Les examens scanographiques à l’origine d’une augmentation des cancers ?

Par Cancer Rose, 28 avril 2025

https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2832778

Une équipe de chercheurs californiens menée par Dr Rebecca Smith-Bindman, professeure d’épidémiologie et de biostatistique à San Francisco (Etats Unis) publie une étude suggérant des conséquences néfastes de la multiplication des scanners, sous forme d’augmentation des cancers radio-induits à la suite d’un cumul d’expositions aux rayons X.
La question porte sur l’estimation du nombre de futurs cancers qui pourraient être induits par l’exposition aux radiations des examens annuels de tomodensitométrie (TDM) aux États-Unis.

Il s’agit d’une étude de modélisation du risque, et qui porte sur une population aux Etats Unis où l’usage des scanners est démultiplié par rapport à celui en Europe. En effet, pour des raisons médico-légales, les examens TDM sont pratiqués souvent dans la démesure, afin que le médecin puisse attester avoir mis toutes les chances du côté de son malade.

Un contexte particulier

Il faut bien avoir présent à l’esprit le contexte américain, dans lequel la faute professionnelle et les litiges représentent aujourd’hui un énorme enjeu pour le système de santé aux États-Unis. La facilité d’accès aux tribunaux, les fréquents verdicts très sévères envers les praticiens pour faute médicale ont dévoyé le système, entraînant des surcoûts pour le système de santé américain. Ce qu’on appelle la « pratique défensive de la médecine » est la multiplication de pratiques ou d’examens de la part des médecins « pour se couvrir » en prévision de litiges à venir.
Ainsi par exemple 30% des césariennes aux USA, selon les études, ne seraient pas justifiées mais réalisées pour parer à toute complication obstétricale. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Bien que cette question soit débattue de longue date dans ce pays, elle ne fait que s’amplifier ces dernières décades pour des raisons inhérentes aux progrès médicaux, notamment ceux de l’imagerie, et elle est liée à certaines caractéristiques du système juridique américain. On assiste là-bas à une débauche de recours de la part de patients, et à une explosion incontrôlée des montants des dommages accordés aux patients.

Résultats de l’étude

Les résultats de l’étude ici relatée suggèrent que les 93 millions d’examens de tomodensitométrie réalisés chez 62 millions de patients en 2023 devraient entraîner environ 103 000 cancers supplémentaires à venir.

Depuis 2007, le recours aux scanners a bondi de plus de 30 % et les auteurs de l’étude estiment que si les pratiques actuelles en matière de doses utilisées et de consommation des rayonnements se poursuivent, les cancers associés à la tomodensitométrie pourraient à terme représenter 5 % de tous les nouveaux cas de cancer diagnostiqués chaque année.

Ce risque est plus élevé chez les enfants, mais une sur-utilisation de la tomodensitométrie chez les adultes pourrait être également responsable d’une majoration des cancers radio-induits de l’adulte. Chez les adultes, ce seraient les scanners de l’abdomen, du bassin et du thorax qui seraient les plus pourvoyeurs de risque, alors que chez l’enfant, ce serait ceux de la tête et du cou.

Discussion

Le cancer du poumon était considéré comme le cancer radio-induit le plus fréquent, et environ 70 % de ces cas concernaient des femmes. Le cancer du côlon arrive ensuite en deuxième position, dont 58,6 % chez les hommes.
On ignore si l’augmentation actuelle et inexpliquée de ces deux cancers, ainsi que d’autres, à un âge étonnamment plus jeune (28 ans) comme on le constate actuellement, pourrait être en partie due à la TDM.
Le cancer de la thyroïde est également concerné et, comme dit plus haut, les cancers pédiatriques.

Les scanners abdomino-pelviens sont ceux qui délivrent le plus de radiations ionisantes, et ils seraient, selon l’étude, à l’origine du plus grand nombre de cancers.
Ces examens, ainsi les scanners ‘corps entier’ et du rachis présentent en moyenne des risques plus élevés par examen, car ils utilisent fréquemment plusieurs phases d’acquisition, ce qui entraîne des doses cumulées plus élevées. 

Pour conclure

Dans cette étude, environ 5 % des diagnostics annuels de cancer, soit 100 000 cancers, devraient résulter de l’utilisation de la scanographie, en 2023.
Malgré l’attention du public portée aux effets indésirables potentiels, l’utilisation des scanners a considérablement augmenté aux États-Unis depuis 2009.
En 2023, disent les auteurs, 93 millions d’examens de scanners ont été réalisés aux États-Unis ; en 2007, ce nombre était de 68,7 millions, soit une augmentation de 35 % qui n’est pas entièrement expliquée par la croissance démographique.

Les auteurs insistent sur l’utilisation de ces examens qui doit être plus pertinente, examens qui doivent être justifiés en fonction de la pathologie et avec un souci d’optimisation de la dose délivrée, afin d’atténuer les dommages potentiels.

Réactions, commentaires

Les réactions ne sont pas fait attendre et l’American College of Radiology a assuré qu’aucun lien direct entre scanner et cancer n’avait été prouvé à ce jour, et que les scanners « sauvent des vies ».

De notre côté, nous modérons certes le propos. Tout d’abord il s’agit d’un contexte américain particulier.
D’autre part il s’agit d’une étude de modélisation, les études de modélisation présentent des faiblesses. Les résultats d’une modélisation dépendent d’un modèle choisi et de conditions de validité, invérifiables et, pire, qui pourraient être contestables. Par exemple ici, les auteurs sont obligés de considérer une homogénéité dans la radio-sensibilité des sujets.
Les paramètres du modèle d’estimation utilisé (modèle du risque BEIR VII) sont principalement basés sur les résultats des survivants japonais à la bombe atomique, et des questions subsistent quant au transfert des risques de rayonnement de la population japonaise du milieu du XXe siècle à la population américaine actuelle. Des pondérations sont mises en oeuvre pour palier à cet effet, mais sont subjectives. 
Les calculs de risque ont tenu compte de l’espérance de vie moyenne, mais la mesure de l’espérance de vie raccourcie des patients qui subissent un TDM peut surestimer le risque de cancer radio-induit, s’ils présentent déjà une maladie sous-jacente,.

Cependant, en dépit de toutes ces réserves et en vertu du principe de précaution, il nous parait bon de rappeler qu’il faut utiliser les examens, notamment ceux d’imagerie comportant des radiations ionisantes, de façon pertinente. D’une part il y a une radiotoxicité qui peut varier d’un individu à l’autre, d’autre part ces examens scanographiques ici pointés du doigt sont souvent cumulatifs, au cours d’une vie, avec d’autres examens irradiants que les patients vont subir, comme la mammographie chez les femmes, surtout chez celles qui sont jeunes, non ménopausées. Certaines se voient prescrire de plus en plus souvent des mammographies hors recommandations, de façon inappropriée et inutile, juste pour avoir un « examen de référence » ce qui n’a aucun sens, ou bien pour se « rassurer ».

Même en France, la progression des prescriptions n’est pas négligeable, elle a été de 50 % entre 2002 et 2007, a indiqué Jean-Christophe Niel, directeur général de l’ASN, lorsqu’il a présenté au Parlement le rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2010.
Un scanner corps entier peut délivrer en une seule fois 20 millisieverts (mSv), dose qui correspond au maximum autorisé pour un an pour un salarié travaillant dans le secteur nucléaire. 
Ajoutons à cela qu’il est question d’utiliser les scanners low dose de façon plus systématique pour dépister le cancer du poumon chez les fumeurs(-euses), et qu’une controverse existe déjà sur l’utilisation de cet examen en dépistage routinier.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/02/24/etre-femme-et-tabagique-des-rayons-en-perspective/

Une idée pourrait être d’inscrire, sur les dossiers médicaux des personnes, la quantité de rayonnements reçus par an. Ce qui renseignerait à la fois les médecins prescripteurs et les patients, dont certains sont eux-mêmes demandeurs d’examens.

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