l’Assemblée entérine une loi pour améliorer la prise en charge financière des soins chez les femmes atteintes de cancer du sein

Dr C.Bour, 4 février 2025

« L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une loi améliorant la prise en charge des soins et dispositifs liés au cancer du sein, notamment le remboursement intégral du renouvellement des prothèses mammaires, du tatouage médical ou des sous-vêtements adaptés. Elle prévoit aussi l’encadrement des dépassements d’honoraires pour les reconstructions. » Apprend-on dans le Quotidien du Médecin[1].
Le Sénat avait déjà approuvé cette mesure à l’unanimité fin octobre 2024.
Une autre enveloppe est prévue pour financer des soins psychologiques, des séances de nutrition ou des séances d’activités physiques pour les malades en cours de traitement, lit-on encore dans l’article.

Dr Neuder, ministre de la santé, embraye sur cette loi adoptée et en profite pour annoncer des velléités d’extension et d’intensification des campagnes de dépistage, notamment celle du cancer du sein, pour » pouvoir aller chercher plus tôt ces cancers qui sont guérissables quand on les dépiste au plus tôt. »  De plus il a salué « l’engagement de la présidente de l’Assemblée nationale en faveur de la prévention. » 

Plusieurs problèmes

1° une décision compassionnelle

En dépit des recommandations de la concertation citoyenne de 2016 sur le dépistage mlammographique, devenue complètement inutile et sciemment ignorée, qui demandait une meilleure et objective information notamment sur les risques du dépistage, il suffit qu’une personnalité connue prône un dispositif de santé sur la base de sa propre et personnelle expérience pour que cela devienne parole d’évangile, relayée dans les médias sans limite.

La pire configuration est lorsqu’un personnage public comme MMe Yaël Braun-Pivet est elle-même concernée, car même en ne connaissant rien du sujet elle prend la parole pour lancer un mot d’ordre aux femmes : « n’attendez plus ».

2° Une décision qui ignore les risques du dépistage

C’est volontairement faire fi de toutes les connaissances scientifiques dont nous disposons sur ce dépistage extrêmement décevant, qui a raté tous ses objectifs (pas de réduction de mortalité imputable au dépistage, un surdiagnostic amplifié, pas de réduction des cancers les plus graves).

C’est ignorer les demandes citoyennes[2] pour davantage d’information loyale et prudente, c’est de l’incitation à pousser au dépistage des femmes saines qui risquent de se voir étiquetées cancéreuses avec toutes les conséquences possibles sur leur vie personnelle, amoureuse, familiale, financière et professionnelle, dont la vie basculera pour avoir suivi ces injonctions médiatiques non fondées sur la science mais sur la peur, de la part de personnages médiatiques à l’autorité discutable.

En effet, le dépistage ne sauve pas des vies [3] [4], cet argument a fait long feu, en revanche il expose à un grave enjeu de santé publique, le surdiagnostic[5], c’est à dire une surdétection inutile d’une lésion cancéreuse non évolutive ne menaçant pas la vie de la femmes si elle était restée méconnue. Son corollaire est le surtraitement, c’est à dire l’administration de traitements tout aussi inutiles et non bénéfiques pour le sujet.

Car si on luttait contre les surdiagnostics induisant ces surtraitements et transformant des bien-portantes inutilement en malades, on n’en serait pas là, à avoir de plus en plus de femmes à soigner dont bon nombre n’auraient jamais dû être dans un parcours de « malades ».
On crée donc de la maladie par la médecine elle-même, des effets secondaires de traitements administrés en excès, et on alimente un business annexe qu’on demande maintenant à être supporté par l’assurance maladie, aux dépens d’autres personnes tout aussi nécessiteuses de soins.
Ce surdiagnostic est très coûteux et entraîne une sous-médicalisation pour des gens vraiment malades, et dont on freine l’accès aux soins. Par exemple, les vacations des radiologues sont remplies de rendez-vous pour des dépistages mammographiques, rendant parfois impossible la prise en charge d’une femme consultant en urgence pour un nodule suspect, récemment palpé, et qui devra attendre un créneau ultérieur.

3° une décision inutile

Les patientes diagnostiquées avec un cancer du sein sont en ALD, et les soins sont déjà pris en charge.
Le seul reste à charge concerne en effet la reconstruction mammaire, avec des coûts parfois exorbitants demandés par le chirurgien, qu’il empoche directement… 
Strictement sur la problématique des dépassements d’honoraires il est bon de légiférer, en revanche on peut appliquer cette mesure sur d’autres chirurgies réparatrices en dehors du sein. La reconstruction mammaire est considérée comme une préoccupation essentiellement esthétique, et les dépassements demandés sont parfois colossaux, à tel point que certaines femmes se résignent et y renoncent.
Il faudra être vigilant sur d’autres effets « dérives des tarifs » qui peuvent découler de la mesure adoptée. Un meilleur remboursement d’accessoires comme la perruque peut entraîner l’augmentation des tarifs de base, qui contrôlera cela ? A suivre…

4° une décision injuste

A ce sujet il est intéressant de lire la réaction de Stéphanie Le Bars publiée sur le réseau Linked’In, elle est patiente partenaire et présidente de l’association de patients @Corasso pour soutenir et informer les personnes touchées par un cancer rare, ou un cancer de la tête et du cou.

Elle écrit :
 » Si c’est une avancée positive pour les 61 000 femmes concernées tous les ans, qu’en est-il pour les 372 000 autres personnes, hommes et femmes, touchées par d’autres cancers dans le même temps ?
Certes les prothèses mammaires et sous-vêtements adaptés ne seront pas utiles pour les patients et patientes qui souffrent d’autres cancers que celui du sein. Pour autant, qu’est-ce qui justifie une telle inégalité d’accès aux autres soins dont ils ont eux-aussi besoin ?
La nouvelle loi prévoit le remboursement de crèmes contre les sécheresses, de vernis pour prévenir la chute des ongles, de soins psychologiques, de séances de nutrition ou de séances d’activités physiques adaptées. Quelle que soit la localisation d’un cancer, les patients sont concernés par ces problématiques, alors pourquoi réserver la prise en charge exclusivement aux femmes touchées par un cancer du sein ?
Cette loi est d’autant plus injuste que pour certains cancers, les traitements non pris en charge doivent être assumés ad vitam par les patients. Dans mon cas, qui est loin d’être unique et loin d’être le pire, les soins liés aux séquelles de mon cancers ORL coûtent à mon foyer plus de 2 800 euros par an.
Sans parler des patients que les bénévoles de Corasso accompagnent au quotidien dans la recherche de fonds pour financer, tantôt des implants dentaires partiellement remboursés, tantôt des filtres pour respirer pris en charge en trop petite quantité. On parle là de dispositifs impactant lourdement la qualité de vie dans ses fonctionnalités les plus essentielles : la respiration et l’alimentation. Et des exemples comme cela il y en a des dizaines en cancérologie ORL et plus encore pour l’ensemble des cancers. »

En conclusion

Cette loi est une décision mue par l’émotion, et irréfléchie.
Elle est reliée à des messages incitatifs aux femmes pour se faire davantage dépister par mammographie, sans plus d’information sur les inconvénients de ce dispositif que la concertation a pourtant demandée.
Plus on amplifie le dépistage, plus on alimente les surdiagnostics, plus on aura de femmes à prendre en charge, avec des coûts qui finiront par exploser exponentiellement avec l’extension de l’âge du dépistage aux quadragénaires, pour lesquelles les surdiagnostics constituent un problème encore plus inquiétant.
Enfin, cette loi est injuste et clivante et finit par opposer les malades les uns contre les autres.

Ces proclamations, absurdes, s’intègrent dans une course à l’image d’un gouvernement qui veut absolument donner l’impression de « faire quelque chose ».


[1] https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/cancer-du-sein-lassemblee-enterine-une-loi-pour-ameliorer-la-prise-en-charge-financiere-des-soins

[2] https://cancer-rose.fr/2020/12/14/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[3] https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

[4] https://cancer-rose.fr/2023/09/08/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

[5] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/


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