Un guide de la santé et de la médecine du GIJN

5 juin 2021

Dr C.Bour

Re-Check

ReCheck est un média d'enquêtes et d'investigations indépendantes spécialisé dans les coulisses des affaires de la santé, qui a été fondé par deux journalistes d'investigation, Catherine Riva et Serena Tinari.

Catherine Riva, journaliste d'investigation suissesse est auteure (entre autres) du livre "la piqûre de trop" sur la vaccination anti-HPV, aux éditions Xéna, et des dossiers Mammograben sur le business du dépistage mammographique en Suisse.
Catherine Riva fut également relectrice de notre brochure d'information sur le dépistage mammographique.

Serena Tinari est une journaliste d'investigation italienne ayant (entre autres) travaillé pour le média Patti Chiari, une revue hebdomadaire d'information sur les droits des citoyens et des consommateurs de la télévision publique suisse italienne RSI.

Nous avions relayé une de leurs émissions[1] portant sur le dépistage mammographique dans laquelle était invité le Pr Michael Baum, chirurgien et professeur émérite (University College London), partisan d'une bonne information des femmes sur la balance bénéfice/risque du dépistage mammographique, et auteur de publications[2] et prises de positions[3] [4] en ce sens.

Outre un choix informatif différent et surtout indépendant, Re-Check propose aussi des formations et des conférences autour des enquêtes de ces deux investigatrices, et un accès à GlobaLeaks, plate -forme anonymisée destinée aux lanceurs d’alerte pour transmettre des informations confidentielles dans le champ de la médecine et de la santé publique.

Nouveauté de Re-Check

La nouveauté de cette année, c'est le "guide de la santé et médecine du GIJN" , élaboré par Catherine Riva et Serena Tinari, destiné aux journalistes couvrant des sujets de santé, en version française téléchargeable ici.


Mais nous estimons qu'outre aux journalistes, le guide est également extrêmement profitable à toute la population médicale ou non médicale intéressée par les sujets de santé, afin de déjouer les pièges les plus grossiers de la communication médicale.

Le GIJN est l'acronyme correspondant à "Global Investigative Journalism Network" ; ce réseau consiste en un groupement de journalistes internationaux soucieux de la conception et du partage des informations et des données entre les journalistes d'investigation à travers le monde, tout en promouvant les bonnes pratiques en journalisme et le libre accès aux documents et données.

Le guide

Quel est ce guide et à quoi sert-il ?
Comme expliqué sur la page d'accueil "ce guide aborde la question du développement et de l’homologation des médicaments, explique comment évaluer une étude scientifique, détecter les conflits d’intérêts ainsi que les fraudes et les inconduites. Ce guide est une feuille de route pour vous permettre d’aller au-delà des affirmations des communiqués de presse des laboratoires et des membres du gouvernement."

En clair, il s'agit de démêler les affirmations d' "experts" en médecine et de leaders d'opinion, et de permettre aux journalistes le décryptage d'études scientifiques par eux-mêmes.
D'après la présentation des deux conceptrices, la création de ce guide semble avoir été motivée par les difficultés rencontrées par les journalistes durant la pandémie Covid, et leur désarroi face aux informations médicales développées à un rythme insoutenable. La préface est d'ailleurs dédiée à la pandémie Covid 19. 

Le guide se compose d'une préface, d'une introduction, de 5 grands chapitres ('Développement et homologation des médicaments', 'Toutes les études ne se valent pas', 'Les bases scientifiques de l’influence', 'Couvrir la sécurité des médicaments', 'Pièges, battage médiatique et principes éthiques') et d'annexes.

Toutes les études ne se valent pas

Ce chapitre, le numéro 2, a retenu notre attention, car s'inscrivant dans le champ des préoccupation de Cancer Rose.

L'EBM

Il est ici rappelé que l'EBM, ou médecine fondée sur les preuves, doit être centrale lors d'une enquête journalistique, avec application du principe de la lecture critique (processus consistant à évaluer soigneusement et systématiquement les résultats de la recherche scientifique sur la base de preuves, pour juger de sa fiabilité, de sa valeur et de sa pertinence.)

La pratique fondée sur les données probantes doit amener l'enquêteur à évaluer la pertinence de certains éléments selon la méthode PICO (P= les caractéristiques du patient, conviennent-elles à la recherche menée ; I = le traitement ou le test, de dépistage par exemple ; C= le comparateur, qui peut être un placebo ou un autre traitement ou un test ; O = outcome c'est à dire l'élément de mesure ou encore le critère de jugement utilisé dans l'étude, qui peut être un taux de mortalité, un taux de survie, un taux de cas avancés, une amélioration thérapeutique etc...).

Il est intéressant et même essentiel de prendre connaissance de ce pré-requis pour éviter des analyses d'études comme on peut parfois en lire dans revues ou journaux commençant par : "une grande étude conclut que...", ou bien "le professeur X, expert dans le traitement de la maladie de Y estime que..."

Les niveaux de preuves

Ce chapitre rappelle que toutes les études médiatisées ne se valent pas et produit un schéma remarquable illustrant la hiérarchie des études selon le niveau de preuve, très utile pour apprécier la validité d'une étude.

 

Une partie du chapitre explique la tentation qu'il y a de confondre corrélation et causalité, erreur très souvent commise, pas seulement par les journalistes mais parfois les médecins et scientifiques eux-mêmes. Ce n'est pas parce que deux évènements sont concomitants qu'ils ont un lien forcément de cause à effet.

La présentation des données

Un conseil judicieux est donné sur les valeurs absolues qui sont à considérer, plutôt que les pourcentages, pour pouvoir juger une balance bénéfice-risque d'un traitement ou d'un test.

Dans le domaine du dépistage du cancer du sein qui est notre sujet, il y a nécessité de présenter la réduction absolue du risque de décéder d’un cancer du sein, et non pas ce paramètre en données relatives. Nous le soulignons souvent et la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein le demandait dans plusieurs parties de son rapport (p ex page 79),

A ce propos lire notre article ici.

La démonstration du mathématicien Gerd Gigerenzer présentée par les autrices dans ce deuxième chapitre du guide très justement est un bon exemple, et tout à fait magistrale pour démontrer comment un pourcentage peut être fallacieux.
Lorsqu'on parle aux femmes d'un dépistage du cancer du sein réduisant la mortalité de 20%, elles comprennent que 20 femmes sur 100 dépistées en moins mourront d'un cancer du sein. Il n'en est rien. Gigerenzer écrit "Le public savait-il que ce taux impressionnant correspondait à une réduction d’environ quatre à cinq femmes sur 1000, soit de 0,1% ? La réponse est non."
(Mais cette présentation trompeuse perdure encore dans des brochures et documents officiels émanant de sites officiels.[5] [6])

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

Exemple concret dans le domaine du dépistage du cancer du sein d'une communication trompeuse

L'étude Grouvid

En novembre 2020 était publiée et médiatisée l'étude Grouvid, faite par modélisation sur la base d’un scénario dans le contexte de l'Institut Gustave Roussy, pour évaluer les conséquences des retards de prises en charge en oncologie sur les patients à cause de la pandémie Covid 19. Nous en avions parlé ici, et relaté également les résultats d'une méta-analyse parue dans le BMJ allant également dans le même sens.

L'étude Grouvid, comme l'étude du BMJ citée, suggérait ainsi que les retards de prise en charge, liés à la 1ère vague de Covid-19, pourraient être responsables d'un excès de mortalité par cancers de 2 à 5%, 5 ans après le début de la prise en charge. Ces retards de prise en charge sont, selon l'étude, dus à 2 facteurs :

  • la réticence des patients à se faire soigner par peur d'une contamination
  • et une réduction de la capacité de soins des hôpitaux.

Dans cette étude, il n'a été nulle part question du dépistage, pas plus du dépistage du cancer du sein que de n'importe quel autre dépistage.
Mais les médias en ont fait l'amalgame et ont abondamment relayé que les retards des dépistages étaient la cause d'une surmortalité en oncologie, et en particulier pour le cancer du sein.[7] Ce qui était une fausse information.

Conclusion

Enquêter sur le secteur de la santé peut s'avérer vraiment complexe et difficile en tant que journaliste.
Couvrir un domaine en santé, quel qu'il soit, demande certainement d'y consacrer beaucoup de temps, de se former, d'acquérir des notions scientifiques pointues, comme des connaissances de base en épidémiologie et en statistiques, cela implique de lire énormément d'ouvrages spécialisés, de s'approprier aussi le jargon scientifique particulier.

L'urgence dans la communication, la pression de certaines rédactions pour la communication 'positive' dans le domaine du dépistage du cancer du sein, l'auto-censure de certains journalistes conduisent à des désastres dans l'information des populations, surtout des femmes en la matière, pour leur détriment.

On a constaté l'approximation et le fourvoiement dans l'information médicale pendant la pandémie de Covid-19, dus au sujet journalistique lui-même certes complexe, mais aussi aggravé par l'urgence de la situation et la précipitation des médias à publier.

Les outils proposés par le Guide de la santé du GIJN ne peuvent être qu'un atout salutaire, et même essentiel pour tout journaliste soucieux d'une bonne information en santé, afin d'éviter le désarroi de la population devant l'afflux d'informations et contre-informations comme on l'a vécu pendant la pandémie, et afin d'éviter d'exposer des personnes à des procédure ou tests prometteurs qui les plongeront, par ignorance des dangers potentiels, par mauvaise médiatisation, dans l'enfer d'une maladie.

C'est une question de déontologie, journalistique cette fois.

Lire aussi

Une lettre de chercheurs dans le JAMA sur la couverture médiatique des bénéfices et inconvénients des tests de dépistage.

Références


[1] https://cancer-rose.fr/2019/04/29/emission-tele-sur-lenjeu-du-depistage-par-la-revue-dinformation-italophone-patti-chiari/

[2] https://www.bmj.com/content/346/bmj.f385
Harms from breast cancer screening outweigh benefits if death caused by treatment is included
BMJ 2013; 346 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.f385 (Published 23 January 2013)Cite this as: BMJ 2013;346:f385

[3] https://cancer-rose.fr/2019/03/25/lettre-de-michael-baum-the-times/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/08/24/reactions-internationales-aux-tentatives-de-camouflage-de-lechec-du-depistage-dans-une-publication/

[5] https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/pourquoi-les-autorites-de-sante-recommandent-de-realiser-un-depistage/

[6] A ce propos lire notre article : les méthodes d'influence du public pour l'inciter aux dépistages

Réduction de la mortalité par cancer du sein uniquement exprimée en réduction du risque relatif par l'agence nationale de dépistage française dans la brochure d'information de 2019, cela représente une méthode d'influence utilisée par les autorités pour augmenter la participation au dépistage. Les auteurs soulignent que  le recours à ces types d'influence reste éthiquement douteux dans les programmes de dépistage du cancer dont le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté.

[7] Liste non exhaustive de tous les médias ayant relayé cette information de façon fallacieuse au public :


https://www.francetvinfo.fr/sante/cancer/covid-19-les-retards-de-depistage-du-cancer-de-sein-vont-entrainer-une-augmentation-de-la-mortalite-entre-1-et-5-dans-les-dix-ans-qui-viennent-selon-la-fondation-arc_4124525.html#xtref=https://mobile.francetvinf

https://www.sudouest.fr/2020/10/24/cancer-du-sein-axel-kahn-lance-un-cri-d-alarme-pour-inciter-au-depistage-8000781-4696.php

https://fr.news.yahoo.com/octobre-rose-axel-kahn-implore-085353145.html

https://www.europe1.fr/societe/debut-doctobre-rose-axel-kahn-alerte-sur-les-retards-de-diagnostic-des-cancers-du-sein-3995432

https://www.topsante.com/medecine/cancers/cancer/covid-19-depistage-cancer-639344

https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Deprogrammation-doperations-Linquietude-immense-malades-cancer-2020-10-27-1201121508


http://www.francesoir.fr/opinions-tribunes/chronique-covid-ndeg34-le-geneticien-axel-kahn-president-de-la-ligue-contre-le

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/26/cancers-infarctus-avc-ces-pathologies-victimes-indirectes-du-covid-19_6057437_3244.html

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