Etude MyPEBS, un scandale

Ou comment relancer le dépistage du cancer du sein pour des raisons peu avouables alors qu’il est en train de mourir

Par Dr Alain RAUSS, médecin biostatisticien pharmaco-épidémiologiste, 10 décembre 2019

Contexte

Une étude appelée MyPeBS (Personalising Breast Screening) sur 85 000 femmes volontaires âgées de 40 à 70 ans est lancée dans 5 pays pour tester la pertinence d’un dépistage basé sur le risque individuel de cancer du sein par rapport au dépistage actuel (30 000 en Italie, 20 000 en France, 15 000 en Israël, 10 000 en Belgique et 10 000 au Royaume-Uni).

L’étude pose d’énormes et multiples problèmes, à la fois éthiques, méthodologiques, et de biais statistiques.

Vous en trouverez la présentation sur le site dédié , en particulier ici : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/01/presentation-analyse-methodologique/

Pourquoi cette étude s’apparente-t-elle à un scandale en santé ? Dr Rauss nous éclaire.

Protocole complet MyPebs

Un titre comme celui-ci peut sembler fort et nécessite assurément une explication.

Aujourd’hui, quand on parle du dépistage du cancer du sein, il est impossible de nier des résultats qui se complètent chaque jour où il ressort que, finalement, ce dépistage, pour un résultat hypothétique ou au mieux très minime, présente en contrepartie des inconvénients importants qui ont progressivement amené la communauté scientifique à se détourner de cette pratique. Même s’il peut exister des discussions, on voit bien qu’il existe des raisons peu avouables, indépendantes de la santé des femmes, pour maintenir à tout prix le dépistage.

Le scandale, dans lequel des médecins ne sortiront pas grandis, se trouve dans le fait qu’il était possible d’éteindre presque définitivement les débats. En effet, en utilisant les fonds envisagés pour la réalisation de MyPEBS dans une étude randomisée, à grande échelle, comparant dans un bras le dépistage à un bras SANS dépistage le débat aurait été clos rapidement. Or les auteurs de l’étude, qui ont tout à perdre (économiquement il faut le dire) à montrer que le dépistage ne sert à rien et est même dangereux, ont décidé de réaliser une étude randomisée avec 2 bras dépistage ce qui ne permettra que de conclure sur la différence éventuelle entre 2 formes de dépistage. Dans le contexte actuel, il est simplissime de se rendre compte que le choix d’une telle étude n’est là QUE pour promouvoir le dépistage, sous une forme ou sous une autre mais bien promouvoir le dépistage ; c’est là que se trouve le scandale. En effet, en décidant de mettre en place une étude comparant le dépistage actuel avec un dépistage soit disant « sélectif » dans un essai de non infériorité on ne pourra que conclure, si la non infériorité est établie, que le dépistage sélectif n’est pas inférieur au dépistage actuel et que les deux approches de dépistage sont envisageables. Eventuellement tester la supériorité d’une des approches permettra alors de mettre en valeur une approche de DEPISTAGE par rapport à l’autre mais rien par rapport à une approche sans dépistage. Ainsi, alors qu’une très grosse partie de la communauté scientifique dit maintenant que le dépistage du cancer du sein n’a pas d’intérêt et est même délétère, vous avez bien lu, la conclusion de l’étude envisagée ne peut être qu’un message pour continuer le dépistage.

Financement européen

cliquez :

Le scandale va plus loin car la Commission Européenne est mise dans la « boucle des décideurs » par son association au protocole afin de s’assurer que devant les résultats de l’étude, ce soit même l’Europe qui préconise le dépistage (sous une forme ou une autre, peu importe); c’est très bien fait!

Il est possible d’aller un peu plus loin pour mieux comprendre l’ampleur du scandale de cette étude. Que la Commission Européenne ne soit pas informée des données discutées peut s’envisager (bien qu’avant de donner sa caution nous aimerions bien que cette Commission analyse correctement les données) ; mais que le docteur Delaloge de l’Institut Gustave Roussy (excusez du peu) et qu’UNICANCER ne soient pas complètement informés de ces données n’est pas envisageable et relève alors assurément d’un objectif autre (comme énoncé plus haut) que de la volonté de faire avancer la science en proposant un tel protocole. Ainsi, c’est sciemment que l’IGR et UNICANCER ont manipulé la Commission Européenne pour arriver à leur fin en sachant que la Commission Européenne devant de telles sommités n’allait pas se poser de question. Comme je l’ai dit plus haut, il suffit de regarder les moyens disponibles pour réaliser une étude randomisée avec 85 000 femmes dans 5 pays suivies pendant 4 ans avec une suite pendant 10 voir 15 ans, pour facilement se rendre compte qu’une étude randomisée comparant dépistage versus non dépistage était facilement réalisable et aurait eu assurément la puissance nécessaire pour conclure.

Le scandale ne s’arrête pas là et nous pouvons citer:

  • Un autre point majeur de ce scandale se trouve également dans le fait, qu’aujourd’hui, le dépistage n’existe pas chez les femmes de 40 à 49 ans dans 4 des 5 pays participant à l’étude. Proposer de faire du dépistage chez toutes les femmes à partir de 40 ans dans le cadre de l’étude va permettre d’étendre le dépistage à une population qui n’était jusque-là pas dépistée. En effet, si l’étude montre une non infériorité des 2 méthodes de dépistage la signification en est toute simple: « Le dépistage des femmes de 40 à 49 n’est pas inférieur à l’absence de dépistage chez ces femmes puisque dans un bras il n’y a pas de dépistage et dans l’autre il y en a un ».
  • La présentation du chiffre de 20% de réduction de mortalité grâce au dépistage est aussi un scandale (on va dire cette fois par omission) car il n’est pas dit que ce 20% (chiffre juste) c’est 1 décès sur 5 décès parmi 2 000 femmes dépistées sur 10 ans AU PRIX de 10 surdiagnostics, donc de femmes traitées alors qu’elles n’en avaient pas besoin (vraie définition du surdiagnostic malicieusement non présentée dans le protocole [il est simplement dit que ce sont des cancers qui n’auraient pas été dignsotiqués sans le dépistage]), AU PRIX de 200 fausses alertes, AU PRIX de 1 vie raccourcie du fait des traitements et il faut le reconnaitre 1 vie qui aurait été allongé.[i]
  • Les auteurs du protocole le disent eux-mêmes (p16/119), le dépistage sélectif n’est autre qu’un moyen d’augmenter les mammographies de dépistage: « due to our anticipated increase in the average numbers of mammograms in the experimental arm » (« en raison de l’augmentation prévue du nombre moyen de mammographies dans le groupe expérimental » ) ; si ce n’est pas un objectif d’augmenter le dépistage…
  • Le score de risque utilisé pour classer les femmes dans le bras « dépistage suivant le score de risque » n’est pas formellement validé puisque les auteurs disent eux-mêmes: « Breast cancer risk levels will then be classified into 4 meaningful categories, which have been defined by the clinical trial steering committee » (« Les niveaux de risque de cancer du sein seront ensuite classés en quatre catégories significatives, qui ont été définies par le comité directeur des essais cliniques »). Ce n’est pas une étude de validation d’un score qui est à la base de la construction du score de risque mais des scores existants combinés avec d’autres éléments considérés par les auteurs comme importants mais n’ayant pas fait l’objet d’une validation formelle avant son utilisation
  • Si besoin était de s’interroger sur une éventuelle envie de renforcer le dépistage, les auteurs eux-mêmes nous le disent: « MyPeBS will de-escalate screening in part of the population but escalate it in a large other part » (« Mypebs va décroître le dépistage dans une partie de la population, mais l’intensifier dans une autre grande partie ») (p38/119) (même pas besoin de faire les calculs, ils nous le disent)

Autres points

On pourra mentionner par ailleurs les éléments suivants:

  • Alors que les auteurs envisagent même de transformer leur étude de non infériorité en étude de supériorité, il est incompréhensible d’avoir retenu une borne de non infériorité de 25% [ii]
  • Au bout des 4 ans de l’étude, les femmes ayant participé retourneront au dépistage standard et seront suivies pendant 15 ans pour conclure quoi, du fait que l’on aura eu 2 séquences de dépistage successifs ?
  • Les auteurs du protocole nous disent (p21/119) qu’il y aura une réévaluation annuelle dans le bras « score de risque »: en fonction de la littérature sans nous décrire l’algorithme envisagé pour modifier le planning du dépistage, ce qui veut dire qu’au final on ne sait pas ce que va être la comparaison finale.
  • Comment est-il possible de parler « d’information » des femmes dans le groupe « dépistage sélectif » alors que le score n’est pas un score validé et juste établi par le steering committee (comité de pilotage de l’étude) : « They will be informed on potential risk-reducing strategies associated with their individual breast cancer risk level and individual risk factors » (« Elles seront informés des stratégies potentielles de réduction des risques associées à leur niveau de risque individuel de cancer du sein et à leurs facteurs de risque individuels »).
  • Le parallèle avec le système de risque dans le cardiovasculaire (p28/119) est « amusant » car on ne parle pas de score établi dans les mêmes conditions et pour des niveaux de risque comparables. En tentant de présenter la problématique des femmes a très haut risque et l’intérêt de dépister ces femmes pour justifier le dépistage, c’est un peu comme si on extrapolait le résultat obtenu pour l’hypercholestérolémie familiale homozygote pour justifier tout ce que l’on va faire à toutes les hypercholestérolémies.
  • Mettre en avant une concordance de 0,57 à 0,70, ce n’est pas très bon puisque l’on considère qu’il faut atteindre 0,8 pour parler de bonne concordance (p30/119) [iii]
  • Mettre en avant avec force une étude « in press » ne correspond pas aux standards scientifiques usuels (p30/119).[iv]
  • La méthode statistique utilisée pour passer d’une étude de non infériorité à une étude de supériorité avec les modifications du seuil du risque alpha, du fait de la multiplication des tests, n’est pas présentée, ce qui n’est pas correct.

Lire aussi :

Comme il y aurait encore beaucoup à dire, je renvoie le lecteur qui souhaite avoir des éléments plus détaillés et complémentaires au très beau site: https://cancer-rose.fr/my-pebs/ qui présente de très nombreux points sur la problématique de l’étude et plus généralement sur le problème du dépistage du cancer du sein. Dans ce cadre, j’invite le lecteur à vraiment consulter l’affiche d’information pour salle d’attente qui présente d’une manière très graphique et donc très parlante ce qui se passe sur 2000 femmes dépistées ou non https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/affiche_depistage-mammographiqueA4-2.pdf

Autre analyse du protocole : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/12/01/le-rationnel-de-letude-2/

Conclusion

Si le souci de mieux prendre en charge les femmes était le moteur de la mise en place de cette étude, nous aurions une autre étude [v]; il s’agit donc bien là d’un vrai scandale.

Références

[i] https://cancer-rose.fr/2017/01/03/mensonges-et-tromperies/

Qu’en est-il de la diminution de mortalité de 20%

Il s’agit de la réduction relative du risque.

La baisse du risque de mortalité depuis l’instauration du dépistage organisé est admise par tous les auteurs et experts. Elle varie, selon les études (observationnelles et randomisées), de 14 % à 48 % de diminution du risque de mortalité liée à ce cancer ; ce risque est environ de 5 % à l’âge de 50 ans; une diminution de 20 % fait donc passer ce risque à 4 %.

De fait, la synthèse de la Revue Prescrire, la synthèse de la Collaboration Cochante (groupe de chercheurs nordiques indépendants), la synthèse étasunienne (US TASK Force) donnent un aperçu en valeurs absolues.

Si sur 1 000 femmes dépistées 4 meurent d’un cancer du sein, et que sur un groupe de femmes non dépistées 5 meurent d’un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en chiffres absolus cela ne fait qu’une différence d’une seule femme… C’est pour cela qu’il convient de toujours exiger une présentation en données réelles, et non en pourcentage ce qui enjolive la situation.

[ii] https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/10/27/quest-ce-quun-seuil-de-non-inferiorite/

[iii] NDLR, dans le protocole page 30 il est dit ceci : « Le modèle Tyrer-Cuzick (ou IBIS) a été largement décrit dans la population générale ainsi que dans les cliniques familiales à haut risque ou les populations d’essais cliniques (IBIS1). Il est particulièrement pertinent pour les femmes ayant des antécédents familiaux : son exactitude est moyenne dans la population générale (c-statistiques entre 0,57 et 0,60), tandis qu’il est très élevé dans les populations à risque familial (c-statistiques jusqu’à 0,70). » Or en effet le taux à obtenir pour une bonne concordance est de 0,8

au sujet des scores d’évaluation des risques, voir la page : https://cancer-rose.fr/my-pebs/conflits-dinterets/

[iv] « in press » signifie que cette étude n’a encore jamais été publiée…

[v] https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/09/letude-dont-on-re%CC%82vait/


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