction de l’âge a augmenté de plus de 30 % de 1975 à 2000, alors que l’incidence de cancer du sein avancé au moment du diagnostic était stable pour les 25 années, au lieu de décroître comme on l’attendait.[2]

Mais surtout on constate que le taux de rappel est nettement augmenté avec la technologie numérique en raison de l’augmentation des faux positifs, rendant fragile l’allégation d’une moindre irradiation grâce au numérique, puisque ces femmes rappelées en raison d’une fausse suspicion de cancer subiront, entre autres examens, de nouvelles radiographies.

Le plus de l’article

Deux points intéressants sont évoqués par Brawley et Channing par rapport aux résultats qu’on peut extraire de la méta-analyse australienne :

  1. La véritable mesure de la valeur d’un dépistage efficace au niveau de la population, c’est une réduction du taux de mortalité par cancer et des traitements inutiles. 
    Le dépistage ne devrait pas justifier son apparent succès par la découverte d’un plus en plus grand nombre de cancers, dont beaucoup sont des découvertes inutiles, mais plutôt sur la découverte d’un plus grand nombre de cancers qui sont importants à trouver car cliniquement dangereux pour les femmes qui en sont porteuses. Mais la mammographie numérique n’est pas plus discriminante pour ces formes-là et surdétecte bon nombre de cancers qui n’auraient pas portés à conséquence.
  2. Il est de nature humaine de penser que la nouvelle technologie est toujours la meilleure, et de nombreux experts ont estimé que la mammographie numérique conduirait à de meilleurs résultats pour la santé. 
    Parfois il faut se rendre à l’évidence que la vérité est différente de ce que des experts ont mis en avant. Ces résultats démontrent, selon les auteurs, l’importance de l’évaluation post-commercialisation et de l’ouverture d’esprit. 

    Ces résultats montrent également les variations biologiques du cancer du sein, et confirment une histoire naturelle de la pathologie non linéaire : certains cancers sont inutiles à trouver car régressent ou n’évoluent pas, d’autres sont d’emblée agressifs et se développent entre deux mammographies de dépistage sans qu’on puisse en enrayer leur survenue.

Notre commentaire

Nous invitons nos lecteurs à prendre connaissance des travaux de Bernard Junod et de Dr Bernard Duperray sur le surdiagnostic. L’histoire naturelle du cancer revêt une importance capitale, sans cette connaissance nous ne pourrons jamais comprendre le problème du surdiagnostic et celui des cancers d’intervalle.

https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/12/article-JunodDuperray-2006.pdf

Cliquez sur les images

https://cancer-rose.fr/2019/12/17/contributions-de-dr-b-duperray-sur-le-surdiagnostic-dans-le-cancer-du-sein/embed/

https://cancer-rose.fr/2021/02/24/diplo%cc%82me-interuniversitaire-senologie/embed/

Références

[1] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959804917313850

« Un tiers à la moitié des cancers du sein détectés par mammographie n’auraient pas été cliniques au cours de la vie (surdiagnostic). »

[2]Welch HG, Gorski DH, Albertsen PC. Trends in metastatic breast and prostate cancer–lessons in cancer dynamics. N Engl J Med. 2015;373(18):1685–1687.


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