29 janvier 2023
Synthèse de deux articles scientifiques parus en 2022, l’un dans le BMJ, l’autre le BMC, portant tous les deux sur la problématique du choix éclairé dans le dépistage du cancer du sein.
- Women’s preference to apply shared decision-making in breast cancer screening: a discrete choice experiment
La préférence des femmes pour une prise de décision partagée dans le cadre du dépistage du cancer du sein : une expérience de choix discrets
BMJ Open 2022;12:e064488. doi:10.1136/ bmjopen-2022-064488 https://bmjopen.bmj.com/content/bmjopen/12/11/e064488.full.pdf - Investigating informed choice in screening programmes: a mixed methods analysis
Étude du choix éclairé dans les programmes de dépistage : une analyse par méthodes mixtes
https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-022-14685-6
Que sont les méthodes utilisées ?
La méthode des choix discrets (Discrete Choice Experiment, DCE) utilisée dans la première étude citée, a été introduite dans la santé au début des années 90. On présente aux individus différentes situations hypothétiques de choix («épreuves»), dans lesquelles ils peuvent choisir une, deux ou plusieurs options qui sont proposées à la sélection.
Chaque option présente différentes caractéristiques qu’on appelle des «attributs», (p.ex. efficacité, durée, effets indésirables, coût), dont la valeur dépend des options choisies et des situations de choix.
Nous avions cité cette méthode utilisée pour l’étude sur les préférences des patientes suite à la prise en charge d’un carcinome canalaire in situ(CCIS)[1].
Dans la recherche par méthodes mixtes, ce qui correspond à la méthode de la deuxième étude que nous avons citée plus haut, les chercheurs collectent et analysent des données quantitatives et qualitatives dans une même et seule étude pour répondre à une question de recherche posée.
Cela permet une compréhension plus complète et plus approfondie qu’une étude reposant uniquement sur une recherche qualitative ou sur une recherche qualitative en compensant les faiblesses de l’une et de l’autre.
Des entretiens semi-structurés avec questionnaire d’entretien et avec des outils d’aide à la décision (OADs) disponibles (presque tous des brochures, sites webs ou copies numériques, évalués sur leur qualité selon une check-list validée) ont été menés avec les participants afin d’explorer leur point de vue sur le choix éclairé en matière de dépistage.
Les chercheurs ont effectué l’étude dans huit pays différents (Norvège, Danemark, Suède, Pays-Bas, Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Angleterre), pour comprendre la manière dont les pays abordent le choix éclairé dans deux programmes de dépistage : le dépistage du cancer du sein et de l’anomalie de la trisomie fœtale.
Nous nous sommes bornés aux résultats de l’étude qui concernent le dépistage du cancer du sein.
Quels sont les résultats principaux des deux études ?
- Les femmes rejettent les modèles de santé paternalistes dans le contexte du dépistage du cancer du sein ; elles préfèrent les modèles avec prise de décision informée ou partagée.
- les femmes préfèrent prendre des décisions elles-mêmes ou avec le professionnel de santé, mais en ne souhaitant pas que le professionnel de santé prenne la décision à leur place.
- Il faut donc restructurer le dépistage du cancer du sein de manière à ce que les femmes puissent prendre elles-mêmes des décisions éclairées ou s’engager dans une prise de décision partagée avec un professionnel de la santé.
- Les tentatives de parvenir un choix éclairé grâce aux aides à la décision génèrent deux types de conflits :
1) Entre un choix éclairé amélioré et une participation accrue –
Le choix éclairé semble être, selon les principes d’éthique, prioritaire par rapport à la participation, mais la participation peut être privilégiée au détriment du choix éclairé à différents moments de la transmission et de la distribution de l’information (par OAD notamment), peut-être en raison d’un manque de planification intégrée. Une réflexion doit être menée à tous les niveaux de développement et de distribution de l’information produite, pour refléter l’objectif de chaque organisation (valeur accordée à la participation ou plus à l’éclairage des femmes ?).
2) Entre exhaustivité de l’information et compréhensibilité –
La facilité de compréhension de l’OAD doit également être prise en compte, car elle peut se trouver diminuée lorsque la priorité est donnée à un choix éclairé, autrement dit, l’objectif de parfaitement et complètement informer en étant très précis et exhaustif , en fournissant trop d’informations ou des informations complexes peut rentrer en conflit avec la compréhensibilité de l’outil conçu. - Pour solutionner le problème de compréhension, les participants ont estimé qu’il pouvait être réglé en fournissant plusieurs niveaux d’information. La plupart des pays d’ailleurs, qui proposent des OAD, proposent deux niveaux. En général, il s’agit d’un niveau de base fourni par un OAD de base, tel qu’un dépliant court et simple, et d’un second niveau d’information, plus complet, fourni par un site web.[2]
- Les femmes étaient d’accord d’octroyer une rémunération au médecin en contrepartie d’une information satisfaisante.
Autres résultats
Rappelons avant tout que le choix éclairé a été défini dans la littérature internationale comme un choix conforme aux valeurs d’un individu et fondé sur des informations adéquates.
Une information adéquate comprend les risques, les bénéfices, les limites et les incertitudes de la réalisation ou non d’un dépistage, ainsi que des informations sur la maladie, le processus de dépistage et les décisions ultérieures que ce dernier peut entraîner.
Par ailleurs, il faut donner aux personnes invitées à participer au dépistage la possibilité de réfléchir aux conséquences potentielles du dépistage et leur apporter un soutien suffisant pour leur permettre de faire le bon choix pour elles-mêmes, mais en tenant compte de leurs valeurs et de leur situation
L’étude par choix discrets comprenait trois attributs : Comment l’information est obtenue concernant les avantages et les inconvénients ; l’existence ou non d’un « dialogue pour une mammographie programmée » entre le professionnel de santé et la femme ; et « qui prend la décision » concernant la participation au dépistage.
Le seul attribut avec un résultat significatif était le troisième: « Qui prend la décision« , les femmes rejetant les modèles de santé paternalistes, dans lesquels le professionnel de la santé ou le système de santé prennent de façon unilatérale les décisions en matière de santé. Ce résultat est conforme à la tendance actuelle qui consiste à donner aux patients les moyens d’être plus autonomes dans les décisions cliniques.
Cependant ce degré d’autonomie peut être irréaliste en raison du manque de connaissances concernant les effets adverses. Par exemple, des études récentes ont indiqué que les femmes espagnoles sont peu conscientes du surdiagnostic[3] [4]. Seulement 8,1 % d’entre elles connaissaient la signification du surdiagnostic, même si ce pourcentage augmentait à 54,2 % chez les femmes qui avaient reçu des OAD.
Une étude est actuellement menée à la Mayo Clinic afin de déterminer si les groupes de discussion de femmes pour la prise de décision pourraient constituer une nouvelle ligne de soutien et de préparation des femmes à la prise de décision concernant le dépistage du cancer du sein[5]. Cette étude est basée sur la stratégie mentionnée ci-dessus : les OAD pourraient être remis avant le rendez-vous clinique, et ensuite il y aurait une conversation avec d’autres femmes
Pour le premier attribut concernant l’entretien d’information, les femmes participantes n’ont pas montré de nette préférence entre recevoir une brochure d’information explicative des bénéfices et des risques du dépistage ou recevoir cette information expliquée par un professionnel de santé. L’absence de différence entre les deux options peut être liée au fait, disent les auteurs, que les femmes ne perçoivent pas de différence dans les informations reçues. Par conséquent, l’utilisation d’une aide à la décision pour les patients (OAD) censée fournir des informations équilibrées sur les risques et les avantages du dépistage du cancer du sein, peut aider les femmes à mieux comprendre l’information.
Certains organismes, comme « Le programme public de dépistage du cancer du sein de Catalogne », ont déjà intégré à la lettre d’invitation au dépistage un dépliant comprenant des informations nécessaires à la prise de décision, comme le surdiagnostic.
En ce qui concerne le deuxième attribut, l’entretien pour dialogue avant une mammographie programmée, les femmes de cette étude adoptaient une attitude neutre quant au choix entre un rendez-vous en face à face avec un professionnel de santé pour discuter de leurs préférences et préoccupations, et l’approche standard, dans laquelle c’est le système de santé qui planifie le dépistage.
Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que le dépistage est largement intégré par les femmes, non seulement en raison d’une diffusion massive d’informations sur ses bénéfices mais aussi à cause d’une minimisation des risques.
Un autre élément dans cette première étude est évoqué : les personnes interrogées étaient prêtes à payer, en moyenne, 16 € pour un médecin fournissant des explications faciles à comprendre par rapport à un médecin ne fournissant pas d’explications compréhensibles. Elles étaient également prêtes à payer, en moyenne, 20 € pour des médecins à qui elles pouvaient poser des questions ou faire part de leurs préoccupations, par rapport à des médecins qui se limitaient à fournir des informations. Enfin, elles étaient prêts à payer, en moyenne, 22€ pour des médecins qui impliquaient le patient dans la prise de décision, par opposition à ceux qui prenaient les décisions seuls.
Ceci est significatif car il faut tenir compte du fait qu’en Espagne le dépistage est entièrement pris en charge par le système national de santé espagnol pour les femmes âgées de 50 à 69 ans. En effet, la volonté de payer exprimée par les femmes dans cette étude montre combien la société est prête à payer pour une innovation dans le domaine des soins de santé, plus précisément un échange pour information entre le professionnel de santé avec la patiente lors des rendez-vous cliniques.
Pour les auteurs les implications pratiques sont la restructuration du dépistage du cancer du sein de manière à ce que les femmes puissent prendre elles-mêmes des décisions éclairées ou s’engager dans une prise de décision partagée avec un professionnel de la santé, ceci pour passer d’un modèle paternaliste à un modèle participatif de médecine centrée sur la personne.
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Dans la deuxième étude citée, celle par méthodes mixtes, les auteurs ont constaté qu’après l’utilisation des OAD, les connaissances étaient améliorées sur la procédure de dépistage, les bénéfices et les risques du dépistage, et que les femmes étaient plus susceptibles de faire un choix éclairé pour le dépistage du cancer du sein.
La plupart des participants au programme de dépistage du cancer du sein ont soulevé le problème des stratégies spécifiques qu’ils ont rencontré, afin d’augmenter le taux de participation, notamment l’envoi d’invitations à des réunions pour discuter du dépistage avec un rendez-vous prévu, ou le recours à des « communicateurs » / experts en littératie en santé sur le contenu des OAD.
Ils ont également décrit la promotion du dépistage par le biais des médias sociaux, ou par des lettres de médecins généralistes ou de professionnels de la santé « encourageant » les femmes à participer au dépistage, ou encore par des incitations financières aux professionnels de la santé pour leur taux de participation au dépistage.[6]
Concernant le problème de tension qui existe entre exhaustivité de l’outil et compréhensibilité, évoqué dans la première étude, ici certains participants ont exprimé l’avis que leur OAD donnait la priorité au choix éclairé, c’est-à-dire à plus d’informations/de complexité plutôt qu’à plus de compréhensibilité, tandis que d’autres ont exprimé l’avis contraire. Les auteurs de cette deuxième étude soulèvent le fait que les professionnels de la santé, les chercheurs et les décideurs s’accordent à dire que le choix éclairé doit être considéré comme une composante importante de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes de dépistage, mais qu’aucun consensus général n’a été atteint sur la manière d’y parvenir, ou de le mesurer systématiquement. Il y a là un effort à faire et un consensus sur l’élaboration des OAD à trouver.
Fournir l’information par niveaux (un niveau de base et un deuxième niveau pour approfondir) est une option à envisager pour palier le problème de facilité de compréhension/exhaustivité d’un oad.
Un participant de cette deuxième étude a même suggéré une approche en « cascade », dans laquelle les informations seraient délibérément échelonnées, avec de nouvelles informations fournies en plus petites portions au fil du temps.
Les deux grandes questions lors de l’élaboration d’un OAD sont assurément :
* Favoriser le choix éclairé ou augmenter le taux de participation ?
* Favoriser le choix éclairé ou la facilité de compréhension ?
Les auteurs écrivent : alors que les personnes qui mettent en œuvre les programmes de dépistage et qui créent et distribuent les OAD semblent s’aligner sur l’éthique du choix éclairé plutôt que sur celle de l’augmentation de la participation, nous avons constaté un manque de réflexion intégrée à toutes les étapes de l’élaboration et de la distribution de l’OAD, ce qui pourrait conduire à la promotion de la participation au détriment du choix éclairé.
La prise en compte des conflits potentiels entre le choix éclairé et la participation, et entre le choix éclairé et la compréhensibilité, doit donc être faite à toutes les étapes.
Les auteurs concluent :
Suite à la collecte et à l’analyse de données dans huit pays, nous estimons que les tentatives des programmes de dépistage visant à obtenir un choix éclairé par le biais d’aides à la décision génèrent des situations de tension entre la volonté d’améliorer le choix éclairé et le taux de participation, et le choix éclairé et la compréhensibilité.
Ces tensions ont été constatées à la fois dans nos entretiens et dans l’analyse documentaire.
Alors que le choix éclairé semble être prioritaire par rapport à la participation, la participation peut être privilégiée au détriment du choix éclairé à différents moments de la transmission et de la distribution de l’information, peut-être en raison d’un manque de planification intégrée. Ce problème peut être dû à un manque de clarté quant aux objectifs et valeurs sous-jacents des programmes de dépistage.
Conclusion
Les femmes sont en demande de choix personnel et de consentement éclairé.
L’Union Européenne (réf.6), l’OMS, la concertation citoyenne française revendiquent cela.
Les outils d’aide à la décision sont un moyen d’y parvenir mais la tentation d’influencer les femmes et les amener à plus de participation, comme c’est l’objectif clairement affiché des autorités sanitaires françaises, sont un obstacle permanent pour atteindre cet objectif dans le respect de l’éthique et de la dignité des femmes.
De plus, en France, les outils d’aide à la décision font cruellement défaut, et ce ne sont ni le livret de l’INCa[7] ni le dépliant[8] qui peuvent être considérés comme tels, lacunaires en matière d’information ne serait-ce que sur le surdiagnostic, et décriés dans une étude internationale sur leur aspect trompeur.[9]
Références
[1] https://cancer-rose.fr/2022/03/27/respecter-la-preferences-des-patientes/
[2] C’est ce que nous avons essayé de réaliser : en page d’accueil vous est proposé l’OAD Cancer Rose simplifié, auquel vous accédez en cliquant sur l’image (dont le lien est https://drive.google.com/file/d/16Y0wGamO_ZKNV0wrereu0rAqSJNw540o/view
En toute dernière page de cet OAD très simple vous avez un QR code qui vous amène sur une page web plus exhaustive, avec un OAD complet téléchargeable et pour lequel explications, calculs et démonstrations sont disponibles.
[3] Baena-Cañada JM, Rosado-Varela P, Expósito-Álvarez I, et al. Women’s perceptions of breast cancer screening. Spanish screening programme survey. Breast 2014;23:883–8. 47
[4] Toledo-Chávarri A, Rué M, Codern-Bové N, et al. A qualitative study on a decision aid for breast cancer screening: views from women and health professionals. Eur J Cancer Care 2017;26:e12660–11.
[5] Hernández-Leal M, Montori V. Discussion groups for decisionmaking on breast cancer screening [research proyect]. Mayo Clinic 2021.
[6] En France aussi, il est temps de faire évoluer l’incitation des femmes vers de l’information, comme l’UE, la concertation et l’OMS le demandent, lire : https://cancer-rose.fr/2022/12/14/depistage-il-est-imperatif-de-faire-evoluer-linformation-des-femmes/
Voir la ROSP (rémunération des médecins sur objectifs de santé publique) en France : https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/
[7] https://cancer-rose.fr/2022/10/15/le-nouveau-livret-de-linca/
[8] https://cancer-rose.fr/2021/10/19/linca-toujours-scandaleusement-malhonnete-et-non-ethique/
[9] https://cancer-rose.fr/2021/04/20/les-methodes-dinfluence-du-public-pour-linciter-aux-depistages/
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