Un dépistage efficace implique deux critères :
- diminution drastique de la mortalité
- réduction de l’incidence des cancers avancés
Exemple d’un dépistage qui répond à ces critères, le dépistage du col utérin, images provenant d’une présentation de Pr P.Autier
Qu’en est-il pour le cancer du sein ? Le dépistage du cancer du sein est-il un dépistage efficace ?
1°Critère, la mortalité
Depuis 1996, on constate environ 11 000 à 12 000 décès par cancer du sein par année. On n’assiste donc pas cette réduction massive et drastique qu’on constate en médecine lorsque des procédés marchent vraiment. (La découverte de l’antibiothérapie anti-tuberculeuse a entraîné la fermeture des sanatorium dans les deux ans, la stérilisation des ciseaux servant à couper les cordons ombilicaux a fait quasiment disparaître la mortalité par infections néonatales.)
De plus, il est trompeur d’avancer des chiffres de la mortalité spécifique (mortalité par la maladie, ici le cancer du sein) sans donner les chiffres de la mortalité globale (mortalité toutes causes confondues).
Dans la mortalité par cancer du sein ne sont pas comptabilisés les décès induits les conséquences de la découverte d’un cancer du sein, et qui sont conséquemment dus à des accidents chirurgicaux ou anesthésiques, aux complications de la chimiothérapie et de la radiothérapie comme par exemple les atteintes cardio-vasculaires et les cancers radio-induits.
A ce jour, il n’existe aucun signe clair de réduction de la mortalité globale grâce au dépistage par mammographie.
Concernant la mortalité spécifique par cancer du sein, on constate bien qu’elle diminue depuis 1993. Mais cette diminution intervient avant la généralisation du dépistage en France (en 2004) et ne peut lui être attribuée.
Au Royaume-Uni, entre 1985 et 1993, on chiffre cette baisse de la mortalité par cancer du sein à 11%, alors que le dépistage n’a été opérationnel qu’en 1988.
Dans une étude d’impact, une comparaison de huit pays d’ Europe et en Amérique du Nord ne démontre pas de corrélation entre la pénétration du dépistage national et la chronologie ou même l’ampleur de la réduction de mortalité par cancer du sein. L’approche comparative dans cette étude avec 14 autres types de cancers fait ressortir un déclin similaire des taux de mortalité desdits cancers, alors même que ces autres cancers ne font pas l’objet de campagnes de dépistage. L’amorce de la diminution de mortalité par cancer du sein coïncide d’ailleurs avec une désescalade thérapeutique, à un moment où on possède une meilleure maîtrise des traitements administrés aux femmes et de leurs effets adverse.
La baisse de mortalité par cancer du sein existe, d’une part elle n’est pas corrélée à l’existence du dépistage, et d’autre part, de l’aveu même des données officielles, chaque année 12 000 femmes continuent de mourir d’un cancer du sein sans compter celles qui meurent des complications à distance de leur traitement. (12 146 en 2018).
Un autre élément est que les taux de mortalité et la survie sont les mêmes dans les groupes de femmes dépistées et dans les groupes des non dépistées, au même stade du cancer lors de sa découverte, comme le montrent plusieurs études, dont celle de Miller en particulier avec un suivi long des groupes de femmes, sur 25 ans.
2°Critère, les taux des cancers graves
L’accumulation des données épidémiologiques montre que dans les populations où le dépistage par mammographie est largement répandu depuis longtemps, l’incidence des cancers avancés n’a connu que peu ou pas de diminution. De nombreuses études attestent de ce fait.[1]
Une étude conséquente et récente de 2015 sur 16 millions de femmes aux Etats Unis corrobore ce constat décevant [2]:
- Pas de réduction significative de mortalité (ligne rouge dans le graphique de gauche)
- Pas de réduction des cancers graves (ligne rouge dans le graphique de droite)
La survie à 5 ans
Cette donnée très souvent mise avantageusement en avant par l’INCa et les promoteurs du dépistage est un indicateur de la durée de vie du cancer, et non pas de l’efficacité du dépistage.
Détecter des cancers avec un temps d’avance donne l’illusion d’une survie plus longue.
C’est une illusion d’optique : par l’anticipation de la date de survenue du cancer, on a l’impression d’un allongement de la vie alors que l’espérance de vie n’a en rien changé. L’allongement de la survie est le résultat de deux phénomènes : l’efficacité des traitements qui rallongent la durée de vie du patient avec son cancer et le dépistage qui anticipe la date de naissance du cancer indépendamment de l’issue de la maladie.
La survie est majorée d’autant plus que le surdiagnostic est plus fort. En effet, par définition, tous les surdiagnostics guérissent !
Un bon contre-exemple est le cancer du col de l’utérus : sa survie à 5 ans est très mauvaise, mais la mortalité par ce cancer a baissé spectaculairement.
Comparaison de 6 dépistages différents
Lorsque l’incidence augmente sans retentissement sur les cancers graves ni diminution significative de la mortalité en lien avec le dépistage, cette augmentation est alors l’effet direct de l’intervention de la médecine qui sur-détecte des lésions sans utilité pour la santé des personnes.
Nous voyons pour un cancer que le contrat est rempli, c’est le cancer du col de l’utérus. Le fait d’anticiper des lésions précancéreuses fait que l’incidence de ce cancer, le taux des formes graves et sa mortalité diminuent de façon perceptible et relativement bien corrélée à l’introduction du dépistage.
En revanche pour le sein, la prostate et la thyroide, le constat est bien plus décevant, avec un problème non résolu : des surdiagnostics allant croissant, sans réduction satisfaisante des cancers graves ni allègement des traitements.
Pour le cancer du colon, actuellement il est préconisé de réserver ce dépistage pour les sujets à risques voir https://cancer-rose.fr/2017/03/14/un-autre-depistage-celui-du-cancer-colo-rectal/.
Bibliographie
- Autier, M. Boniol, A. Koechlin, C. Pizot, M. Boniol Efficacité et surdiagnostic du dépistage mammographique aux Pays-Bas: étude de population BMJ, 359 (2017), p. j5224
- Autier, M. Boniol, R. Middleton, JF Dore, C. Héry, T. Zheng et al. Incidence avancée du cancer du sein après un dépistage mammographique en population Ann Oncol, 22 (8) (2011), p. 1726-1735
- Bleyer, HG Welch Effet de trois décennies de mammographie de dépistage sur l’incidence du cancer du sein N Engl J Med, 367 (21) (2012), pp. 1998-2005
- NA de Glas, AJ de Craen, E. Bastiaannet, EG Op ‘t Land, M. Kiderlen, W. van de Water, et al. Effet de la mise en œuvre du programme de dépistage de masse du cancer du sein chez les femmes âgées aux Pays-Bas: étude de population
- Autier, M. Boniol L’incidence du cancer du sein avancé dans les West Midlands, Royaume-Uni Eur J Cancer Prev, 21 (3) (2012), pp. 217-221
- Nederend, LE Duijm, AC Voogd, JH Groenewoud, FH Jansen, MW Louwman Tendances de l’incidence et de la détection du cancer du sein avancé à la mammographie de dépistage bisannuelle aux Pays-Bas: une étude de population Breast Cancer Res, 14 (1) (2012), p. R10
- ML Lousdal, IS Kristiansen, B. Moller, H. Stovring Tendances de la distribution du stade du cancer du sein avant, pendant et après l’introduction d’un programme de dépistage en Norvège Eur J Public Health, 24 (6) (2014), pp. 1017-1022
- RH Johnson, FL Chien, A. Bleyer Incidence du cancer du sein chez les femmes aux États-Unis, 1976 à 2009 JAm Med Assoc, 309 (8) (2013), pp. 800-805
- Esserman, Y. Shieh, I. Thompson Repenser le dépistage du cancer du sein et du cancer de la prostate Jama, 302 (15) (2009), pp. 1685-1692
- Jorgensen, PC Gøtzsche, M. Kalager, P. Zahl Le dépistage du cancer du sein au Danemark: une étude de cohorte sur la taille tumorale et le surdiagnostic Ann Intern Med, 166 (5) (7 mars 2017), pp. 313-323
- HG Welch, DH Gorski, PC Albertsen Tendances dans le cancer du sein et de la prostate métastatique N. Engl JMed, 373 (18) (2015), pp. 1685-1687
- Di Meglio, RA Freedman, NU Lin, WT Barry, O. Metzger-Filho, NL Keating, et al. Tendances temporelles des taux d’incidence et de la survie du cancer du sein de stade IV nouvellement diagnostiqué par histologie tumorale: une analyse basée sur la population Breast Cancer Res Treat, 157 (3) (2016), p. 587-596
[2] « Breast Cancer Screening, Incidencee, and Mortalily Across US Countrie. »
Auteurs : Harding C, Pompei F., Burmistrov D., et al.
JAMA Intern Med. Published online July 06, 2015. doi:10.1001/jamainternmed.2015.3043
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