29 novembre 2023
Synthèse Cancer Rose https://www.cfp.ca/content/69/11/e216
Réfutation des mythes entourant le dépistage
Le dépistage est fréquemment présenté au public de façon très positive et comme un dispositif salvateur, cette idée est portée par des campagnes promotionnelles massives d’octobre et par des personnalités en vue qui en assurent le marketing.
Cet article d’auteurs canadiens *(voir en fin d’article) décortique 4 mythes principaux qui sous-tendent les dépistages, mythes mis à mal dans la vraie vie, confrontés à la réalité, ce dont il faudrait informer le public afin de lui éviter des déconvenues impactant la santé des personnes.
« Nous avons présumé », disent les auteurs, « que nous pourrions nous attaquer aux maladies chroniques de la même manière que nous avons lutté contre les maladies infectieuses; cependant, non seulement la prise en charge des maladies chroniques n’est pas aussi simple, mais les résultats des tests diagnostiques pour ces maladies sont rarement certains. Cette incertitude est davantage amplifiée dans les résultats des tests de dépistage. »
Cette incertitude malheureusement est très peu est insuffisamment relayée au public, ce qui constitue en soi une problématique de santé publique.
« Auparavant, on ne se rendait chez le médecin que pour des symptômes gênants : douleur, fièvre, toux, indigestion, etc. Les médecins établissaient alors un diagnostic sur la base de ces symptômes, ainsi que des signes associés et des tests diagnostiques disponibles. »
La médecine moderne a ensuite fait émerger l’idée d’anticiper les problèmes et d’intervenir avant l’apparition des symptômes.
« Cependant, le passage d’une médecine axée sur les symptômes à une médecine d’anticipation a eu un effet secondaire inattendu pour les patients : la possibilité d’avoir un diagnostic qui n’est pas destiné à provoquer des symptômes. La différence énorme entre une maladie diagnostiquée en raison de symptômes et la même maladie détectée en l’absence de symptômes est apparue très clairement dans le cas du cancer. »
En effet, les auteurs rappellent que pour qu’on puisse déclarer un dépistage comme efficace, il doit y avoir, en face des préjudices engendrés par ce dépistage, des bénéfices compensatoires, comme : aboutir à une moindre mortalité, une diminution des cas graves et une réduction des traitements lourds, tout ceci rendant les inconvénients des dépistages (fausses alertes, diagnostics inutiles) comme « acceptables ».
4 grands mythes sont ainsi décortiqués.
Mythe 1 : le dépistage ne cause pas de préjudices
Les auteurs rappellent les préjudices du dépistage dont nous parlons souvent sur le site, fausses alertes et surdétections inutiles, et demandent à ce qu’ils soient discutés avec le patient, avant que celui-ci ne s’engage dans ces dispositifs de santé.
« Le surdiagnostic est une conséquence inhérente à toute forme de dépistage. Son occurrence, de même que d’autres préjudices potentiels comme les résultats faux positifs, devraient être estimés et discutés avec le patient au même titre que les bienfaits possibles pour déterminer si on procède ou non au dépistage. La compréhension par le patient et sa contribution à la prise de décision sont des composantes essentielles. »
Il existe d’autres effets adverses du dépistage, comme l’anxiété liée à l’examen lui-même, ou encore à l’attente des résultats en cas de fausses alertes.
Il y a des effets adverses générés par le surdiagnostic aussi, que vous trouverez listés dans des documents téléchargeables de notre article sur le surdiagnostic.
Mythe 2 : la détection précoce se traduit par de meilleures issues cliniques
« L’une des croyances les plus courantes est qu’une détection précoce de la maladie produit toujours de meilleures issues cliniques chez les patients. Une détection précoce est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour que le dépistage soit bénéfique. »
En effet, une lésion petite est plus facile à traiter qu’une lésion de gros volume.
Cependant une première question est : le dépistage est-il apte à détecter les cancers les plus graves alors qu’ils sont encore petits ?
Une autre faille est que la taille des lésions n’est pas automatiquement corrélée au temps et n’est pas automatiquement corrélée non plus à la gravité de la lésion. Petit n’est pas « précoce », et surtout n’est pas toujours « à temps ».
L’histoire naturelle du cancer nous apprend que les cancers n’ont pas tous la même vélocité, certains, agressifs, peuvent être d’emblée très rapides et ainsi ratés par le dépistage parce qu’ils se développent entre deux mammographies, en quelques semaines.
Et certains cancers même petits peuvent être d’emblée agressifs et métastatiques.
Les auteurs ajoutent l’exemple du mélanome
« Bell et Nijsten ont expliqué dans un commentaire comment le dépistage des mélanomes avait augmenté la détection précoce du problème sans avoir de répercussion sur le nombre de maladies à un stade plus avancé.
De même, l’histoire du dépistage des neuroblastomes au Japon (à partir de 1985) constitue une mise en garde. Ce cancer a un meilleur pronostic s’il est diagnostiqué avant l’âge de 1 an, et le programme avait pour but de détecter plus tôt les neuroblastomes, lorsque le pronostic est plus favorable. Le dépistage a fait croître l’incidence des neuroblastomes, mais n’a pas changé le nombre d’enfants diagnostiqués plus tard (après 1 an), et la mortalité est demeurée semblable »
Un autre exemple cité est celui du dépistage du cancer de la thyroïde où on a une même problématique de surdétection de cancers inoffensifs et lentement évolutifs sans menace pour les patients, en raison d’une multiplication de l’imagerie, échographique essentiellement :
« …..des hausses remarquables de l’utilisation de l’imagerie durant les années 1990 et le début des années 2000, surtout chez les femmes d’âge moyen, ont été observées, une fois de plus sans qu’il y ait de changement dans la mortalité. »
Le dépistage peut ‘rattraper’ des cancers qui ne se seraient jamais développés créant un surdiagnotic important et ‘rater’ des véritables cancers qui menacent la vie et la santé de la personne, parce que ces derniers se développent très vite, entre deux dépistages, comme les schémas reproduits dans cet article l’expliquent, ou la figure 1 issu de l’article canadien.
Comme on le voit dans le graphique ci-dessus, les cancers rapides se développent si vite que le dépistage les rate. Les cancers plus lents sont détectés par un dépistage, mais cette détection ne sert à rien car ces cancers n’auraient jamais nui, et leur détection alimente le surdiagnostic.
Figure 1 de l’article canadien (cliquez pour agrandir)
Lire à ce propos : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/
Mythe 3 : les nouvelles technologies procurent plus de bienfaits
L’exemple pris est celui de la tomosynthèse en complément de la mammographie numérique dans le dépistage du cancer du sein.
Il s’agit d’une sorte de ‘scanner’ du sein, davantage irradiante, et sujette à controverse. D’abord non validée pour être intégrée dans le dépistage, la HAS l’admet finalement en 2023, sans que soient réglées les questions soulevées par cette technologie, notamment pourvoyeuse de davantage de surdiagnostics.
« Dans le dépistage, la mammographie numérique, combinée à la tomosynthèse mammaire, peut détecter plus de cancers du sein que la mammographie seule, mais cela ne devrait pas être considéré comme la garantie de meilleures issues cliniques pour les patientes. Cette nouvelle technologie pourrait être bénéfique, mais des renseignements sur la magnitude des bienfaits et des préjudices potentiels sont nécessaires pour informer nos patientes. »
Les auteurs ont listé sous forme de tableau les approches qui sont utilisées pour augmenter les possiblités de détection précoce des maladies, avec les réserves qui s’imposent dans la colonne de droite.(Cliquez sur l’image pour agrandir)
Mythe 4 : le dépistage sauve des vies
« le dépistage du cancer du sein sauve des vies », alors que le message entier devrait être que, pour chaque tranche de 1000 femmes dépistées à répétition, « le dépistage du cancer du sein peut réduire le nombre de décès dus au cancer du sein ». Le nombre varie selon l’âge, mais il se situe à environ 1 femme sur 1000 femmes dépistées durant leur cinquantaine ou leur soixantaine. »
Il faut faire attention à la présentation des choses, 20% de réduction de mortalité comme souvent avancé cela ne signifie pas que 20 femmes sur 100 en moins mourront de cancer du sein. Ces 20% sont une réduction relative du risque lorsqu’on compare deux populations de femmes.
Comme l’affiche ci-dessous le montre, passer de 5 décès chez les femmes non dépistées à 4 décès chez les dépistées correspond bien à 20% de réduction du risque (5-4/5=0,2), mais dans la vraie vie, il ne s’agit que d’une vie « sauvée » à la condition d’avoir dépisté une grande cohorte de femmes et sur un long laps de temps (10 années) . Durant le même temps, surdiagnostics et fausses alertes s’accumulent aussi.
Plusieurs études et notamment une étude d’impact ont déjà montré le rôle prépondérant des avancées thérapeutiques pour réduire la mortalité par cancer du sein depuis les années 90, bien indépendamment du dépistage.
En effet depuis les années 90 la mortalité par cancer du sein décroit, avant même l’instauration des campagnes (seulement en 2004 en France) et cette réduction n’a pas vu d’amplification lors des déclenchement des campagnes de dépistage nationales.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/
De plus on ne constate aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce critère serait plus fiable pour révéler une efficacité d’un dépistage car il intègre les décès par la maladie, les décès pour autres causes survenues chez les porteurs de cancers et aussi les décès consécutifs aux traitements et à leurs conséquences. Il est donc un meilleur marqueur de l’impact du dépistage sur la mortalité dans la population.
Toutefois l’estimation de la réduction globale de mortalité est difficile à obtenir, comme l’expliquent les auteurs.
« La démonstration d’une réduction dans la mortalité toutes causes confondues est un défi global, mais en particulier pour les tests de dépistage pour lesquels la plupart des patients sont à risque très bas de décès. Il faudrait que les essais randomisés contrôlés soient très larges ou que la taille des effets soit considérable. Comme stratégie, nous pouvons combiner des essais multiples pour augmenter la puissance statistique.
Ce faisant, le seul test de dépistage du cancer pour lequel il a été démontré qu’il réduisait la mortalité toutes causes confondues de manière statistiquement significative est la sigmoïdoscopie flexible pour le cancer colorectal (risque relatif=0,97; IC à 95 % de 0,959 à 0,992, p=,004) avec une réduction du risque absolu de 3,0 décès par 1000 dépistages (IC à 95 % de 1,0 à 4,0) sur 11,5 ans de suivi. Puisque le dépistage du cancer du col réduit l’incidence de la maladie, il est probable que son dépistage réduise aussi la mortalité. »
A ce propos lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/
En conclusion :
« Avec les connaissances que nous avons acquises depuis, nous nous rendons compte que ce que nous pensions être relativement simple est bien plus compliqué. » Ecrivent les auteurs à propos des dépistages.
Ceci nous amène à l’importance de communiquer ces incertitudes sur la réelle balance entre les bénéfices et les nuisances des dépistages au public.
Les principe du choix éclairé, de l’autonomie dans la décision de la personne à participer aux dépistages est simple et peu coûteuse à mettre en place, notamment par le biais de pictogrammes, d’outils d’aides à la décision et de visuels simples, comme nous vous en proposons en page d’accueil du site.
Celui de Cancer Rose
Les outils internationaux
Malgré quelques efforts consentis dans la communication, l’Institut national français du cancer enfreint l’éthique, rechignant à fournir une information sur le surdiagnostic et ses conséquences, sur le bénéfice très douteux et relatif du dépistage du cancer du sein, contrebalancé par des risques maintenant bien connus, en tordant les données, et ce malgré les demandes publiques comme celles de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein de 2016.
Il est plus que temps d’accorder aux personnes cette information loyale avant qu’elles ne s’exposent aux dépistages qui leur sont recommandés sans transparence sur la balance bénéfices/risques, ou parfois qui leur sont même imposés.
*Les auteurs
Guylène Thériault, Directrice du volet Rôle du médecin et directrice du Centre de pédagogie au Campus Outaouais de la Faculté de médecine de l’Université McGill à Montréal (Québec).
Donna L. Reynolds, Professeure adjointe au Département de médecine familiale et communautaire et à l’École Dalla Lana de santé publique de l’Université de Toronto (Ontario).
Roland Grad, Professeur agrégé au Département de médecine familiale de l’Université McGill.
James A. Dickinson, Professeur au Département de médecine familiale et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Calgary (Alberta).
Harminder Singh, Professeur agrégé au Département de médecine interne et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université du Manitoba à Winnipeg, et au Département d’oncologie et d’hématologie médicale à Action Cancer Manitoba.
Olga Szafran, Directrice adjointe de recherche au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta à Edmonton.
Viola Antao, Professeure agrégée au Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto.
Neil R. Bell, Professeur au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta.
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