Un blog, pour les femmes avec CIS (carcinomes in situ)

Be Wise !

Témoignage de Donna

Le CIS, qu'est-ce ?


Be Wise !

 

https://dcis411.com/

Ce blog est un témoignage d'une jeune femme de 44 ans, Donna Pinto, qui a décidé de partager son histoire après un diagnostic de carcinome in situ mammaire. Après une période de panique, Donna a pris le parti de se documenter sérieusement pour prendre des choix éclairés. Il ne s'agit pas uniquement d'un partage d'expérience personnelle, car on trouvera aussi sur les pages de "DCIS 411" une foule de ressources utiles rassemblées ici : https://dcis411.com/bewise/ sous le mot d'ordre "be wise", appelant à la prise du pouvoir en santé.

Selon Donna Pinto "be wise" est une  "initiative pour la santé des femmes avec une mission urgente de santé publique - s'assurer que toutes les femmes soient correctement informées des dangers potentiels graves du dépistage du cancer du sein.

Les conflits d'intérêts et les campagnes de marketing bien financées ont créé un déséquilibre de l'information, en promouvant une histoire à sens unique des avantages «vitaux» de la mammographie de routine tout en ignorant ou minimisant ses dommages graves."

L'appel "be wise" n'est pas sans rappeler le mouvement plus général de "choosing wisely", demandant une information éclairée des femmes pour une prise de décision avisée et partagée, dont nous parlions récemment[1] .On voit qu'il y a ben une demande générale du public de transparence dans l'information en santé, et de prise de décision partagée, en ayant toutes les données en main.

Forte de son expérience, Donna a créé son blog d'information pour aider les femmes du monde entier à recevoir les mêmes informations et toutes les ressources utiles, et à avoir accès à un espace de soutien.

La page "ressources" contient, outres des vidéos, un visuel à points reflétant la balance bénéfice / risques du dépistage à l'instar de notre affiche publiée sur notre page d'accueil, téléchargeable.

Nous saluons la présence de ce blog qui ne peut qu'apaiser et informer des femmes certainement affolées exagérément par ces diagnostics de CIS, actuellement davantage considérés comme marqueur du risque de cancer du sein que comme cancers vrais, et dont la découverte est majorée par les dépistages intensifs. Leur pourcentage ne fait que croître, alors que leur traitement n'a pas de retentissement sur la mortalité. Ils alimentent surdiagnostics et surtraitements.

Les carcinomes de type canalaires in situ (CCIS) du sein représentent 85% à 90% des cancers in situ du sein. Ces lésions sont asymptomatiques et fréquemment diagnostiquées lors du dépistage mammographique, en particulier sous forme de microcalcifications.
En France il n'y a pas de recommandation de proposer une surveillance active comme alternative au traitement local, c’est-à-dire à l’exérèse chirurgicale, en dehors d’essais cliniques encadrés.

Toutes ces ressources sont donc très utiles à connaître.

Témoignage de Donna

Témoignage de Donna Pinto, patiente américaine, auteure du blog DCIS 411, pour Cancer Rose

Des articles traduits de son blog, avec son aimable autorisation, vont suivre.

Merci Donna!

J'ai lancé mon blog DCIS 411 en décembre 2011, après un diagnostic de carcinome in situ (CCIS) et près de deux ans de recherches quotidiennes en ligne sur le "sur-traitement" du CCIS. À l'époque, j'étais une des rares patientes à résister aux pressions exercées par les prestataires de soins de santé pour davantage de biopsies, de chirurgies lourdes, de semaines de radiations et d'années de médication.  J'ai été choquée d'apprendre également l'épidémie de "surdiagnostic", qui touche chaque année des dizaines de milliers de femmes dans le monde. Au départ, comme la plupart des femmes, j'étais naïve et pas du tout consciente des risques liés aux mammographies de dépistage, car rien ne mentionnait les inconvénients potentiels. Grâce à mes interminables heures de recherche, j'ai pris pleinement conscience de la désinformation et des perceptions erronées présentées dans les médias - et même par les professionnels de la santé - sur le dépistage par mammographie. J'étais non seulement bouleversée par ce qui m'était arrivé, mais aussi extrêmement inquiète pour les femmes au sein de la population qui n'étaient absolument pas informées des bénéfices et des risques réels du dépistage du cancer du sein. Je voulais leur éviter de subir le même sort que moi (biopsies douloureuses, interventions chirurgicales déformantes, angoisse émotionnelle et harcèlement médical). Tout cela a été inutile et aurait pu être évité si j'avais été correctement informée. J'ai créé mon site Web et blog pour partager mes expériences personnelles et recherches sur le surdiagnostic et le surtraitement du CCIS, contribuer à éduquer et à avertir toutes les femmes pour qu'elles ne tombent pas victimes des campagnes de propagande rose.

Les carcinomes in situ (CIS)[2]

Lire aussi l'article de la FAQ https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

Ils alimentent les surdiagnostics. Les essais et études montrent que la croissante détection des CIS n’a pas contribué à la réduction de la mortalité par cancer du sein. Avant l’ère des dépistages, le CIS représentait moins de 5% de tous les cancers du sein pour passer à 15 à 20% dans tous les pays où les campagnes de dépistage existent. Ils ne sont pas comptabilisés dans les chiffres d'incidence (taux des nouveaux cas) donnés par l'Institut National du Cancer, car considérés à part, et non en tant que cancers "vrais".

En plus on manque d’un réel consensus parmi les anatomo-pathologistes pour le classement de ces lésions lors de l'analyse des biopsies qu'ils reçoivent, avec une tendance à les surclasser dans des catégories de pronostic plus défavorables, de peur de sous-estimer une "maladie".

la plupart des CIS sont considérés comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs.

Le problème majeur est que ces entités particulières des cancers du sein sont traitées avec la même lourdeur qu'un cancer du sein.

En novembre 2016, une étude de l'université de Toronto arrive aux résultats suivants :

  • Leur traitement ne fait pas de différence sur la survie des femmes.
  • Les femmes atteintes de CIS sont lourdement traitées (parfois par mastectomie bilatérale) et ont la même probabilité de décéder d’un cancer du sein par rapport aux femmes dans la population générale.
  • Traiter les CIS ne diminue pas leurs récidives.
  • La prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduirait pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

De même, notre étude sur les mastectomies en France objectivait une augmentation régulière des actes chirurgicaux, notre hypothèse première étant le surtraitement de lésions qui ne sont pas des cancers invasifs, mais des lésions dites pré-cancéreuses et les CIS.[3] [4]

Les conséquences à long terme du surtraitement peuvent mettre la vie des femmes en danger. Par exemple, la radiothérapie faite sur ces lésions semble incapable de réduire le risque de décès par cancer du sein, mais elle est associée à une augmentation dose-dépendante (de 10 à 100% sur 20 ans) du taux d’événements coronariens majeurs. [5]

D'ailleurs dans plusieurs pays sont entrepris des essais cliniques visant à tester une simple surveillance active notamment pour le CIS de bas grade plutôt qu'un traitement agressif :

Pour Philippe Autier[6], de l'International Prevention Research Institute (IPRI) le problème est indubitablement inhérent à la mammographie routinière, en particulier la mammographie numérique qui est trop performante concernant la détection des petites calcifications ; celles-ci sont le signe radiologique le plus fréquent de ces formes, et la mammographie présente une excellente sensibilité pour la détection de ces microcalcifications.

Vous trouverez dans notre médiathèque plusieurs cas cliniques de carcinomes in situ, appelées abusivement carcinomes.[7]

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2020/05/26/le-defi-de-la-mise-en-oeuvre-de-less-is-more-medicine-une-perspective-europeenne/

[2] Voir 10ème point abordé en partant du haut, de l'article https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[3] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/09/Etude-mastectomies-en-France-.pdf

[4] https://cancer-rose.fr/2019/08/09/explication-de-letude-sur-les-mastectomies-en-france/

[5] SC Darby, M. Ewertz, P. McGale, AM Bennet, U. Blom-Goldman, D. Bronnum, et al.Risque de cardiopathie ischémique chez les femmes après radiothérapie pour cancer du sein-N Engl J Med, 368 (11) (2013), p. 987-998

[6] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[7] https://cancer-rose.fr/mediatheque/mediatheque-cas-cliniques/

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La saga du cancer au stade 0

La saga du CCIS au stade 0 - Témoignage de Lynn Good

Posté le 25 janvier, 2023 par Donna Pinto, qui tient le site DCIS411 :

Sur le site de Donna vous trouverez une foule d'informations sur le carcinome in situ, entité particulière de lésion du sein, pour laquelle certains scientifiques demandent une autre dénomination que "carcinome".
(Article sur le sujet ici.)

Donna Pinto a créé ce blog pour aider les femmes du monde entier à recevoir les mêmes informations et ressources qui l'ont aidée, informée et encouragée, et il fournit un espace de soutien et de connexion bénéfique pour les femmes qui sont concernées.
Vous pouvez avoir accès au contenu par la traduction automatique en français qui fonctionne plutôt bien et vous permettra de lire des articles informatifs et des témoignages.

Il s'agit ici du témoignage de Lynn Good ; traduction en français avec l’aimable autorisation de l’auteur du blog DCIS411 Donna Pinto et de l’auteure du témoignage Lynn Good (Etats-Unis)

Merci Donna et Lynn !

Témoignage :

Merci pour ce blogue ; il m'a été d'une grande aide.

Il y a quelques mois, mon médecin de famille a insisté pour que je fasse une mammographie.
J'ai 70 ans et j'avais déjà fait une mammographie 16 mois auparavant. Il n'y a pas d'antécédents de cancer du sein dans ma famille.
Après la mammographie, le centre de radiologie m'a demandé de revenir pour d'autres examens d'imagerie, car ils pensaient avoir vu quelque chose d'inquiétant. Les résultats du deuxième examen, plus détaillé, ont révélé des calcifications ; la radiologue m'a montré les images et m'a dit que je pouvais choisir entre une surveillance et une biopsie ; elle a dit que les calcifications étaient près de la paroi thoracique et qu'elle n'était pas sûre qu'une biopsie permettrait de les atteindre. J'ai répondu que j'étais prête à attendre.
À ce moment-là, elle a commencé à me mettre la pression pour que je choisisse de subir une biopsie. J'ai accepté, m'attendant à ce qu'elle soit négative. La procédure a nécessité trois essais, la troisième fois avec une aiguille plus grosse, pour parvenir au prélèvement souhaité. Un clip a été placé pour marquer l'emplacement. Les résultats de la biopsie sont revenus : carcinome canalaire in situ (CCIS), ER+, sein gauche, stade 0.
Mon médecin de famille m'a alors orientée vers une IRM de suivi des deux seins et vers un chirurgien et un oncologue. Cette IRM a été réalisée et n'a rien montré. RIEN ! Le radiologue et mon médecin de famille ont parlé de la possibilité d’une tumorectomie pour traiter le CCIS ; mon médecin m’a informée que le tamoxifène ou un autre suppresseur d'œstrogènes pourrait être prescrit pour traiter la sensibilité aux œstrogènes indiquée dans le rapport pathologique de la biopsie.
Ni l'un ni l'autre n'a mentionné le fait que l'IRM était normale.

Lors de la consultation chirurgicale, la chirurgienne a commencé par montrer qu'elle connaissait mes antécédents médicaux, ce qui semblait révéler qu'elle avait bien fait son travail, puis elle nous a laissé la possibilité de poser des questions. J'ai posé des questions sur la biopsie du ganglion sentinelle en me basant sur les informations que mon frère, dont la femme est décédée d'un cancer du sein, m'avait données ; elle m'a répondu qu'elle utiliserait un colorant bleu pour trouver les ganglions. Elle voulait qu'un clip RFID soit inséré à la place de celui que le radiologue avait mis. Elle a également décrit comment elle procédait pour décider, en fonction de la "sensation" du tissu, de la proportion du sein qu'elle allait enlever. L'échantillon serait ensuite soumis à un examen pathologique pour décider du traitement à suivre.
Alors que j'étais attentive à tout cela, mon mari a mentionné une tumorectomie ; la chirurgienne l'a corrigé en nous disant que ce n'était pas le terme correct - l'intervention était techniquement appelée "mastectomie radicale modifiée"*, mais je n'ai pas retenu cette partie de la conversation. Plus tard à la maison, mon mari en a parlé, disant qu'il pensait que cela signifiait l'ablation de tout le sein. ( À ce propos, sa première femme est décédée d'un cancer du sein et il m'a raconté au cours de nos années de vie commune comment ça s’est passé, alors je ne suis pas étrangère à ce que le cancer peut entraîner chez une personne). Cela m'a bouleversée. Le lendemain, un vendredi, j'ai laissé un message sur le répondeur en demandant à la chirurgienne de m'appeler pour préciser si elle prévoyait une conservation du sein ou une ablation totale. Comme elle était en intervention ce jour-là, on m'a dit qu'elle ne pourrait pas me rappeler avant lundi. Plus tard dans la journée, son assistante a appelé et m'a donné les dates de l'opération et pour toutes les autres procédures associées.

*La mastectomie radicale modifiée permet d'enlever tout le sein, le mamelon, presque tous ou tous les ganglions lymphatiques à l'aisselle et le tissu qui recouvre les muscles du thorax. (NDLR)

Pendant le week-end, j'ai essayé de trouver des informations sur ce qu'était une "mastectomie radicale modifiée" ; je crois que je l'avais entendu mentionnée, mais je pensais que  "modifiée" signifiait qu'il s'agissait d'une tumorectomie. Ce que j'ai trouvé m'a confirmé que ce n'était pas le cas. J'ai aussi découvert ce que l'opération impliquait pour mon corps et ce que je pouvais ressentir. Et je suis tombée sur un certain nombre d'articles, dans des revues et des publications réputées, sur le traitement excessif du CCIS par la chirurgie. Que le CCIS ne progresse pas toujours. J'ai également trouvé ce site Web [DCIS 411 https://dcis411.com]. Après beaucoup d'angoisse et après en avoir discuté avec mon mari, j'ai réalisé que j'avais plus peur de voir mon corps mutilé et d'être traumatisée par la procédure chirurgicale et la perspective de vivre le reste de ma vie d'un scanner à l'autre en me demandant s'il était normal ou non, que de mourir ! Comme je l'ai dit, j'ai 70 ans et j'ai eu une très belle vie. J'ai également commencé à avoir des problèmes de santé qui, même avant cela, m'ont amenée à commencer à réfléchir aux questions de fin de vie parce que, vous savez quoi ? Nous finissons tous par mourir !

À la fin du week-end, je savais que je n'allais pas procéder à l'opération, du moins pas maintenant. Je suis même un peu réticente à l'idée d'un deuxième avis ou d'un suivi, car je m'attends à ce qu'on me pousse à nouveau vers ce traitement. Je vais retourner voir mon médecin de famille et essayer d'explorer d'autres options, dont aucune, vous le remarquez, ne m'a encore été présentée, ni d'information sur les avantages et les inconvénients des options, ou des descriptions des suites possibles/probables des alternatives.
Je ne sais pas s'il existe dans ma région des praticiens qui envisageraient d'autres approches ou respecteraient mes valeurs et mon droit de choisir, mais je vais essayer d'en trouver un.

Récemment, à l'approche de mon 70e anniversaire, j'ai eu l'impression d'avoir atteint la durée de vie normale d'un être humain ; je sens bien que des signes de fatigue commencent à apparaître dans mon corps. Mais aujourd'hui, je suis toujours là, et chaque jour que cela est vrai est un cadeau. Je choisis de vivre cette expérience dans un corps intact, et non dans un corps mutilé avec un esprit traumatisé et terrifié par la perspective d'un scanner ou d'un rapport médical négatif à l'avenir, et par ce qu'il faudra me faire pour le traiter. Et je suis prête à vivre avec les conséquences de ce choix.

Je suis sûre que ma décision n'est pas nécessairement la bonne pour les autres ; les situations sont différentes, chacun doit décider pour lui-même, et personne ne sait vraiment ce que cela signifie de se mettre à la place d'une autre personne.

Réponse de Donna

Merci Lynn d'avoir partagé votre histoire et vos réflexions. Je suis si heureuse que vous ayez trouvé de l'aide et du réconfort auprès de DCIS 411. Je vous souhaite sérénité, amour, clarté et santé - Donna Pinto

Pour toute personne intéressée à écrire un article de blog invité, veuillez m'envoyer un courriel (Donna) à dp4peace@yahoo.com.

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Réflexions d’un dépisteur

"Réflexions d'un dépisteur" de Dominique Gros, publiées dans la revue Psycho-Oncologie en 2013

Le Dr. Dominique Gros est oncologue et sénologue.
Ancien praticien hospitalier des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, il est auteur de "Cancer du sein : entre raison et sentiments" , Edition Springer, (2009).

Publié avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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Un manque d’information

Témoignage Mme A.

Avril 2022

Je suis bénévole au sein du collectif StopVOG. (Stop-violences obstétricales et gynécologiques)
Je les ai rejoint•e•s cette année, après avoir été victime de violences de la part d’une gynécologue. Quelques jours avant cette horrible consultation, disciplinée ( aujourd’hui je dirai plutôt, bêtement disciplinée) je suis allée faire la mammographie de dépistage organisée, sur injonction de mon médecin traitant ( j’ai 56 ans). Le radiologue a été fort désagréable, me reprochant vertement de n’en avoir pas fait depuis 4 ans (ce à quoi, je n’ai pu m’empêcher de lui faire observer que le « O » de D.O. voulait dire « organisé »  et non « obligatoire » , ) et surtout d’avoir oublié mes clichés précédents, (ce que j’avais pourtant signalé à mon arrivée, proposant de revenir en reprenant rendez-vous).
À la fin de l’échographie, il me dit, sans explication : «  puisque je n’ai pas les anciens clichés, je vais vous faire DES biopsies aux points douteux. ». Déjà refroidie par sa première remarque, tout en lui disant « C’est non ! », je me suis relevée et rhabillée. La consultation s’est achevée sur un : « Tant pis pour vous ! »
Mon médecin traitant a conclu, à la réception du compte-rendu, que rien ne justifiait des biopsies.

Je me suis alors intéressée de près à ce dépistage organisé du cancer du sein… et chaque nouvelle lecture me met davantage en colère. Il nous manque une information complète, et non orientée, afin de nous faire culpabiliser si on ne se « soumet » pas au dépistage. On ne nous donne pas les données justes sur les bénéfices de ce dépistage. Après avoir lu le compte-rendu Cochrane, mes recherches sur le NET m’ont amenée à visiter le site de votre collectif. Ce que j’y ai trouvé renforçait mon sentiment d’une information tronquée et orientée à destination des femmes.
Les médecins "savent" et les femmes doivent obtempérer sans poser de questions, avec docilité, et sans se plaindre ! Beaucoup de femmes de mon entourage à qui j’en ai parlé me trouvent injuste envers ce dépistage qui sauve tant de vies ! Aucune ne remet en cause le bien-fondé de ce dépistage, puisque c’est une recommandation de leurs médecins. 20 ans que l’information des patients est inscrite dans la loi… et nous continuons à répondre à cette « invitation » de dépistage sans poser de questions !

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Le dépistage ne permet que la détection de cancers lents

Une observation de notre confrère sénologue, Dr Granger, novembre 2021

Un cancer à haut potentiel invasif, Mme NP

Mme NP, 53 ans, consulte suite à son dernier bilan sénologique: celui-ci a été classé ACR 4, pour la découverte d'une lésion échographique atténuante du sein gauche. Après micro-biopsie et IRM très rapidement réalisées, il n'y aurait finalement rien de suspect. Mme NP se demande pourtant quelle « vérité vraie » est cachée derrière cet « ACR 4 » devenu soudain « non suspect », et quel suivi je peux lui proposer.

            Cliniquement ses seins sont souples et réguliers, sans nodule repérable. Il n'y a pas d'écoulement, ni d’adénopathies. La mammographie montre une fibrose dense : si les clichés ont été jugés « normaux » ils sont en fait très peu informatifs du fait de l’opacité des tissus, on peut seulement noter qu’il n’y a pas de calcifications. L'échographie confirme l'existence de multiples plages hypo-échogènes disséminées. La plus importante, à l’union des quadrants externes gauches, effectivement atténuante, évoque en priorité une structure kystique ancienne, arrondie, finement échogène. Sa ponction sous repérage écho avec une aiguille de 18 G permet d'évacuer une sérosité pâteuse dont l'étalement sur lame est parfaitement translucide et homogène : il s’agit d’un kyste gélifié simple.

            Conclusion : kyste gélifié banal (la cytologie de l’étalement confirmera). Contrôle échographique de principe conseillé dans un an.

            La surveillance est sans problème pendant 4 ans. Puis un nouveau contrôle permet de constater l’apparition en supéro-interne droit (en contro-latéral donc de l’image kystique initiale) d’une lacune hypo-échogène à contours irréguliers de 5 mm de diamètre environ, d'aspect très douteux : sa ponction sous repérage, pauvre, permet d'effectuer une lame pour analyse cytologique. Cette ponction sera acellulaire, donc non informative : il faut poursuivre les investigations.

            La palpation de contrôle à 3 mois révèle l’apparition d’une zone légèrement plus ferme et mal limitée, non notée précédemment. L’échographie retrouve la lacune hypo-échogène, verticalisée sur certaines coupes (signe de grande valeur en faveur de la malignité), absorbante, mesurant 3 à 6 mm selon les axes de coupe, probablement mitotique.

            Conclusion : présence d'une lésion échographique très suspecte en supéro-interne droit nécessitant son exérèse après repérage échographique. La micro-biopsie n’est pas réalisée du fait de la très petite taille de la lésion, afin de ne pas dilacérer celle-ci pour un examen histologique définitif correct (consignes de mon anatomo-pathologiste).

            Le chirurgien choisi acceptera d’intervenir « à l’ancienne », sur la seule foi de mon imagerie échographique. Diagnostic histologique : carcinome lobulaire infiltrant constitué de 2 foyers de 2 et 4 mm, séparés de moins de 5 mm, moyennement différencié (SBR 2), avec présence d’engainements péri-nerveux. Le curage comporte 2 ganglions massivement métastatiques. Le traitement comportera chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie.

            Les 9 premières années sont une phase de « rémission ». Puis on assiste à une élévation significative du CA 15-3 qui passe en un an de 28 (normal pour le laboratoire) à 48 U/ml. Un TEP scan révèle alors une lésion hyper métabolique unique de l’omoplate. La biopsie en confirme la nature métastatique – compatible avec l’origine mammaire connue. Une RTE ciblée est entreprise (inclusion dans l’essai STEREO-OS).

            Le TEP scan de surveillance montrera l’apparition, dès le 3ème mois, de nouveaux foyers hypermétaboliques iliaque, costal, claviculaire.

            Cette observation, toujours en cours, permet de soulever au moins deux points particuliers, pour la pratique en Sénologie et le Dépistage.

1 – Le bilan sénologique initial classé ACR 4 a immédiatement déclenché micro-biopsie et IRM : cette artillerie lourde déclenchée et organisée par le radiologue lui-même, sans concertation, a peut-être « rassuré » celui-ci… mais pas la patiente, repartie sans étiquette précise sur l’anomalie constatée.

            Il suffisait pourtant d’un geste très simple pour que le problème s’éclaire : une ponction à l’aiguille fine sous repérage échographique.

            Cette technique oubliée – pour mémoire : il suffit d’une simple aiguille bleue (6/10 ème de diamètre externe, soit 23G); l’acte est indolore, beaucoup moins invasif qu’une micro-biopsie et coté 2 fois moins cher à la nomenclature des actes médicaux) – donne le plus souvent la bonne réponse : un simple coup d’œil à la lame au spot lumineux est rassurant, montrant ici un étalement en couche mince, homogène et translucide pathognomonique d’un kyste ancien gélifié. Si cette ponction est effectuée avec une aiguille de 18G, l’évacuation du kyste est le plus souvent complète, selon le degré de gélification du kyste. Et cela rassure tout le monde immédiatement, y compris la patiente, avant même la lecture ultérieure du laboratoire.

            La conclusion de ce point est qu’il faut graduer notre réponse, pour ne pas transformer un simple détail fonctionnel – le kyste mammaire étant d’une extrême fréquence en période ménopausique – en cauchemar pour la patiente, et en ruine de la Sécu.

2 – La découverte, 4 ans plus tard, d’une anomalie de l’autre sein, n’a pas conduit à un diagnostic aussi simple. Comme la première fois l’examen clinique et la mammographie étaient normaux, seule l’échographie doutait. La ponction n’a pas été contributive, conduisant à une surveillance rapprochée.

            Je veux souligner ici que 3 mois plus tard la clinique est devenue positive, et l’imagerie plus évidente. La chirurgie faite dans la foulée montre un cancer très évolutif puisque d’emblée bifocal, quoique de petite taille, avec deux ganglions massivement envahis et des phénomènes d’engainement nerveux, de mauvais pronostic. Après quelques années asymptomatiques un bouquet de localisations osseuses apparaîtra très vite après la première, confirmant une évolutivité tous azimuts. La rémission n’était qu’apparente, le cancer se préparait à exploser.

            Cette observation illustre un cas de cancer HPI, à haut potentiel invasif : ces cancers ont toujours un coup d’avance, et nous ne faisons que suivre leurs traces galopantes. Il nous mettent constamment en échec, et c’est bien contre ce type de cancer qu’un dépistage, même très volontariste, est inefficace.

            Le dépistage, comme tous les dépistages, ne permet de découvrir que les cancers d’évolution lente, à bon pronostic spontané.



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Le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Témoignage de la pratique de Dr M.Granger, sénologue, 2 octobre 2021

Mme PL, 22 ans de vie partagée avec un cancer du sein,
ou le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Février 1999 : Mme PL, 58 ans, consulte pour un nodule du sein droit, qui existerait depuis deux ans, mais qui a récemment subi une évolution inflammatoire. Cliniquement ce nodule est typiquement un kyste sébacé, égaré sur son sein droit.

Cependant la mammographie montre, outre une opacité sous cutanée ovoïde, très bien limitée et en accord avec le diagnostic clinique, un semi de calcifications punctiformes et poussiéreuses, à distance de ce nodule, réparties en une demi- douzaine de petits foyers comportant de nombreux éléments serrés, sans densification ni distorsion architecturale associée. La conclusion de cette première rencontre, pour un motif bénin, est l’existence probable d’un « carcinome intra- canalaire rétro-mamelonnaire droit, une histologie est nécessaire ».

Cette dame étant suivie par un médecin homéopathe très proche de ses patientes, aucune directive de prise en charge n’est donnée, hormis la conclusion rapportée ci-dessus. Sans nouvelles les mois suivants, j’écris à mon confrère : Mme PL a bien été opérée, et la réponse a été « positive ».

M’étant procuré les compte-rendus opératoire et histologique, j’apprends qu’il s’agissait d’un CCI de 6 mm, exérésé in sano à plus de 2 mm. Le contingent intra- canalaire périphérique comporte de fines calcifications régulières. Il entre en contact avec les limites d’exérèse. Le curage fait dans un second temps (pas d’extemporané initial, s’agissant d’une simple biopsie chirurgicale de micro calcifications [nous sommes en 1999]), associé à la reprise du lit tumoral montre : aucun résidu tumoral, et un curage des 3 étages négatif (0/15).

Septembre 1999 : premier suivi post-opératoire à 6 mois. Cet examen est satisfaisant, avec une banale zone de stéato-nécrose du foyer opératoire. Un nouveau rendez-vous est donné à 6 mois, surveillance classique.

Juin 2000 : contrôle 14 mois après la chirurgie initiale.
Mme PL précise alors qu’elle n’a pas consulté en oncologie, qu’elle redoute « les rayons » et ne les fera pas, conseillée en cela par son médecin homéopathe qui estime inutile de faire des rayons « pour rien », les résultats de la reprise du lit tumoral et du curage ayant été normaux.

Mme PL reviendra ensuite scrupuleusement, chaque année en juin, pendant 12 ans. Elle m’apprend en 2011 qu’elle divorce. L’année suivante l’imagerie s’est transformée : une micro opacité, non significative jusqu’alors, a doublé de volume, apparait spiculée, et mesure 6 mm en échographie. Même sein, à proximité du lit initial. La cytoponction faite d’emblée montre une purée cellulaire caractéristique d’un carcinome. Il s’agit donc d’une récidive in situ. Il faut réopérer.

Juillet 2012 : Mme PL choisit de ne pas revoir son chirurgien initial, et de consulter une célébrité parisienne. L’opération faite en juillet 2012 devra se limiter à une
« large quadrantectomie », car la patiente a refusé la mastectomie préconisée. Malgré cela l’histologie de la pièce opératoire est... négative : le pathologiste n’a pas retrouvé de prolifération tumorale.

Octobre 2012 : quand Mme PL revient pour un nouveau contrôle post-opératoire à 3 mois, je découvre cette « discordance » : je questionne – Mme PL la découvre aussi, et finis par m’étrangler... Car j’ai une foi absolue en ma méthode de ponction et en la lecture pointue de ma cyto-pathologiste, formée à l’école Zajdela de l’institut Curie : où est l’erreur ?... L’IRM montrera la persistance d’un intense et précoce rehaussement correspondant à la lésion recherchée. Mon échographie retrouve la lacune mitotique, inchangée, de 6 mm. La conclusion s’impose dans un soupir: la lésion est restée en place.

Novembre 2012 : la patiente est alors réopérée, dans la même clinique parisienne : « hémi-mastectomie droite » emportant l’hameçon de repérage. On pourrait voir dans cette hémi-mastectomie, soit une certaine « largesse » du chirurgien, peut-être gêné par cette reprise involontaire, soit une technique de repérage mal maitrisée ? Ce qui est sûr c’est que l’analyse histologique ne montre toujours pas la lésion tumorale, mais de banals remaniements inflammatoires. Cette discordance récidivante ne soulève toujours pas de question métaphysique.

Avril 2013 : nouvel examen de contrôle, difficile. Le sein est défiguré, la cicatrice est collée, au décours d’un très volumineux hématome post-opératoire. Doute sur la persistance de l’anomalie initiale, toujours à l’union des quadrants externes du sein droit. Une nouvelle IRM reviendra pourtant normale. OUF, les tribulations de ce cancer semblent terminées (?), mais avec le goût amer de ne pas avoir tout compris : où donc est passée cette tumeur de 6 mm ?...

Octobre 2013 : six mois plus tard, Mme PL révèle qu’elle est suivie en Belgique, qu’elle prend du 2LC1-N pour soutenir son immunité. Elle acceptera cependant mon suivi régulier.

Mai 2016 : je la revois en effet régulièrement, tous les ans désormais. En mai 2016 elle me signale un petit grain intradermique, à l’union des quadrants externe du sein droit, donc toujours dans la même localisation. La cytologie est... obstinément maligne. Cette fois, un peu las de tous ces errements, j’explique haut et clair que les choix effectués jusqu’à ce jour n’ont pas résolu le problème, et qu’il conviendrait de faire une « vraie » mastectomie associée à une RT de la paroi. Cet avis est confirmé par la Faculté (CHU de P...). Pourtant Mme PL continue de refuser et la micro biopsie et la mastectomie.

Septembre 2016 : sous la pression d’un autre CHU (T...), Mme PL acceptera l’exérèse biopsique de son nodule : le CCI est cette fois bien estampillé, les récepteurs hormonaux sont fortement positifs. Une mastectomie est programmée : elle sera refusée, de même que l’hormonothérapie. De même que la radiothérapie, une nouvelle fois.

Mars 2017 : le nodule récidivera encore, après son exérèse localisée, au même endroit... Une nouvelle ponction (maligne) convaincra enfin la patiente... Une mastectomie simple, sans radiothérapie, sera finalement réalisée en mai 2017, soit 18 ans après la première tumorectomie, et trois interventions « conservatrices » qui avaient déjà très largement entamé le sein...

Octobre 2020 : trois ans et demi plus tard. Après cet (ultime?) épisode, Mme PL va bien, elle a maintenant 80 ans, elle reste d’un commerce doux et agréable. Elle s’accommode de sa cicatrice de mastectomie. Elle n’a jamais eu un mot de doute sur son chirurgien ou son pathologiste parisiens, ni sur les délabrements successifs qui lui ont été imposés.

Cette observation comporte plusieurs points saillants, pour le moins : que peut-on en retenir pour la Défense et Illustration de la Sénologie ?

1- Que répondre à ce confrère homéopathe qui se questionne quant à l’intérêt d’une radiothérapie « pour rien »?

D’abord : qu’il n’y a pas « rien » puisque sa patiente est porteuse d’un cancer invasif, certes peu développé localement, du moins en apparence. Mais peut-on connaître à l’avance et avec certitude le potentiel évolutif d’un cancer ? L’histoire a prouvé son haut potentiel de récidive.

Ensuite : que les berges opératoires soient saines à la reprise chirurgicale initiale était certes une bonne nouvelle, mais qui ne préjugeait en rien de la réalité biologique, inaccessible à l’anapath. C’est la notion de champ de cancérisation, qui nous place devant cette évidence : on ne peut toujours pas connaître, en 2021, les frontières biologiques d’un processus de cancérisation. La chirurgie est donc nécessairement approximative.

Dans le contexte d’un traitement conservateur la radiothérapie est l’arme privilégiée pour réduire drastiquement l’incidence des récidives locales, qui sans elle seraient quasi systématiques. En résumé : un traitement chirurgical conservateur doit être nécessairement associé à une radiothérapie adjuvante.

Il faut enfin convenir avec ce confrère que les patientes d’un médecin homéopathe ont toujours une grande « foi » en la méthode, et que ses propres doutes ont alimenté, sciemment ou non, la phobie des rayons de Mme PL.

2- Comme toute chose, cette histoire doit répondre à la logique : si un diagnostic de récidive maligne a été porté et que l’histologie de la pièce opératoire est normale, il y a contradiction : et donc une erreur quelque part, qu’il convient de résoudre. Cette erreur peut être le diagnostic initial (faux positif de l’une des techniques utilisées...), la méthodologie opératoire (repérage de la zone à biopsier, topographie/étendue du prélèvement...), ou encore l’analyse histologique elle-même (difficultés d’identification, nombre de coupes faites... [des coupes tous les 5 mm peuvent par exemple laisser passer les plus petites tumeurs]).

Hélas cette enquête n’a pas été faite après la première récidive... Cette affaire n’ayant pas été judiciarisée, nous ne connaîtrons hélas pas le mot de la fin.

Un mot quand même sur le diagnostic initial : celui-ci n’a pas comporté de microbiopsie qui, on le sait, est devenue le graal des oncologues, par refus de la patiente. Il faut pourtant admettre que la ponction à l’aiguille fine, d’une technique très simple, fournit le plus souvent une cytologie très riche et sans ambiguïté pour un cyto-pathologiste entraîné. Je ne connais pas de faux positif dans mon expérience. Dans cette histoire toutes les cytologies ont été caractéristiques, et le diagnostic final leur a donné raison. Ce n’est donc pas le diagnostic initial qui a pêché.

3- L’attitude constante de Mme PL nous interroge, nous médecins, sur le niveau de risque que nous faisons subir à nos patientes. Un radiologue très anxieux, et/ou très entreprenant, qui souhaite macrobiopsier le moindre groupement de microcalcifications (sans attendre l’épreuve d’une surveillance minimale, qui permettrait de juger de leur évolutivité), et Mme PL qui a attendu la 4ème récidive locale pour se laisser convaincre, du bout des lèvres, d’entreprendre le traitement préconisé, vivent manifestement dans des mondes médicaux radicalement opposés et incompatibles. Ce niveau de risque acceptable est si variable d’un patient à l’autre, d’un médecin à l’autre, que toute discussion stratégique est un exercice périlleux, voire aveugle.

4- Il ne vous a pas échappé que la première récidive de Mme PL est apparue l’année suivant son divorce, alors que les 12 premières années de son suivi s’étaient déroulées sans accroc, malgré un traitement initial incomplet, la radiothérapie ayant été récusée. Une nouvelle fois le cancer se montre sous son vrai jour, celui d’une maladie psycho-somatique, le psychisme étant le plus souvent initiateur/ accélérateur de ce processus.

Commentaire Cancer Rose

Nous rajouterions une autre leçon à retirer de cette observation, et c'est "la leçon d'humilité".

On met souvent dans la tête des femmes l'urgence de la situation dès lors qu'on a fait un diagnostic de lésion cancéreuse, comme si chaque minute compte. Tout le monde court, s'active, s'affole, il faut agir, réagir, opérer au plus vite ! Or la patiente ici a bel et bien traîné des années avec son cancer, et elle est arrivée à 80 ans sans perdre la vie !
Alors, il n'est jamais trop tard pour bien faire, il n'est jamais trop tard pour traiter et pour guérir.
Où est donc l'urgence dans laquelle on propulse les femmes diagnostiquées ? Si le cancer est métastatique il l'est d'emblée ; dans la très très grande majorité des cas très souvent on voit bien qu'il n'est nul besoin d'affoler les femmes comme on le fait. On n'est pas à une minute près. Oui, on peut se donner parfois le temps de la surveillance (les classifications ACR3 (simple surveillance) ont quasiment disparu, on envisage, dans l'urgence qui est la nôtre, d'emblée des prélèvements et des interventions.
Oui il faut traiter, bien entendu, mais sans paniquer ! Le cancer ne métastase pas en 5 minutes (à moins qu'il ne l'ait déjà fait et là on a de toute façon une longueur de retard), il ne tue pas sur le champ, on ne va pas mourir demain !. 
Ce cas nous montre l'humilité que le corps médical devrait avoir, et nous montre qu'il faut sortir de 'l'affolisme' et de 'l'urgentisation' qu'on inflige aux femmes quand on leur trouve un cancer, leur donnant l'impression d'une mort imminente, mais qu'on va leur sauver la vie, nous, parce qu'on a fait vite.

Le sort des patientes n'est absolument pas dans nos mains de grands "sauveurs". Il n'est jamais "trop tard" pour traiter et pour guérir.

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Rêve de sénologue

Un témoignage de Dr M.Granger, sénologue, 21 juillet 2021

Mme PS, 50 ans, parisienne, consulte en août 2010 pour avis.


Elle a effectué le 23 juin 2010, dans un CENTRE DE SENOLOGIE parisien, une 3ème mammographie, qui a été classée ACR 4 pour une « zone de distorsion architecturale mal systématisée du quadrant supéro-externe droit ». Elle a subi le jour même des micro-biopsies, qui ont abouti au « diagnostic » : « Mastopathie fibro-kystique proliférante avec atypies, de type canalaire (Hyperplasie canalaire atypique) ». Elle a un rendez-vous d’IRM dans quelques jours, et se dit très préoccupée de la rapidité et de la mauvaise tournure des événements : que doit-elle faire ?…


Mes constatations :


Ayant regardé attentivement les mammographies apportées, je constate, avec une certaine inquiétude initiale, que cette « zone de distorsion architecturale mal systématisée» échappe à ma sagacité. La loupe n’apporte rien : je ne vois, en comparaison avec le sein gauche qui lui a subi une involution adipeuse totale, qu’un banal aspect de reliquat glandulaire.
L’aspect était identique sur une mammographie réalisée exactement 7 ans plus tôt.
Par ailleurs mon examen clinique et échographique ciblé est strictement normal.
Etonné du diagnostic radiologique parisien, mais rassuré par une imagerie constante, je conseille à cette dame d’attendre les résultats de l’IRM, et de m’en communiquer les résultats.
Ces résultats arrivent 3 jours plus tard, le soir même de l’examen.
Conclusion : « On retrouve la zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente , en IRM, aucun caractère morphologique suspect, toutefois on connait la sous-estimation de l’IRM pour les lésions intra-canalaires. Une exérèse chirurgicale du secteur atypique avéré reste à prévoir ».


La patiente, prise dans l’étau « concordant » de 3 compte-rendus – mammographique, biopsique et IRM – consulte un chirurgien du sein à l’Institut Gustave Roussy. Elle me transmet quelques jours plus tard son avis : « J’ai bien reçu le résultat de votre IRM mammaire, qui confirme les éléments décrits à la mammo- échographie, à savoir une zone mal systématisée du QSE droit. Compte tenu du résultat histologique de la biopsie qui retrouvait de la mastopathie fibro-kystique avec atypie de type canalaire, il est nécessaire de réaliser une chirurgie d’exérèse de cette zone (…) »

J’adresse en retour ce mail à Mme PS

Chère Madame,
En réponse à votre mail, voici mes conclusions:
• Votre IRM est normale, le texte exact est: "zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente, en IRM, aucun caractère morphologique suspect". Le reste du compte-rendu ("toutefois … ") n'est qu'une formule-parapluie, habituelle.
• La lettre de l'IGR retient la partie négative de ce compte-rendu ("zone mal systématisée " [ ce qui veut dire quoi d’ailleurs ? … ]), ouvrant à son tour le parapluie : "une chirurgie d'exérèse est nécessaire … ". Un chirurgien opère.
Je vous avais prévenue de cette logique jusqu’auboutiste, je la rencontre tous les jours.
Ce n'est cependant pas la mienne, au vu des mammographies que vous m'avez apportées, qui, encore une fois, n'ont pas évolué depuis 7 ans. Cette stabilité vaut pour moi tous les parapluies de toutes les institutions de la Terre, surtout quand l'IRM est normale.
Je reste partisan d'une surveillance simple dont les modalités, pour votre confort moral et votre sécurité restent à préciser : je conseillerais un premier contrôle radio+écho du sein droit dans un délai inférieur ou égal à un an (contacter ma secrétaire), puis nous verrons.
• Vous voilà donc confrontée au dilemme de suivre votre nouveau sénologue de province ou les grandes machines parisiennes ! Faites ce choix en votre âme et conscience, larguant toutes les Hiérarchies, n'écoutant que vos sentiments profonds : c'est là que se trouve la bonne réponse.
Très cordialement. M Granger


Mme PS a finalement choisi de suivre son Sénologue de province.
Elle « vient de loin » mais « sait pourquoi ».
Je l’ai revue jusqu’en 2017, sans rien constater de nouveau, examen clinique et radio-échographique inchangé, depuis plus de 15 ans. Une de sauvée…


Que retenir de tout cela pour l’enseignement de la Sénologie?

Plusieurs remarques, parmi bien d’autres, me paraissent utiles:
• La description initiale du radiologue (« distorsion architecturale mal systématisée ») a été le point de départ d’un chemin que la patiente a dû gravir seule… jusqu’à ce que l’angoisse devienne trop forte et qu’elle se décide à demander un avis.
• Ladite description initiale n’a, à aucun moment, été remise en cause, l’avis de ce radiologue est souverain. Il faut pourtant noter que la classification ACR peut être facilement « tordue » pour obtenir le résultat voulu : si le radiologue accepte une surveillance simple il classera les clichés en ACR 2 ; s’il souhaite une surveillance rapprochée il les notera ACR 3 ; s’il veut une biopsie, et surtout s’il est à même de la faire immédiatement il les notera ACR 4, comme ici.
Un regard distancié verra les choses différemment : il « suffit » de prendre le temps de comparer l’ensemble des clichés effectués, parfois une dizaine de mammos (!), pour aboutir à une autre conclusion, ici à la normalité (ou à ACR 2, si l’on est fan des amériques). Ce qui aurait stoppé net cette longue divagation diagnostique.
• La description/classification initiale n’a, on l’a dit, pas été discutée : cela tient à ce que chaque professionnel œuvre séparément, sans controverse ; il n’a donc aucun compte à rendre directement à la patiente.
Dans les faits cette chaîne peut se décrire comme une entente commerciale verticale dont chacun a tiré bénéfice. Dans le monde animal sauvage on parlerait de « chasser en meute », et l’on sait que si tous les sujets de la cohorte sont potentiellement ciblés, seuls les plus forts en réchappent.
Mme PS, diplômée supérieure et de la haute fonction publique a su s’en sortir, avec ce choix cornélien de résister à l’IGR… nombreuses sont celles qui n’en sont pas capables.
• Le remède à cette chaîne d’emprises médicales sans contre-pouvoir ne se trouve PAS dans les RCP (réunion de concertation pluri-disciplinaire, NDLR) : je n’ai pour ma part jamais vu un pathologiste, un chirurgien ou un radio-thérapeute s’opposer et briser la chaine biaisée dès le départ vers les biopsies – micro, macro ou chirurgicales.
Il y a donc de facto une entente pour ne pas remettre en cause le diagnostic initial, et il serait passionnant de faire la psychanalyse individuelle des « décisions validées » en RCP. Le sein est un organe très investi que tous adorent se disputer et se partager.
• Vous l’aurez peut-être compris : je vis dans le rêve que notre père à tous (Charles-Marie Gros, des Hospices Civils de Strasbourg) avait fait dans les années 60 : que le SENOLOGUE soit reconnu comme ce spécialiste du sein, un peu/beaucoup/passionnément spécialiste de toutes les disciplines concernées – depuis les différentes formes d’imagerie jusqu’à l’anapath, en passant par l’intérêt relatif de la chirurgie et de la panoplie des oncologues…, spécialiste qui coordonne et tempère les enthousiasmes et les inquiétudes de chaque intervenant, spécialiste responsable enfin devant la patiente.
Communiquant de surcroit, qui accepte de prendre son temps, et de le perdre, parfois.
• Mais vous le savez sans doute aussi : le rêve est resté rêve, et la SENOLOGIE une belle utopie. Elle est occasionnellement réveillée par Mme PS et ses sœurs de lutte.

Quelques commentaires Cancer Rose

Il est absolument évident qu'avec les dépistages les mastectomies inutiles ont été démultipliées. Nous avons présenté notre étude sur les mastectomies en France au congrès de la société française de sénologie à Lille.
C'est absolument indéniable qu'on "sur-opère" des lésions qui ne sont pas des cancers, et voilà encore ici l'illustration d'une dérive de la sur-détection, à savoir le surtraitement.
Mais cela explique de toute évidence pourquoi on a davantage de plus en plus de mastectomies comparativement à l'incidence des cancers invasifs, comme expliqué dans notre étude.

L'observation conforte aussi les dérives de la classification ACR : les ACR3 n'existent presque plus, on a tendance à classer très rapidement en ACR4, on "upgrade" volontairement nos propres classifications d'examens afin de recourir d'emblée à un prélèvement, histoire de ne rien omettre, au lieu de prendre son temps, se poser, et recontrôler éventuellement à distance.
L'ACR4 devient un fourre-tout pour aller enlever à peu près tout ce qui apparait "abnorme". Lire ici : https://cancer-rose.fr/2018/11/11/de-la-classification-acr-mammographique/


Une réflexion pour finir : si pour les dossiers classés en "négatif" il y a bien une double lecture lors du dépistage (voir ici : https://cancer-rose.fr/2020/10/17/quest-ce-quune-mammographie-de-depistage/), pour les dossiers classés en "positif", ben il n'y en a pas.
Ce qui n'est pas forcément logique.
Mais, même en y aurait-il, qui aura avoir le courage de "négativer" une image classée positive préalablement par un autre confrère....

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Le chat savait

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Témoignage de Dr Granger, Châteauroux, juillet 2021

Histoire de Madame AH, 75 ans

Ma secrétaire m’arrête en début d’après midi :
« je vous ai rajouté une patiente en fin de consultation... »

– Bien...

Rien à ajouter, c’est la consigne : si une femme a « senti quelque chose » et veut me voir, c’est tout de suite... Le sein c’est comme ça. Elle a hésité... osé appeler... elle veut parler, maintenant. Autant que possible ne pas stopper cet élan.

– Qu’est-ce qui vous amène ?...
– Vous avez vu une amie, elle m’a dit que je pouvais... J’ai été opérée d’un tout petit cancer du sein en 1991
[elle avait alors 45 ans, personne dans la famille n’avait encore été concerné]... J’ai été suivie longtemps. Et puis j’ai arrêté la surveillance : on m’a dit avant l’intervention que le cancer ne se voyait pas sur la mammo. Alors pourquoi continuer à en faire?... J’ai l’impression de sentir quelque chose là (elle empaume son sein droit, sous la clavicule), c’est pas du tout au même endroit... Mon ami me dit qu’il ne sent rien, mais je crois qu’il veut me rassurer. Il a des problèmes de glaucome... Je lui ai dit que j’allais au cinéma.
-Tu vas au cinéma ?
-... Oui

Au premier regard le QSI droit est comme comblé, alors que la zone symétrique à gauche est vide. La main perçoit une large plaque indurée, comme figée. Le diagnostic est évident. La cicatrice de tumorectomie initiale, à l’union des quadrants inférieurs, est très petite, fine et souple. Ce n’est effectivement pas du tout le même endroit.
Dès le contact de la sonde d’écho, nouvelle évidence.

– Vous voyez quelque chose?...
– Oui
–...
–...
– C’est gros comment ?...
– Ça fait près de 2 cm... (...) Depuis quand n’avez-vous pas fait de mammographie ?
– J’ai arrêté... Ça fait mal. J’ai vu ma gynéco... ça fait peut-être 3 ans ? elle m’a dit qu’elle ne sentait rien, elle m’a demandé une mammographie, je ne l’ai pas faite. J’en ai assez d’être malade. Je suis une ancienne infirmière, je n’irai plus à l’hôpital. Je n’irai plus faire d’examen que si je suis malade.

L’examen terminé, elle se rhabille. Nous allons en dire davantage.

– Je pense que c’est une reprise du problème initial...
– Je le savais.

Son regard est direct, clair.
-C’est pour ça que j’ai dit que j’allais au cinéma. Je ne voulais lui en parler que si j’étais sûre. Une infirmière m’a dit un jour :
« les chats sentent quand leur maître est malade, ils le collent ». Depuis quelque temps ma chatte me colle, alors j’ai compris. Qu’est-ce qu’il faut faire ?...

– Vous avez eu un traitement conservateur, et une radio-thérapie n’est-ce pas?...
– Oui
– La radiothérapie ne peut se faire qu’une fois...
– Oui je sais
– Il nous reste une seule arme : la chirurgie. Il faut enlever le sein
– Oui. Le plus vite sera le mieux. Je ne veux pas de biopsie, on dit que des cellules peuvent partir

Je n’ai pas insisté sur l’intérêt de cette biopsie pour le chirurgien, le « protocole », je n’en avais ni le cœur ni la certitude. Sur le pas de la porte ses derniers mots :

– Merci. Au moins vous ne m’avez pas dit que c’était de ma faute...
– ?...
Comment pourrait-on dire cela ?...
– Oh vous savez j’ai entendu tellement de choses !

C’était ma dernière consultation. Rien ensuite pour effacer ces paroles, ces impressions. Qu’en retenir pour l’enseignement de la Sénologie?

  • Une femme « sait » quand elle a un cancer du sein. Toutes le redoutent, toutes craignent de le sentir. Seules celles qui l’ont « savent » vraiment. Les chats aussi savent, leur odorat les guide. Il faut toujours écouter son chat, son câlin est un guide sûr.
  • Dans la boucle de la surveillance, il y a toujours un autre que la femme elle-même, un autre qui la motive ou la rend réticente. Il faut rentrer dans cette boucle, si l’on veut être utile. D’abord en ne disant rien qui puisse être mésinterprété, il faut donc avoir plusieurs coups d’avance sur elle. Par exemple ne pas dire qu’« on ne voyait rien sur la mammo » car 20 ans plus tard ce sera un argument démobilisant. Ensuite en disant les choses comme elles sont : ce « tout petit cancer » minimisé deviendra un jour un autre argument démobilisant. La mammo initiale, qu’elle m’avait apportée, bien qu’en technique argentique en 1991, montrait parfaitement le cancer, ses spicules et la rétraction du sillon sous mammaire.
  • Il faut rester calme et factuel dans l’annonce. Le génie du cancer est infini, il n’y a donc pas de « petit » ni de « bon » cancer (ne pas prendre l’ennemi pour un ami), ni de cancer « qui devient souvent bilatéral » (ne pas prendre un ami pour un ennemi). Que de prophéties injustifiées qui masquent notre ignorance ! Il n’y a pas non plus d’ « urgence », le cancer est toujours une longue histoire. Les choses seront nommées, définies, expliquées au fur et à mesure des consultations. Ces consultations prennent du temps, elles ne se font pas en salle d’attente ou sur un coin de table. Les radiologues qui ne voient plus leurs patientes et les renvoient sur leur site d’imagerie ont paradoxalement pris une sage décision : elle leur évite de dire ce qu’ils ne savent pas !...
  • Il faut pouvoir proposer une alternative à la mammographie de dépistage ou de surveillance. Cet examen le plus souvent mal vécu – douloureux, invasif, peu informatif puisque complété le plus souvent par une échographie. Echographie qui devra expliquer ce qu’on ne voit pas ou ne comprend pas avec les rayons X... L’échographie est bien cette alternative, entre des mains entraînées : elle pourrait même suffire dans la plupart des cas, en dépistage et en surveillance, mais ceci est une autre débat. L’alternative échographique, largement mise en œuvre, éviterait aux cliniciens et aux imageurs de culpabiliser les femmes en leur disant que « c’est de votre faute » ou « vous l’avez bien cherché », « pourquoi vous n’avez pas fait la mammo demandée ? ».
  • Souvenons-nous des derniers mots sur le pas de la porte, ce sont les plus importants, ceux qu’on n’a pas osé prononcer plus tôt, et qui sont vraiment libérateurs : cette femme, malgré le choc de l’annonce, était dans la gratitude : je ne l’avais pas accusée.

Commentaires Cancer Rose

Ce témoignage a fait beaucoup réagir, et nous recevons beaucoup de questions et commentaires de nos lecteurs. D'où ce petit décryptage :

Le message le plus fort de la patiente est celui de la lassitude de la surveillance, car poursuivre une surveillance, c'est continuer d'être malade.
Les examens c'est lorsqu'on est malades, c'est ce que la patiente exprime.
Ceci est une remarque intéressante dans le contexte d'un dépistage chez des femmes sans symptômes, on oublie que le dépistage s'adresse à des gens sains, qui ne se plaignent de rien.
Ici la situation est différente en ce sens que la patiente a été malade et a présenté un cancer, situation pour laquelle une surveillance annuelle est en effet préconisée, mais c'est son avis, il faut entendre les opinions, choix et préférences des malades.

Le message le plus fort du médecin : refus d'accusation, refus de culpabiliser les patientes. La patiente a apprécié que le confrère ne lui fasse pas de reproche ("vous l'avez bien cherché, fallait faire votre suivi" ; c'est ce que les femmes entendent sans qu'on puisse affirmer que cela aurait changé grand-chose à la situation, en l'occurrence).
Gratitude de la patiente pour une attitude trop rare du corps médical : ne pas reprocher à une malade un défaut d'une surveillance qu'elle a jugée trop longue, lassante, inconfortable et angoissante.
Cette déculpabilisation es extrêmement importante, car on constate aussi ce sentiment de culpabilité chez les femmes saines qui ne se soumettent pas au dépistage, alors qu'elle ne souffrent de rien.
Sur le fond, le confrère a raison de souligner "Le génie du cancer est infini, il n’y a donc pas de « petit » ni de « bon » cancer". En effet il est impossible ici de savoir si c'est une reprise de la maladie, si longtemps après, ou s'il s'agit d'une nouvelle maladie (autre localisation dans le sein que la première), si la mammo aurait changé grand-chose (découverte de la masse d'emblée volumineuse).
Impossible encore d'éliminer une maladie induite (multiplication des mammographies, deuxième cancer radio-induit puisque survenu dans le même sein traité, longtemps après).

On se saura jamais, d'où l'importance de respecter le choix de la patiente, de sortir du schéma "le cancer, plus tôt pris mieux c'est", parce que, comme le confrère l'écrit, l'évolution du cancer ne marche pas selon cet automatisme pré-conçu par une théorie intellectuellement confortable (lire : https://cancer-rose.fr/2019/08/31/comment-se-developpe-un-cancer/)
Chercher des alternatives à la sacro-sainte mammographie dans laquelle on fonde tant d'espoirs et qui pourtant "rate" d'authentiques cancers est aussi une piste de réflexion.

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Témoignage de Sophie

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6 juin 2021

Par Sophie, témoignage et point de vue

Ethique de dépistage, information des femmes, formation des professionnels pour le dépistage du cancer du sein : quelle est la stratégie du nouveau Plan Cancer ?

Témoignage

… Avant mes 50 ans, j’ai subi un test de dépistage du cancer du sein prescrit par mon médecin traitant dans le cadre d’un bilan de santé, sans raison particulière, ceci juste pour se rassurer. Je me suis présentée au centre de radiologie avec une simple ordonnance, sans la moindre information sur les radiations, ni sur les examens supplémentaires, ou les conséquences du test en cas d’anomalie, comme pour une prise de sang prescrite lors d’un bilan de santé. On ne m’a pas informée sur ce qu’on cherchait réellement en l’absence de symptôme, ni sur le fait qu’on utilisera une technologie superpuissante de tomosynthèse qui détecte la moindre anomalie de quelques millimètres, dont on ne sait pas le devenir, ni sur les doses de radiations délivrées par les dix clichés avec agrandissements, avec une dose totale (16,5 mGy) de radiations quatre fois plus élevée que la dose délivrée par un examen mammographique classique (3-4 mGy), et que je devrai répéter dans 6 mois, puis 12 mois puis 24 mois. Si tout va bien, sinon ça sera autre chose ?

Si je faisais le parallèle avec un médicament, j’aurais eu une notice d’information avec les effets secondaires potentiels.  Mais la mammographie est considérée un examen anodin, banal.  Je ne doute pas des bonnes intentions de mon médecin, malheureusement les tests et l’attente dans l’angoisse se sont enchainés, puis le regret d’avoir fait ce test qui n’avait pas lieu d’être.
J’aurais dû pouvoir décider, avec la bonne information, mais je n’ai pas eu cette information.


On va peut-être me dire que c’est un examen effectué pour sauver ma vie, bien que des études par des chercheurs indépendants de l’organisation Cochrane ont montré que pour chaque tranche de 2000 femmes invitées au dépistage pendant 10 ans, une seule évitera de mourir d’un cancer du sein et 10 femmes en bonne santé, qui n'auraient pas connu de maladie si le dépistage n'avait pas eu lieu, seront traitées. Est-ce que je serais cette chanceuse, alors que je ne me sentais pas en danger imminent, je n’avais pas d’inquiétude particulière pour un cancer du sein, ni d’antécédents dans la famille, je n'avais même pas l’âge de 50 ans, âge de début de la mammographie de dépistage en France ? Ou à l’inverse est-ce j’aurais pu faire partie des autres 10 femmes traitées pour rien ? Quoi qu’il en soit, c’était à moi de peser les bénéfices et les risques et de choisir. Et ce n’est pas honnête de n’avoir pas reçu toutes ces informations.

… Dans mon entourage très proche, une femme a subi une mammographie de dépistage organisé à ses 72 ans, sans aucune information sauf la lettre d‘invitation. Elle a cédé aux lettres de relance et a décidé de s’y soumettre pour qu’on la laisse tranquille. Pareillement, tests supplémentaires et attente des résultats dans l’angoisse pour toute la famille, des regrets de l’avoir fait sans être informée correctement.

Encore une fois, manque d’honnêteté et de transparence…

… Pour une autre femme de mon entourage, dans la quarantaine, sans facteurs de risque particuliers, sa gynécologue lui a mis la pression pour faire une mammographie, sans raison, de pareille façon sans aucune information. Elle essaye de tenir bon, sans se fâcher avec sa gynécologue, car il lui est difficile d’en trouver une autre.

Sophie

Où est l'information ?

Et les cas sont nombreux… Il s’agit de cas de femmes en bonne santé, sans aucun symptôme évocateur d’un cancer du sein. Il ne s’agit pas de femmes qui ont un symptôme et qui devraient consulter, car en effet dans ce cas la mammographie s'impose.

Ces cas montrent le manque d’information des femmes et de formation de la part des professionnels, que ce soit le médecin traitant, le radiologue, le gynécologue qui se focalisent sur des examens de dépistage par mammographique pour traquer des possibles cancers de sein existants, hypothétiques ou en devenir chez des femmes en bonne santé, en oubliant de les informer correctement et sans tenir compte de leur autonomie de décision.

Et pourtant on pourrait faire mieux. L’information sur les bénéfices et les risques du dépistage du cancer du sein, dans le cas d’une femme en bonne santé, et sans symptôme particulier, est un dû aux femmes : à elles de choisir selon leurs propres valeurs et préférences si elles souhaitent ou non se soumettre, surtout que les bénéfices ne sont pas clairs ; la controverse entre les bénéfices et les réels dommages dure maintenant depuis 40 ans.

Ceci était aussi une des premières recommandations du comité de concertation suite à la consultation citoyennes et scientifique sur le dépistage du cancer du sein du 2016  «  La prise en considération de la controverse dans l’information fournie aux femmes et dans l’information et la formation (initiale et continue) des professionnels en la matière, afin que les femmes concernées par un dépistage du cancer du sein disposent de renseignements équilibrés et complets, et que les professionnel-le-s concernés par le dépistage du cancer du sein bénéficient d’une formation leur permettant d’acquérir les connaissances pertinentes pour accompagner les femmes, en leur proposant une aide adéquate pour qu’elles puissent prendre leur décision » (1).

Pourquoi ne leur dit-on pas la vérité, pourquoi les médecins ne reconnaissent-ils pas en toute humilité leurs doutes sur le bien-fondé de cet examen en l’absence de tout symptôme ? On préfère mettre en avant des bénéfices dont on n’est pas sûrs, en oubliant tout le reste, entre autres le consentement éclairé et l’autonomie du patient.

Un nouveau plan cancer, situation en France

La stratégie décennale du nouveau plan cancer a été adoptée par décret (2).

On s’attendait à des mesures pour l'amélioration de l’information des femmes dans le respect de l’autonomie des patients, comme cela est fait en Grande Bretagne, en Australie, au Canada, en Allemagne. Ailleurs, l’objectif est d’informer et pas de persuader, l’accent est mis sur la décision des femmes sans culpabiliser, en leurs fournissant des outils d’aide à la décision, qui communiquent correctement les risques en nombres absolus et pas en pourcentages en les minimisant.
Comme pour cette aide à la décision au Canada (3) qui indique :
« Pourquoi une prise de décision partagée est-elle importante ? Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge (comme illustré ci-dessous) avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

Cliquez sur l'image

Au lieu de développer de tels outils, en France on se focalise sur le nombre de dépistages et le taux de participation, sans le moindre souci sur l’information éclairée, l’objectif du Plan Cancer étant de « Réaliser un million de dépistages en plus à horizon 2025 pour les trois programmes de dépistage, dont le dépistage organisé du cancer du sein et de dépasser les objectifs de couverture recommandés au niveau européen en matière de dépistage et rejoindre le peloton de tête en termes d’adhésion avec un taux de participation de 70 % pour le dépistage organisé du cancer du sein, alors que aujourd’hui le taux de participation annoncé pour 2018-2019 est : 49,3 % + 10-15 % (organisé + individuel). » ((2), fiche action I.12, p.20)

Et pourtant le taux de participation aux dépistages ne devrait pas être un objectif de ces programmes. Le réel objectif devrait être lié à l’information éclairée des patients. Comme le soulignent Rahbek et al, 2021 chercheurs danois, au lieu d'évaluer les programmes de dépistage du cancer sur la base du taux de participation, la mesure de l'engagement pourrait être le taux de décisions éclairées, indépendamment de la participation ou de la non-participation (4). Les auteurs notent que les autorités partent du principe que pour la plupart des citoyens, la participation est le bon choix. Ce point de vue n'est pas nécessairement partagé par les citoyens informés. Les données actuelles suggèrent même que plus les citoyens sont informés, moins ils sont susceptibles de participer au dépistage du cancer (4). (voir aussi : https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/

Et pourtant le guide OMS du 2020 (5) sur les dépistages donne des informations très claires sur les principes à respecter. Le guide souligne que « le risque de ces mesures d’augmentation du taux de participation est que l’autonomie des personnes à prendre une décision informée soit menacée ».

Pour éviter cela, le guide préconise de « prendre soin pour permettre un consentement éclairé et de protéger l’autonomie individuelle ».

Or aucune des actions de la feuille de route du Plan cancer ne concerne l’amélioration de l’information des populations sur les bénéfices et les risques du dépistage, tel que préconisée par le guide OMS 2020. Pareillement, aucune mesure sur la formation des professionnels préconisée par l’OMS à la communication sur les risques. Pourtant le guide OMS donne comme exemple des outils tels que les « infographies, les vidéos et les aides à la décision peut faciliter la compréhension et promouvoir le consentement éclairé de même que les pratiques fondées sur des bases factuelles. » Et souligne que : « Les profanes aussi bien que les médecins cliniciens tendent à surestimer les bénéfices du dépistage et à sous-estimer ses effets nocifs ».(voir aussi : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/la-perception-et-la-realite/).

Le guide OMS indique aussi les principes qui doivent être respectés dans une politique de dépistage : 

  1. « Respect de la dignité et de l’autonomie. L’autonomie est la capacité à prendre une décision éclairée et non contrainte ».
  2. « Non-malfaisance et bienfaisance. La non-malfaisance implique de ne pas porter préjudice aux personnes ; et la bienfaisance vise à faire du bien aux autres »
  3. « Justice et équité. Dans le domaine des soins de santé, la justice concerne une juste allocation des ressources et le fait que les ressources soient allouées proportionnellement aux besoins. »
  4. « Prudence et précaution. Le principe de précaution nécessite de prévoir et de planifier les résultats potentiels du dépistage, et d’adopter des jugements avisés sur la base de ces préoccupations futures. » 
  5. « Honnêteté et transparence. Cela nécessite une communication claire et transparente, et encourage donc la responsabilisation ».

On peut se poser la question si ces principes d’éthique fondamentaux seront respectés dans la nouvelle feuille de route du Plan Cancer qui se focalise autant sur le taux de participation, avec l’ambition de dépasser les objectifs européens, mais sans se soucier de l’information aux populations et la formation de professionnels.

Comment prendre une décision éclairée quand l’information n’est pas délivrée ou que l’information est incomplète et biaisée (voir https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/) ? La brochure de l’INCA devrait être revue, notamment sur les objectifs des taux de participation. Elle devrait être rédigée par un comité indépendant sans conflit d’intérêt et avec l’implication d’un jury de femmes comme cela a été fait par le NHS (National Health Service, système de santé publique) en Grande Bretagne et décrit par Forbes et al, 2014 (6). Les 25 femmes dans le jury âgés de 47 à 73 ans et recrutées dans les rues de Londres, provenaient de divers milieux professionnels et ethniques. La brochure du NHS ne cherche ni à encourager le dépistage ni à demander aux citoyens de prendre des décisions sans conseils. Et le comité qui a rédigé cette brochure précise que « la politique qui consiste à évaluer les performances du dépistage du cancer uniquement sur la base de taux de participation est, sans doute, incompatible avec la politique visant à favoriser un choix éclairé » (6).

Comment le principe de la non-malfaisance pourrait être respecté alors que certaines femmes subissent les effets du surdiagnostic, sans qu’elles soient correctement informées en amont de ces risques ?

Concernant le principe de l’honnêteté et transparence, les scientifiques danois experts dans le dépistage (Rahbek et al, 2021 (4)) ont cité la brochure officielle de l’INCA comme exemple de présentation des statistiques de manière trompeuse, comme par exemple en % relatifs de réduction de la mortalité. Or selon ces scientifiques cette présentation trompeuse est une technique d’influence pour augmenter le taux de participation aux dépistages. Le biais introduit par ces valeurs de réduction relative de la mortalité sont expliqués et critiqués également dans le guide GIJN élaboré par le cabinet RecheckHealth pour les journalistes investigateurs enquêtant dans le domaine des affaires sur la santé (7). Selon Rahbek et al, 2021 (4) dans la mesure où l'autonomie du patient et son choix éclairé sont importants, le recours à ces types d'influence reste éthiquement douteux dans les programmes de dépistage du cancer dont le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté.

De plus cette brochure de l’INCA, même biaisée et incomplète, n’est pas transmise à toutes les femmes, puisqu’elle est envoyée une seule fois à 50 ans, donc toutes les femmes qui avaient dépassé l’âge de 50 ans en 2017, lorsque la brochure a commencé à être envoyée, ne l'ont pas reçue.

Conclusion

Ailleurs qu’en France on peut constater que des efforts sont faits pour mieux informer. De plus en plus la littérature scientifique met l’accent sur la nécessité d’informer les citoyens pour une décision éclairée en connaissance des bénéfices et des effets nocifs du dépistage pour une personne en bonne santé, notamment dans les programmes de dépistage dont le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté et quand les conséquences du dépistage sont complexes et nécessitent un choix personnel, comme c’est le cas du dépistage du cancer du sein. La stratégie décennale aurait pu en tenir compte également en France, mais elle a raté le coche, au prix d’un manque d’information des femmes et de formation des professionnels.

Références

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Pandémie Covid-19 et dépistage des cancers

Cancer Rose vous offre une tribune citoyenne. Vous aussi, vous pouvez témoigner.

28 avril 2020

Dr C.Bour, analyse d'un commentaire de Benjamin Mazer, médecin pathologiste à l'hôpital de Yale-New Haven (Connecticut), exprimé ici : https://www.medscape.com/viewarticle/929089

Les restrictions pendant l'épidémie de coronavirus conduiront-elles à des cancers plus avancés ?

 

L'auteur explique que le laboratoire où il travaille, d'ordinaire submergé de demandes d'analyses de frottis, de polypes de colons et de fragments de biopsies, demandes largement alimentées par les programmes de dépistages en tous genres, se retrouve inhabituellement déserté. À l’heure actuelle, même l’American Cancer Society recommande que personne ne se rende dans un établissement de soins de santé pour subir un dépistage systématique du cancer.

Concernant les tumeurs malignes et agressives, elles continuent de croître et de se propager aussi dans cette période où les soins médicaux sont en suspens. le risque de retarder des traitements pour les patients atteints d’un cancer symptomatique ou avancé et mettant en jeu leur vie est évident.

Mais une autre question, selon l'auteur, émerge, bien plus inconfortable : que représente un délai par la suspension des dépistages pour les personnes atteintes de carcinome canalaire in situ non symptomatique, ou de petits cancers du sein? Quel est l'effet à long terme de tous ces naevi dysplasiques et mélanomes précoces laissés sans investigation par les dermatologues ? Qu’en est-il de l'évolution du cancer du rein latent et de découverte fortuite lors un scanner ?

La question est légitime face au constat de surdiagnostic croissant de lésions qui, non découvertes, n'auraient pas mis en danger la vie des patients ni la santé des personnes si elles étaient restées non diagnostiquées.

 

Covid-19 : une expérience "naturelle"

 

Depuis de nombreuses années en effet, on s'interroge sur 'l'envers de la médaille' du dépistage : le surdiagnostic et le traitement de cancers qui ne nuiraient probablement jamais au patient. Le surdiagnostic est en hausse depuis des décennies en raison du dépistage organisé, comme celui de la prostate par le dosage PSA ou celui du cancer du sein par la mammographie, ou encore la surdétection d'incidentalomes par l’utilisation de plus en plus intensive de l’imagerie médicale. Mais tout cela a été perturbé par la pandémie.

Étant donné que la corrélation entre l'interventionnisme médical et le surdiagnostic des cancers est claire, l'auteur affirme que nous pouvons supposer sans risque de nous tromper que le surdiagnostic diminuera pendant la pandémie. Mais quel sera l’effet réel ? A quel prix de surdiagnostics le dépistage sauve des vies et dans quelle proportion, cela était un débat permanent et insoluble, jusqu'à présent....

(NDLR : il eut été vraisemblablement possible d'apporter une réponse sur l'ampleur du surdiagnostic des cancers du sein avec l'étude MyPEBS sur le dépistage mammographique personnalisé, mais nous en serons privés, le bras comparateur témoin étant inexistant sous prétexte de prétendus freins "éthiques"; lire :  l'étude dont on rêvait )

L’épidémie de coronavirus sera, selon Dr Mazer, une expérience naturelle comme aucune autre. Il explique que les économistes et les épidémiologistes adorent étudier les "expériences naturelles", ces chocs systémiques qui mettent en lumière un phénomène complexe.

Pour lui, le retard inattendu du dépistage à l’échelle nationale (et même internationale, NDLR) éclairera sans aucun doute le débat sur le surdiagnostic. Et nous pourrons vérifier si un dépistage moins intensif mène à des cancers plus avancés ou pas. Comme, à terme, le dépistage sera repris probablement dans le cadre habituel et à différents moments d’un bout à l’autre du pays, nous pouvons presque simuler un essai randomisé. L'auteur pose ici cette  question : le recueil de ces données modificatrices aura-t-il ensuite un effet positif sur la conduite des dépistages dans cette période difficile?

 

La pression à nous battre

 

La pandémie a également soulevé une question au sujet du dépistage du cancer qui va au-delà des données : pourquoi l’épidémie bruyante de coronavirus a-t-elle si largement rendu celle du cancer silencieuse ? Pour Mazer, l’urgence nécessaire de notre réponse au coronavirus contraste nettement avec les messages de santé publique bien trop agressifs utilisés généralement pour le dépistage des cancers.

Les outils utilisés pour lutter contre l’épidémie de coronavirus ont été puissants . Nous nous lavons les mains avec diligence et nous restons confinés. Nous faisons des sacrifices dans notre travail et notre vie personnelle pour arrêter la propagation du virus.

Le dépistage du cancer a lui aussi été présenté comme un dogme - une intervention de santé publique urgente que seul un imbécile refuserait. Des organisations bien intentionnées dirigent des campagnes de dépistage du cancer qui poussent les gens à s’engager à « se faire dépister tout de suite ». L'auteur relate que des patients et des membres de leur famille lui confient leur culpabilité à ne pas se soumettre à tous les tests de dépistage recommandés. Que quelqu’un se sente responsable de son propre cancer lui apparaît consternant.

Cette pression à intervenir s’étend jusque dans la pratique clinique puisque des médecins de premier recours sont évalués en fonction du nombre de patients qui « se conforment » aux recommandations de dépistage. Il semble y avoir une volonté implacable d’atteindre 100% de pénétration de dépistage. Ces tactiques vont à l’encontre de la prise de décision partagée et du consentement éclairé que nous devons pourtant valoriser en médecine.

La difficulté du dépistage du cancer réside dans le fait que la plupart des gens ne développeront jamais le cancer pour lequel on leur fait un dépistage d'une part, et que d'autre part nous savons que la plupart des gens ne seront pas aidés par le fait de se faire dépister. Nous savons certes que certains individus bénéficient de ce que nous détectons au niveau populationnel. Mais le surdiagnostic survient de la même manière comme un phénomène populationnel et non visible au niveau de individu. On a considéré le cancer comme une "maladie sociétale" demandant à ce qu'il y ait une réponse sociétale uniforme, à savoir que  100% de la population se conforme au dépistage.

 

Métaphores de guerre

 

Ces visions s’écroulent maintenant que nous faisons face à une véritable maladie sociétale, une épidémie par maladie infectieuse qui concerne réellement tout le monde. Le coronavirus nous a fait réfléchir sur les actions que les individus devraient prendre pour protéger les autres. Alors que le cancer lui n’est pas une contagion.

Lorsque nous décidons si et comment nous faire dépister, nous prenons des décisions intimes qui touchent principalement nous-mêmes et notre famille - et non la société en général, contrairement aux décisions que nous prenons contre la propagation virale qui servent à nous protéger nous ET la société.

D’innombrables articles ont été écrits sur l’utilisation de la métaphore guerrière dans le cancer, peut-être les plus célèbres sont ceux de l’essayiste concernée par une maladie cancéreuse Susan Sontag que cite l'auteur. Sontag et d’autres ont critiqué l’utilisation endémique de métaphores de guerre dans la communauté du cancer. L'auteur confie ici que ces semaines de pandémie l’ont terrifié et l’ont aussi épuisé. D'où son constat : nous ne pouvons pas être éternellement "en guerre".

Quand la "guerre" actuelle prendra fin, la "guerre contre le cancer" reprendra-t-elle ?

Le dépistage recommencera sans doute, mais il faut espérer qu’il sera amélioré par les données de l’expérience naturelle subie du coronavirus. Allons-nous alors re-tolérer ce même genre de messages de santé publique, guerrier et incitatif, après avoir vécu une éclosion de maladie infectieuse où nos actions en tant qu’individus ont réellement un véritable impact sur la santé des autres ?

En conclusion

 

Après s’être sentis impuissants, assiégés et même culpabilisés pendant la pandémie, Mazer pense que beaucoup de gens apprécieraient de reprendre eux-mêmes le contrôle sur d’autres aspects de leur santé. Le dépistage de cancers peut sauver des vies, mais c’est un choix que nous devrions faire nous-mêmes en fonction de notre compréhension des compromis (des balances bénéfices-risques), et de nos propres préférences. Lorsque le dépistage reprendra, il est à espérer que son dogme paternaliste sera remplacé par des pratiques plus nuancées, plus autonomisantes pour le patient et plus appropriées en temps de paix retrouvée.

 

 

 

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