People, TAISEZ-VOUS, s’il vous plaît….

Bour Cécile, radiologue, 31/10/2024

C’était en 2020, feu l’animateur Jean-Pierre Pernaut traversait tous les médias, médiatisant son cancer prostatique, et intervenant dans la déplorable émission « stars à nu »(lire ici) destinée à « sensibiliser au dépistage du cancer de la prostate et des testicules »;

Problème, pour ces deux cancers, AUCUN dépistage systématique n’est préconisé, ni en France, ni où que ce soit, pour des raisons scientifiques, parce que la balance entre bénéfices et risques n’est pas bonne.
(A ce sujet nous vous invitons à lire notre dossier sur le sujet).

Nous avions fait remarquer via twitter à l’animateur, « violemment » selon un pseudo-site d’information qui s’est bien gardé de nous donner la parole, que l’émission contrevenait à l’information loyale et était plus racoleuse qu’informative. Selon l’article de ce media en ligne très soucieux de la bonne écriture en français (« Jean-Pierre Pernaut se clash ») Mr Pernaut « a fini par clore le débat avec ses deux tweets « .
Et c’est vrai qu’au bout d’un moment, nous avions abdiqué à poursuivre ce dialogue de sourds. Pourquoi ? Parce qu’en matière de dépistage, que ce soit pour le sein ou la prostate, l’audience est donnée largement par les médias à une ribambelle de personnes très en vue mais qui ne connaissent du problème et de l’enjeu que leur propre expérience, se permettent de remettre en cause des données scientifiques et ma foi ont toujours raison puisqu’on les laisse librement s’exprimer, comme Madame Sublet sur France Info sur le dépistage du cancer du sein.

Autre problème aigu dans notre pays, vous prenez 10 ignares du sujet d’un côté, et deux ou trois experts du domaine de l’autre, qui eux sont de la partie (oui comme nous, oui), ont étudié le problème, se préoccupent de la nuisance causée par ces incitations médiatiques, peu importe, les 10 ignares l’emporteront haut la main, selon un principe démocratique, ou plutôt selon le principe de qui gueulera le plus fort. Nous ne faisons pas le poids. Les médias ne nous tendent pas bien souvent le micro, nos messages ne sont pas des scoops, ne sont pas roses, ne peuvent se réduire en slogans simplistes et demandent de la pédagogie, de la nuance, donc du temps.

Autre problème encore, ces personnages médiatiques se font fort d’être des représentants de toute l’humanité, des chevaliers blancs d’une « noble cause »[1] [2]dès lors qu’ils ont eu l’heur de connaître un souci de santé que des millions de compatriotes vivent sans donner leur avis, eux, ils se postent en fers de lance et se découvrent une « mission » de médiatiser leurs vicissitudes physiques pour protéger le monde entier.
Le souci c’est que leur propre cas ne vaut pas recommandation de santé publique, or c’est ainsi qu’ils se présentent et montent médiatiquement au créneau, faisant prévaloir leur expérience et leurs avis comme étant une norme, et leurs conseils-santé comme les tables de lois. Mais suivre leur exemple peut tout simplement être nuisible pour le quidam encouragé à suivre des dépistages non recommandés, contestés, ou encore en dehors des tranches d’âge comme cela est fait concernant le dépistage du cancer du sein. Nous y viendrons.

Concernant le dépistage du cancer prostatique, le même problème est survenu récemment au Canada, où un animateur, concerné par ce cancer, écume les plateaux et écrit des papiers pour dire « aux gars » ce qu’ils ont à faire. La Presse s’en est émue (je vous recommande la lecture !), pour les bonnes raisons, à savoir que cet animateur n’a aucune légitimité scientifique et que ses messages matraqués peuvent bien être nuisibles « aux gars ». Dommage que la presse française soit très frileuse (sauf exceptions, comme les médias Que Choisir et Que Choisir Santé) pour relayer les messages de prudence et les controverses sur les dépistages, les journalistes n’ont pas la volonté de se pencher sur des sujets complexes, pour lesquels il faut plus qu’un entrefilet pour informer, ils ne fouillent pas le sujet, et lorsqu’ils le font, ce sont les rédactions qui musellent le propos. Je peux d’autant plus le prétendre que depuis 10 ans que le collectif existe, j’ai personnellement été en butte à ces problématiques journalistiques : journalistes qui sollicitent puis ne donnent plus suite, journalistes qui demandent un travail conséquent de collaboration avec échanges mails, envoi de documents, rencontres téléphoniques, et puis qui ne publient finalement rien, promesses d’interviews décapitées par les rédactions, interviews « contradictoires » avec des leaders d’opinion au nom de l’équité journalistique mais à sens unique, c’est à dire que lorsque le leader d’opinion est interrogé en premier on ne vient pas requérir nos arguments contradictoires. J’en ai collecté maintes preuves, combien de refus d’articles, refus de droits de réponse, de rebuffades, de censures nous avons essuyés, oui censures, car c’est bien de cela dont il s’agit, et de façon exacerbée pendant le mois d’octobre ou fleurit un marketing indécent et écoeurant pour la « cause » rose, au détriment des femmes, volontaires souvent à promouvoir ce barnum qui ne fait que leur nuire et les desservir.

Publicité d’une entreprise de pompes funèbres

Cette année, c’est le nageur Camille Lacourt qui promeut le dépistage du cancer du sein par le truchement d’une entreprise multi-marques, sous le prétexte que sa femme est touchée et qu’il connaît donc tout du sujet.
Je ne comprends pas la morgue ni l’outrecuidance avec laquelle ces personnages médiatiques (l’an dernier une présentatrice météo, de façon régulière des jeunes influenceuses ) se permettent de donner avis et conseils qui, encore une fois, peuvent tout bonnement nuire à ceux et celles qui les écoutent.
NON, le dépistage du cancer du sein ou de la prostate, ce n’est pas « rien du tout ». NON, ces dépistages ne sont pas bons pour tout le monde et comportent des risques et des nuisances, que les gens doivent connaître AVANT de s’y engager. OUI, votre vie peut basculer de bien portants(-es) à malades inutilement pour avoir suivi ces « exemples ». OUI ces messages médiatiques, même et surtout portés par des pipoles pseudo-philanthropiques sont dangereux, délétères à autrui.

Nous avons déposé une plainte auprès de l’ARCOM pour les propos tenus par Mr Lacourt lors de l’émission « la grande semaine » sur M6 le samedi 4 octobre 2024 à 18h, où il s’agissait de « harceler » les femmes pour les obliger à se faire dépister, ces propos tenus sans être contrés par des chroniqueurs complaisants et apathiques sur le plateau, et cela en pleine sordide actualité concernant la malheureuse victime des viols collectifs à Mazan.
Comment les medias peuvent-ils à ce point être intellectuellement indigents (c’est bien un autre terme qui me vient mais que la décence m’interdit d’écrire) pour laisser un homme, en pleine santé, sportif, jeune, encourager un auditoire à harceler les femmes de leur entourage, au nom d’un patriarcat bien installé qui consiste à nous expliquer à nous, pauvres bonnes femmes ménopausées débilitées qui ne savent pas prendre de décision toutes seules, pour se soumettre à un dépistage potentiellement dangereux et potentiellement inutile ?
La plainte, à n’en pas douter, subira un classement à la verticale vers la corbeille à papier de l’ARCOM, car ce harcèlement médiatique bien réel des femmes, à chaque mois d’octobre, épuisant pour les vraies malades mais amusant et si glamour pour tous les bien-portants, ce harcèlement disais-je perdure depuis 3 décennies sans opposition aucune, et vu les enjeux financiers il aura encore de beaux jours devant lui. Car tous ces dons, toutes ces dépenses pour des parapluies roses, des goodies, des banderoles idiotes, où vont-ils ? Quel est le budget marketing de ce cirque saisonnier ? Quelles sont les retombées concrètes pour les femmes actuellement, alors que le dépistage provoque lui-même une inflation des cas de cancers, dont beaucoup découverts inutilement, avec une débauche d’interventions inutiles ?

En tous cas, soyons-en sûrs, vu l’ampleur et l’énergie déployées tous les ans à faire turbiner l’évènement rose, à voir le nombre de « mécènes » de l’association le ruban rose, gageons que ce qui est engrangé dans ce mois-là n’est pas perdu pour tout le monde.

Personnellement c’est essentiellement l’axe médical qui me préoccupe, car si notre compassion de médecins va vers les gens malades, souffrants, elle va aussi vers les femmes et les hommes qui n’auraient jamais dû connaître l’enfer de la maladie, dont la vie bascule inutilement et bêtement pour avoir suivi les injonctions sottes, parfois intéressées, et les aboiements médiatiques aberrants, ineptes, absurdes de personnages médiatiques qui ont suffisamment d’arrogance pour faire taire toute autre voix pondérée sur des sujets aussi graves que des sujets de santé.

En octobre, on peut compatir et pleurer sur le sort de femmes gravement atteintes, j’y joins mes pleurs sur le sort de femmes jeunes ou moins jeunes sombrant dans un parcours de soins sans fin, dans la dépression et dans des expériences de maladie qu’elles n’auraient jamais dû connaître.

Pipoles, je vous en conjure, fermez-la.


[1] https://www.linfo.re/france/societe/jean-pierre-pernaut-a-mediatise-son-cancer-pour-ameliorer-la-prevention

[2] https://www.europe1.fr/people/evelyne-dheliat-revele-pourquoi-elle-a-decide-de-parler-de-son-cancer-du-sein-il-fallait-que-jarrete-de-rester-dans-mon-coin-4187051


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