Dans cet article, l'auteur illustre la difficulté pour le médecin traitant de bien apprécier la pertinence d'un test de routine qui peut lui être demandé par un patient, et de la difficulté d'orienter de façon utile le patient demandeur. Nous allons restituer ici les idées principales et les démonstrations de l'auteur.
L'exemple donné est celui d'un patient souffrant d'algies du dos.
Le cas clinique
Imaginez que vous contactiez votre médecin traitant parce que vous avez mal au dos. Vous souhaitez faire examiner votre dos et vous demandez une IRM. Le médecin sait que si la douleur a duré moins de quatre à six semaines et que vous ne ressentez pas certains symptômes d'alerte, il ne vous sera d'aucune utilité de vous envoyer passer une IRM. Mais vous, vous estimez qu'il vaut mieux savoir que ne pas savoir et vous insistez pour passer l'IRM. Le médecin généraliste veut venir en aide et accepte de vous orienter vers l'IRM. Vous vous présentez à votre rendez-vous quelques semaines plus tard et après quelques jours, vous avez la réponse: Les résultats de l'IRM montrent plusieurs hernies discales. On ne sait pas si elles sont en relation avec votre douleur actuelle, ou bien s'il s'agit d'anciennes hernies discales.
Pourtant, vous pensez toujours que cette découverte pourrait être une cause possible de la douleur, et vous vous renseignez sur les hernies discales. La chirurgie pourrait-elle aider? Vous demandez à votre médecin généraliste de vous orienter vers un chirurgien orthopédiste pour évaluation. Le médecin vous répond qu'il n'y a aucune bonne raison de le faire, mais vous êtes incertain sur la meilleure option à adopter- votre dos vous fait vraiment mal et vous êtes encore plus indécis à présent qu'avant l'IRM. Faut-il se faire opérer ? Une opération réussirait-elle – et quels en sont les risques ?
Ce n'est là qu'un exemple de la façon dont nous pouvons devenir plus incertains en essayant de réduire l'incertitude. Dans le cas ci-dessus, l'IRM a généré un résultat (aléatoire) de signification ambiguë.
En d'autres termes, dit le Pr Hofmann, vous découvrez autre chose que ce que vous recherchez réellement, qui peut ou non être important pour votre santé. L'action que vous avez choisie augmente votre incertitude au lieu de la réduire. Dans ce cas, il aurait probablement été préférable d'écouter le médecin traitant et de tester d'autres mesures pour réduire votre douleur, avant de passer une IRM.
Je vous propose un deuxième cas clinique de mon expérience de radiologue.
Une jeune femme de 37 ans présente des douleurs thoraciques qui irradient vers son sein, après un faux mouvement. Le bilan radiologique (radiographies du dos, du gril costal..) est négatif. La patiente insiste pour passer une mammographie, le médecin traitant finit par céder pour pouvoir rassurer cette femme et demande un bilan sénologique. A l'hôpital où elle consulte la mammographie lui est pratiquée en dépit de son jeune âge. Cet examen n'est pas contributif en raison de la densité mammaire. Une échographie est réalisée mettant en évidence, du côté de la douleur, un petit kyste mammaire de 6 mm, non inquiétant mais pas complètement liquidien car vraisemblablement ancien. Il est absolument certain que cette découverte n'a aucun lien avec les doléances de la patiente. L'échographiste demande, dans le doute sur cette image, une biopsie mammaire. Celle-ci ne sera pas effectuée par le radiologue correspondant, car le kyste est très petit, et le geste est jugé trop invasif compte tenu de l'absence de signes échographiques alarmants. Une ponction à l'aiguille est réalisée (geste plus simple avec une aiguille plus fine) pour prélever un peu de liquide du kyste et l'envoyer en analyse, afin essentiellement de démontrer qu'il n'existe aucune malignité. Le prélèvement s'avère acellulaire (donc sans matériel à analyser pour l'anatomo-pathologiste) et malheureusement non contributif.
La patiente est de plus en plus anxieuse et nous la voyons (4ème cabinet de radiologie consulté) pour avis et pour une demande insistante d'une IRM mammaire complémentaire, examen très déroutant à ce jeune âge en raison de nombreuses fausses images, faisant croire à une anomalie, mais correspondant simplement à des vaisseaux ou des zones du sein très vascularisées et qui se "rehaussent" sur l'image lorsqu'on injecte le produit de contraste. Cela peut évoquer une image suspecte alors qu'il n'y a que du tissu normal. Il est très difficile à ce moment-là de discuter avec la patiente et de la convaincre d'une simple abstention d'examen, et d'un simple recontrôle échographique dans quelques mois.... Voilà où nous en sommes dans cette escalade d'examens, là où un traitement relaxant aurait suffi...
Comme l'explique le Pr Hofmann, les médecins généralistes ont une tâche importante en anticipant si un test de dépistage sera utile à leur patient, ou les conduira simplement à plus d'incertitude. Ils doivent évaluer la probabilité que le patient ait réellement une maladie, et ils doivent apprécier la probabilité que le test fournisse une réponse à ce que le patient lui demande.
Ce qui augmente l'incertitude lors des pratiques routinières
L'incertitude, explique l'auteur, peut augmenter alors qu'on essaie de la réduire en pratiquant divers dépistages médicaux ou tests diagnostiques.
A- Les découvertes accidentelles,
Ce qu'on appelle les "incidentalomes" augmentent l'incertitude en trouvant autre chose que ce que nous recherchons, et dont la signification n'est pas claire. Par exemple, on réalise des scanners abdominaux pour des douleurs abdominales vagues et mal étiquetées et on trouve un nodule de la surrénale, ceci est une situation fréquemment rencontrée. On ne sait souvent que faire de ces découvertes : intervention ? Surveillance ? Bilans ? Le principal problème est de reconnaitre les tumeurs qui auront un impact délétère sur le patient et qui justifient donc d’être enlevées chirurgicalement.
B- Des tests inexacts peuvent nous donner de mauvaises réponses,
et moins nous avons de raisons de passer le test - c'est-à-dire moins le test est ciblé - plus les erreurs sont importantes. Aucun test n'est parfait ou 100% fiable. Un test, dit Pr Hofmann, - qu'il s'agisse d'une imagerie ou d'un test sanguin - qui donne un résultat incorrect est un autre exemple d'augmentation de votre incertitude lorsque vous essayez de la réduire. Les tests ne sont pas parfaits. Ils peuvent se tromper. Le résultat du test peut indiquer que vous avez une maladie même si ce n'est pas le cas, générant ce qu'on appelle un résultat de test faussement positif.
Le test pourrait également indiquer que vous n'avez pas la maladie même si vous en avez une, donnant un résultat de test faussement négatif. Dans ce dernier cas, vous obtenez un faux sentiment de sécurité, perdre un temps précieux et potentiellement connaître un pronostic plus mauvais.
Dans le cas d'un résultat faussement positif, vous pourriez être reconvoqué pour d'autres nouveaux tests et/ou traitements, souvent inutiles qui peuvent être à la fois ennuyeux et nocifs. Moins le test est précis, plus il est susceptible de générer de faux résultats de test. Des tests inexacts donnent des réponses peu claires. Cette incertitude augmente d'autant qu'il y a peu de raisons de passer un test, par exemple si le test est effectué "juste pour être plus sûr".
Il faut également se poser la question de l'utilité du test de routine, selon Pr Hofmann. Pour les personnes qui présentent des « symptômes avant-coureurs », la probabilité est plus grande qu'elles aient effectivement une maladie identifiable, ce qui est très rare pour les personnes qui ne présentent pas de tels symptômes. C'est le problème posé par la recherche de lésions dans des groupes de personnes parfaitement saines et qui ne se plaignent de rien.
Selon Pr Hofmann, chercher une aiguille dans une pile d'aiguilles donne plus de chances de trouver une aiguille que de chercher une aiguille dans une botte de foin, là où ce qui ressemble à une aiguille peut n'être qu'une paille.... Les professionnels diraient qu'une prévalence élevée donne une valeur prédictive positive. C'est à dire que la qualité d'un test dépend non seulement de sa précision, mais aussi de probabilité de la survenue (ou prévalence) d'une certaine condition ou maladie dans le groupe examiné.
Encore en d'autres termes, chercher une maladie particulière dans la partie de la population qui y est exposée est plus utile et productif que la chercher systématiquement chez tout le monde. Par exemple rechercher un cancer du poumon dans une population tabagique est plus pertinent que de faire une détection massive dans toute la population d'adultes à partir de 16 ans ; ou encore dépister un cancer du sein par examen clinique régulier, IRM et/ou échographie parmi des personnes porteuses d'une mutation particulière favorisant ce cancer serait plus utile que de faire un dépistage dans toute la population féminine dès 30 ans comme certains le réclament lors des campagnes roses, population qu'on exposera ainsi à un surdiagnostic massif.
Pr Hofman propose une illustration :
Les symptômes, dit-il, déterminent à quel groupe vous appartenez, comme illustré dans l'exemple suivant :
Illustration : Bjørn Hofmann : Trouvez la mite dans les images, elle est plus facile à trouver lorsqu'il y en a plusieurs.
Un test donné, démontre-t-il ainsi, n'est pas utile de façon égale pour tous les usagers. Si vous avez des symptômes d'alerte, le test peut réduire l'incertitude. Pour qu'un test réduise l'incertitude de la maladie, il doit y avoir des raisons de croire que vous êtes malade. L'importance capitale du médecin généraliste réside dans l'évaluation de la probabilité que vous ayez une maladie, souvent appelée probabilité pré-test.
Un test réduit l'incertitude avec une probabilité pré-test élevée, mais avec une faible probabilité pré-test, l'incertitude augmente.
C- Le surdiagnostic
C'est une incertitude quant à ce qui pourrait arriver dans le futur, une incertitude portant sur le pronostic : nous ne savons pas si ce que nous découvrons est utile au patient, si cela se transformera en une réelle maladie symptomatique. Lorsque nous trouvons des lésions-précurseurs de la maladie, nous ne savons pas si le patient chez lequel on détecte cette lésion sera sauvé ou au contraire surdiagnostiqué et surtraité.
Cette situation expose à une peur inutile, à des traitements lourds. Des personnes tombent "malades" alors que, sans le test, elle n'auraient jamais connu de maladie. Nous avons tendance à penser qu'il est sage de détecter tôt afin d'intervenir rapidement et de prévenir les maladies graves. C'est vrai dans de nombreux cas, mais - et cela pas si rarement, dit l'auteur - nous découvrons des 'précurseurs' de maladie qui ne se développeront pas davantage si on les avait ignorés. Nous finissons alors par traiter des conditions détectées, mais complètement inutilement. Le surdiagnostic conduit au surtraitement. A ce propos nous vous invitons à lire : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
La "cascade du dépistage" présentée lors d'un webinaire récent sur le sujet illustre parfaitement la problématique de la découverte inutile d'incidentalomes, des faux positifs, des détections inutiles au patient, et du surdiagnostic (encart grisé en bas à droite du schéma).
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Il est donc sage d'écouter votre médecin, insiste le Pr Hoffmann, et de réfléchir à deux fois avant de vous faire tester.
Comment réduire l'incertitude ?
Pr Hofmann écrit : On peut donc faire plusieurs choses pour éviter d'augmenter l'incertitude alors qu'on veut la réduire. L'action la plus importante est de discuter avec votre médecin pour savoir si vous avez vraiment besoin d'un certain test, quelles sont ses conséquences et qu'est-ce qui pourrait arriver si vous ne l'effectuez pas. Quelles options avez-vous ?
Vous devez garder trois choses à l'esprit :
Ne faites pas de tests "juste pour être du côté plus sûr".
Faites des tests lorsque vous avez de bonnes raisons de les faire pour votre santé, par exemple lorsque vous avez des raisons de croire que vous pourriez avoir une maladie - lorsque vous avez des symptômes clairs, c'est-à-dire lorsque la probabilité avant-test est élevée.
Soyez prudent lorsque vous vous faites tester pour des maladies qui se développent lentement et dont de nombreuses personnes meurent avec, mais pas à cause d'elles.
Tester "juste pour être du côté sûr" peut augmenter votre incertitude - et causer des dommages. Discutez avec votre médecin de ce qui VOUS convient.
Conclusion
Cette conclusion n'est que l'avis de la rédactrice de ce post.
L’accès pour le public aux informations médicales par l’intermédiaire des médias, d'articles dits "vulgarisants", de médecins médiatiques, de réseaux informatiques contribue à concurrencer l'autorité médicale fondée sur le savoir. Le patient a facilement accès à des informations techniques concernant les maladies et les tests disponibles, informations "amalgamées" avec prévention, et cet amalgame est souvent fait par les autorités sanitaires elles-mêmes.
Le colloque singulier que constitue la consultation médicale est fragilisé par les 'certitudes' des données documentaires, parfois partielles, partiales, avec une communication médiatique vers le public plus sensationnaliste qu'objective. Il n’est donc pas rare que les patients arrivent en consultation avec des exigences de prises en charge influencées par des modes médiatiques. Il est très dommageable pour les deux partis que le patient et le médecin deviennent en quelque sorte des concurrents, la réponse médicale n’est pas l’apport d’un renseignement qui sera imposé au malade, mais davantage une écoute bienveillante et un échange en vue d’un soin. Si le médecin n’a plus l’aura du 'sachant' parlant un jargon excluant le patient, avec un savoir 'descendant', en revanche il reste le garant d'une « information », une vraie, neutre et objective, dont on a fait un droit du patient. Il faut qu'il soit le véhicule de cette information-là, mais il faut aussi que le patient manifeste de son côté la volonté de l'écoute, parfois de données contrevenant à ses convictions. Cette écoute et cet échange permettent, dans la valorisation du « consentement éclairé », une préservation de la dignité du patient, un respect de ses choix et une possibilité d'éclairage de la part du médecin sur les tenants et les aboutissants d'une procédure, serait-ce même à l'encontre des injonctions d'autorités médicales et de leaders d'opinion. Éclairer le consentement n’est pas pour le médecin concevoir le patient comme un rival, et recevoir cet éclairage n'est pas non plus pour le patient concevoir le médecin comme un opposant ou un donneur de leçon, mais il s'agit au contraire d'une association active à des choix et des décisions dans un meilleur profit pour la santé du consultant.
Car le patient peut parfois être... un impatient. Cette impatience est contemporaine d’une société tournée vers l'action plutôt que l'attentisme. Elle est due à l'opposition de temporalités, celle de la technicité médicale qui semble rendre toute réponse immédiate, disponible et possible dans l'instant, et celle de la maladie qui peut être certes réelle et exprimée, mais qui peut être latente et jamais exprimée, et même inutile à être découverte. C'est très contre-intuitif. Nous devons accepter la probabilité de connaître telle ou telle situation de santé, mais jamais en termes de certitudes, aucune technologie, aucun test n'étant capable de nous prévoir avec une certitude absolue ce qu'il va advenir. Et parfois ce test peut même nous induire en erreur. Evaluer un risque est difficile, et la précipitation peut conduire à des décisions délétères ; en cela le médecin traitant est un allié pour n'être pas piégé par des slogans, des poncifs tout prêts et simplistes, des campagnes médiatiques outrancières et bêtifiantes, et par des injonctions de leaders d'opinion dont les liens d'intérêts ne sont pas toujours bien annoncés.
Les efforts de bon nombre de confrères spécialistes en médecine générale se heurtent aux revendications de la société d'immédiateté, d' "action", ceci favorisé par un sensationnalisme et une désinformation médicale, là où de l'attente, de la patience seraient salutaires pour une prise de décision sereine et en plein consentement éclairé.
Il est parfois urgent d'attendre.... et de respecter le temps d'une réflexion.
A lire :
Gare aux torts causés par les surdiagnostics engendrés par le dépistage, l’abaissement des seuils de diagnostic et par la découverte d’incidentalomes
Excellente publication canadienne, à propos d'un cas clinique, des conséquences pratiques sur la vie d'un patient ne se plaignant de rien.
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Un webinaire d'EuroPrev, "dépistage des cancers et risques de surdiagnostics"
Qu'est-ce qu'EuroPrev ?
EUROPREV est le Réseau Européen pour la Prévention et la Promotion de la Santé en Médecine de Famille et en Médecine Générale. EUROPREV est l'un des cinq réseaux de WONCA Europe.
WONCA Europeest la communauté académique et scientifique pour la médecine générale/ médecine de famille en Europe, qui représente 47 organisations membres et plus de 90.000 médecins de famille en Europe.
Wonca est l'acronyme de World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians, ou plus simplement World Organization of Family Doctors.
Pour EuropreV, concernant le dépistage, le moins est aussi le meilleur : less is more !
Webinaire-Extraits
Des webinaires sont régulièrement organisés, permettant une activité de formation médicale gratuite, avec des débats de sujets intéressants et liés à la médecine préventive, ceci d'un point de vue très pratique. Pendant les webinaires, les participants peuvent partager leurs commentaires ou questions via la plateforme de chat. Chaque module dure 90 minutes de formation médicale continue.
Nous avons assisté au webinaire : "dépistages des cancers et le risque de surdiagnostic".
Plusieurs dépistages sont passés en revue, mettant en lumière le phénomène de surdiagnostic. La confusion est souvent faite entre dépistage et "prévention", ce que le dépistage n'est pas. Les dépistages ne garantissent pas de moins mourir de cancer, mais peuvent projeter des personnes saines dans une maladie qu'elles n'auraient pas connue sans eux.
Dr. Carlos Martins (Portugal, Médecin de famille, Président Europrev) et Dr. John Brodersen (Médecin de famille, Professeur à l'Université de Copenhague, Danemark) proposent ce webinaire et, devant les velléités de la Commission Européenne d'étendre les dépistages existants et d'en créer de nouveaux, posent la question " seront-nous bientôt tous des patients?" Cette inquiétude exprimée ici a donné lieu à la déclaration d'Europrev, voir notre article sur les recommandations du Conseil de l'EU. (Voir au bas de cet article pour la déclaration d'EuroPrev en français.)
Avec la très aimable autorisation de l'auteur, Mr le Dr Brodersen, nous reproduisons quelques extraits qui nous semblent les plus pédagogiques et intéressants.
Si l'on examine les arguments pour et contre le dépistage, les résultats bénéfiques sont la réduction de la mortalité, de la morbidité et de l'incidence, qui sont susceptibles de se produire dans le cadre de certains programmes de dépistage, ainsi qu'un traitement moins radical.
Les résultats néfastes sont une morbidité plus longue, le surdiagnostic et le surtraitement, les deux faux résultats (faux positifs, faux négatifs), la maladie induite, une peur accrue d'être malade et une morbidité et une mortalité accrues.
Dépistage et détection précoce
Le dépistage est effectué sur une population de personnes apparemment en bonne santé, qui ne présentent aucun symptôme de la maladie pour laquelle elles sont dépistées. Alors que le diagnostic est défini comme quelque chose qui se passe chez les patients présentant des symptômes. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une dichotomie, ni d'une opposition entre le noir et le blanc, comme le montre ce schéma de l'OMS, mais plutôt d'un continuum de symptômes, ce qui rend évidemment les choses plus complexes, mais il suffit de définir les deux termes de diagnostic précoce et de dépistage pour comprendre en quoi ils sont différents.
Balance bénéfices/risques (slides 17 et 18)
L’influence du dépistage par mammographie sur la mortalité diminue avec l’efficacité croissante des thérapies contre le cancer. Plus une maladie est curable, plus la balance bénéfice-risques du dépistage est à prendre en compte, car les risques de son dépistage vont contre-balancer négativement le bénéfice à escompter.
Les méthodes d’évaluation de l’efficacité du dépistage du cancer reposent sur :
la surveillance des taux d’incidence ajustés selon l’âge des cancers avancés qui devraient diminuer après l’introduction du dépistage.
les taux de mortalité spécifiques au cancer devraient diminuer plus rapidement dans les zones où le dépistage est effectué que dans les zones où les niveaux de dépistage sont inférieurs, mais où la prise en charge des patients est similaire.
Or l’accumulation des données épidémiologiques montre que dans les populations où le dépistage par mammographie est largement répandu depuis longtemps, l’incidence des cancers avancés n’a connu que peu ou pas de diminution, et que les réductions de la mortalité par cancer du sein sont similaires dans les régions à introduction précoce et forte pénétration du dépistage comme dans les zones présentant une introduction tardive et une faible pénétration du dépistage. Les réductions des taux de mortalité par cancer devaient être proportionnelles aux réductions des taux des cancer avancés, ce qui n’est pas le cas, posant de façon plus aigüe le problème du surdiagnostic avec comme corollaire un surtraitement,
La "cascade du dépistage" illustre la chaîne d'évènements possibles qui conduisent au final à un maigre bénéfice, envers la présence de situations sans bénéfice pour les patients à l'issue de leur dépistage.
Australie
Paul Glasziou, médecin généraliste et professeur à l'université de Bond en Australie, a rédigé un article sur le nombre de personnes surdiagnostiquées de cancer en Australie.
Vous pouvez voir ici que quatre cancers font l'objet de nombreux surdiagnostics chez les femmes : le cancer de la thyroïde, le cancer du rein, le cancer du sein et le mélanome. Lorsque vous regardez les cancers combinés en bas, la zone rouge représente 18% de tous les cancers, soit près d'un cancer sur cinq.
Et chez les hommes, les mêmes cancers et le cancer de la prostate au lieu du cancer du sein. Ici le cancer de la prostate est plus surdiagnostiqué que le cancer du sein, le taux de cancer combiné est de 24% ; c'est un peu plus d'un cancer sur cinq. "Quand je parle aux journalistes" explique Dr Brodersen, "je dis qu'une personne sur cinq avec un diagnostic de cancer est surdiagnostiquée et, désolé de le dire, ce sont des milliers de personnes dans vos pays et globalement, ce sont des millions de personnes que nous avons fait souffrir dans les soins de santé." 'Et nous pouvons dire que c'était l'une des raisons pour lesquelles nous étions si inquiets avec cette nouvelle proposition de l'Union européenne, parce qu'il ya l'intention d'étendre la cible, d'étendre (le dépistage) à de nouveaux cancers, il y aurait des millions et des millions de citoyens européens qui seraient encore plus surdiagnostiqués." "Et vous pouvez voir ici pour le dépistage par PSA (dépistage du cancer prostatique), il n'y a pas de dépistage national de PSA en Australie et déjà vous avez plus de 40% de surdiagnostic pour le cancer de la prostate, donc si vous commencez à mettre en œuvre un dépistage de PSA ce taux va augmenter comme cela se passe pour le mélanome, donc c'est l'une de nos grandes préoccupations. En ce qui concerne le dépistage du cancer du sein, si l'on commence à dépister les femmes âgées de plus de 70 ans, le risque de surdiagnostic augmente car la durée de vie est plus courte." (C'est à dire que les femmes à cette tranche d'âge ont bien plus de probabilité de décéder de tout à fait autre chose, notamment des maladies cardio-vasculaires, rendant le diagnostic d'une lésion cancéreuse du sein dont elles ne mourront pas plus problématique, et alimentant les surdiagnostics, NDLR)
Comtés américains (slide 22)
Le dépistage et le diagnostic précoce pourraient accroître les inégalités sociales dans les sociétés. Gilbert Welsh a rédigé un article intelligent dans lequel il a examiné les comtés à hauts revenus et les comtés à faibles revenus aux États-Unis pour quatre cancers : le cancer du sein, le cancer de la prostate, le cancer de la thyroïde et le mélanome.
En bas, vous avez la mortalité de ces quatre cancers. La mortalité est la même dans les deux régions. Cependant, il y a beaucoup plus de cancers dans les comtés à hauts revenus que dans les comtés à faibles revenus. C'est le signe d'un excès de médecine, d'un excès de dépistage, d'un excès de diagnostic précoce.
Conclusion
Dr Brodersen conclut ce webinaire :
"Nous devons réévaluer les trois programmes de dépistage existants qui sont recommandés par l'Union européenne.
Le cancer du sein doit être réévalué parce que le traitement s'est amélioré (rendant le dépistage de ce cancer moins utiles, NDLR), le cancer du col de l'utérus doit être réévalué parce que nous avons des cohortes vaccinées contre le VPH, le cancer colorectal doit être réévalué parce que nous pouvons voir que les tests fécaux ne fonctionnent peut-être pas dans les programmes de dépistage pragmatiques, mais nous pouvons voir que la sigmoïdocolonoscopie pourrait être la voie à emprunter si nous voulons un dépistage du cancer colorectal.
Nous manquons de preuves pour mettre en œuvre le dépistage du cancer prostatique par PSA et IRM car nous n'avons pas d'essais randomisés qui ont combiné les deux. Si nous considérons uniquement le dépistage par PSA, la conclusion est qu'il ne faut pas le faire car il n'y a aucun bénéfice.
Pour le dépistage gastrique il n’y a pas de données probantes.
Si nous examinons le dépistage du cancer de poumon par scanner à faible dose, de nombreuses preuves font défaut, principalement en ce qui concerne les effets négatifs, et beaucoup d'autres questions restent sans réponse."
En matière de dépistage de cancer, souvent "moins, c'est PLUS!"
À la Commission européenne - Santé et sécurité alimentaire A la Direction Générale Santé et Sécurité Alimentaire Aux autorités sanitaires de l'Union européenne Aux professionnels européens de la médecine familiale et de la santé publique
Le 20 septembre dernier, la Commission européenne a annoncé : "Une nouvelle approche de l'UE en matière de détection du cancer - dépister plus et dépister mieux".(1)
Les nouvelles recommandations comprennent, entre autres, les points suivants
- L'extension du groupe cible pour le dépistage du cancer du sein aux femmes âgées de 45 à 74 ans (contre la tranche d'âge actuelle de 50 à 69 ans) ; - Le dépistage du cancer du poumon pour les gros fumeurs actuels et les anciens fumeurs âgés de 50 à 75 ans. - Dépistage du cancer de la prostate chez les hommes jusqu'à 70 ans sur la base d'un test d'antigène spécifique de la prostate, et d'une imagerie par résonance magnétique (IRM) pour le suivi.
Compte tenu des meilleures preuves scientifiques disponibles, nous attirons votre attention sur les faits suivants :
Dépistage du cancer du sein
- Pour 2000 femmes dépistées par mammographie annuelle pendant dix ans, un décès par cancer du sein sera évité. Mais, en même temps, 200 femmes souffriront des conséquences de longue durée d'un résultat faux positif, et dix femmes seront surdiagnostiquées et surtraitées, avec tous les préjudices que cela comporte, allant de l'étiquette de malade du cancer aux effets secondaires et tardifs du traitement contre le cancer. Par conséquent, l'équilibre entre les bénéfices et les risques est incertain, et chaque femme devrait recevoir cette information.(2) - L'extension du groupe ciblé augmentera proportionnellement les risques et diminuera les bénéfices associés à ce dépistage. Augmentation des risques : les femmes plus jeunes ont un tissu mammaire plus dense, ce qui augmente le taux de faux positifs, et les femmes âgées ont un risque concomitant plus élevé de mourir d'une autre cause que le cancer du sein, ce qui augmente le risque de surdiagnostic. Diminution des bénéfices : l'incidence du cancer du sein est beaucoup plus faible chez les femmes âgées de 45 à 49 ans et, par conséquent, la réduction de la mortalité est beaucoup plus faible en chiffres absolus ; chez les femmes âgées, le bénéfice attendu d'une diminution de la mortalité est beaucoup moins probable en raison de leur espérance de vie plus courte.
Dépistage du cancer de la prostate
- Si on utilise les meilleures preuves disponibles provenant de deux instituts indépendants : la Collaboration Cochrane et l'USPSTF, alors il existe des preuves solides de l'absence de réduction de la mortalité due au dépistage du PSA. Si on sélectionne les preuves ("cherry picking"), alors dans le meilleur des cas, il a été démontré que pour 1000 hommes dépistés par le PSA, deux évitent la mort par cancer de la prostate. Mais, en même temps, 155 hommes connaîtront une fausse alerte. Généralement, cela est associé à une ablation inutile de tissus. Et 51 hommes seront surdiagnostiqués et traités inutilement, avec une détérioration significative de la qualité de vie (incontinence urinaire, dysfonctionnement érectile).(3) - Les dommages potentiels associés à ce dépistage sont très préoccupants, et c'est pourquoi, jusqu'à présent, aucun programme de dépistage du cancer de la prostate en population n'a été mis en œuvre en Europe.
Dépistage du cancer du poumon, de l'estomac et d'autres cancers
- Les données disponibles sur les bénéfices et les risques de ces dépistages sont encore rares. Ces programmes de dépistage suscitent également des inquiétudes quant aux faux positifs et au surdiagnostic. Aucun programme de dépistage de cancer dans une population ne devrait être mis en œuvre sans que des essais contrôlés randomisés correctement conçus sur des populations européennes n'évaluent l'équilibre entre les bénéfices et les risques liés à chaque dépistage.(4)
Le mythe du diagnostic précoce
Selon la Commission européenne, ces nouvelles recommandations visent à "augmenter le nombre de dépistages, en couvrant plus de groupes cibles et plus de cancers".
Bien que bien intentionné, cela se traduira, dans la pratique, par un plus grand nombre de personnes en bonne santé inutilement transformées en patients du fait du surdiagnostic.
En outre, et toujours malgré les bonnes intentions, cela se traduira, dans la pratique, par davantage de souffrances, de cancers et de coûts pour des systèmes de santé déjà surchargés et aux ressources limitées.
Enfin, et encore une fois, même si les intentions sont bonnes, dans la perspective de la crise climatique, les émissions de carbone des interventions de soins à faible valeur ajoutée, comme les programmes de dépistage proposés, ne sont pas durables. De plus, ces programmes vont accroître les inégalités sociales en matière de santé et promouvoir la loi inverse des soins.
La proposition de la Commission européenne repose sur un mythe médical. Selon la déclaration de la Commission européenne, "Plus le cancer est détecté tôt, plus cela peut faire une réelle différence en augmentant les options de traitement et en sauvant des vies". En matière de dépistage, il s'agit d'un mythe. Nous disposons aujourd'hui de données issues de programmes de dépistage en population qui montrent que le facteur essentiel de réduction de la mortalité par cancer n'est pas lié à un diagnostic précoce, mais à un bon accès aux soins de santé et aux nouveaux traitements du cancer.(5-7)
Dans le cas du cancer, très souvent, un diagnostic précoce ne signifie qu'un fardeau plus lourd pour la maladie, avec plus de souffrance.
NOTRE RECOMMANDATION
La proposition actuelle de la Commission européenne doit être révisée.
Si nous voulons vraiment améliorer la façon dont le cancer est traité en Europe, nous devons nous concentrer sur les points suivants :
- La prévention primaire : au niveau de la population, améliorer l'alimentation, augmenter l'activité physique, diminuer le tabagisme et la consommation d'alcool. L'efficacité des interventions sociétales structurelles a été démontrée par des preuves solides et de haute qualité, tandis que les interventions de prévention primaire au niveau individuel se sont avérées sans effet, ou seulement à court terme.
- Un bon accès aux soins de santé primaires. Chaque citoyen européen devrait avoir le droit d'avoir son médecin de famille, ce qui signifie avoir le droit d'être soigné par des médecins spécialisés en médecine de famille dans une relation de confiance et de continuité et où le médecin généraliste est formé à la médecine fondée sur les preuves.
- Prévention tertiaire : en cas de diagnostic de cancer, un accès rapide et de qualité aux centres oncologiques spécialisés (ou à d'autres spécialistes compétents) est essentiel pour améliorer les résultats. Cela inclut également un bon accès aux nouvelles thérapies anticancéreuses fondées sur des données probantes.
-Prévention quaternaire : de nouveaux programmes de dépistage devraient être mis en œuvre uniquement lorsque les bénéfices sont plus importants que les risques.
References
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Position de Europrev sur les primes sur objectif pour le dépistage du cancer du sein
Le dépistage du cancer du sein de doit pas être un indicateur de performance pour évaluer le travail des médecins généralistes.
Les incitations financières ne doivent pas exister pour le dépistage du cancer du sein.
Seulement trois pays de l'Europe pratiquent des incitations financières (primes sur objectifs de santé publique pour les médecins, liées au taux de participation au dépistage des femmes suivies et accordées selon la performance) pour effectuer le dépistage de cancer du sein , dont la France, le Portugal , la Croatie
Voici, en France, la communication d'Ameli sur la nouvelle ROSP du 25/11/22 Future convention médicale : « Un rendez-vous important pour les médecins et pour les assurés »
25 novembre 2022 "Nous proposerons par ailleurs de rénover la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) en en limitant le nombre d’indicateurs et en les concentrant davantage sur les enjeux de santé publique, notamment autour du dépistage des cancers et de la vaccination. Nous discuterons aussi d’un élargissement de son champ".
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Barbara K.Dunn12 , Steven Woloshin34 , Heng Xie5 Barnett S.Kramer26
1US National Cancer Institute, Division of Cancer Prevention, Bethesda, Maryland, USA 2 Member, The Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine, Norwich, Vermont, USA 3 The Center for Medicine in the Media, Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice, Geisel School of Medicine at Dartmouth, Lebanon, New Hampshire, USA 4 Director, The Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine, Norwich, Vermont, USA 5 Beijing Biostar Pharmaceuticals Co., Ltd, Beijing, China 6 Rockville, Maryland, USA
Résumé
"Le dépistage" consiste à rechercher des maladies précliniques, asymptomatiques, y compris le cancer. Le dépistage généralisé de cancers a conduit à une forte augmentation des cancers et des pré-cancers à un stade précoce. Les messages publics diffusés de manière omniprésente mettent en avant les bénéfices potentiels du dépistage de ces lésions, en se fondant sur l'hypothèse sous-jacente selon laquelle le fait de traiter le cancer à un stade précoce, avant qu'il ne se propage à d'autres organes, devrait permettre de le traiter et de le guérir plus facilement, par des interventions plus tolérables. L'intuition est si forte que parfois, des campagnes publiques sont parfois lancées sans mener d'essais probants comparant directement le dépistage aux traitements habituels.
Un test efficace de dépistage d’un cancer ne devrait pas uniquement augmenter l'incidence de la maladie préclinique à un stade précoce, mais aussi diminuer l'incidence des cancers avancés et métastatiques, et conduire ainsi à une diminution de la mortalité par cancer. Autrement, les efforts de dépistage risquent de débusquer des réservoirs de lésions non progressives et à progression très lente qui n'étaient pas destinées à causer des symptômes, et des souffrances à la personne jusqu’à la fin de ses jours : un phénomène connu sous le nom de "surdiagnostic". Nous présentons ici un bilan qualitatif du surdiagnostic de cancer et évoquons des exemples spécifiques dus à un dépistage généralisé dans la population, comprenant le neuroblastome, le cancer de la prostate, le cancer de la thyroïde, le cancer du poumon, le mélanome et le cancer du sein.
Les préjudices liés aux diagnostics de cancers et aux traitements inutiles appellent à une information équilibrée des personnes qui envisagent de se faire dépister, même dans le cas d'un test considéré bénéfique, afin de leur permettre de prendre une décision éclairée.
Nous présentons également des stratégies proposées pour atténuer les conséquences négatives du surdiagnostic.
1. Le dépistage, un bénéfice potentiel avec un sérieux inconvénient : le surdiagnostic
1.1. Définitions
Le dépistage de cancer consiste à rechercher un cancer avant l'apparition de tout symptôme. La présomption sous-jacente est que la découverte d'un cancer si petit qu'il ne se manifeste par aucun signe ou symptôme évident, devrait permettre de le traiter et de le guérir plus facilement grâce à des interventions plus tolérables. Dans le domaine de la santé publique, le dépistage de certains types de tumeurs, notamment celles dont l'incidence est la plus élevée, a été largement mis en avant et encouragé.
Au moins en théorie, tout test de dépistage permettant une détection plus précoce améliorerait vraisemblablement l'équilibre entre les bénéfices et les risques de la prise en charge du cancer.1, 2 En pratique, cela est vrai pour certains tests de dépistage du cancer, mais pas pour d'autres. Compte tenu de l'importance accordée à des tests de dépistage de plus en plus sensibles, il est évident que ces tests sont capables de détecter des "cancers" à évolution très lente qui n'auraient jamais nui à la personne ou n'auraient jamais fait l'objet d'une attention clinique au cours de sa vie naturelle s'il n'y avait pas eu de test de dépistage. Il s'agit d'un phénomène peu étudié et sous-estimé connu sous le nom de "surdiagnostic", qui fait l'objet du présent article.
Récemment, la National Library of Medicine (NLM) des États-Unis a ajouté le terme "surdiagnostic" à sa liste de rubriques médicales (MeSH), le définissant comme "l'étiquetage d'une personne par une maladie ou une condition anormale qui n'aurait pas causé de préjudice à la personne si elle n'avait pas été découverte, la création de nouveaux diagnostics en médicalisant des expériences de vie ordinaires, ou l'élargissement des diagnostics existants en abaissant les seuils ou en élargissant les critères sans preuve d'amélioration des résultats. Les individus ne tirent aucun bénéfice clinique du surdiagnostic, alors qu'ils peuvent subir un préjudice physique, psychologique ou financier".3 Cet ajout renforce la capacité à effectuer des recherches systématiques dans la littérature sur le surdiagnostic.
Il est bien évident que le surdiagnostic du cancer pourrait modifier l'équilibre entre les avantages et les inconvénients d'un test de dépistage réalisé sur des personnes asymptomatiques en bonne santé.
Il entraînerait une surmédicalisation conduisant à un surtraitement et à un "glissement" du diagnostic, c'est-à-dire à un déplacement des seuils conduisant à étiqueter les individus comme malades, même en l'absence de symptômes4, 5, 6.
En plus des désagréments physiques causés par des traitements inutiles, le fardeau psychologique lié au fait de savoir qu'on a un cancer, d'être étiqueté comme "patient", ainsi que les répercussions socio-économiques et le fardeau financier, tant au niveau personnel que sociétal, qui en découlent pour le patient, contribuent aux préjudices du surdiagnostic3.
Ces conséquences du surdiagnostic s'ajoutent aux risques, aux désagréments et aux inconvénients des tests de dépistage eux-mêmes. Il est important de noter que le surdiagnostic diffère du diagnostic erroné dans la mesure où le premier est considéré comme un vrai positif, révélant des lésions qu'un pathologiste qualifierait de cancer ou de pré-cancer.2, 7
1.2. Critères applicables au surdiagnostic
1.2.1. Réservoir de maladie /cancer subclinique
L'absence de symptômes dans le contexte d'une maladie détectée par dépistage implique l'existence, dans le tissu examiné, de lésions subcliniques, c'est-à-dire occultes, qui répondent histologiquement à la définition de "cancer" ou de "malignité", ou de pré-cancer. Leur découverte déclenche généralement un traitement. Elles sont occultes parce qu'elles sont petites et confinées à un organe : il s’agit des caractéristiques mêmes qui rendent la résection chirurgicale si intéressante. Bien que de nombreux cancers détectés par le dépistage aient un potentiel létal, beaucoup d'autres progressent très lentement ou ne progressent pas du tout. L'histopathologie d'une biopsie fixée au formol n'est qu'un instantané dans le temps, sans révéler le comportement dynamique ou le potentiel de progression d'une lésion subclinique.1
Si leur découverte par le dépistage doit effectivement conférer un bénéfice clinique, leur élimination ou un autre traitement devrait faire basculer les cancers de stade avancé potentiellement mortels qui se produiraient dans le futur, vers le présent sous la forme de cancers de stade précoce plus faciles à traiter.8 Ce processus devrait se traduire à terme, au niveau de la population par une diminution de cancers de stade avancé et des décès par cancer dans une mesure équivalente à l'augmentation de l'incidence des cancers de stade précoce détectés par le dépistage. Néanmoins, une telle évolution peut être suffisante, mais elle n'est pas absolument nécessaire pour que le dépistage confère un bénéfice clinique. Une diminution des cancers d'intervalle, qui se développent à une rapidité telle qu'ils échappent au dépistage et apparaissent entre deux dépistages, devrait également se produire lorsque des tests plus sensibles et plus efficaces sont introduits9.
Une intuition répandue est que toute lésion étiquetée par un pathologiste comme "cancer" ou "pré-cancer" aurait progressé si elle n'avait pas été découverte. Cela explique en partie pourquoi le cancer a été surnommé "l'empereur de toutes les maladies".10 Cependant, les essais cliniques ont montré que la progression des lésions subcliniques est très variable ; elle est influencée par le site du cancer et la biologie sous-jacente.11, 12 Hélas, il n'a pas été démontré que l'incidence des cancers à un stade avancé diminuait en lien avec un certain nombre de tests de dépistage couramment utilisés, ce qui rend difficile l'attribution des tendances observées en terme de mortalité au dépistage, en particulier dans le contexte des améliorations indéniables des thérapies systémiques pour les stades avancés de la maladie. Toutefois, les progrès techniques des modalités de dépistage peuvent contribuer au surdiagnostic en augmentant la sensibilité et en favorisant ainsi la découverte de lésions qui n'ont pas le potentiel de causer des préjudices13.
1.2.2. Un dépistage qui puise dans le réservoir de lésions subcliniques
Une condition essentielle du surdiagnostic est l'existence d'un réservoir substantiel de ces maladies subcliniques ou occultes, parfois appelées dans la littérature ancienne comme "pseudo-maladies".4, 11 En l'absence de toute recherche intentionnelle, ces lésions occultes échapperaient à la détection. La taille et l'histoire naturelle du réservoir latent de lésions subcliniques influencent l'équilibre entre les bénéfices et les risques d'un certain test de dépistage. Les lésions à évolution plus lente sont présentes pendant une période plus longue et ont donc plus de chances d'être découvertes par le dépistage (Fig. 1A). Ce phénomène contribue "à enrichir" les cancers dépistés par des tumeurs plus indolentes, tandis que les lésions apparaissant entre deux dépistages, les lésions "d'intervalle" manquées par le dépistage, ont tendance à être plus agressives et à se développer plus rapidement. Ce phénomène est connu sous le nom de "biais de sélection des meilleurs cas" ou "biais de lenteur d'évolution". Une forme extrême de lenteur d'évolution est le surdiagnostic, qui se produit dans le cas de tumeurs à croissance très lente et non progressives (Fig. 1).8, 13, 14 Un autre facteur contribuant au surdiagnostic se produit si un test de dépistage introduit un long délai d’avance au diagnostic entre la détectabilité et la maladie clinique symptomatique. Dans ce cas, les patients peuvent mourir de causes non liées pendant ce délai en raison de causes concurrentes de décès, souvent liées à l'âge.
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Des preuves attestant de l'existence d'un important réservoir de maladies invasives et non invasives subcliniques dans la population générale proviennent d'études d'autopsie portant sur le cancer de la prostate, du sein et de la thyroïde.11 En outre, certains cancers évolutifs détectés par dépistage peuvent contribuer au surdiagnostic si le patient présente des comorbidités ou des conditions médicales qui entraîneraient son décès avant que tout bénéfice du dépistage ne se manifeste.15 Le cancer étant principalement une maladie associée au vieillissement, le risque de surdiagnostic du cancer peut donc augmenter au fur et à mesure que les patients accumulent des causes concomitantes de décès liés à l'âge.16 Pour toutes ces raisons, l'ampleur du surdiagnostic du cancer est susceptible de varier d'un pays à l'autre, en fonction de la prévalence du dépistage, de la pyramide des âges de la population et de la fréquence des autres pathologies. Au niveau de la population, le surdiagnostic entraîne une forte augmentation de l'incidence du cancer sans réduction concomitante de la mortalité, comme le montre la figure 2 .17.
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1.2.3. Autres situations de surdiagnostic
La découverte fortuite de tumeurs non ciblées lors d'un dépistage ou d'un bilan diagnostique pour d'autres pathologies peut être une source particulière de surdiagnostic. Ces tumeurs sont appelées incidentalomes. L'examen initial n'a aucun rapport avec la lésion découverte fortuitement.18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 Une grande partie de la littérature sur les incidentalomes se concentre sur les organes endocriniens (par exemple, les glandes surrénales, parathyroïdes, hypophysaires, thyroïdiennes) mais aussi sur les lésions rénales et pulmonaires. En général, la technologie révélatrice implique l'imagerie, bien que même un simple examen physique puisse être en cause, comme la palpation de nodules thyroïdiens lors d'un examen de routine. L'anxiété et les préjudices liés aux incidentalomes peuvent être similaires à ceux d'un surdiagnostic classique.20, 21 Un individu en bonne santé a été transformé en patient subissant désormais toutes les toxicités psychologiques, physiques et financières associées à la maladie, souvent avec des bénéfices incertains.
2. Surdiagnostic détecté lors du dépistage de cancers spécifiques
2.1. Neuroblastome
L'exemple emblématique de surdiagnostic est le neuroblastome. Apparaissant généralement sous la forme d'une masse dans le cou, la poitrine, l'abdomen ou le bassin d'un nourrisson ou d'un jeune enfant, le neuroblastome peut être mortel.28 La peur associée à ce pronostic inquiétant chez un nourrisson a entraîné le recours au dépistage pour détecter les tumeurs à un stade précoce. Le dépistage était étonnamment simple : il consistait à recueillir des urines dans lesquelles les métabolites des catécholamines produites par le cancer (acide vanillylmandélique et homovanillique) étaient détectables.
La combinaison de ces caractéristiques a conduit à l'inclusion systématique du dépistage des catécholamines chez les nourrissons au Japon, et à une augmentation conséquente de l'incidence des neuroblastomes sans diminution concomitante de la mortalité (Fig. 3A).29 Les cancers détectés par le dépistage, même ceux qui ne sont pas à un stade avancé, sont traités de manière agressive par chirurgie et chimiothérapie.28 L'absence de réduction de la mortalité avec le dépistage a également été documentée dans des essais pilotes au Canada et en Allemagne.30, 31, 32 Ces observations suggèrent fortement un surdiagnostic dû au dépistage généralisé.7,29 Le dépistage en population a donc été arrêté au Japon, avec une réduction rapide de l'incidence des neuroblastomes et sans augmentation de la mortalité (Fig. 3B).33, 34
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2.2. Le cancer de la thyroïde
La palpation systématique de la thyroïde dans le cadre de l'examen physique standard révèle fréquemment des nodules : jusqu'à 21% des nodules thyroïdiens sont découverts par palpation,35 ce chiffre augmentant en outre avec le dépistage du cancer de la thyroïde par échographie cervicale.36, 37 Cette pratique a conduit à une épidémie de cancers de la thyroïde,38, 39 largement confinée à l'histotype papillaire à croissance la plus lente, qui représente jusqu'à 87% de l'augmentation.38 Dans un cas classique de surdiagnostic, la mortalité spécifique au cancer de la thyroïde est restée pratiquement inchangée (Fig. 2).17, 38, 40 Mais il existe des risques évidents, notamment une intervention chirurgicale inutile qui peut entraîner une ablation par inadvertance de la parathyroïde (hypoparathyroïdie) et une lésion du nerf laryngé récurrent (enrouement permanent).41, 42 L'imagerie entourant la région thyroïdienne, bien qu'elle soit réalisée pour d’autres pathologies non thyroïdiennes, peut également entraîner un surdiagnostic du cancer de la thyroïde, un cas classique d'incidentalomes.22
2.3. Le cancer de la prostate
Après l'introduction généralisée du dépistage par PSA dans les années 1980, l'incidence du cancer de la prostate a augmenté de façon spectaculaire aux États-Unis.1, 43 Cette augmentation est due à la détection par le dépistage d'un énorme réservoir de pathologie latente que les hommes hébergent en vieillissant. Des études autopsiques chez des hommes décédés de causes non liées au cancer de la prostate et des spécimens de cystoprostatectomie ont documenté la prévalence associée à l'âge d'un cancer de la prostate subclinique chez la plupart des hommes âgés.44, 45, 46 Ces observations, associées à l'incidence croissante des tumeurs à faible risque, suggèrent fortement qu'une grande partie des cancers de la prostate détectés par le dépistage sont indolents et n'auraient probablement jamais affecté la santé ou la longévité de l'individu.4
Parmi les 76 693 hommes de l'essai de dépistage du cancer de la prostate, du poumon, du côlon et de l'ovaire (PLCO), le suivi après 7 et 13 ans a montré une augmentation relative de 22 % et 12 % de l'incidence du cancer de la prostate, respectivement avec dépistage par rapport aux soins habituels47, 48 . Pourtant, la mortalité par cancer de la prostate ne différait pas d’un groupe à l’autre. En revanche, l’étude européenne de dépistage du cancer de la prostate (ERSPC) randomisant 162387 hommes en 'dépistage tous les quatre ans' ou en 'soins habituels' a montré une réduction des décès par cancer de la prostate : RR = 0,80 (P = 0,04) et RR = 0,79 (P = 0,0001) à 9 et 11 ans, respectivement avec le dépistage par rapport au groupe contrôle.49, 50 En contrepartie de ces bénéfices, il y avait une incidence cumulative du cancer de la prostate environ 50 % plus élevée à 11 ans chez les hommes assignés au dépistage par rapport au contrôle.50 Cela suggère des préjudices associés au surdiagnostic qui devraient être mis en balance avec les bénéfices rapportés. Et cela démontre que le dépistage peut être associé à la fois au bénéfice de la réduction de la mortalité par cancer et au risque de surdiagnostic.
Sous l'influence des preuves de surdiagnostic du cancer de la prostate lié au dépistage, l'US Preventive Services Task Force (USPSTF) a recommandé en 2012 de ne pas procéder à un dépistage systématique du cancer de la prostate.51 Une recommandation modifiée en 2018 stipule que "les hommes âgés de 55 à 69 ans doivent prendre une décision individuelle sur l'opportunité de se faire dépister après une conversation avec leur clinicien sur les avantages et les inconvénients potentiels." Pour les hommes ≥ 70 ans, les avantages ne sont pas supérieurs aux inconvénients (incontinence, impuissance, douleur liée à la chirurgie/radiation), en partie en raison des effets néfastes du surdiagnostic 52.
2.4. Le cancer du poumon
Les essais de dépistage du cancer du poumon ciblent généralement les personnes présentant un risque élevé de cancer en raison d'antécédents de tabagisme. Dans le cadre du Mayo Lung Project, la mortalité par cancer du poumon chez 9211 hommes fumeurs de cigarettes était similaire avec des radiographies thoraciques standard (CXR) et une cytologie des expectorations par rapport aux soins habituels.53 Un excès persistant de cas (exclusivement des tumeurs à un stade précoce) a été observé avec le dépistage par rapport aux soins habituels sans réduction de la maladie à un stade avancé : 583 contre 500, ce qui suggère un surdiagnostic. La technologie CXR, le dépistage du cancer du poumon dans la PLCO (Essai de dépistage de prostate, poumon, colorectal, and ovarien (PLCO Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian Cancer Screening Trial), n'a pas non plus montré de réduction de la mortalité due au cancer du poumon par rapport aux soins habituels.54, 55 Le National Lung Screening Trial (NLST) du National Cancer Institute (NCI) des États-Unis a randomisé 53 454 gros fumeurs pour trois dépistages annuels avec une tomographie par ordinateur à faible dose/hélicoïdale (LDCT)26,7,22 par rapport à une radiographie thoracique postéro-antérieure à image unique.26,7,32
Une réduction relative de 20% de la mortalité par cancer du poumon avec la LDCT (scanner faible dose) par rapport à la radiographie a été constatée initialement.56 Une analyse après 6,4 ans de suivi a suggéré que plus de 18% de tous les cancers du poumon détectés par LDCT étaient potentiellement surdiagnostiqués.57 Cependant, après 11,3 ans de suivi médian, 1701 cancers du poumon ont été diagnostiqués avec la LDCT(scanner faible dose) et 1681 avec la radiographie thoracique : RR = 1,01 (95% CI : 0,95, 1,09). Ceci illustre l'importance d'un suivi suffisant. Les décès par cancer du poumon évalués lors d'un suivi médian de 12,3 ans étaient de 1 147 et 1 236 dans les groupes LDCT et radiographie thoracique respectivement (RR = 0,92, IC à 95 % : 0,85, 1,00).58 Les carcinomes broncho-alvéolaires (CCB) représentaient la plupart des cas de surdiagnostic associé à la détection par scanner faible dose,15 confirmant l'idée qu'il existe un sous-ensemble de lésions pulmonaires subcliniques contenant des cancers indolents, bien que d'apparence invasive, ainsi que des lésions in situ prémalignes.
Tous les programmes de dépistage du cancer du poumon ne sont pas réservés aux fumeurs de cigarettes, et le surdiagnostic pourrait être particulièrement fréquent chez les femmes asiatiques non fumeuses qui ne présentent pas de risque élevé de cancer. Une étude de cohorte écologique basée sur la population et portant sur le dépistage par scanner faible dose chez les femmes à l'aide du registre du cancer de Taïwan (prévalence du tabagisme inférieure à 5 %) a montré que, de 2004 à 2013, l'incidence des cancers de stade précoce a été multipliée par plus de six (de 2,3 à 14,4/100 000 ; différence absolue, 12,1/100 000). Cependant, l'incidence des cancers de stade avancé n'a pas diminué de manière concomitante (18,7 à 19,3/100 000 ; différence absolue, 0,6) avec l'augmentation des cancers de stade précoce au cours de cette période, et la mortalité est restée stable malgré une survie à 5 ans qui a doublé (18% à 40%), ce qui suggère que tous les cancers supplémentaires représentent un surdiagnostic du cancer du poumon.60 Les auteurs ont donc souligné la nécessité absolue de poursuivre les études sur le dépistage chez les femmes asiatiques. Un tel essai est en cours en Chine.
2.5. Le cancer du sein
Le dépistage par mammographie chez les femmes ≥ 40 ans a augmenté rapidement entre les années 1980 et le début des années 1990 (figure 4).11 Cela s'est accompagné d'une augmentation de l'incidence des cancers du sein à un stade précoce, avec une diminution beaucoup plus faible des cancers à un stade avancé et pratiquement aucun changement dans la maladie métastatique, ce qui suggère une tendance dominée par le surdiagnostic plutôt qu'un véritable changement de stade.61 Sur la base des données américaines Surveillance Epidemiology and End Results (SEER) 1976-2008, qui incluent la transition entre l'ère précédant et celle suivant l'institution du dépistage mammographique, chez les femmes ≥ 40 ans, un doublement des cas de cancer du sein à un stade précoce a été détecté chaque année (112 à 234 cas pour 100 000 femmes). La réduction concomitante du taux de cancer du sein à un stade avancé a été de 8 % seulement. Les auteurs ont ainsi estimé que le cancer du sein était surdiagnostiqué chez plus de 70 000 femmes, ce qui représente 31 % de tous les cancers du sein diagnostiqués61.
Une autre étude basée sur le SEER a montré qu'après l'introduction de la mammographie de dépistage, le pourcentage de petites tumeurs (< 2 cm invasives ou in situ) est passé de 36 % à 68 %. Il convient de noter que les taux de progression du carcinome canalaire in situ (DCIS) varient en fonction du grade histologique, les taux de progression les plus élevés étant associés aux DCIS de haut grade, bien que l'attribution du grade puisse être subjective. La mortalité liée au cancer du sein a diminué, mais cette baisse a été attribuée en grande partie à l'amélioration de la thérapie systémique.62 L'effet de l'introduction de la mammographie 3D, avec son remplacement partiel de la mammographie 2D, n'a pas encore été définitivement déterminé.
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Un rapport sur les préjudices associés au dépistage du cancer du sein dans 29 études a montré que le surdiagnostic variait largement, de 0 à 54 %, alors que dans les essais randomisés, la fourchette était de 11 à 22 %.61,63, 64, 65, 66 Cette grande variation dans la fourchette des estimations du surdiagnostic et la différence dans la taille de la fourchette entre les types d'études a été attribuée au type de données utilisées. Alors qu'aucune étude basée sur des données individuelles n'a donné une estimation supérieure à 17%, les études basées sur des données agrégées ont eu tendance à donner des estimations supérieures à 40%, une différence considérée comme trop systématique pour être une observation aléatoire. Il a été démontré que l'utilisation de données agrégées s'accompagne de biais qui peuvent conduire à un surdiagnostic65.
Les modèles statistiques dits "ajustés au délai d'avance au diagnostic" ont tendance à produire des estimations dans la limite inférieure de cette fourchette, tandis que les estimations dérivées des tendances de la population se situent dans la limite supérieure. Bien que la plupart des modèles statistiques publiés n'intègrent pas la possibilité d'un sous-ensemble de tumeurs non progressives, une publication récente l'a réalisé, estimant qu'un cas sur sept de cancer du sein détecté par dépistage est surdiagnostiqué67. Dans une population de femmes âgées de 50 à 74 ans (médiane 56 ; intervalle interquartile 52-64), parmi les 15,4% de cancers détectés par dépistage estimés être surdiagnostiqués, 6,1% étaient dus à la détection d'un cancer préclinique indolent, et 9,3% à la détection d'un cancer préclinique progressif chez des femmes qui seraient décédées d'une cause non liée, avant le diagnostic clinique du cancer du sein.
Les taux de surdiagnostic rapportés varient également en fonction du choix du dénominateur, chacun ayant des implications différentes. L'utilisation de l'ensemble de la population éligible au dépistage fournit des informations sur la lourdeur nationale du surdiagnostic. L'utilisation du nombre de femmes participant à un programme de dépistage comme dénominateur traduit la part supplémentaire de surdiagnostic associée à l'offre de dépistage dans un contexte organisé. La restriction du dénominateur aux femmes qui ont effectivement été dépistées fournit des informations sur la charge du surdiagnostic pour les femmes qui ont choisi de se faire dépister.
2.6. Mélanome
De fortes augmentations de l'incidence du mélanome cutané (mais pas des autres types de mélanome) ont eu lieu au cours des dernières décennies, triplant presque au cours des 30 années entre 1975 et 2005 selon les données du SEER.11, 68 Tout comme le cancer de la thyroïde, le dépistage du mélanome cutané ne dépend pas habituellement d'une intervention de haute technologie, reposant principalement sur un examen visuel à l'œil nu.69 Cependant, l'utilisation de la dermoscopie dans des mains expérimentées peut améliorer la spécificité du diagnostic, avec un effet inconnu sur le surdiagnostic. Les tendances au dépistage, reflétées par l'augmentation des taux de biopsie cutanée, ont été stimulées par des campagnes internationales de santé publique, en particulier dans les régions où l'exposition au soleil est importante, malgré l'absence de données probantes issues d'essais cliniques randomisés.70, 71
De plus, les critères pathologiques pour le diagnostic du mélanome ont été modifiés dans les années 1970 et 1980, et la migration des stades suite à l'introduction des biopsies du ganglion lymphatique sentinelle pourrait potentiellement être responsable d'une certaine dérive du stade.72 , 73 Les tendances démographiques montrent le schéma classique du surdiagnostic : prédominance des cancers de stade précoce et in situ parmi le nombre croissant de cas, avec peu ou pas de changement dans les maladies plus avancées ou dans la mortalité (Fig. 2).72, 74, 75, 76 Des études menées en Est Anglia (Angleterre de l'est), en Angleterre, et en Australie ont également documenté une augmentation de l'incidence du mélanome associée au surdiagnostic.77, 78, 79
3. Limiter le surdiagnostic : comment limiter ses effets néfastes ?
3.1. Moins de dépistage, et mettre un focus sur les populations à haut risque
L'identification d'une population présentant un risque élevé de cancers évolutifs peut atténuer la proportion de cancers détectés par dépistage qui sont surdiagnostiqués.1 La plupart des programmes de dépistage en population visent cet objectif, par exemple en utilisant des seuils d'âge pour le dépistage des cancers qui sont plus fréquents chez les personnes âgées (par exemple, le cancer du côlon, le cancer de la prostate, le cancer du sein, etc.) D'autres critères d'éligibilité au dépistage peuvent inclure les expositions environnementales, professionnelles et iatrogènes. Les candidats au dépistage du cancer du poumon, par exemple, peuvent être des personnes ayant des habitudes de tabagisme actuelles et passées. Mais dans l'ensemble, les outils actuels d'attribution du risque sont approximatifs. Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir pour affiner cette stratégie.
3.2. Réagir face à l'enthousiasme excessif du public pour le dépistage
Les avantages potentiels du dépistage du cancer sont intuitifs pour les patients comme pour les professionnels de la santé. Aux États-Unis, les messages de santé publique encourageant la détection précoce remontent au début du XXe siècle et ont abouti à la création de l'organisation précurseur de l'American Cancer Society80 . De fait, une enquête nationale menée entre 2001 et 2002 a révélé que 87 % des adultes américains pensaient que le dépistage systématique du cancer était presque toujours une bonne idée et que 74% pensaient que la détection précoce du cancer permettait de sauver des vies la plupart du temps ou tout le temps.81 Une stratégie importante a été de créer un sentiment de vulnérabilité au cancer, suivi d'une offre d'espoir.82, 83 Il en résulte un système sans réactions négatives.
Le fait d'être rassuré par un dépistage négatif ou d'être satisfait par la découverte d'un cancer "précoce", vraisemblablement "guérissable", lors d'un dépistage positif, encourage l'acceptation sans lecture critique du dépistage.5, 84 En fait, les directives fondées sur des données probantes, telles que celles présentées par l'USPSTF sont largement contestées par les patients et les médecins, dont certains les considèrent comme contre-intuitives et les rejettent même, lorsque la possibilité de surdiagnostic et les inconvénients qui en découlent sont explicitement mentionnés.8 En réalité, bien que les femmes interrogées se disent généralement conscientes des faux positifs de la mammographie de dépistage, elles sont beaucoup moins nombreuses à être conscientes du surdiagnostic et du fait que le dépistage peut détecter des cancers qui n'évolueront peut-être jamais (Tableau 1).85, 86 Les femmes sont plus conscientes des bénéfices de la mammographie que de ses risques.
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Une approche plus nuancée et équilibrée des messages publics ainsi que de l'éducation sur l'existence du surdiagnostic est nécessaire. Les possibilités d'amélioration sont nombreuses. Dans une analyse de la couverture médiatique du dépistage du cancer, les gros titres mentionnaient rarement les concepts de "faible risque", de "surdiagnostic" ou de "surtraitement", même lorsque le texte intégral les mentionnait.87 Une enquête menée auprès de journalistes australiens (principalement spécialisés dans les questions de santé) a montré que, même s'ils connaissaient le terme "surdiagnostic", ils trouvaient le concept difficile à comprendre et à communiquer, étant donné les croyances dominantes sur les bénéfices de la détection précoce.88 Dans l'ensemble, leur connaissances des risques du surdiagnostic étaient limitées. Les premières données qualitatives suggèrent que les interventions visant à améliorer la compréhension de la recherche médicale par les journalistes à l'aide d'une fiche de conseils (tip sheet) sont réalisables.89
3.3. Révision de la terminologie
Lors d'une réunion du NCI américain en 2012, un groupe d'experts a discuté des stratégies visant à atténuer les préjudices du surdiagnostic et du surtraitement90. Le fait qu'une large proportion de DCIS, par exemple, est peu susceptible d'évoluer vers un cancer invasif a conduit à la proposition de modifier la terminologie pour supprimer le mot "carcinome" (et le cancer de stade 0) afin que le nom corresponde mieux à la compréhension croissante de la biologie sous-jacente, en les désignant simplement comme des "néoplasies intraépithéliales".91, 92, 93 Comme indiqué ci-dessus, les taux de progression sont substantiels pour les DCIS de haut grade.
Les termes "cancer" et "carcinome" seraient réservés aux lésions susceptibles de progresser.94, 95, 96 Certains ont avancé le terme de "lésion indolente d'origine épithéliale (LIE)".90 Une telle approche de modification de la terminologie pour mieux s'adapter à la biologie sous-jacente a déjà été utilisée dans le cas de la néoplasie intraépithéliale cervicale (CIN), qui était autrefois appelée carcinome in situ, et dans le cas des tumeurs épithéliales à faible potentiel malin pour les lésions ovariennes. Une autre approche suggérée a été de relever le seuil à partir duquel un résultat radiologique est qualifié d'"anormal".4, 11, 97 En outre, une sommaire étude qualitative récente suggère que les femmes atteintes d'un DCIS ou d'un cancer du sein invasif appréciaient et pouvaient bénéficier d'une discussion sur le surdiagnostic du cancer du sein allant au-delà des informations données par leurs soignants.98
3.4. De meilleurs outils de pronostic
Un domaine de recherche important est le développement d'outils qui pourraient théoriquement identifier les surdiagnostics au niveau moléculaire pour les tumeurs individuelles.2, 99, 100 Il serait alors possible d'informer les patients avec plus de confiance si une tumeur récemment diagnostiquée a été surdiagnostiquée ou si elle est susceptible de progresser sans traitement. Un modèle pour cette approche est le score génomique de la prostate (GPS) d'Oncotype DX, un réseau d'expression de 17 gènes dont on a signalé la corrélation avec l'amélioration du suivi par biopsie, pendant la surveillance active du cancer de la prostate.101 Les décisions standard pour le cancer du sein de stade précoce et à récepteurs d'œstrogènes positifs utilisent déjà une catégorisation pronostique basée sur des signatures moléculaires testées dans le " score de récurrence " d'Oncotype DX et d'autres évaluations génomiques, ce qui permet d'éviter les thérapies agressives pour les cancers à faible risque.102 Des évaluations moléculaires comparables des lésions détectées par le dépistage et qui sont à faible risque auraient le potentiel d'éviter la tendance à suivre un surtraitement invasif et nuisible.103
4. Conclusions
Nous soulignons que le fait d'encourager une meilleure compréhension du surdiagnostic n'a pas pour but de décourager le dépistage des personnes concernées dans des contextes qui ont prouvé une réduction de la mortalité grâce à des preuves de haut niveau issues d'essais cliniques. L'objectif est de permettre aux individus de prendre des décisions en toute connaissance de cause sur le dépistage en utilisant des messages équilibrés qui incluent une discussion sur le surdiagnostic quand son existence a été démontrée pour un test de dépistage donné.103, 104 Seulement dans ce cas, les individus peuvent réellement faire correspondre l'information à leurs valeurs personnelles, en connaissant les compromis en jeu.
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Déclaration des conflits d'intérêts
Le Dr Kramer consacre 25 % de son temps à une subvention de la Fondation Arnold Ventures pour un projet consacré à la formation des journalistes à l'évaluation critique des publications de recherche médicale. L'affiliation du Dr Kramer à cette fondation et à la Fondation Lisa Schwartz n'a eu aucune influence sur le contenu ou les opinions exprimées dans cet article. Le Dr Woloshin reçoit également des fonds de la Fondation Arnold (même subvention que le Dr Kramer) et est le fondateur de la Fondation Lisa Schwartz - là encore, aucune des deux fondations n'a eu d'influence sur cet article. Le Dr Xie est affilié à Beijing Biostar Pharmaceuticals Co., Ltd. et n'a aucun intérêt personnel ou organisationnel à influencer les opinions de cet article.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr Worta McCaskill-Stevens pour sa révision et ses conseils sur le contenu et Mme Carrie Robinson pour son assistance technique.
Contributions des auteurs
B.D., S.W., H.X et B.K. ont rédigé le manuscrit original et l'ont révisé.
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A l'heure où la pratique de prescription est au rajeunissement du début des mammographies systématiques (les spécialistes gynécologues ont tendance à commencer à 40 ans, certaines femmes conseillées de débuter dès 35 ans), et où le Conseil de l'UE "suggère" (mais ne recommande pas) la possibilité de débuter le dépistage à 45 ans, les données de cet article devraient susciter prudence et réflexions par rapport aux pratiques étatsuniennes, où le dépistage débute dès 40 ans.
Le carcinome in situ (CIS) du sein est défini par la prolifération de cellules cancéreuses à l’intérieur d’un canal galactophore sans que les cellules ne dépassent la paroi du canal pour envahir le reste du sein.
Il est essentiellement de découverte mammographique, en effet 90 % des femmes ayant un diagnostic de CCIS (carcinome canalaire in situ) présentaient des microcalcifications à la mammographie. Dans leur grande majorité ces lésions ne mettent pas en danger la vie des femmes si elles ne sont pas détectées, leur pronostic est très bon, la survie à 10 ans, paramètre très utilisé par les autorités sanitaires, est supérieure à 95%. Il existe la forme canalaire et la forme lobulaire considérée plutôt simplement comme un facteur de risque de cancer du sein.
Les CIS alimentent largement les surdiagnostics, c'est à dire les détections de lésions qui sont inutiles aux femmes, mais seront traitées comme des cancers "vrais". Les essais et études montrent que la croissante détection des CIS n’a pas contribué à la réduction de la mortalité par cancer du sein. Avant l’ère des dépistages, le CIS représentait moins de 5% de tous les cancers du sein pour passer à 15 à 20% dans tous les pays où les campagnes de dépistage existent. Ils ne sont pas comptabilisés dans les chiffres d'incidence (taux des nouveaux cas) donnés par l'Institut National du Cancer, car considérés à part, et non en tant que cancers "vrais".
Actuellement, des essais de surveillance active plutôt que de traitement agressif d'emblée sont à l'essai, dont vous trouverez le détail dans l'article (lien ci-dessus).
Que doit-on retenir des caractéristiques épidémiologiques du CIS depuis l'introduction des dépistages ?
Il y a eu une augmentation spectaculaire de l’incidence du CIS à la suite de l’introduction de programmes organisés de dépistage du cancer du sein aux États-Unis dans les années 1980. Depuis que le programme étatsunien de surveillance, d’épidémiologie et de résultats finaux, (le SEER), a commencé à recueillir des données en 1975-1979 jusqu’en 2000, l’incidence du CIS a augmenté de 571 % (4,9 cas contre 32,9 cas pour 100 000 femmes)[1]. L’incidence du carcinome canalaire invasif n’a augmenté que de 31 % (56,7 cas contre 75,7 cas pour 100 000 femmes) au cours de la même période, même si elle représentait toujours les deux tiers des nouveaux diagnostics de cancer du sein (même réf.).
De 2000 à 2014, l’incidence du CIS a augmenté chez les femmes âgées de 20 à 44 ans (1,3 %) est de 45 à 55 ans (0,6 %), tandis qu'elle a décru chez les femmes âgées de 55 à 69 ans (0,3 %)[2]
Le carcinome canalaire in situ est un exemple de lésion mammaire susceptible d'entraîner des taux élevés de surdiagnostic et de surtraitement. Avant l'introduction de la mammographie de dépistage généralisée, 6 cas de CCIS pour 100 000 femmes américaines par an étaient identifiés, contre 37 cas de DCIS pour 100 000 femmes par an après son introduction. Lorsqu'il est classé comme cancer, le CCIS représente aujourd'hui environ 1 cas sur 4 de tous les cancers du sein diagnostiqués au cours d'une année donnée. Cependant, sa nomenclature a récemment fait l'objet d'un débat, car par définition, le DCIS est confiné au système canalaire-lobulaire mammaire et est incapable de métastases (c'est-à-dire qu'il est non invasif et n'a donc pas les caractéristiques classiques du cancer). Le carcinome canalaire in situ peut donc être classé de manière plus appropriée comme un facteur de risque de développement futur d'un cancer .... Le taux de mortalité par cancer du sein à 20 ans après traitement d'un CCIS n'est que de 3 % .
Surdiagnostic et surtraitement -
Au cours des dernières décennies, il est devenu de plus en plus clair qu’une fraction substantielle des lésions de type CIS détectées par mammographie progressent lentement ou sont indolentes, conduisant à un surdiagnostic de tumeurs qui n’auraient pas causé de symptômes pendant le restant de la vie de la patiente en l’absence de dépistage[3][4][5].
Un examen des études d’autopsie a révélé que de 5,9 % à 18 % des femmes décédées d’autres causes avaient un CIS non détecté[6]. En 2009, une conférence nationale sur l’état de la science des instituts de santé a lancé un appel à l’action à la communauté de l’oncologie du sein pour réduire le surdiagnostic et le surtraitement du CIS, bien qu’aujourd’hui l’incidence du CIS et les modes de traitement demeurent essentiellement inchangés[7] . Les estimations du surdiagnostic du CIS sont principalement fondées sur des études de modélisation, qui font état de fourchettes incroyablement larges allant de 20 % à 91 % selon les différences dans les hypothèses du modèle. [8][9][10][11]
Commentaire Cancer Rose, l'histologie n'est pas une science exacte.
Ce sont les anatomo-pathologistes qui, in fine, posent le diagnostic de carcinome. Leur travail est d'examiner des cellules au microscope de se prononcer quant à leur malignité ou leur bénignité. Le problème c’est que si bon nombre de lésions sont indéniablement cancéreuses et d’autres indéniablement normales, certaines sont difficiles à classer et se situent « entre les deux ». On parle de "lésions frontières".
Il s’agit de lésions pour lesquelles on ne retrouve pas tous les critères de la bénignité qui permettraient de rassurer pleinement et où tous les critères de la malignité ne sont pas non plus réunis pour assurer un diagnostic de carcinome in situ. L'hyperplasie atypique est une de ces entités, parfois, et de peur de porter préjudice à la patiente, le verdict de l'anatomo-pathologiste est "upgradé", selon la perception de l'anatomopathologiste sur les critères qu'il retiendra pour surclasser une lésion intermédiaire en situ ou pas.
L'examen histologique est valide pour confirmer une maladie cancéreuse, qui est évoquée sur l'imagerie et sur sur la dynamique des symptômes de la patiente, il est valide aussi pour infirmer une lésion et assurer sa bénignité. Mais il est mauvais quand il y a "suspicion", que cette suspicion résulte d'un examen de dépistage où le radiologue est dans le doute, l'anatomopathologie aura tendance à proposer abusivement une classification plus péjorative de peur de "louper" quelque chose, créant ainsi des faux positifs. [12]
Conclusion
Selon les auteurs de cette revue, la détection, le diagnostic et la prise en charge du carcinome canalaire in situ (CIS) demeurent un défi pour les radiologues du sein, les pathologistes et les chirurgiens, surtout actuellement dans un contexte enfin préoccupé par le surdiagnostic et le surtraitement. Notre compréhension très limitée du CIS sur le spectre biologique, du cancer bénin au cancer invasif, et de l’histoire naturelle du CIS non traité constitue un défi majeur. La génomique et l’imagerie fournissent des renseignements limités sur la progression du CIS vers le cancer invasif, expliquent les auteurs. Les radiologues sont généralement familiers avec les présentations d’imagerie les plus courantes du CIS, mais notre compréhension de la relation entre les caractéristiques d’imagerie et les marqueurs pathologiques, les nouvelles techniques d’imagerie et l’analyse avancée des images continue d’évoluer. Entre-temps, les essais de surveillance active fourniront bientôt une solide source de données sur le pronostic du CCIS pour les femmes diagnostiquées avec un CIS à faible risque, bien que ces attentes soient tempérées par un faible recrutement parmi les deux essais européens. Les radiologues peuvent jouer un rôle important en veillant à ce que l’inscription à la surveillance active soit plus sécuritaire pour les patients et en déterminant quand les patients peuvent être à risque de progression de la maladie. De petites améliorations dans le diagnostic et la prise en charge du CIS peuvent avoir un impact positif majeur sur les patients étant donné l’incidence élevée du CIS.
Les radiologues sont donc bien placés pour jouer un rôle proactif dans l’exploration multidisciplinaire du DCIS.
Nous rajouterons, les anatomo-pathologistes aussi.
[2] Ryser MD, Hendrix LH, Worni M, Liu Y, Hyslop T, Hwang ES. Incidence of Ductal Carcinoma In Situ in the United States, 2000-2014. Cancer Epi- demiol Biomarkers Prev 2019;28(8):1316–1323.
[3] van Seijen M, Lips EH, ompson AM, et al. Ductal carcinoma in situ: to treat or not to treat, that is the question. Br J Cancer 2019;121(4):285–292.
[4] Erbas B, Provenzano E, Armes J, Gertig D. e natural history of duc- tal carcinoma in situ of the breast: a review. Breast Cancer Res Treat 2006;97(2):135–144.
[5] Ryser MD, Weaver DL, Zhao F, et al. Cancer Outcomes in DCIS Patients Without Locoregional Treatment. J Natl Cancer Inst 2019;111(9):952–960.
[6] Erbas B, Provenzano E, Armes J, Gertig D. e natural history of duc- tal carcinoma in situ of the breast: a review. Breast Cancer Res Treat 2006;97(2):135–144.
[7] Allegra CJ, Aberle DR, Ganschow P, et al. NIH state-of-the-science con- ference statement: diagnosis and management of ductal carcinoma in situ (DCIS). NIH Consens State Sci Statements 2009;26(2):1–27.
[8] de Koning HJ, Draisma G, Fracheboud J, de Bruijn A. Overdiagnosis and overtreatment of breast cancer: microsimulation modelling estimates based on observed screen and clinical data. Breast Cancer Res 2006;8(1):202.
[9] van Luijt PA, Heijnsdijk EA, Fracheboud J, et al. e distribution of ductal carcinoma in situ (DCIS) grade in 4232 women and its impact on overdiag- nosis in breast cancer screening. Breast Cancer Res 2016;18(1):47.
[10] Yen MF, Tabár L, Vitak B, Smith RA, Chen HH, Du y SW. Quantifying the potential problem of overdiagnosis of ductal carcinoma in situ in breast cancer screening. Eur J Cancer 2003;39(12):1746–1754.
[11] Seigneurin A, François O, Labarère J, Oudeville P, Monlong J, Colonna M. Overdiagnosis from non-progressive cancer detected by screening mammog- raphy: stochastic simulation study with calibration to population based regis- try data. BMJ 2011;343(nov23 1):d7017.
[12] Hurley sF, kalDor Jm. The bene ts and risks of mammographic screening for breast cancer. Epidemiologic Reviews. 1992;14:101-129.
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1 Institut des sciences de la santé, Université norvégienne des sciences et technologies, Gjøvik, Norvège ; 2 The Center of Medical Ethics, Faculty of Medicine, the University of Oslo, Oslo, Norway
Les progrès scientifiques et technologiques considérables ont considérablement amélioré les diagnostics. Dans le même temps, les fausses alertes, le surdiagnostic, la surmédicalisation et la surdétection sont apparus comme des corolaires compromettant la qualité des soins de santé et la pratique clinique durable.
L'article ici résumé identifie trois types génériques de diagnostic excessif : trop, trop légèrement et trop tôt.
En raison des progrès scientifiques et technologiques considérables, le nombre de diagnostics a considérablement augmenté. Davantage de personnes sont diagnostiquées avec plus de maladies que jamais auparavant, avec une expansion injustifiée des diagnostics.
Augmentation du nombre de diagnostics dans la Classification internationale des maladies (ICD, International Classification of Disease).
A-trop de diagnostics :
Cela consiste dans le fait d'étiqueter des phénomènes qui n'ont pas été diagnostiqués auparavant, et de l'inclusion de nouveaux phénomènes dans un cadre de pathologie. Il peut s'agir a) d'expériences de vie ordinaires, telles que la solitude ou le chagrin, b) de phénomènes sociaux, tels que le comportement scolaire chez les enfants (TDAH) ou c) de phénomènes biomédicaux, tels que l'hypertension artérielle, l'obésité ou des facteurs de risque qui sont mesurables. Mais cette tendance ne profite pas aux personnes et peut s'avérer nocive.
B-Diagnostics émis trop légèrement : réglage des seuils trop bas et inclusion trop facilitée en pathologie
Il s'agit d'un abaissement du seuil de détection d'une pathologie au-delà de ce qui profite à la personne, c'est-à-dire en acceptant des seuils de valeurs trop bas. En incluant des cas moins graves dans la définition de la maladie ou dans ses critères de diagnostic, les personnes peuvent être diagnostiquées avec des maladies qui ne les dérangeraient peut-être pas. Le diabète gestationnel et les maladies rénales chroniques peuvent servir d'exemples.
C- Diagnostics émis trop tôt :
Diagnostiquer trop tôt des affections qui n'impacteront jamais les personnes, détection de lésions précurseurs ou de lésions à faible développement, cela qui correspond au surdiagnostic qui entraîne le phénomène du surtraitement.
Pourquoi est-ce néfaste ?
Tout d'abord explique l'auteur, nos capacités de diagnostic dépassent de loin nos capacités d'aide. Non seulement nous manquons de mesures curatives pour tous les diagnostics établis, mais les nombreuses technologies de diagnostic s'accompagnent également d'erreurs, et nous en venons à diagnostiquer alors que cela n'aide pas les gens. Bien que nous puissions détecter beaucoup plus de phénomènes que jamais auparavant, nous ne savons pas s'ils sont pertinents dans ce qu'ils représentent ou prédisent.
A- trop diagnostiquer...
....des phénomènes biomédicaux lorsqu'ils ne sont pas vécus en termes de douleur, de dysfonctionnement ou de souffrance conduit à mal faire en appliquant des étiquettes et des traitements inappropriés, en nous détournant de mesures plus efficaces et en nuisant par les traitements. Une hypertension ou une hyperglycémie légère, ou divers facteurs de risque, tels que l'obésité, ne sont le plus souvent pas ressentis comme douloureux ou dysfonctionnels, mais leur traitement peut introduire des dommages potentiels liés au diagnostic et au traitement. Par exemple l'utilisation accrue des statines de façon inappropriée chez des personnes ne se plaignant de rien entraîne des maux de tête, des étourdissements, de la constipation, des diarrhées, les douleurs musculaires, de la fatigue, des problèmes de sommeil et une diminution du nombre de plaquettes sanguines. Ici, l'obtention d'un diagnostic excessif peut réduire la qualité de vie, causer de l'anxiété et de la stigmatisation.
B-Dans le cas d' un diagnostic posé trop légèrement,
nous gonflons le diagnostic en incluant des phénomènes trop légers pour causer un symptôme, une douleur, un dysfonctionnement ou une souffrance, et le traitement entraîne plus de mal que de bien. Dans de tels cas, nous fournissons un traitement inutile et introduisons un préjudice potentiel à la fois par le diagnostic et par le traitement.
C-Un diagnostic trop précoce,
(comme lors de nombreux dépistages) entraîne un surdiagnostic et un surtraitement et des dommages potentiels des deux. Les cas que nous détectons et traitons n'auraient alors jamais causé de problèmes à la personne si non découverts. Par conséquent, nous violons les principes éthiques de non-malfaisance et de bienfaisance. De plus, nous drainons les ressources des services de santé (enjeu de justice des soins) et les patients ne savent pas qu'ils sont surdiagnostiqués et surtraités (enjeu d'autonomie du patient).
Autres exemples cités dans l'article :
En changeant la définition de l'ostéoporose par modification du seuil T-score qui reflète la densité osseuse dans la directive 2008 de la National Osteoporosis Foundation, la prévalence (cas présents+cas nouveaux) est passée de 21 % à 72 % chez les femmes américaines de plus de 65 ans. La modification de la définition du prédiabète par la glycémie à jeun dans les critères de l'American Diabetes Association 2010 a augmenté la prévalence de 26 % à 50 % chez les adultes chinois de plus de 18 ans.
Conclusion
En conséquence, l'auteur de l'article suggère trois façons de réduire les excès et de faire progresser les soins de plus grande valeur pour la population : a)nous devons cesser de diagnostiquer de nouveaux phénomènes, b)nous devons cesser de diagnostiquer des affections bénignes, notamment en abaissant des seuils diagnostiques, c) et nous devons cesser de rechercher des signes et des marqueurs précoces qui ne provoquent pas de douleur, de dysfonctionnement et de souffrance, et ne nuiront pas si non détectés..
Définition plus précise du surdiagnostic, le "trop tôt" de l'article précédent
Selon Jeffrey K Aronson, le concept de "Surdiagnostic" (le "trop tôt" de l'article précédent) comprends 2 catégories : 1°étiqueter les personnes d'une maladie qui, non découverte, ne leur aurait pas causé de tort ; 2° élargir la définition d'un trouble au plus grand nombre d'individus en modifiant le seuil d'un test diagnostique. (ce qui reprend le "trop légèrement")
L'auteur, pharmacologue clinicien britannique au Centre for Evidence Based Medicine, (Nuffield Department of Primary Care Health Sciences, University of Oxford, Oxford, UK), explique dans son article publié dans le BMJ la genèse de ce terme, maintenant inclus dans le Mesh, (Medical Subject Headings) qui est le thésaurus de référence dans le domaine biomédical. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/12/13/le-surdiagnostic-cest-officiel/
Ces dernières années dit l'auteur " les définitions (du surdiagnostic) qui ont été suggérées incluent : • "… Des personnes …diagnostiquées avec des conditions qui ne causeront jamais de symptômes ou la mort." • « Des diagnostics d'une affection qui, si elle n'était pas connue, ne causerait pas de symptômes ou n'entraînerait pas de dommage pour le patient au cours de sa vie ». • "(Le fait de ) rendre les gens "patients" inutilement, en identifiant des problèmes qui n'auraient jamais causé de dommages ou en médicalisant des expériences de vie ordinaires grâce à des définitions élargies des maladies." La dernière de ces définitions comprend les deux principaux facteurs qui constituent ensemble le surdiagnostic, bien qu'ils ne soient pas synonymes de celui-ci : la surdétection et la surdéfinition. "
L'auteur rappelle encore que surdiagnostic n'est pas synonyme de fausse alerte, bien que cette confusion soit souvent faite. (Surdiagnostic : vraie lésion mais dont la découverte n'apporte rien ; fausse alerte : suspicion de cancer mais qui ne se confirme pas).
En guise de réflexions finales, J.Aronson résume ainsi trois façons différentes de transformer les gens en "patients" ou en "malades" :
En les étiquetant avec une condition quelconque qui ne leur aurait pas causé de tort si elle n'avait pas été découverte ; cela est lié à l'hétérogénéité de nombreuses conditions, résultant en un éventail de conditions au sein de la catégorie, dont toutes ne nécessitent pas d'attention ; c'est ce que l'on appelle le flou au sein de la catégorie de maladie ;
En élargissant la définition d'un trouble pour englober plus d'individus ; cela a été attribué à ce qu'on a appelé le flou de la limite extérieure d'une définition de maladie ;
En les étiquetant par une catégorie de maladie qui médicalise l'expérience ordinaire, comme la grossesse, ce phénomène est connu sous le nom de "mongering".
Un appel de scientifiques canadiens
Tout logiquement nous terminons cet article par la citation d'un appel de scientifiques canadiens à une action, afin d'améliorer l’enseignement des soins de santé. Les auteurs écrivent :
"Depuis 10 ans, on reconnaît de plus en plus qu’il existe des bienfaits et des préjudices liés au dépistage. De nombreux médecins, étudiants en médecine et patients continuent toutefois de croire que, pour une grande proportion de la population, les dépistages recommandés permettent un diagnostic et un traitement précoces, et préviennent les décès prématurés. Bien que cette croyance persiste depuis longtemps parmi les médecins et les patients, les données probantes en matière de dépistage laissent maintenant penser que ces bienfaits seraient moins importants qu’on le croyait. De plus, on comprend beaucoup mieux les préjudices liés au dépistage, notamment le surdiagnostic, les faux positifs et les examens excessifs. Malgré cette reconnaissance, la connaissance du public est minimale, et les patients ne sont pas au courant de ces préjudices potentiels, même dans les populations qui sont soumises régulièrement au dépistage. Les difficultés du dépistage sont amplifiées par des recommandations contradictoires dans les lignes directrices, par de puissants groupes de patients et de professionnels qui plaident en faveur d’interventions de dépistage spécifiques, et par la pléthore d’information de qualité variable provenant des médias sociaux."
De nombreux médecins, professionnels de santé et apprenants n’ont pas les connaissances et compétences nécessaires liées aux défis du dépistage. On note chez plusieurs un manque en matière de pensée critique, de compréhension des statistiques ou de capacités de communication.
Pour les auteurs, il est nécessaire d'améliorer la formation des médecins, des professionnels de santé en général et des apprenants en matière de dépistages, de compréhension des risques et de leur communication.
Conclusion de l'appel:
Deux défis sont à relever:
Le premier défi est l’élaboration du contenu éducatif en lien avec les concepts clés relatifs au dépistage. Le deuxième défi est l’élaboration de stratégies éducatives visant à placer l’enseignement et l’adoption de ces concepts au cœur de la formation médicale chez les étudiants en médecine, les résidents et les cliniciens.
"Les enseignants cliniques, les apprenants, les sociétés professionnelles qui rédigent les lignes directrices, les agences de dépistage et les établissements universitaires doivent repenser l’approche optimale face au dépistage. Ce changement doit être réalisé à partir du premier cycle en médecine jusqu’à la formation professionnelle continue, de même qu’auprès de tous les intervenants, patients et institutions. C’est le moment d’aller à contre-courant, et de repenser notre approche de l’enseignement et de la communication de l’information sur la prévention et le dépistage, et de veiller à ce que cette information comprenne une bonne compréhension de la complexité, des concepts fondamentaux et des pratiques exemplaires."
Références
Hofmann B. Too Much, Too Mild, Too Early: Diagnosing the Excessive Expansion of Diagnoses.Int J Gen Med. 2022;15:6441-6450 https://doi.org/10.2147/IJGM.S368541
2. Viola Antao, Roland Grad, Guylène Thériault, James A. Dickinson, Olga Szafran, Harminder Singh, Raphael Rezkallah, Earle Waugh, Neil R. Bell À l’encontre du statu quo en matière de dépistage Canadian Family Physician May 2022, 68 (5) e140-e145; DOI: 10.46747/cfp.6805e140
3. Aronson J K. When I use a word . . . . Too much healthcare—overdiagnosisBMJ 2022; 378 :o2062 doi:10.1136/BMJ.o2062
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Synthèse et traduction par Sophie, patiente référente de Cancer Rose, 16 juin 2022
Cette recherche, menée par une équipe australienne de l'Université de Sydney (équipe de PrAlexandra Barratt) consiste en une étude qualitative par entretiens internationaux avec des femmes diagnostiquées d'un cancer du sein, et qui connaissent le concept de surdiagnostic. En ce sens cette étude est originale, car c'est bien la première fois qu'on sollicite des personnes qui maîtrisent la connaissance du problème du surdiagnostic, concept ignoré et naturellement contre-intuitif pour le profane.
Le titre complet est le suivant : Effets de la prise de conscience du surdiagnostic du cancer du sein chez les femmes atteintes d'un cancer du sein détecté par dépistage, ou découvert de manière fortuite : une étude qualitative par entretiens.
Participantes : douze femmes âgées de 48 à 77 ans originaires du Royaume-Uni (6), des Etats-Unis (4), du Canada (1) et d'Australie (1), atteintes d'un cancer du sein (carcinome canalaire in situ n=9, cancer du sein (invasif) n=3) diagnostiqué entre 2004 et 2019, et conscientes de la possibilité d'un surdiagnostic. Les participants ont été recrutés via des blogs en ligne et des réseaux cliniques professionnels.
Les entretiens ont duré de 50 à 123 minutes (moyenne de 73 minutes).
Résultats de l'étude
La plupart des femmes (10/12) ont pris conscience du surdiagnostic après leur propre diagnostic. Toutes se sont montrées préoccupées par l’éventualité d'un surdiagnostic ou d'un surtraitement, ou des deux. La découverte du surdiagnostic ou du surtraitement a eu des répercussions psychosociales négatives sur l'image que les femmes ont d'elles-mêmes, sur la qualité de leurs interactions avec les professionnels de la santé et, pour certaines, a déclenché de profonds remords quant à leurs décisions et actions passées. Beaucoup étaient dans une situation inconfortable à l'idée d'être traitées comme des malades du cancer alors qu'elles ne se sentaient pas "malades". Pour la plupart, les traitements recommandés semblaient excessifs par rapport au diagnostic posé. La plupart ont trouvé que leurs équipes cliniques étaient peu ouvertes sur la possibilité d'un surdiagnostic et d'un surtraitement, et beaucoup ont trouvé que les protocoles de prise en charge établis étaient difficiles à supporter.
Conclusion globale de l'étude
Les expériences de ce petit groupe particulier de femmes donnent un éclairage inédit sur l'impact négatif majeur de la découverte du surdiagnostic après le diagnostic du cancer du sein. Des études antérieures ont montré que les femmes attachaient de l'importance à l'information sur le surdiagnostic avant le dépistage et que cette connaissance ne réduisait pas le recours ultérieur au dépistage. Les décideurs politiques et les cliniciens devraient reconnaître, affirment les auteurs, la diversité des points de vue des femmes et veiller à ce qu'elles soient correctement informées de la possibilité d'un surdiagnostic avant le dépistage. (Paragraphe 'principales conclusions' en fin d'article)
Points forts et limites de cette étude
- Les entretiens qualitatifs ont permis d'explorer en profondeur cette expérience unique du cancer au niveau de chaque patiente.
- L'étude a été menée dans quatre pays dotés de programmes de dépistage du cancer du sein et a fait appel à un comité consultatif de patients composé de trois membres ayant une expérience du cancer du sein.
- La compréhension par les femmes du surdiagnostic et du surtraitement a été vérifiée dans le cadre du processus d'éligibilité à l'étude en leur demandant ce qu'elles comprenaient par ces termes.
- Le nombre de participantes est faible et l'étude est constituée d'un échantillon soigneusement sélectionné, instruit et compétent en matière de santé.
- Les diagnostics et les traitements rapportés n'ont pas été vérifiés, et ils reflètent les perceptions des participants.
Rappels
Les auteurs rappellent que le surdiagnostic est le diagnostic ou la détection d'un cancer qui, sans dépistage, n'aurait jamais entraîné de symptômes cliniques ou de décès au cours de la vie d'une personne. Les estimations du surdiagnostic provenant d'études d'observation et de modélisation varient de 10 % à 30 %, selon les méthodes d'étude, mais le panel britannique indépendant* a conclu que pour 10 000 femmes invitées au dépistage à partir de 50 ans pendant 20 ans, environ 681 cancers seront découverts, dont 129 représenteront un surdiagnostic, et 43 décès par cancer du sein seront évités. * Rapport Marmot : Marmot MG, Altman DG, Cameron DA, Dewar JA, Thompson SG, Wilcox M. The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review. Br J Cancer 2013;108:2205-40. doi: 10.1038/bjc.2013.177 pmid: 23744281
Ils ont estimé qu'au Royaume-Uni, environ 3000 femmes sont surdiagnostiquées pour un cancer du sein chaque année, et qu'environ 1000 décès dus au cancer du sein sont évités. Le panel a recommandé que ces informations soient clairement communiquées aux femmes. Le surdiagnostic est un concept difficile à communiquer et à comprendre, notamment parce que les femmes atteintes de cancers surdiagnostiqués ne peuvent pas être identifiées individuellement. Au Royaume-Uni, des informations sur le surdiagnostic sont incluses depuis 2013 dans un dépliant envoyé avec les invitations des femmes à se faire dépister, mais des inquiétudes subsistent quant au fait que le risque de surdiagnostic n'est pas suffisamment pris en compte dans les informations fournies au public par le National Health Service (NHS). Aux États-Unis, au Canada et en Australie, les femmes sont généralement invitées au dépistage sans recevoir d'informations claires sur le surdiagnostic. Les données suggèrent que la plupart des femmes ne sont toujours pas conscientes de la possibilité d'un surdiagnostic, les avantages du dépistage dominant largement l'opinion publique. Cette situation pourrait changer avec le temps, à mesure que les connaissances de la communauté augmentent et que davantage de femmes participent à des essais de désescalade de traitement pour les cancers du sein à faible risque. Cependant, le fait d'être conscient du surdiagnostic peut accroître la détresse et l'incertitude des femmes diagnostiquées avec un cancer du sein asymptomatique, par rapport aux femmes qui ne sont pas conscientes de cette possibilité. En effet, ni la femme ni son médecin ne peuvent savoir si ce cancer particulier se serait manifesté sans dépistage et aurait pu entraîner la mort ou s'il serait resté non détecté pendant le reste de la vie de la femme.
Ainsi, les femmes qui ont connaissance d'un surdiagnostic peuvent se demander si le cancer détecté par le dépistage nécessite vraiment un traitement ou si elles subissent un traitement et ses effets secondaires sans aucun bénéfice. Deux études récentes, l'une portant sur des patientes atteintes d'un cancer de la thyroïde et l'autre sur des hommes atteints d'un cancer de la prostate, ont montré que les patients chez qui un cancer a été diagnostiqué et qui ont choisi de ne pas suivre le traitement recommandé parce qu'ils pensaient avoir été surdiagnostiqués se sentaient extrêmement isolés et anxieuses, certaines participantes se retirant complètement du système de santé. Réf : Davies L, Hendrickson CD, Hanson GS. Experience of US patients who self-identify as having an overdiagnosed thyroid cancer: a qualitative analysis. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2017;143:6639.doi:10.1001/jamaoto.2016.4749 Et : McCaffery K, Nickel B, Pickles K, et al. Resisting recommended treatment for prostate cancer: a qualitative analysis of the lived experience of possible overdiagnosis. BMJ Open 2019;9:e026960.doi:10.1136/bmjopen2018026960
Originalité de l'étude
Les auteurs écrivent : Nous n'avons pas connaissance d'études comparables explorant cette question chez les patientes atteintes d'un cancer du sein, disent les auteurs. Par conséquent, dans la présente étude, nous avons cherché à comprendre les perceptions et les expériences des femmes qui vivent avec ce qu'elles perçoivent comme un cancer du sein détecté par dépistage possiblement surdiagnostiqué. Cette étude s'est appuyée sur des entretiens approfondis pour explorer la manière dont les femmes vivent la perception d'un possible surdiagnostic ou surtraitement du cancer du sein. Dans ce document, le terme "cancer du sein" inclut à la fois le carcinome canalaire in situ (CCIS) et le cancer du sein invasif.
Recrutement des participantes
Des femmes ont été recrutées pour l'étude par le biais d'annonces sur des blogs où le surdiagnostic est discuté ("DCIS411" : http://DCIS411.com et "Even Stars Explode" : https://evenstarsexplode.wordpress.com/) (n=6). Des patientes ont contacté Pr.Alexandra Barratt par le biais de ses publications sur le thème du surdiagnostic du cancer du sein (n=4). Enfin un recrutement a eu lieu par le biais des réseaux professionnels des chercheurs (n=2).
Cette approche était nécessaire pour permettre la participation des femmes qui auraient pu être admissibles sans risque de détresse pour les femmes qui n’étaient pas au courant du surdiagnostic du cancer du sein et l'auraient découvert. Les femmes étaient éligibles lorsqu'elles avaient reçu un diagnostic de cancer du sein détecté par dépistage (défini comme un cancer détecté chez une femme asymptomatique) au moins 6 mois auparavant, et alors qu'elles étaient déjà conscientes de l'idée de surdiagnostic ou de surdétection en relation avec le cancer du sein détecté par dépistage. Elles devaient avoir 40 ans ou plus au moment du diagnostic et parler couramment l'anglais. Les femmes chez qui un cancer du sein a été diagnostiqué après une présentation symptomatique, ou qui avaient un cancer avancé au moment du diagnostic, ou encore qui présentaient un risque élevé de cancer, par exemple en raison d'antécédents familiaux importants de cancer du sein, n'étaient pas admissibles.
La compréhension du surdiagnostic par les participants a été vérifiée avant leur entrée dans l'étude afin de confirmer leurs connaissances préalables. Toutes les participantes ont donné leur consentement éclairé pour être interrogées. Les participantes ont été recrutées dans quatre pays anglophones : Australie, Canada, États-Unis et Royaume-Uni. Cet échantillonnage dans différents pays a permis aux chercheurs de comprendre comment les variations dans la politique et la pratique du dépistage du cancer du sein peuvent affecter les expériences des femmes et leurs réponses à leurs connaissances sur le surdiagnostic. Par exemple, des informations sur le surdiagnostic sont incluses dans les invitations au dépistage du cancer du sein au Royaume-Uni, mais pas dans d'autres pays, et des programmes universels de dépistage par mammographie financés par le gouvernement existent au Royaume-Uni, mais pas aux États-Unis.
Les femmes ont reçu une fiche d'information sur l'étude et ont répondu à une courte enquête en ligne avant l'entretien. Elles ont fourni des données démographiques, des détails sur leur diagnostic et leur traitement et ont rempli un formulaire de vérification de l'éligibilité comprenant la définition du surdiagnostic et du surtraitement dans leurs propres mots.
Synthèse des résultats, vécu et ressenti des participantes
Les femmes ont décrit diverses expériences personnelles liées à leur diagnostic et aux processus de prise de décision, mais leurs récits présentaient également de nombreux points communs, notamment en ce qui concerne l'identité, les interactions avec les professionnels de la santé, l'incertitude quant aux décisions prises...
Toutes les participantes ont expliqué qu'elles avaient le sentiment que l'approche "standard" du traitement proposée par leurs équipes initiales était inflexible et qu'elles subissaient une pression pour agir de la manière recommandée et attendue.
Lorsqu'on a demandé aux femmes de réfléchir à leur expérience de connaissance du surdiagnostic et du surtraitement et de l'application de ces connaissances à leur situation personnelle, la plupart des participantes ont reconnu que des éléments de leur situation personnelle leur avaient permis de remettre en question leur diagnostic et la prise en charge recommandée et, dans certains cas, d'éviter le surtraitement.
Par exemple, un certain nombre de femmes exerçaient une profession qui les incitait à poser des questions, disposaient de réseaux et de contacts personnels ou professionnels pertinents, d'une assurance maladie privée, ou se décrivaient comme ayant un type de personnalité particulier (c'est-à-dire qu'elles n'étaient pas timides, qu'elles avaient du caractère, qu'elles étaient plus susceptibles de contester l'opinion d'un médecin que la grande majorité des patients), ce qui leur a permis de poser des questions, de trouver des réponses et, en fin de compte, de changer la façon dont elles auraient été traitées.
Dix des 12 femmes ont pris conscience du surdiagnostic après leur diagnostic, dont deux qui l'ont découvert après avoir reçu un traitement. L'une d'entre elles en était consciente avant la mammographie de dépistage, et une autre n'était pas sûre du moment où elle l'a découvert. Plusieurs participantes ont précisé que, bien qu'elles aient entendu parler de la possibilité que les mammographies puissent détecter des cancers non létaux, elles ont acquis une "bien meilleure compréhension" (participante 1) en effectuant des recherches personnelles après leur diagnostic. La plupart des récits des femmes indiquent qu'elles ont commencé leurs propres recherches parce qu'elles avaient le sentiment d'avoir reçu des avis médicaux différents et souvent contradictoires et des informations confuses concernant leur diagnostic. Nombre d'entre elles ont estimé que les informations qu'elles avaient obtenues de leurs équipes cliniques initiales n'étaient pas suffisantes pour répondre à leurs besoins personnels, ce qui les a incitées à poursuivre leur exploration et leurs recherches de manière indépendante.
Une participante s'est sentie "soulagée" parce que cela a confirmé que sa préférence de ne pas subir une mastectomie n'était pas nécessairement une réaction excessive. Les femmes qui se situent à cette extrémité du spectre ont déclaré que le fait d'avoir découvert la vérité a atténué une partie de l'incertitude qu'elles ressentaient, a validé les raisons pour lesquelles elles se sentaient comme elles se sentaient, ont posé les questions qu'elles se posaient et ont vérifié qu'elles n'étaient pas les femmes folles, irrationnelles et en colère comme certains l'avaient indiqué. La participante 7 a eu l'impression qu'on lui avait "lancé une bouée de sauvetage" lorsqu'elle a découvert un blog où les gens discutaient du surdiagnostic.
En revanche, un certain nombre de femmes se sont senties choquées et tristes en apprenant l'existence du surdiagnostic après leur diagnostic et/ou leur traitement, en réalisant qu'elles avaient peut-être enduré ce qu'elles avaient subi inutilement.
Plusieurs des femmes de la cohorte que nous avons étudiée ont exprimé une profonde colère en découvrant qu'elles n'avaient pas été informées de la possibilité de surdiagnostic et de surtraitement avant le dépistage du cancer du sein. Une participante n'a complètement saisi le concept de surdiagnostic et ce que cela pouvait signifier pour sa situation personnelle que 3 ans après son diagnostic et a décrit cette découverte, et l'identification avec celle-ci, comme l'une des expériences les plus douloureuses de sa vie.
Deux des six participantes britanniques avaient été invitées au dépistage avant que l'information sur le surdiagnostic soit incluse dans les brochures de dépistage qui accompagnent les invitations adressées aux femmes britanniques dans le cadre du programme de dépistage du NHS ; pour elles, la prise de conscience du surdiagnostic a été particulièrement douloureuse, car il leur manquait quelques mois pour recevoir la mise à jour de l'information destinée aux patientes, qui mentionnait le surdiagnostic comme un préjudice possible de la mammographie. "Cela a été particulièrement douloureux... J'avais l'impression d'avoir été prise au dépourvu par un changement de système et qu'en fait le service de dépistage... m'avait envoyé un dépliant qu'il savait ne pas être adapté à l'objectif... ce qui m'a mise encore plus en colère (participante 5)."
La plupart des témoignages des femmes suggèrent qu'elles ont rapidement pris conscience - dès qu'elles ont commencé à poser des questions et à en apprendre davantage sur leur diagnostic, le surdiagnostic et le surtraitement - que leur situation et leur expérience du cancer du sein étaient inhabituelles. Plusieurs femmes ont décrit les défis que leur diagnostic leur a posé par rapport à leur sentiment d'identité, car elles se sentaient bien et n'avaient pas de symptômes avant de se présenter au dépistage. Certaines ont été surprises de la rapidité avec laquelle elles ont été traitées comme des "malades" du cancer après leur diagnostic.
Beaucoup ont dit avoir eu de la difficulté à s'adapter au fait d'être une "bonne patiente docile" (participante 2) et ont été consternées par les attentes à l'égard de cette identité, surtout les femmes qui, à ce moment-là, se demandaient si le traitement recommandé constituait un surtraitement.
Enfin, plusieurs femmes qui ont découvert le surdiagnostic après le diagnostic ou le traitement se sont entièrement identifiées à la possibilité d'avoir été surdiagnostiquées, et non au fait d'être une patiente ou une survivante du cancer. Ces participantes ont déclaré qu'elles se sentaient en conflit avec le fait d'être une patiente du cancer, qu'elles luttaient contre l'identité de "patiente du cancer", mais qu'elles étaient incapables d'y échapper ou de nier le fait d'avoir été significativement affectées par un diagnostic de cancer. Cela restait inchangé dans le temps, deux des participants s'identifiant plutôt comme des victimes du système médical.
"N'appelons pas ça une maladie. Je ne suis pas, je ne me sens pas malade... Je ne m'identifie pas à la maladie ou au cancer... survivant, aucun de ces termes. Ils sont juste comme... c'est presque insultant, surtout quand vous vous sentez victime d'un surdiagnostic. Alors vous êtes, c'est une double peine. Parce que maintenant vous êtes une victime dans un sens du système médical... ce problème est un problème créé par la médecine (Participante 6)."
Elles avaient l'impression de ne pas pouvoir s'engager dans des groupes de soutien pour le cancer du sein parce qu'elles ne s'identifiaient pas comme des patientes du cancer.
Résister à la perception d'un surtraitement
Toutes les femmes ont décrit leur stupéfaction lorsqu'elles ont pris connaissance du parcours de traitement recommandé après avoir appris qu'elles avaient un cancer du sein détecté par dépistage (ou détecté de façon fortuite, dans un cas). Elles ont perçu l'ampleur de la chirurgie recommandée comme étant disproportionnée par rapport à leur compréhension du diagnostic qu'elles avaient reçu et qui "pourrait ne jamais progresser" (participante 11), surtout lorsqu'elles ne ressentaient aucun symptôme.
Une participante, diagnostiquée avec un carcinome in situ (stade dit 0 du cancer), a déclaré qu'elle ne se considérait pas à l'époque comme ayant un "vrai cancer" et qu'il était "absolument ridicule" de lui recommander une mastectomie (participante 6). ........ "Ils me disaient que j'avais besoin d'une chirurgie pour quelque chose qui pourrait ne jamais progresser... J'ai été mise devant ce dilemme... La chirurgie proposée à ce moment-là était une quadrantectomie, ce qui me semblait être une grosse affaire, une chirurgie mutilante pour quelque chose qui pourrait ne jamais progresser, alors j'ai dit non (participante 11)."
La plupart des participantes avaient rencontré des critiques en réponse à leur curiosité et à leurs demandes d'informations supplémentaires pour pouvoir prendre une décision éclairée sur leur plan de traitement. Elles ont décrit des échanges "inconfortables" (participant 5) lorsqu'elles posaient des questions à leurs cliniciens sur leur diagnostic ou leur surdiagnostic, ou lorsqu'elles remettaient en question les traitements conseillés. Elles ont également décrit le sentiment grandissant qu'elles prenaient leur vie en main (participante 6), les médecins se montrant "totalement mal à l'aise avec le fait que je choisissais maintenant de ne rien faire", selon ses propres termes (participante 3). Une participante - qui avait étudié la biochimie - a déclaré qu'elle posait des questions informées et intelligentes à ses médecins et au radiologue, mais qu'elle avait l'impression de ne pas obtenir de réponses, car "ils n'aimaient pas que je pose des questions" (participante 12).
Les femmes ont parlé de la pression qu'elles subissaient pour agir de la manière spécifiée et recommandée, notamment de la part de leur partenaire, de leurs amis et des membres de leur famille. Certaines femmes ont rapporté que leurs demandes pour une approche thérapeutique plus conservatrice n'ont pas été facilement acceptées par les praticiens : une femme a raconté qu'on lui avait dit "vous prenez une très mauvaise décision" lorsqu'elle a choisi de ne pas subir une mastectomie (participante 8). Par conséquent, certaines femmes ont demandé un deuxième avis et, dans certains cas, ont déclaré être heureuses de trouver une autre approche, avec un médecin qui, selon elles, était plus ouvert à la discussion de différentes options et disposé à prendre en compte les données sur le surdiagnostic ou les soins plus conservateurs.
Nos participantes, expliquent les auteurs, ont décrit des situations où elles avaient l'impression qu'on se moquait d'elles, qu'on les traitait comme "une folle" (participante 12), "négligentes... téméraires et arrogantes" (participante 1). Une participante a rapporté s'être entendu dire qu'elle avait des "problèmes de gestion de la colère" par des personnes sur des forums Internet sur le cancer du sein, qui estimaient qu'il valait mieux "faire confiance au chirurgien, pas à Google" (participante 5). "Au début, tout le monde me traitait comme une femme difficile parce que je disais que je ne voulais pas de mastectomie, que je voulais un suivi, s'il vous plaît, et qu'il fallait surveiller et voir si ça se développait ou non, parce que j'étais consciente du surdiagnostic et que je ne voulais pas de mastectomie si ce n'était pas absolument nécessaire" (participante 12). "La clinicienne... était absolument furieuse que j'aie décidé de ne pas subir une mastectomie... elle m'a dit... quel genre d'absurdités avez-vous lues? Que faites-vous ?" (Participante 1)
Plusieurs participantes ont rencontré des réponses similaires lorsqu'elles se sont tournées vers des forums en ligne et des groupes de soutien pour le cancer du sein après s'être trouvées incapables d'avoir les conversations qu'elles souhaitaient avec des professionnels de la santé. Cependant, plutôt que de trouver du soutien, elles ont rapporté s'être senties incomprises et isolées lorsqu'elles ont exprimé leurs préoccupations concernant le surdiagnostic et le surtraitement. Il est clair que la plupart des femmes se sont senties, à un moment ou à un autre, seules et isolées à cause de la remise en question de leur diagnostic et de leur traitement, et de leurs efforts pour informer d'autres femmes de la possibilité de surdiagnostic et de surtraitement.
Vivre dans l'inconnu
Il est apparu au cours des entretiens qu'un certain nombre de femmes avaient des sentiments de culpabilité et de regret plusieurs années après avoir reçu leur diagnostic et/ou leur traitement, en raison de leur connaissance du surdiagnostic et du surtraitement. Certaines participantes ont exprimé le regret de ne pas avoir été plus conscientes ou de ne pas avoir prêté plus d'attention à ce moment-là. Elles ont exprimé des regrets pour des décisions prises antérieurement, comme le fait d'avoir passé une mammographie dès le départ.
Toutes les femmes ont mentionné une étape de leur parcours de diagnostic et de traitement au cours de laquelle elles ont eu le sentiment de ne pas avoir donné leur consentement éclairé ; certaines ont dit qu'elles ont réalisé rétrospectivement qu'elles avaient peut-être été effrayées et amenées à prendre des décisions qu'elles n'étaient pas prêtes à prendre. Certaines femmes pensent qu'on leur a refusé des informations cruciales pour permettre un consentement éclairé. Tout au long des entretiens, les réflexions des femmes sur leurs expériences ont mis en évidence la nature épuisante et solitaire du travail à accomplir pour justifier les choix et les actions qu'elles avaient faits. Certaines ont dit que, même si elles avaient subi l'intervention chirurgicale recommandée, rien ne les avait convaincues qu'elles en avaient eu vraiment besoin. Plusieurs autres ont indiqué qu'elles étaient convaincues d'avoir pris les bonnes décisions en matière de gestion en choisissant de ne pas subir une mastectomie. Beaucoup ont dit qu'elles se demanderont toujours si elles ont pris la bonne décision.
Effets ultérieurs sur la qualité de vie
Un certain nombre de femmes vivent avec des rappels physiques de leur expérience, tels que des douleurs "vraiment pénibles" (participante 4) au niveau des seins, des mutilations, des cicatrices, une anxiété exacerbée, des cordons lymphatiques ou les effets secondaires des médicaments et une "ménopause super chargée" précoce (participante 8) ; des impacts prolongés de cette situation sur leur qualité de vie. Certaines ont mentionné le stress et le fardeau financier des factures et des rendez-vous médicaux, sans savoir si le cancer devait vraiment être découvert.
Suggestions pour les autres femmes
Il a été demandé à toutes les participantes, lorsqu'elles réfléchissaient à leur expérience personnelle, de donner des conseils sur la manière d'améliorer l'expérience pour d'autres femmes envisageant un dépistage du cancer du sein.
Les réponses se sont portées sur des facteurs individuels tels que la responsabilité du clinicien d'obtenir les préférences de la patiente et de leur donner la priorité, sur des facteurs liés au système de santé, notamment la création d'une opportunité de discussion adéquate sur les avantages et les inconvénients du dépistage avant le rendez-vous de dépistage, et sur des facteurs liés à la société, notamment l'influence d'un changement sociétal dans la façon de penser et d'étiqueter le cancer.
Principales conclusions
Cette étude internationale unique documente l'expérience d'un groupe soigneusement sélectionné de femmes ayant reçu un diagnostic de carcinome in situ ou de cancer du sein invasif. Ces femmes ont toutes envisagé la possibilité qu'elles aient pu être victimes d'un surdiagnostic de cancer du sein. Certaines ont estimé avoir été victimes d'un surtraitement et d'autres ont pris des mesures pour éviter le surtraitement. Notre étude, concluent les auteurs, montre comment le fait d'apprendre l'existence d'un surdiagnostic après un diagnostic de cancer du sein a un impact profond sur l'image que ces femmes ont d'elles-mêmes, sur leurs interactions avec les professionnels de la santé et, pour certaines, sur les profonds remords qu'elles éprouvent à l'égard de leurs décisions et actions passées. Beaucoup étaient mal à l'aise à l'idée d'être traitées comme des malades du cancer alors qu'elles ne se sentaient pas "malades" et de se voir recommander des traitements qui semblaient excessifs par rapport au diagnostic posé. Certaines ont éprouvé de la colère à l'idée que des informations essentielles n'étaient pas facilement accessibles et ont eu le sentiment de ne pas avoir reçu un tableau complet du surdiagnostic avant de passer une mammographie de dépistage. Les résultats soulignent la solitude de cette expérience, les femmes interrogées dans le cadre de cette étude ne disposant que de peu de soutien ou de réconfort. En décrivant l'expérience de femmes qui s'identifient comme ayant un cancer potentiellement surdiagnostiqué, cette étude - qui illustre les préjudices psychosociaux de l'apprentissage du surdiagnostic après un diagnostic de cancer du sein - apporte une contribution importante à la littérature et à la pratique clinique.
Points forts et limites par rapport à d'autres études
Les auteurs expliquent : Nous savons, grâce à un ensemble substantiel de preuves épidémiologiques, qu'un grand nombre de femmes pourraient être lésées par le surdiagnostic au niveau de la population, mais il s'agit, à notre connaissance, de la première étude à documenter la manière dont les femmes sont personnellement affectées par la possibilité que leur diagnostic détecté par dépistage puisse représenter un surdiagnostic et/ou un surtraitement. Les récits des femmes montrent l'impact psychosocial négatif significatif de la conscience du surdiagnostic dans le contexte du cancer du sein détecté par dépistage, en particulier lorsqu'elles n'ont pas été prévenues du risque. Les résultats sont pertinents pour toutes les femmes qui envisagent de participer ou participent à des programmes de dépistage du cancer du sein, leurs cliniciens et les décideurs politiques.
Avec le temps, il est probable que ces questions deviendront saillantes pour un plus grand nombre de femmes, à mesure que la communauté se familiarisera avec le risque de surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein. Les recherches biologiques futures permettront peut-être de déterminer avec plus de précision le pronostic des cancers du sein détectés par dépistage. Il est important de réfléchir à la meilleure façon d'informer les individus sur le risque de surdiagnostic lors de la mise en place de programmes de dépistage.
En attendant, répètent les auteurs, nous recommandons de réfléchir à la manière de mieux informer les femmes sur la possibilité de surdiagnostic avant qu'elles ne subissent une mammographie de dépistage, afin d'éviter la détresse des femmes qui sont surdiagnostiquées et le découvrent plus tard.
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Public Health and Toxicology est une revue en libre accès évaluée par des pairs, dans laquelle s'expriment cette fois des auteurs du département d'histoire et de philosophie des sciences de l'université d'Athènes ; ils nous livrent leurs considérations sur le surdiagnostic, une épidémie, selon eux, dans les pays industrialisés.
Nous allons restituer, traduits, les propos majeurs des auteurs.
Résumé
Un phénomène intense et répandu des sociétés occidentales modernes est le recours à la médecine préventive afin de se maintenir en bonne santé. Bien que cela semble très logique et puisse avoir une base scientifique solide, puisque ceci reflète les recommandations de la communauté médicale, diverses questions qui nécessitent une plus grande attention se posent à ce sujet. Des questions seront abordées dans cet article comme: " qu'est-ce qu'une bonne santé ? ", " qu'est-ce qu'un problème médical ? ", " que recherchons-nous exactement lors des examens médicaux ? ", et " quelle est la relation entre la médecine, et la société et ses pratiques ? "
Introduction
Dans son ouvrage intitulé "Less Medicine, More Health" (moins de médecine, plus de santé), le célèbre médecin et auteur Welch[1] affirme que "plus nos technologies de diagnostic sont capables de détecter des anomalies minimes au niveau de l'anatomie, de la physiologie, de la biochimie et du génome, plus les détections inattendues se multiplient, ce qui n’est pas si étonnant".
Cette augmentation de la capacité diagnostique de nos techniques s'accompagne d'un recours de plus en plus fréquent à des examens préventifs chez des personnes qui ne sont pas forcément malades dans les faits, mais qui, dans ce contexte, sont "potentiellement" malades. Avec une rhétorique bien développée sur le maintien de la santé et l'utilisation systématique des statistiques, une partie de la population finit par devenir "potentiellement" malade. Parallèlement, dans de nombreux cas, les données et les images obtenues avec diverses techniques ne sont pas suffisamment claires dans ce qu'elles reflètent du phénomène complexe et multifactoriel qu'est la vie.
Commentaires
La pratique médicale
Selon Hippocrate, "mieux vaut prévenir que guérir", mais la réalité médicale actuelle n'a pas grand-chose à voir avec celle de l'époque d'Hippocrate. Si tel était le cas, la "théorie humorale" hippocratique et les traitements hippocratiques tels que les saignées, les purges et les laxatifs seraient encore utilisés pour traiter toutes les maladies humaines. Le principal agent pathogène de la médecine hippocratique était considéré comme la perturbation de l'équilibre entre l'homme et son environnement naturel mais aussi avec sa biotique quotidienne correspondante (alimentation et habitudes)[2].
En améliorant le mode de vie et l'alimentation, c'est-à-dire l'interaction avec l'environnement dans lequel il vit, l’humain préviendrait les maladies qui sont l'expression de cette mauvaise relation avec son environnement. L'approche hippocratique de la maladie était l'expression des perceptions et pratiques sociales de son époque. Depuis lors, la vision de la maladie, en tant que telle, a changé. Son approche est aujourd'hui plus technique, reflétant l'orientation technologique des sociétés modernes ainsi que son intégration dans le modèle productif dominant. Dans ce contexte, pour maintenir une bonne santé et dans l'espoir de prolonger l’espérance de vie, les examens préventifs ont augmenté de façon spectaculaire.
Le danger de la découverte fortuite
Finalement, lorsque l'on découvre quelque chose, il est très difficile d'arrêter de chercher, ce qui conduit inévitablement à traiter et à surtraiter. Et là commencent les véritables dangers, car un traitement inutile peut nous nuire. Le surdiagnostic inclut des causes telles que l'hypertension légère, l'autisme, la ménopause, l'ostéoporose, le diabète de type II, le cancer et le contrôle des gènes. En ce qui concerne les maladies psychiatriques, nous rencontrons les mêmes problèmes, voire des problèmes plus importants, car les médecins rajoutent continuellement de nouvelles maladies à la panoplie de traitements.
Définition
Selon la définition, le surdiagnostic se produit lorsque des individus sont diagnostiqués avec des conditions qui ne provoqueront jamais de symptômes ou de décès[3]. On pourrait également affirmer que le surtraitement est un effet secondaire de la précision des méthodes de diagnostic. Les possibilités et la précision des méthodes de diagnostic se sont considérablement améliorées au cours des dernières décennies et ont ouvert de nouvelles perspectives à la médecine. Les nouvelles méthodes de représentation de la santé, associées à la manière dont le patient se présente, apportent une assurance et une sécurité sans précédent au travail du médecin ( et à son autorité).
La "passion du diagnostic"
Mais qu'est-ce qui est exactement représenté ? Quel est le rapport entre la représentation et l'état fonctionnel réel du "patient" potentiel ? A quelles normes et conditions cette représentation est-elle comparée ? Dans la médecine moderne, nous ne nous concentrons pas sur un seul symptôme, mais effectuons des examens supplémentaires minutieux sur d’autres en l'absence de toute forme d'association entre ce symptôme et les autres systèmes. C'est ce qu'on appelle la "passion du diagnostic", un phénomène médical qui touche surtout les jeunes médecins. Il s'agit essentiellement de la peur de ne pas accorder suffisamment d'attention à une situation et de perdre son patient.
Malheureusement, à l'époque des capacités technologiques particulièrement accrues en matière d'imagerie et de contrôles biochimiques, la passion diagnostique ( ex : le diagnostic précoce par des examens de routine) se répercute également sur les personnes qui ne présentent pas de symptômes et qui ont tout simplement peur de les ressentir à l'avenir. On peut se poser les questions suivantes : que représente exactement cette imagerie avec ces techniques de diagnostic ; par rapport à quoi cette imagerie doit-elle être comparée ? La passion du diagnostic transforme progressivement l'individu en patient. Combien de personnes sont prêtes à subir un traitement qui ne leur sera d'aucune utilité, mais qui pourra aussi mettre leur vie en danger ?
Un exemple
Prenons un cas nous permettant de comprendre que la médecine ne dit pas toute la vérité. Le cholestérol est l'exemple le plus approprié, probablement parce que de nos jours, les "statines" ne sont pas seulement des simples médicaments, mais un mode de vie. Dans la huitième édition de la "pathologie de Harrison" en 1977 (sorte de Bible de la médecine interne), la limite normale du cholestérol était de 300 mg/dL et seulement ceux qui la dépassaient devaient suivre un traitement. Progressivement, en ajoutant des facteurs de risque (hypertension, tabagisme, coronaropathie), avec la distinction du cholestérol en bon et mauvais, avec la pléthore d'investigations et les avis des spécialistes, la limite normale du cholestérol est descendue à 200 mg/dL. Qu'est-ce qu'a signifié exactement la réduction du seuil de cholestérol de 240 à 200 mg/dL ? Eh bien cela a eu pour effet de transformer 42 millions d'Américains dans des clients potentiels[4]. Les grands gagnants sont les sociétés pharmaceutiques. À lui seul, le Lipitor (la statine la plus connue), représentait pour le laboratoire (Pfizer) un chiffre d'affaires annuel de 15 milliards de dollars US, il s’agissait de la formulation abusive la plus réussie de tous les temps[5].(Le Lipitor a perdu son brevet en 2011, ndlr)
Big Science
La manière dont la science est exercée dans le domaine des biotechnologies et par les entreprises pharmaceutiques au cours des deux ou trois dernières décennies correspond au plus près de ce qui est appelé par les auteurs « Big Science »[6]. Les grands financements impliquant les gouvernements des États et les grandes politiques, où la protection des intérêts des entreprises et des pays est une véritable stratégie, constituent la Big Science.
Mais les experts commettent aussi des erreurs, délibérément ou non.
Par exemple, en reprenant l'exemple du cholestérol, jusqu'en 1998, la limite du cholestérol normal était de 240 mg/dL. Puis une étude [7] a constaté que ceux qui présentaient un taux de cholestérol entre 228 et 184 mg/dL avaient moins de risque d'épisode coronarien aigu. Sur une période de cinq ans, 5% des patients qui n'ont pas reçu de statines ont eu un épisode cardiaque, contre 3% des patients sous statines. En effet, il s'agissait d'une réduction de 40 % des épisodes coronariens pour les personnes prenant des statines. Mais ce n'est que la moitié de la vérité. L'autre moitié est la suivante : le bénéfice n'est que de 2 % (5 % - 3 % = 2 %), ce qui signifie que sur 100 patients prenant des statines, seuls deux en bénéficieront et les 98 autres n'en bénéficieront pas[8]. Et il faut également prendre en considération les risques des effets secondaires des médicaments, au temps passé pour les prescrire, au coût, etc. Un médecin, par crainte d'un mauvais diagnostic ou en raison d' intérêts financiers avec une entreprise pharmaceutique, peut recommander le traitement au patient. Pour autant, il ne lui aura fourni que la moitié de la vérité.
Le problème supplémentaire c'est que l'artifice des statistiques est facilement communiqué au grand public par des journalistes ou des "spécialistes" qui expliquent au public que tel ou tel médicament, ou tel ou tel traitement, réduit d'environ 40 % les complications ou améliore la santé. Bien entendu, ils ne mentionnent rien de la multitude de personnes qui doivent subir le traitement pour qu'un patient, et un seul, puisse en bénéficier (ce qu'on appelle le NST, ou nombre de sujets à traiter (Number Needed to Treat NNT en anglais) pour qu'une personne puisse bénéficier du traitement).
Ce qu'il est essentiel de comprendre, c'est qu'un taux élevé de cholestérol total n'est pas un "problème de santé" nécessitant un traitement, mais un facteur de risque parmi d'autres qui augmente les risques de maladie cardiaque ou d'accident vasculaire cérébral. Après tout, le phénomène de la vie - et la question de la santé qui s'inscrit dans le phénomène de la vie - est multifactoriel et à plusieurs niveaux ; il ne semble pas être caractérisé par des liens de causalité immédiats et directs, mais plutôt par des dynamiques probabilistes correspondantes.
Le surdiagnostic en médecine.
Nous ne pensons pas que la médecine moderne est totalement « bonne », disent les auteurs. Selon eux, si nous ne sommes pas vigilants, la médecine peut nous être préjudiciable. Aujourd'hui, des scientifiques et des chercheurs indépendants mettent en lumière l'énorme problème du surdiagnostic, qui a commencé à frapper les sociétés depuis les années 1970 comme une pandémie silencieuse. Le surdiagnostic, en tant que partie intégrante de la "médicalisation" généralisée de la vie, cible les personnes en bonne santé et asymptomatiques, qui, sous prétexte de risques (qui se produiront inévitablement à un moment donné dans le futur), devront se soumettre à des examens médicaux.
Les examens complémentaires de diagnostic conduisent à leur tour à des interventions qui « soignent » généralement quelque chose qui n'aurait jamais provoqué de symptômes ou de décès. Nous savons aujourd'hui que 60 % des hommes de plus de 80 ans sont atteints du cancer de la prostate mais mourront d'une autre cause[9][10]. Nous constatons également, expliquent les auteurs, qu'en Occident, les taux de cancer de la thyroïde, de mélanome et de cancer du sein ont augmenté, alors que les décès dus à ces cancers sont restés relativement stables par rapport à 1975[11]. La Fig 1 compare le taux d'incidence du cancer du sein chez la femme et du cancer de la prostate chez l'homme.
Dans les graphiques du haut, on peut voir qu'il y a eu une augmentation de l'incidence et une légère réduction des décès liés au cancer (mortalité). Alors que dans les graphiques du bas, on peut voir que l'augmentation des diagnostics coïncide avec la diffusion de la mammographie et du test de l'antigène prostatique (PSA) (zone colorée). Ce phénomène peut s'expliquer de deux manières : soit il y a eu une véritable augmentation des cancers, soit il y a eu un surdiagnostic. Or, la stabilité du cancer du sein métastatique plaide en faveur du surdiagnostic. En fait, nous n'avons pas une véritable augmentation des cas de cancer mais plutôt des surdiagnostics. Le même schéma se répète pour presque tous les cancers. L'augmentation des nouveaux diagnostics de cancer est due à un dépistage meilleur et plus précis (c'est à dire les biotechnologies avancées), à la médecine défensive * et à l'amélioration de nos capacités financières. Cette augmentation du nombre de détections est également due au fait que nous demandons davantage de soins par le biais d'examens et, enfin, due à notre peur du lendemain. *(ndlr : médecine défensive fait référence à la pratique consistant à recommander un test diagnostique ou un traitement médical qui n'est pas nécessairement la meilleure option pour le patient, mais qui sert principalement à protéger le médecin contre le patient en tant que demandeur potentiel)
Mais si nous considérons que pendant environ 65 ans de notre vie, nous serons en bonne santé (années de vie en bonne santé - Eurostat), ce qui représente environ 81 % de l'espérance de vie, alors nous n'avons aucune raison de céder à nos peurs et de nous précipiter chez les médecins, dans les centres de diagnostic et les hôpitaux en absence de signes ou de symptômes.
L'information
Si nous avons des symptômes, c'est que nous avons donc un problème - c'est du bon sens.
Mais si les médecins insistent pour que nous fassions des tests préventifs/diagnostiques alors que nous n'avons rien, ils doivent alors expliquer les risques et les complications d'un test préventif/diagnostique (test de dépistage). Si les médecins n'informent pas correctement et méthodiquement les patients sur les problèmes du surdiagnostic, alors, il y aura de la place pour le désaccord, et un besoin de critiques, et il semblera logique que la société se tourne vers la médecine alternative et alimente toutes sortes de négativité et de scepticisme. La confiance de la société dans la communauté médicale est ébranlée. La crédibilité de la science est mise à mal.
"Moins de médecine, plus de santé ", les choses semblent aller dans ce sens, même si les entreprises pharmaceutiques (avec 500 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an) mènent une bataille acharnée pour amoindrir notre rôle, et pour que nous ayons moins de pouvoir (sur notre santé).
Conclusion
La vraie médecine, la bonne médecine, est celle de la "médecine des signes et des symptômes", de la vaccination des enfants, et non la "médecine de laboratoire", disent les auteurs.
Pourtant, cette "bonne" médecine n'est pas aussi lucrative que la seconde, qui est une médecine diagnostique aveugle en l'absence de symptômes, de traitements qui ne guérissent que des valeurs supérieures à des seuils, d'interventions qui sont promues par les industries qui vendent les robots et les machines, autrement dit la médecine de la "peur et du profit". Aujourd'hui, la médecine lucrative est celle qui vend de la santé comme un produit, expliquent les auteurs, ou plus précisément, qui vend la fragilisation normale du corps qui survient inévitablement avec le temps. Elle vend une fragilisation normale, disent-ils, après l'avoir d'abord "définie" comme une maladie. Ainsi, cette médecine ne se soucie que du profit, et non pas, comme elle l'invoque, des emplois qu'elle offrirait et de sa contribution à la réduction du taux de chômage, même si les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques utilisent cet argument. L'amélioration de la santé de la population et la réduction du chômage sont deux objectifs différents, et ils doivent être traités de manière différente, à l'aide d'interventions diverses. Le but de développement commercial ne sanctifie pas les formulations pharmaceutiques ou les machines médicales, comme un « oxymètre domestique ».
Bien sûr, nous ne devons pas éviter les médecins lorsque nous sommes malades. Le problème du surdiagnostic commence avec ce que nous faisons quand nous sommes sains, et dans quelle mesure nous nous exposons à des risques en recherchant des choses, alors que nous sommes asymptomatiques. La recherche d'une maladie cachée ne nous expose-t-elle pas à un plus grand risque, puisque de nombreuses "maladies" ne sont pas destinées à nous nuire ?
Le jeu aveugle des probabilités, qui est le jeu du diagnostic précoce, doit-il être remplacé par ce que nous pouvons faire activement, comme arrêter les mauvaises habitudes, par exemple arrêter de fumer, adopter une meilleure alimentation, commencer à faire de l'exercice, maintenir un poids normal, ou éviter les comportements à risque (excès de vitesse au volant), etc. (ndlr : On estime que s'il n'y avait eu aucune réduction du tabagisme, il n'y aurait eu pratiquement aucune réduction de la mortalité globale par cancer, ni chez les hommes ni chez les femmes, depuis le début des années 1990.)
Pour les auteurs, le plus grand problème de la médecine moderne, avec ses ramifications philosophiques, scientifiques, individuelles (mentales), sociales, éthiques, légales et économiques, c'est le surdiagnostic.
Références
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[2] Vegetti M. History of Ancient Philosophy. Travlos Publications; 2003.
[3] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2012.
[4] Schwartz LM, Woloshin S. Changing disease definitions: implications for disease prevalence. Analysis of the Third National Health and Nutrition Examination Survey, 1988-1994. Eff Clin Pract. 1999;2(2):76-85.
[5] Moynihan R, Cassels A. Selling Sickness. Allen & Unwin; 2005.
[6] Capshew JH, Rader KA. Big Science: Price to the Present. Osiris. 1992;7:3-25.
[7] Downs J, Clearfield M, Weis S, et al. Primary Prevention of Averestatin In Men and Women With Average Cholesterol Levels. JAMA. 1998;279(20):1615-1622. doi:10.1001/jama.279.20.1615
[8] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2011.
[9] Welch G. Less Medicine, More Health: 7 Assumptions That Drive Too Much Medical Care. Beacon Press; 2015.
[10] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2011.
[11] Carroll AE. The High Costs of Unnecessary Care. JAMA. 2017;318(18):1748-1749. doi:10.1001/jama.2017.16193
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Selon les auteurs de cette étude italienne publiée dans BioMed Central (BMC, revue scientifique) le 22 avril 2022, les informations portant sur le surdiagnostic ont augmenté de façon notable en 2021 par rapport à 2014. Cependant, la fréquence de ces informations dans les documents destinés aux femmes était encore trop rare et trop faible, probablement parce que c’est à la fois le risque le plus récent et le plus nocif pour les femmes. Tous les responsables sanitaires ne sont pas au courant ou suffisamment vigilants sur le risque du surdiagnostic, selon les auteurs, et lorsqu'ils le sont, ils ont tendance à éviter de déclarer l’information dans des documents publics, de peur de dissuader les femmes de se soumettre à un dépistage. Ou alors encore, l'information sur le surdiagnostic n'est pas claire.
Difficile de ne pas trouver un parallèle avec la situation en France de l'information.
Cet état d'une information aux femmes insuffisante persiste pour de nombreuses raisons. L’une des justifications les plus fréquemment citées est que l'apport de renseignements sur les méfaits potentiels du dépistage pourrait réduire l'adhésion et la participation au dépistage.
Méthode et résultats
L'information des femmes sur la balance bénéfices-risques étant encore fort biaisée, F.Atténa ( (Département de médecine expérimentale, Université de Campanie "Luigi Vanvitelli") et ses collaborateurs ont pris le parti d'évaluer des documents adressés au grand public féminin et publiés sur internet par les services de santé publique nationaux et régionaux italiens. Les informations sur les faux positifs et les faux négatifs, sur les faux positifs prouvés par biopsie, sur le cancer d'intervalle, sur le surdiagnostic, sur l'exposition aux rayonnements et sur la diminution du risque de mortalité ont été analysées. De plus, des données quantitatives ont été recherchées.
La situation de 2021 a été comparée à celle de 2014.
Le surdiagnostic et les résultats faussement positifs prouvés par biopsie étaient les risques du dépistage qui étaient les moins signalés (20,1 % et 10,4 %).
Par rapport aux informations de 2014, celles de 2021 ont montré quelques améliorations. Les améliorations les plus marquées concernent le surdiagnostic, les déclarations de cet effet adverse en effet sont passées de 8,0 à 20,1 %. Concernent le nombre de faux positifs prouvés par biopsie, il y a aussi une augmentation de l'information qui est passée de 1,4 à 10,4 %.
Mais les données quantitatives sont restées rares en 2021.
Les auteurs concluent sur le constat d'améliorations modérées de l'information observées de 2014 à 2021. Cependant, les informations sur le dépistage du cancer du sein dans les documents destinés aux femmes publiés sur les sites Web italiens restent encore trop rares.
Une précédente étude italienne de 2020 choquante
Nous nous en étions émus en septembre 2020 : cette étude économique d'auteurs italiens expliquait comment manipuler de façon efficace les femmes pour les faire participer toujours plus au dépistage organisé du cancer du sein par mammographie. Les auteurs alors se félicitaient dans un cynisme confondant de l'efficacité de techniques de manipulation : en escamotant l'information des femmes dans les lettres d'invitation, en insistant sur un effet négatif et un potentiel danger de ne pas participer au dépistage, en "limitant la surcharge cognitive des femmes" (sic), on parviendrait à augmenter significativement la participation aux dépistages.
Ce genre d'études dénuées de toute préoccupation d'éthique peut expliquer, entre autres, la persistance de la désinformation des femmes et des biais dans l'information, biais toujours renouvelés, comme cela est constaté dans cette étude du BMC dont nous parlons.
Une problématique commune à beaucoup de pays, française aussi
Des auteurs danois ont eu pour but d'analyser comment les autorités sanitaires peuvent influencer les citoyens de manière subtile pour les amener à participer à des programmes de dépistage du cancer : https://cancer-rose.fr/2021/04/20/les-methodes-dinfluence-du-public-pour-linciter-aux-depistages/ Les chercheurs ont isolé et analysé plusieurs "catégories d'influence", c'est à dire plusieurs méthodes qui permettent de pousser le public à se soumettre aux dépistages.
Dans un tableau systématique nous constatons que les biais d'information sont utilisés dans de nombreux pays, dans lesquels nous retrouvons des pays européens comme l'Italie, corroborant le constat de cette étude du BMC, l' Espagne et aussi la France, où l'information biaisée de l'Institut National du Cancer (INCa) est présente dans deux des catégories systématiques. Voir le tableau : https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf
Un espoir d'amélioration et de prise en compte du surdiagnostic
Une prise de position desociologues français sur les "chantiers de la santé" du prochain gouvernement est à lire dans l'article ci-dessous ; ils s'alarment du surdiagnostic des dépistages organisés au chapitre "Prévention", dans le média 20Minutes : Les principaux chantiers du prochain ministre de la Santé
Nous pouvons y lire :
« Il faut se méfier des dépistages organisés, ça peut générer du surdiagnostic, critique Frédéric Pierru (docteur en science politique, sociologue au CNRS, chargé de recherche (CR-CNRS), travaille au Centre d'études et de recherches administratives politiques et sociales ( CERAPS), rattaché à l'Université de Lille). C’est une vision individualiste, médicalisée et pauvre de la prévention. » Lui estime qu’il serait plus efficace de remettre des moyens dans les centres de Protection maternelle et Infantile (PMI), la médecine scolaire, celle du travail…
« Faire une prévention efficace, ce serait s’intéresser à l’alimentation, au stress, à l’alcool… » , renchérit Daniel Benamouzig (sociologue, Directeur de recherche au CNRS, titulaire de la Chaire Santé de Sciences Po et chercheur au Centre de Sociologie des Organisations (CNRS et Sciences Po)). Or on sait ce président peu propice à s’opposer aux lobbys de l’alcool ou des pesticides. La santé, et en particulier la santé publique, comme la transition écologique, est un travail de longue haleine. Pas évident de faire ses preuves en cinq ans...»
Puissent ces clairvoyants scientifiques être entendus....
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Selon une étude de modélisation basée sur les données des centres du Breast Cancer Surveillance Consortium (BCSC), environ un cas de cancer du sein dépisté sur six à sept est surdiagnostiqué. Cette étude souligne d’abord que le surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein est bien réel.
Résultats de l’étude
On a estimé qu’en moyenne 15,4 % (IC 95 % : 9,4 %-26,5 %) des cas de cancer dépistés étaient surdiagnostiqués, rapportent l'auteur principal Marc D. Ryser* de l’Université Duke à Durham, Caroline du Nord, et ses collègues.
* Ryser : Marc Daniel Ryser, professeur adjoint en sciences de la santé des populations Le Dr Marc Ryser est un expert en modélisation mathématique et statistique. Ses recherches s'appuient sur des données biologiques, cliniques et au niveau de la population pour informer et guider la détection précoce et la prévention du cancer.
Voici les résultats par tranche d’âge et type de cancer détecté dans la figure 3 et le Tableau 3.
Au-delà des valeurs moyennes, nous pouvons observer (Fig 3) que pour toutes les tranches d’âge le taux de surdiagnostic peut atteindre des valeurs maximales supérieures à 20%, et selon le Tableau 3, le taux de surdiagnostic au premier dépistage atteint une valeur maximale de 28%, à 58 ans 21,1%, à 66 ans 25,4% et à 74 ans 31,9%
Dans cette étude de modélisation, une découverte intéressante est que le taux de surdiagnostic augmente avec l’âge et a presque doublé selon la tranche d'âge analysée : 11,5% (IC 95%, 3,8%-28,3%) au premier examen de dépistage à 50 ans jusqu'à 23,6% (IC 95%, 17,7%-31,9%) au dernier examen à 74 ans.
Comparaison avec données antérieures
Les auteurs notent « Une comparaison de nos estimations avec celles d'autres études n'est pas simple en raison de différences dans les définitions du surdiagnostic et les pratiques de dépistage ». lls concluent que leurs résultats concernant le surdiagnostic sont à la fois plus élevés que les études de modélisation précédentes (allant de 1% à 12%, selon les études citées par l’article), en raison de différences dans les pratiques de dépistage, les pratiques de diagnostic et les hypothèses de modélisation, mais plus faibles que d'autres études qui ont montré des taux bien plus hauts que la moyenne de cette étude. Par exemple, l'essai de dépistage canadien a estimé un taux de surdiagnostic de 30 % (Baines CJ, To T, Miller AB. Revised estimates of overdiagnosis from the Canadian National Breast Screening Study. Prev Med. 2016;90:66-71. [PMID: 27374944] doi:10.1016/j.ypmed.2016.06.033 ) pour les cancers détectés par le dépistage. Dans une étude de population, Bleyer et Welch (Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mam- mography on breast-cancer incidence. N Engl J Med. 2012;367:1998- 2005. [PMID: 23171096] doi:10.1056/NEJMoa1206809 ) ont estimé que 31% de tous les cas de cancer du sein diagnostiqués étaient surdiagnostiqués.
Les auteurs concluent en espérant que leurs résultats rejoindront un consensus et faciliteront la prise de décision concernant le dépistage par mammographie.
Conclusions de l’Editorial “Reducing the Burden of Overdiagnosis in Breast Cancer Screening and Beyond” " (Réduire la fardeau du surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein et au-delà")
L’Editorial publié conjointement à l’étude souligne l’importance de l’information des femmes ainsi ce que ce surdiagnostic représente. (Marcondes FO, Armstrong K. Reducing the Burden of Overdiagnosis in Breast Cancer Screening and Beyond. Ann Intern Med. 2022 Mar 1. doi: 10.7326/M22-0483. Epub ahead of print. PMID: 35226534.)
Les auteurs soulignent l’importance de l’information éclairée : « Les femmes qui envisagent de passer une mammographie doivent être conseillées sur les risques de traitement inutile du cancer en utilisant ces informations ».
En estimant qu'environ 60 % des 280 000 cas de cancer du sein diagnostiqués chaque année aux États-Unis sont découverts grâce au dépistage par mammographie, l'élimination du surdiagnostic pourrait épargner à 25 000 femmes le coût et les complications d'un traitement inutile.
Des "avancées substantielles" dans d'importants domaines doivent être réalisées selon les auteurs, notamment :
Développer une meilleure capacité prédictive dans le but d’identifier avec précision les tumeurs qui ne progresseront pas
Améliorer l’exactitude des technologies de dépistage pour réduire le risque de surdiagnostic et améliorer la capacité de détecter le cancer du sein qui n’a pas été détecté par la mammographie.
Mettre en œuvre des stratégies de prévention pour réduire le taux global de diagnostic de cancer du sein, comme fournir des conseils sur les modifications du mode de vie, ainsi que le dépistage du risque génétique.
Les auteurs de l’éditorial concluent :
« Les tests de dépistage, qu'il s'agisse du cancer ou d'autres affections, peuvent être très utiles en détectant les maladies lorsqu'elles sont plus facilement traitables. Cependant, le risque d'étiqueter des millions de personnes comme étant atteintes d'une maladie sans améliorer leurs résultats est très réel. Pour l'instant, la communication ouverte et efficace entre les médecins et les patients, l'évaluation rigoureuse de toutes les stratégies de dépistage proposées et l'investissement continu dans la recherche sur la détection précoce sont les éléments clés de la gestion de ces compromis. Nous attendons avec impatience le jour où un diagnostic précoce aidera toujours nos patients à obtenir de meilleurs résultats. »
Et les conclusions vont au-delà du dépistage du cancer du sein.
« Alors que les tests de dépistage et de diagnostic continuent de se développer dans la pratique clinique, le problème du surdiagnostic se fait sentir bien au-delà du dépistage du cancer. Pour certaines affections, l'évolution des définitions a conduit à attribuer aux patients un état prédisposé sur la base d'un résultat de test qui était auparavant considéré comme normal. Bien qu'il existe de solides arguments en faveur d'un traitement précoce pour prévenir les complications à long terme dans de nombreuses pathologies, la réalité est que, tout comme pour le dépistage du cancer, il ne fait guère de doute que certains patients diagnostiqués par un test de dépistage n'auraient jamais évolué et sont susceptibles de recevoir un traitement inutile. »
Commentaires et critiques, avis de Dr V.Robert, statisticien
1-Une étude de modélisation
L'étude reste une étude de modélisation, ce qui signifie que les résultats d'une modélisation dépendent d'un modèle choisi et de conditions de validité, au mieux invérifiables et au pire contestables. Par exemple, les auteurs sont obligés de considérer qu'un cancer du sein est soit définitivement non-évolutif, soit inexorablement évolutif, sans possibilité que le statut évolutif du cancer change au fil du temps. Pas sûr que les choses soient aussi simples. Autre exemple, les auteurs sont obligés de construire leur modèle en considérant que tous les cancers du sein évolutifs évoluent au même rythme et que ce rythme reste constant pendant toute la durée d'évolution. En pratique, il y a très vraisemblablement des distributions différentes des vitesses de progression pour chaque type de cancers du sein et il n'est pas certain que les vitesses de progression ne puissent pas varier au cours du temps.
2- Les données de mortalité de cause autre que le cancer du sein utilisées par l'étude ne semblent pas bien adaptées.
D'une part, après vérification de la référence 25 de l'étude qui correspond à la source de ces données (Contribution of Breast Cancer to Overall Mortality for US Women) : pour une population de femmes de 50 à 80 ans, ce ne sont pas des données issues de mesures directes de la mortalité mais des données estimées à partir de projections (autrement dit à partir de modèles). D'autre part, les données correspondent à une cohorte de femmes nées en 1971. Puisque l'âge médian des femmes incluses dans l'étude est de 56 ans, la cohorte née en 1971 est adaptée pour la mortalité de femmes incluses en 1971 + 56 = 2027. Ou, si vous préférez, la cohorte adaptée pour avoir la mortalité de femmes de 56 ans en 2000-2018 devrait être née entre 1944 et 1962. Quel que soit le raisonnement, il est clair que la cohorte prise pour se procurer les données de mortalité est trop récente d'au moins une dizaine d'années. Ce n'est pas neutre puisque les tables figurant dans la référence 25 montrent une diminution non négligeable de la mortalité au fil du temps.
3-La définition des cancers détectés par le dépistage est contestable.
Sont considérés comme cancers détectés par le dépistage les situations qui cochent les deux conditions suivantes : mammographies de dépistage BI-RADS 3 à 5 + diagnostic de cancer dans les 12 mois suivants. Avec des critères comme ceux-là, des cancers de l'intervalle risquent d'être classés cancers détectés par le dépistage (BI-RADS 3 + examens complémentaires négatifs = dépistage ne montrant pas de cancer ; si un cancer survient 11 mois après la mammo de dépistage, c'est un cancer de l'intervalle et pourtant il sera classé cancer dépisté) . Même si ces cas de figure ne sont pas très fréquents, ils participent aux données servant à l'ajustement des paramètres et, ajuster sur des données "foireuses", ça ne peut que donner des résultats foireux ("garbage in, garbage out" comme disent les statisticiens).
4-.Il est faux de prétendre que l'étude montre que le taux de surdiagnostic est de 15%.
La réalité, c'est que l'étude montre que le taux de surdiagnostic est quelque part entre 9 et 27% (et n'importe quelle valeur au sein de cette plage est possible, pas plus 15% que 9% ou 27%).
Figure 3 de l'étude :
Selon la tranche d'âge le pourcentage de surdiagnostic peut varier jusqu'à atteindre 25%, voire 32%.
C'est malheureusement une erreur très fréquente de prendre le résultat d'une étude (taux estimé à partir d'un échantillon) pour la réalité (taux réel, et inconnu, dans la population). Et c'est une erreur encore plus fréquente de croire que le taux estimé a plus de chance d'être proche du taux réel que n'importe quelle autre valeur dans l'intervalle de confiance.
Conclusion
On ne peut pas considérer, sur la base d'une telle étude et de façon arbitraire que le débat sur la fréquence des surdiagnostics est clos, avec une fréquence définitivement établie à 15%, comme les auteurs de l'étude le souhaiteraient.
En revanche le modèle peut être intéressant pour répondre à des questions sur l'évolution de la fréquence des surdiagnostics en fonction de l'âge des femmes dépistées, ou sur l'évolution de la fréquence des surdiagnostics en fonction de l'intervalle entre 2 mammos de dépistage ?
La professeure Alexandra Barrat, de l’Université de Sydney, interrogée par Amanda Sheppeard, rédactrice associée et journaliste à Oncology Republic et à The Medical Republic, a déclaré qu’il existait différentes méthodes pour estimer le taux potentiel de surdiagnostic par le dépistage du cancer du sein. Elle a indiqué que l’étude a démontré l’inévitabilité du surdiagnostic dans le dépistage d’un certain nombre de cancers. « Je pense qu’il y a un besoin dans la communauté professionnelle d'une plus grande acceptation de ce que les données probantes montrent sur le dépistage du cancer du sein. » « Nous devons simplement reconnaître que cela est inhérent à un programme de dépistage du cancer. »
En conséquence et au-delà des données probantes, selon A.Barrat, l’étude a permis de souligner l’importance du consentement éclairé dans le dépistage du cancer du sein.
Liens d'intérêts
Un des principaux investigateurs Dr. Ruth Etzioni possède des actions au sein de la société Seno Medical d'imagerie, comme investisseur.
Le Dr Ruth Etzioni est une biostatisticienne de Fred HutchCenter qui se concentre principalement sur le dépistage du cancer et la détection précoce. Sa motivation première est de veiller à ce que les décideurs, les prestataires et le public soient bien informés des avantages et des inconvénients des interventions de prévention et de détection précoce du cancer. Seno Medical Instruments, Inc. est une société d'imagerie médicale basée à San Antonio, au Texas, créée pour commercialiser une nouvelle modalité de dépistage et de diagnostic du cancer appelée imagerie opto-acoustique. La première application clinique de Seno concerne le diagnostic du cancer du sein, qui se concentre principalement sur le dépistage du cancer et la détection précoce. La technologie opto-acoustique développée par Seno fusionnée avec l'échographie a pour but de réduire les biopsies mammaires négatives. https://senomedical.com/clinical/product-applications
Le premier produit clinique de Seno cible le diagnostic du cancer du sein et sera utilisé en complément de la mammographie de dépistage, en intégrant l'opto-acoustique et les ultrasons.
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1Royal Surrey County Hospital NHS Foundation Trust, Guildford, Grande Bretagne
3Département d'Éthique médicale et Politiques de santé, Université de Pennsylvanie, États-Unis
Correspondance : T Bartholomew tb.public@mailbox.org
Bartholomew, M. C. et H. Schmidt arguent que l’accent devrait être mis sur le processus de prise de décision et pas sur le taux de participation lorsque la balance bénéfices-risques est sujet à controverse.
Le cancer du sein représente la cause la plus fréquente de décès par cancer chez les femmes dans le monde.
Différentes mesures sont explorées pour réduire la mortalité par cancer du sein. L'une d'entre elles consiste à encourager le dépistage en utilisant des incitations financières pour les patients ou pour les prestataires de santé, comme cela a été récemment proposé en France et au Royaume-Uni, respectivement.2-4 Plusieurs pays utilisent déjà une certaine forme d'incitation, et l'ampleur des offres, conjointement à des objectifs de dépistage ambitieux, pourrait suggérer que leur utilisation est un bon moyen pour promouvoir la santé des populations. Cependant, c'est loin d'être évident : le dépistage du cancer du sein suscite de grandes interrogations, l’efficacité des incitations financières n’est pas claire, et il est urgent de s'assurer que les femmes donnent un consentement valide, c’est-à-dire éclairé et sans influence indue, avant de se faire dépister. Certains hommes et femmes trans et les personnes non-binaires sont également éligibles au dépistage du cancer du sein. Dans cet article nous faisons référence aux femmes car les données concernent principalement les femmes cisgenres, mais les arguments relatifs au consentement éclairé s'appliquent à toutes les personnes.
Effets du dépistage du cancer du sein sur la santé
Le dépistage du cancer du sein est controversé pour plusieurs raisons. Pour chaque femme qui évite un décès dû au cancer du sein en recourant au dépistage, 3 à 10 femmes seront traitées inutilement et plus de 200 éprouveront une détresse psychologique en raison des faux positifs (tableau 1).5-7
Cliquez sur le tableau pour agrandir
Bien qu’une étude britannique publiée en 2012 ait conclu que le dépistage conférait « un bénéfice significatif et devait se poursuivre » permettant d’éviter un décès par cancer du sein pour 235 femmes invitées au dépistage pendant 20 ans 5, ses conclusions ont été largement remises en question 8-10.
Les principales interrogations portent sur les dommages causés par le surdiagnostic (encadré 1), une incertitude considérable quant au rapport coût-efficacité11 et sur le fait que la réduction de mortalité par cancer du sein pourrait être attribuée principalement à une meilleure sensibilisation et à l'utilisation de l'hormonothérapie et de la chimiothérapie adjuvantes.6 12 13 .
Une revue Cochrane conclut que le dépistage systématique par mammographie devrait être réévalué étant donné que les chances d’en tirer un bénéfice sont « au mieux minimes » .6
Encadré 1 : Surdiagnostic du cancer du sein
Le surdiagnostic est défini comme « la détection, lors du dépistage, de cancers qui ne seraient pas devenus cliniquement apparents au cours de la vie de la femme en l’absence de dépistage» 5.
Bien que la modélisation scientifique puisse être complexe, d’une manière générale on sait que le surdiagnostic existe réellement, puisque les études individuelles qui comparent l'incidence du cancer dans les cohortes participant au dépistage à celles qui n'y participent pas, montrent toujours plus de cas de cancer en cumulé dans les cohortes dépistées alors que, du fait de l'individualisation, les résultats devraient être similaires.
Le surdiagnostic est problématique car la létalité des tumeurs détectées par dépistage n’est pas connue au moment du diagnostic et, par conséquent, un diagnostic de cancer du sein entraîne presque toujours un traitement.
Dans le cadre du NHS (Service National de Santé anglais), 99% des femmes diagnostiqués d’un cancer du sein à la suite du dépistage subissent une chirurgie, 72% une radiothérapie, 72% une hormonothérapie adjuvante et 27% une chimiothérapie adjuvante 5. Un surdiagnostic signifie qu’une femme reçoit des interventions ne présentant aucun bénéfice mais comportant des risques. La détresse psychologique liée au diagnostic et au traitement d’un cancer du sein est bien documentée et pose un problème d’ordre éthique, car les programmes de dépistage provoquent sciemment de l’inquiétude chez une partie des femmes qui n’aurait jamais connu un cancer du sein5 6 .
Objectifs, taux de participation et incitations
Les recommandations relatives au dépistage du cancer du sein suscitent une attention considérable de la part des politiques et du public, et des appels à une discussion ouverte et une meilleure information du public ont été lancés.14
Les taux de dépistage du cancer du sein varient considérablement d’un pays à l’autre, mais de nombreux pays dont les taux de dépistage étaient élevés auparavant connaissent une baisse,15-17 en partie attribuée à une sensibilisation accrue aux inconvénients du dépistage.18
Les taux de dépistage sont systématiquement en deçà des objectifs fixés par les autorités sanitaires : peu de pays de l’Union européenne atteignent l’objectif de dépistage de 70 % 19, et les derniers chiffres en Angleterre et aux États-Unis montrent que les taux de dépistage sont inférieurs aux objectifs (« réalisables ») établis au niveau national 20 21.
En réponse, certains pays ont introduit ou proposé des incitations financières pour augmenter les taux de dépistage.
En Angleterre, par exemple, le Comité Indépendant des Programmes de Dépistage pour Adultes a recommandé que le NHS England envisage "de toute urgence" le recours à des incitations financières destinées aux prestataires de services afin d'augmenter les taux de dépistage du cancer. Les propositions comprennent l’introduction d’un paiement à l’activité pour les médecins généralistes (une rémunération plus importante pour un nombre plus élevé de personnes dépistées) et des paiements ciblés pour des services améliorés (financement supplémentaire pour plus d’activités de dépistage).15
En France, l’Institut National du Cancer a adopté diverses mesures pour augmenter les taux de dépistage.22 Parmi celles-ci figurent l’expérimentation des mesures incitatives pour les patients et la prise en charge des dépenses liées, telles que la garde des enfants, le transport et le travail.22
Depuis 2011, le taux de dépistage du cancer du sein fait partie des 29 indicateurs cliniques pouvant donner lieu à une rémunération supplémentaire pour les médecins généralistes, malgré la reconnaissance du caractère controversé de cette mesure, en raison des dommages connus liés au dépistage.23 Les incitations financières sont également utilisées ailleurs en Europe, comme par exemple en Croatie et au Portugal.3
Aux États-Unis, les compagnies d’assurance maladie privées incitent au dépistage du cancer du sein en offrant une compensation financière du temps d’absence au travail, des articles en nature (t-shirts, billets de cinéma, etc.) et des incitations financières telles que des réductions des cotisations d’assurance, des cartes-cadeaux ou des billets de loteries.4 Bien que l’absence d’obligation de déclaration ne permet pas de connaître la fréquence d’utilisation et le montant des incitations, celles-ci sont généralement comprises entre 10 et 200 dollars (7 et 150 livres sterling ; 9 et 180 euros).4
Des incitations sont aussi offertes aux femmes aux faibles revenus, bénéficiant d’une assurance de l’état: quatre États offrent des incitations comprises entre 0,50 $ et 540 $, et deux d’entre eux offrent des incitations pour un dépistage annuel (qui représente un dépistage plus fréquent de ce qu’il est préconisé par le US Preventive Services Taskforce, et ceci malgré l’augmentation importante des risques causées par un dépistage plus fréquent; tableau 1).7 24 Le dépistage du cancer du sein est aussi l’un des indicateurs les plus courants dans les primes sur objectifs des médecins américains.
Efficacité des incitations financières
Il n’est toujours pas clair si les incitations financières exercent une influence sur le comportement des patients ou des médecins, ni dans quelle mesure. Bien que les incitations financières destinées aux patients puissent augmenter le recours à certains types de soins préventifs 26-28, leur efficacité dans le cadre du dépistage du cancer et, plus particulièrement, du cancer du sein, est mitigée (tableau 2)26 29-34.
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À l’échelle internationale, les preuves sur l’utilité des mesures d’incitation des prestataires de santé dans le cadre du dépistage du cancer sont également « mitigées », la plupart des études sur le cancer du sein montrant des effets partiels ou nuls sur la participation 35 .
Éthique des incitations financières
Le recours à des incitations nécessite la prise en compte des considérations éthiques. Les arguments en faveur des incitations reposent sur l’économie comportementale. La motivation pour agir sur des objectifs de santé à long terme, même s’ils sont très recherchés, peut être contrebalancée par des besoins à court terme, des aspirations ou des priorités contradictoires. L’échec des résolutions du Nouvel An et l’abandon des régimes de perte de poids en sont des exemples familiers.
L’une des raisons pour offrir des incitations afin de promouvoir la santé est de « pousser » les personnes à agir en leur offrant des récompenses financières immédiates pour un bénéfice sur la santé futur.36
Prenons l’exemple des incitations financières pour arrêter de fumer. De telles incitations peuvent être perçues comme paternalistes et susceptibles d’exercer une influence indue,24 37 mais comme la plupart des fumeurs souhaiterait arrêter de fumer,37 les incitations qui motivent avec succès le sevrage tabagique peuvent être perçues comme renforçant l'autonomie. Ne pas fumer présente également des avantages considérables pour la santé et peu d’inconvénients.
Les incitations destinées aux prestataires de santé sont mises en œuvre lorsque les décideurs politiques pensent pouvoir motiver les professionnels à adapter leur comportement afin de mieux répondre aux priorités du système de santé.
Par exemple, des incitations ont été introduites pour réduire la prescription excessive d’antibiotiques38 ou pour améliorer l’hygiène des mains 39.
Le problème éthique fondamental que posent les incitations est qu’elles puissent conduire à faire des choix qui n’auraient pas été faits en absence d’incitation et subir des préjudices, conséquence de ce choix.
L’arrêt du tabac, la diminution des prescriptions d’antibiotiques ou l’amélioration de l’hygiène des mains diffèrent fondamentalement du dépistage du cancer du sein, car les bénéfices de ces actions sont objectivement et considérablement supérieurs aux inconvénients possibles.
Bien qu’il existerait, en principe, de bonnes raisons pour explorer le potentiel des mesures incitatives pour promouvoir le dépistage du cancer du sein, le point de départ à considérer est qu’il s’agit d’une décision sensible aux préférences 40 – c’est-à-dire que des femmes tout aussi bien informées peuvent évaluer différemment la balance bénéfices / risques et décider de manière rationnelle de se faire ou pas dépister 41 .
Si les incitations deviennent indûment influentes, elles peuvent compromettre le principe et la validité du consentement. 24 37 Les incitations liées au dépistage du cancer du sein pourraient également compromettre l’information impartiale sur les risques et les bénéfices apportée par le prestataire de soins, lorsqu’il cherche à obtenir le consentement du patient.
Par exemple, les avantages financiers liés au taux de dépistage pourraient conduire les prestataires de santé à modifier, de manière consciente ou pas, le temps qu’ils consacrent à discuter les bénéfices et les risques du dépistage avec leurs patientes.
Cela peut être préjudiciable à la prise de décision partagée et au véritable consentement, dans une situation où, aux États-Unis par exemple, moins de 10 % des patients affirment que leur médecin les a informés du surdiagnostic lors des échanges autour du dépistage des cancers.42 L’existence des objectifs sur le taux de dépistage accentue encore plus ce problème, les prestataires de santé pouvant ressentir de la pression pour atteindre ces objectifs.
Comprendre le dépistage et communiquer sur les risques
Le dépistage du cancer du sein est généralement mal compris dans la société. La majorité des femmes surestiment les avantages du dépistage en termes de réduction de mortalité (92 % des femmes interrogées dans neuf pays européens ont surestimé la réduction de la mortalité due au dépistage par un facteur de 10 à 200 ou ont déclaré qu’elles ne savaient pas) 43 et la plupart n’ont pas connaissance qu’une maladie sans conséquence peut être détectée suite au dépistage 41.
Ces constats ne sont peut-être pas surprenants dans la mesure où les organisations promouvant le dépistage exagèrent parfois les avantages et minimisent les inconvénients. 6 44
La communauté scientifique s’accorde à dire que la population devrait être mieux informée sur le dépistage.45 Le constat que des personnes ayant une connaissance suffisante du bénéfice global, des faux positifs et du surdiagnostic peuvent être moins enclines à choisir le dépistage du cancer du sein, 41 et que celles ayant une connaissance du surdiagnostic expriment plus facilement l'intention d’arrêter le dépistage, souligne davantage cette nécessité.46
Des recherches supplémentaires sont toutefois nécessaires pour clarifier comment cette compréhension impacte la participation à plus long terme.47
Les médecins peuvent avoir aussi une mauvaise compréhension du dépistage. Dans une enquête menée auprès de plus de 400 médecins généralistes américains de 2011-2012, près de la moitié d’entre eux ont répondu de manière erronée que la détection d’un plus grand nombre de cancers montre que le test de dépistage réduit la mortalité (plus de détection pourrait simplement signifier plus de surdiagnostics). 48
En outre, trois quarts d’entre eux ont répondu qu’une meilleure survie à cinq ans chez les patientes atteintes de cancers dépistées comparées aux à celles non dépistées prouverait que le test de dépistage réduit la mortalité (alors qu’elle pourrait être le résultat d’un biais lié au délai de devancement).48
L'efficacité de la communication est également une source de préoccupation. Parmi 151 médecins généralistes britanniques évalués face à un patient hypothétique demandant des conseils sur le dépistage du cancer, seuls 44 % ont été jugés capables de communiquer des informations "complètes et significatives" sur les risques.49
Les médecins devraient avoir une solide compréhension des interventions qu'ils proposent et être capables de les communiquer aux patients d'une manière compréhensible, mais cela ne semble pas être le cas.
Aides à la décision pour soutenir un choix éclairé
Idéalement, les informations fournies sur les risques et les bénéfices du dépistage devraient être personnalisées en fonction du profil de risque spécifique de chaque personne.50 A minima, les personnes devraient être accompagnées dans leurs décisions de dépistage grâce à des aides à la décision fondées sur des preuves et suffisamment complètes41 (fig. 1), conjointement à des conseils impartiaux et éclairés de leur médecins.
Étant donné la complexité des informations à mettre en balance et la nécessité de se confronter à sa propre mortalité, déterminer si ses préférences sont en adéquation ou en conflit avec le dépistage du cancer du sein est un processus, plutôt qu'une décision facile et instantanée.
Les aides à la décision peuvent faire émerger les valeurs et les préférences d’une personne.
Fig 1 Exemple d’aide à la décision pour le dépistage du cancer du sein (pictogramme) du Harding Center for Risk Literacy.
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