L’irréversibilité des dépistages

Dr C.Bour, 26septembre 2022

Un peu d'histoire

Utiles ou pas, l'instauration de dépistages en population est une chose irréversible. L'histoire le démontre.

1° le dépistage du cancer de la prostate

Le médecin américain qui avait mis au point le dosage en 1970, Richard Albin, s’inquiètait lui-même du « désastre de santé publique » provoqué par sa découverte. Dans une tribune publiée en 2010 dans le New York Times, il écrivait : « Jamais je n’aurai pu imaginer, quatre décennies plus tôt, que ma découverte allait provoquer un tel désastre de santé publique, engendré par la recherche du profit. Il faut arrêter l’utilisation inappropriée de ce dosage. Cela permettrait d’économiser des milliards de dollars et de sauver des millions d’hommes de traitements inutiles et mutilants. »

Le dosage du PSA a suscité la controverse dès 1989 en France. Une « conférence de consensus » est organisée par trois urologues, les professeurs François Richard, Guy Vallancien et Yves Lanson, et l’économiste Laurent Alexandre, cette concertation d’experts conclut déjà que « l’organisation d’un dépistage de masse du cancer de la prostate n’est pas recommandée ».
Une nouvelle conférence de consensus se tient en 1998 et la même année, une recommandation de pratique clinique statue encore plus clairement : « Le dépistage du cancer de la prostate (qu’il soit de masse, dirigé vers l’ensemble de la population intéressée, ou qu’il soit opportuniste, au cas par cas) n’étant pas recommandé dans l’état actuel des connaissances, il n’y a pas d’indication à proposer un dosage du PSA dans ce cadre. »

Mais les choses ne restent pas aussi simples.
La majorité des sociétés savantes et des groupes professionnels à travers le monde se prononcent certes contre ce dépistage, mais trois associations américaines (American Cancer Society, American Urological Society, American College of Radiology) ne sont pas du même avis. Peu à peu, on assiste à une dérive de la position de l’Association française d’urologie (AFU), (spécialistes de l’appareil reproducteur masculin), qui enclenche une campagne de promotion du dosage du PSA.

Le problème de ce dépistage réside dans le fait qu'il n'y a pas d'effet établi sur la mortalité, mais qu'en contrepartie il détecte de très nombreux cancers à évolution très lente qui n'auraient jamais été manifestés (surdiagnostic), mais qui, une fois détectés seront traités, entraînant des effets désastreux en termes d'impuissance et d'incontinence.
Un autre problème réside dans les traitements par radiothérapie qui seraient susceptibles de favoriser la survenue de cancers secondaires.

En 2011, l' autorité américaine sur les soins en santé publique, l’US Preventive Service Task Force (USPSTF), recommande de cesser le dépistage du cancer de la prostate par le PSA en insistant sur ses effets secondaires. Pour 1000 personnes traitées, il y a 5 décès prématurés un mois après la chirurgie, entre 10 et 70 patients atteints de complications graves mais survivants. La radiothérapie et la chirurgie entraînent des effets à long terme, et 200 à 300 patients deviendront impuissant et/ou incontinent.

Et la Haute autorité de santé (HAS) de conclure, en France : « Aucun élément scientifique nouveau n’est de nature à justifier la réévaluation de l’opportunité de la mise en place d’un programme de dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA. » Avis renouvelé en 2016 : avis HAS 2016
"La Haute Autorité de santé rappelle ainsi que les connaissances actuelles ne permettent pas de recommander un dépistage du cancer de la prostate par dosage de PSA de façon systématique en population générale ou dans des populations d’hommes considérées comme plus à risque."
La conclusion de l'Institut National du Cancer va dans le même sens.

Malheureusement, les recommandations et la pratique quotidienne font un grand écart, et les biopsies, comme dénoncé en 2013, vont en augmentation.

Les habitudes de prescription ont la vie dure, mais les organismes assureurs de crédits imposent aussi ce test dans les "formalités" demandées pour souscrire un prêt, exposant ainsi les personnes à de graves effets délétères sur leur santé.

Pour en savoir plus : liens vers articles, blogs, livres sur le dépistage du cancer de la prostate

2° le dépistage du cancer du sein

De 1970 à 1980, dans divers pays (Norvège, Danemark, Canada, New York, Suède) des femmes ont été incluses dans des études expérimentales, appelées des essais, consistant à comparer tout simplement le devenir de femmes dépistées à celui de femmes non dépistées. À l’époque c’était possible, les femmes n’ayant jamais été radiographiées au niveau des seins. Ces études montraient une soi-disant formidable diminution de mortalité grâce au dépistage, jusqu’à 30 % de moins de risque de décéder d’un cancer du sein.

Or ces premières expériences, on le sait à présent, comportaient de bien nombreux biais dans la méthode, dans la répartition des femmes entre les deux groupes et dans les analyses statistiques. La méthodologie n’obéissait pas aux critères de qualité actuels. Les résultats les meilleurs étaient obtenus avec les moins bonnes mammographies.

De 1992 à 2000, les publications victorieuses et enthousiasmantes se multiplient avec un écho médiatique colossal.

De 2000 à 2001, enfin, des voix s'élèvent pour alerter sur les irrégularités des premiers essais et pour lancer l'alerte sur les risques de ce dépistage.
Peter Gøtzsche et Ole Olsen, deux chercheurs indépendants nordiques procèdent à une méta-analyse selon la méthodologie de la collaboration Cochrane à laquelle ils appartiennent. Et là c’est un choc, car même en combinant les meilleurs essais, il apparaît qu’il n’existe aucune différence statistiquement significative de mortalité entre les femmes dépistées et les non dépistées : « il n’y a aucune preuve fiable que le dépistage diminue la mortalité par cancer du sein », conclut l’étude [1] .
Cette conclusion est confirmée plus tard par la revue indépendante Prescrire en 2006 [2] .

Malheureusement ces chercheurs n’eurent pas l’autorisation de publier leurs résultats parmi les revues Cochrane, sauf à la condition d’inclure même les essais les plus biaisés afin d’améliorer les résultats.
S'ensuivirent de longues négociations, à la suite desquelles, en 2009, les chercheurs Peter Gøtzsche et Margrethe Nielsen estiment que, si tous les essais y compris les plus mauvais sont inclus dans la méta-analyse, alors le dépistage est susceptible de réduire la mortalité par cancer du sein de 15 %, ce qui n’est malgré tout qu’un très maigre et supposé bénéfice [3] .
Surtout émerge un invité surprise, et c'est le surdiagnostic, c'est à dire la détection de lésions indolentes, inutiles à détecter, qui n'auraient jamais impacté la vie ou la santé de la femme mais seront toutes traitées comme tout cancer, avec chirurgie, radiothérapie, voire chimiothérapie, entraînant un surtraitement délétère pour la personne. Ces surtraitements ont des conséquences physiques, psychiques, économiques (perte d'emploi), trans-générationnelles (les descendantes étiquetées comme 'à risque'), etc...

En 2005, le statisticien norvégien Per-Henrik Zahl, membre de la collaboration Cochrane, soulève le problème de discordances entre des études valorisant une diminution de mortalité et les données du registre officiel du cancer suédois. Il y aurait davantage de décès déclarés dans le groupe non dépisté et des décès manquants dans le groupe dépisté. Le chercheur propose à la revue médicale The Lancet un article sur ces discordances qui sera refusé.

Un an plus tard, Per-Henrik Zahl parvient à le faire publier en ligne dans l’European Journal of Cancer [4] .Cet article ayant été censuré, il sera enfin publié dans une revue danoise peu après [5] .

Dans The Lancet, Peter Gøtzsche, co-fondateur de la collaboration Cochrane, dénonce les pressions inacceptables subies [6] .

Mais la machine était lancée, les pays européens avaient démarré les campagnes à grand renfort médiatique, à coup de slogans, de soutiens de stars et d’évènements populaires colorés en rose. Et la presse, comme les sociétés savantes, les femmes largement influencées par les médias, les médecins, les autorités sanitaires, ont préféré retenir l’histoire enchanteresse d’un dépistage qui sauve...
En 2004, sous l’égide du Président Chirac, le dépistage du cancer du sein est généralisé en France.

En 2015/2016, sous l'égide de Mme Marisol Touraine, une concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein est organisée, deux scénarios sont proposés par le comité d'orientation dans le rapport final, demandant tous les deux l'arrêt du dépistage du cancer du sein dans sa forme actuelle en raison d'une balance bénéfice risques très incertaines, avec une réduction non significative de la mortalité et en parallèle des effets adverses importants, comme l'irradiation, les fausses alertes (voir vidéo en bas de ce lien) entraînant des examens complémentaires angoissants, et le surdiagnostic bien sûr. Les citoyennes demandent une meilleure information.

De nos jours, le dépistage est toujours conduit dans sa forme habituelle, les femmes reçoivent une information sur la balance bénéfice-risques toujours peu claire et manifestement déséquilibrée.[7][8]
La controverse scientifique sur ce dépistage est qualifiée de fake-news par l'Institut National du Cancer.[9]

3-Le dépistage du cancer broncho-pulmonaire.

Deux essais essentiellement (il y a eu plusieurs études) étaient censés apporter la preuve d'une diminution significative de la mortalité spécifique par cancer broncho-pulmonaire grâce à un dépistage par scanner thoracique à faibles doses d'irradiation (TDMFD). Il s'agissait de l'essai étatsunien National Lung Screening Trial (NLST), et de l’essai NELSON mené en Belgique et aux Pays Bas.

Déjà en 2014, dans une note de cadrage, la HAS notait : ".... il est probable que la faible spécificité du dépistage par TDM faible dose restera un obstacle majeur à la mise en place d’un dépistage dans la pratique clinique et d’un programme de dépistage."
"Les inconvénients et risques associés au dépistage du TDM FD (scanner faibles doses) incluent l'exposition aux radiations allant de 0,61 à 1,5 mSv, un certain degré de sur-diagnostic variable selon les études, et un taux élevé d'examens faux positifs, généralement exploré avec davantage d'imagerie."

Lorsqu'on examine l'étude publiée dans le NEJM sur l'essai NELSON, on peut lire sur la dernière ligne du tableau n°4 ceci : "All-cause mortality — deaths per 1000 person-yr 13.93 (screening group) 13.76 (control group)  RR 1.01 (0.92–1.11)".
En clair il n'y a aucun retentissement sur la mortalité toutes causes confondues par ce dépistage scannographique.
(Rappelons que la donnée "mortalité globale" inclut tout, le cancer, son traitement et son non traitement, et reflète d'autant mieux les données en "vraie vie".)

Mais l'Académie de Médecine a retenu ce critère, et fait part dans un rapport publié de ses préoccupations, ici, et . Elle note plusieurs problèmes pour ne pas généraliser ce dépistage :

  • Les deux essais principaux sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ont grandement sous-estimé les effets nocifs potentiels (faux positifs, surdiagnostics, faux négatifs, irradiations et surtraitements). On ne connaît pas l'ampleur du bénéfice ni l'ampleur des risques, et même si on obtient ce taux de 25% de guérison parmi les sujets inclus dans l'étude, la majorité des malade décèdera précocement des autres pathologies du tabagisme (autres cancers, cardiopathies, emphysème etc...) sans que leur espérance de vie ne soit allongée.
  • Pour qu'un dépistage soit efficace, il faut avoir des cancers à latence suffisamment longue pour les "rattraper" lors d'un dépistage (donc le moins possible de cancers d'intervalle) ; or la proportion des cancers à latence longue dans le poumon est faible.
  • "Ces cancers sont majoritairement dus au tabagisme actif et, marginalement au tabagisme passif : plus de 85% des cas peuvent être attribués au tabac. La diminution progressive du tabagisme chez les hommes (60% de fumeurs dans les années 60 à 33% actuellement) se traduit par la diminution de l’incidence et de la mortalité dues à ces cancers", ce qui équivaut à dire que ce cancer est tout bonnement accessible à de bonnes campagnes de prévention primaire, et aux incitations d'arrêt du principal facteur de risque, le tabac.
    "L’histoire naturelle et évolutive de la maladie doit être connue et les diverses formes définies"." Entre 50 et 74 ans les cancers du poumon sont donc essentiellement composés d’adénocarcinomes qui semblent les plus facilement détectables. Par exemple, dans l’essai européen NELSON, 61% des CBP du groupe dépisté sont des adénocarcinomes contre 44% dans le groupe témoin ce qui pourrait expliquer un meilleur effet du dépistage chez les femmes." explique l'Académie.
  •  Des inconnues : sur la population cible, sur le taux de participation souhaitable, la fréquence des scanners, les indications thérapeutiques pour les cancers découverts lors du scanner, l'acceptabilité par les patients, la motivation et le respect de l'arrêt du tabac etc..
  • les personnes qui participent aux essais ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population éligible au dépistage ultérieurement, ce qui peut entrainer une surestimation de l’efficacité dans l'étude Nelson.
  • Une évaluation économique s'impose aussi, l'Académie soulignant fort justement que la prévention primaire est certainement plus efficace et moins coûteuse.

Pour rebondir sur les arguments de l'Académie de Médecine, il faut garder à l'esprit l'enjeu économique de ce dépistage, non seulement de l'examen initial mais de l’importance des dépenses occasionnées par les examens itératifs en cas de nodules intermédiaires (qu’il faut suivre durant les années pour en contrôler l’évolution). Le dépistage du cancer bronchique par CT serait 4 fois plus cher que le dépistage du cancer du sein et 10 fois plus que le dépistage du cancer colorectal.

Pour les académiciens, ce qui est primordial est la lutte contre le principal facteur de risque : le tabagisme, l'acceptation de sa réduction est la condition-même pour les candidats sélectionnés pour un éventuel dépistage régulier.

Les réactions ne se sont pas fait attendre, une dépêche apm du 24 février 2021 nous apprend que trois sociétés savantes prennent position.
" Les trois sociétés savantes sont l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, la Société de pneumologie de langue française et la Société d’imagerie thoracique.
Dans ce texte, qui actualise de précédentes recommandations, les sociétés savantes réaffirment leur position en faveur d'un dépistage individuel, par scanner thoracique à faible dose sans injection de produit de contraste, dont elles précisent les modalités." ......
"Contrairement à l'Académie de médecine qui propose un scanner faible dose une fois lors d'un bilan de santé d'un fumeur, les sociétés savantes envisagent un examen récurrent. Elles estiment qu'il faudrait 2 examens tomodensitométriques espacés d'un an puis un tous les 2 ans, sauf en cas de facteurs de risque ou d'examen antérieur avec un résultat intermédiaire ou cela devrait continuer tous les ans.
Et ce dépistage devrait être poursuivi "pour une période minimale d’au moins 5,5 à 10 ans".

Trois radiologues contestant avis de l’Académie de Médecine, celle-ci persiste et signe : https://lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/controverse-sur-le-depistage-du-cancer-du-poumon-lacademie-de-medecine-repond-aux-prs-revel-lederlin… avec un argument qui devrait prévaloir dans tout dépistage : à savoir celui de la mortalité GLOBALE.
"Les auteurs mentionnent que la mortalité par CBP (cancer broncho-pulmonaire) est diminuée dans les essais Nelson et NLST mais sans prendre en compte la mortalité générale de la population de fumeurs, seul paramètre important pour envisager un dépistage organisé et qui elle ne change pas dans les divers essais".
(Ce paramètre, rappelons-le, englobe la mortalité par CBP mais aussi celle due aux traitements et celle imputable à d'autres causes de mortalité, les fumeurs étant exposés à d'autres pathologies (emphysème, autres cancers, maladies cardio-vasculaires).
L'Académie dit encore ne pas vouloir revenir sur " la polémique de l’irradiation", les auteurs écrivent : "..notre rapport étant sur ce point totalement factuel et nous vous encourageons à relire ce paragraphe. Il est toutefois regrettable que dans aucun des essais une dosimétrie précise n’ait pas été faite."

La Haute Autorité de Santé, tout d'abord réticente en 2016 change complètement d'attitude et donne en 2022 son feu vert à une expérimentation sur le dépistage du cancer du poumon, en dépit d'une inefficacité de ce dépistage scannographique à réduire la mortalité toutes causes confondues.

"La HAS estime que l’état des connaissances est encore incomplet et insuffisamment robuste pour la mise en place d’un dépistage systématique et organisé du CBP (cancer broncho-pulmonaire) en France. Cependant, les données montrant une diminution de la mortalité spécifique et autorisent l’engagement d’un programme pilote visant à documenter : les modalités de dépistage, la performance/efficacité et l’efficience, les contraintes organisationnelles et les dimensions éthiques et sociales, ceci en testant plusieurs scénarios possibles et sur plusieurs rangs de dépistage.
Ainsi, la HAS recommande la réalisation d’expérimentation en vie réelle au regard du système de soin français pour répondre aux questions en suspens."

Dans son rapport page 70 la HAS estime que "Les métaanalyses ne montrent pas de diminution significative de la mortalité toutes causes confondues quelles que soient les procédures comparées : ce critère de jugement est peu pertinent du fait de l’interférence sur la mortalité de l’âge et du tabagisme chronique, et de la nécessité d’avoir un suivi à très long terme sur une importante cohorte."

Ce qui signifie que la HAS ne reconnait pas la mortalité globale comme critère principal d'efficacité, met avant la mortalité spécifique par cancer du poumon faisant fi des autres causes de mortalité et de morbidité liées au tabagisme ; et elle considère que des études randomisées avec un suivi de 10 ans sont insuffisantes. Ce qui fait que n'importe quel dépistage non probant peut-être défendu et maintenu, à l'instar de celui du cancer du sein, incapable de prouver à l'heure actuelle son efficacité.

Une nouvelle étude est publiée en 2022. Cette étude de cohorte écologique basée sur la population a révélé que le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses de femmes asiatiques à faible risque, pour la plupart non-fumeuses, était associé à un surdiagnostic considérable du cancer du poumon. La survie à cinq ans est biaisée par la détection accrue de cancers du poumon indolents, à un stade précoce, et qui n'auraient jamais tué. 
À moins que des essais randomisés puissent démontrer une certaine valeur pour les groupes à faible risque, le dépistage par scanner faibles doses devrait rester ciblé uniquement sur les gros fumeurs, conclut-elle.

Un avis de la HAS sur la pertinence des dépistages

La docteur Catherine Rumeau-Pichon, Adjointe au Directeur Evaluation Médicale, Economique et en Santé Publique, HAS, expliquait dans cette vidéo d'il y a 5 ans, que les dépistages doivent remplir les six critères suivants :

1- Une maladie détectable précocement avant l'apparition des symptômes

2- Un test fiable

3- Des traitements efficaces contre la maladie doivent exister

4- Les personnes à risque doivent être identifiables

5- Le dépistage doit notoirement faire décroître la mortalité par cancer.

6- La balance bénéfice/risques doit être en faveur d'un bénéfice prépondérant par rapport aux risques.

Examinons les dépistages (sein, prostate) à l'aune de ces critères

1- Maladie détectable précocement avant symptômes.

Pour le sein et prostate, pas toujours...

Les cancers avec un temps de séjour long dans le sein, donc peu évolutifs, sont détectés facilement par le dépistage avant leurs symptômes, car lentement progressifs justement. Ils participent pour beaucoup du surdiagnostic.

En revanche les cancers de mauvais pronostic, à potentiel évolutif important et à croissance rapide sont 'loupés' au dépistage, trop véloces pour être 'rattrapés' (ce sont les faux négatifs).
Leur histoire naturelle n'est donc pas linéaire et prévisible, et elle n'est toujours pas connue à l'heure actuelle. Pour le cancer de la prostate, les cancers agressifs libèrent leurs métastases souvent dès le départ.

2- Fiabilité du test

Non

La mammographie est un mauvais outil de dépistage, elle a une bonne sensibilité pour les lésions atypiques et les cancers in situ, les moins agressifs ; elle a en revanche une mauvaise sensibilité pour les cancers de haut stade, les triple négatifs, les formes infiltrantes.

Le dosage du PSA peut être élevé en cas de simple hypertrophie bénigne de la prostate, un taux élevé n'est pas spécifique de cancer.

3-Des traitements efficaces

Oui

Pour le cancer du sein, l'efficacité des traitements s'est beaucoup améliorée depuis les années 90, on dit que 9 cancers /10 guérissent, mais même pour les non-dépistés.
C'est d'ailleurs pour cette raison, d'autant plus, que l'utilité du dépistage s'amenuise.

Pour le cancer de la prostate, qu’il soit traité ou non, il métastase rarement (1 cas sur 10 environ). Lorsqu’il se métastase, il engendre, dans 90 % des cas, la formation de métastases dans les os.
Si les métastases osseuses sont habituellement de sombre pronostic pour d'autres formes de cancers, ce n’est pas forcément le cas pour le cancer prostatique. Qu’il soit métastasé ou non, le cancer de la prostate est souvent une maladie à évolution lente.
Pour ce cancer aussi, la survie des patients s’améliore d’année en année grâce à l’apparition de nouveaux traitements et de nouvelles associations thérapeutiques.

4-Personnes à risque identifiables.

Non

Pour le cancer du sein, on peut isoler des facteurs de risque prédisposant au cancer, comme l'exposition à des toxiques, le travail de nuit, les antécédents familiaux....
Mais toutes les femmes tabagiques ou travaillant de nuit ne vont pas automatiquement développer un cancer du sein, et il n'y a pas de caractère reliable entre un facteur de risque précis et le cancer du sein, pas de façon aussi nette que le fait de fumer et le fait de développer un cancer broncho-pulmonaire (et pourtant là aussi le dépistage systématique des fumeurs n'est pas recommandé).

Seulement 5% des cancers sont héréditaires. C'est un phénomène trop rare pour imposer un dépistage à tout une population saine et sans risque familial.
Des femmes sans aucun risque, ni d'exposition, ni intrinsèque, peuvent développer un cancer du sein, sans 'raison' apparente.

Pour le cancer de la prostate non plus, on ne trouve pas de facteur de risque identifié et relié à ce cancer.

5-Décroissance de mortalité

Non

Des études d'impact ont montré que la décroissance de la mortalité pour plusieurs cancers solides était effective depuis les années 90, et n'étaient pas imputables au dépistage, puisque ce modèle de décroissance était retrouvé aussi pour des cancers ne faisant pas partie de programme de dépistage.
Sein : étude Norvège ; étude d'impact
Prostate : Réf:http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/pros.20017/abstract; Labrie, Québec, 2004

6-La balance bénéfice/risque en faveur du bénéfice

Non

Pour le sein, ceci n'est clairement plus le cas, même dans les hypothèses les plus favorables, comme l'évaluation du rapport Marmot, il y a toujours davantage de surdiagnostic par rapport aux "vies sauvées".
M.G. Marmot, D. Altman, D. Cameron, J. Dewar, S. Thompson, M. WilcoxThe benefits and harms of breast cancer screening: an independent review
Lancet, 380 (2012),. Marmot
D'autres analyses indépendantes sont plus sévères encore, voir notre synthèse ici : https://www.cancer-rose.fr/le-sur-diagnostic-un-graphique-pour-expliquer/

Lorsqu'on cumule les trois inconvénients essentiels du dépistage systématique du cancer du sein, surdiagnostic, fausses alertes, cancers radio-induits, décès imputables aux surtraitements, on obtient toujours une balance bénéfice/risques défavorable.

Pour le cancer de la prostate, Les cancers vraiment agressifs libèrent leurs métastases dès le début de la maladie. Dans ce cas le traitement ne va pas protéger du décès. Les traitements de ce cancer entraînent des effets négatifs qui peuvent être importants (incontinence urinaire, impuissance). On altèrera la vie du patient plus qu’on ne le « sauvera ».
Le patient âgé a toute probabilité de décéder avant, d’autre chose que de son cancer.
Entre 50 et 75 ans, il n'y a pas de preuve qu’un dépistage de ce cancer sauverait des personnes. (HAS). L’OMS ne recommande pas non plus ce dépistage.
Dans l'étude canadienne il y a plus de mortalité dans le groupe dépisté, parce que les risques du dépistage, les effets collatéraux des biopsies et des traitements chez les hommes dépistés l’emportent sur le bénéfice qui est minime.
La mortalité globale, toutes causes confondues, est quasiment la même chez les hommes opérés et chez les hommes non opérés.

==> au total :

Sur 6 conditions, le dépistage du cancer du sein et de la prostate ne répondent pas à 5 d'entre elles.


Et néanmoins...

...la Commission européenne propose en cette fin d'année 2022 une extension et/ou une reprise de certains dépistages, ainsi qu' une implantation de nouveaux venus.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.
S'y rajoutent les dépistages du cancer du poumon et celui de l'estomac, alors que pour ce dernier aucune étude probante n'existe.
Beaucoup de médias ont copieusement relayé cette information sans plus d'analyse critique que cela...

La commissaire européenne Mme Stella Kyriakides a émis en ce mois de septembre le discours suivant :  
"Today we know that it is estimated that one in two EU citizens will develop cancer during their lifetime". ("Nous savons aujourd'hui que selon les estimations, un citoyen européen sur deux développera un cancer au cours de sa vie".)

Mme la commissaire européenne omet toutefois de préciser que l'espérance de vie en Europe continue à augmenter.
On est dans le plus pur "fear-mongering" avec création d'un sentiment de situation urgente, menaçante pour les populations, et qu'il faut appréhender avec grande diligence.
C'est une technique bien connue pour pousser à un changement afin qu'il soit immédiat et vécu comme nécessaire, à l'instar de ce qui est préconisé dans les milieux de l'entreprise.
John P. Kotter, Professeur de la Harvard Business School, expose les éléments de la gestion du changement :
"Pour réussir un projet ou un changement, il est important d’en démontrer la nécessité. Le moyen le plus efficace est de déclencher un besoin auquel votre projet répondra en créant un sentiment d’urgence chez l’ensemble de vos collaborateurs. Exposez les risques pris par l’entreprise en ne changeant pas son mode de fonctionnement."

Conclusion

A la différence d'autres pathologies, même plus graves ou les plus mortelles, le cancer prend une place particulière, il a remplacé les fléaux du moyen âge, la tuberculose et la syphilis de nos anciens. Il symbolise le mal sournois et il est toujours associé au tueur silencieux.

Malgré toutes les connaissances accumulées ces dernières décennies sur les failles et faillites des dépistages, la peur du cancer est tellement ancrée en nous, véhiculée sempiternellement par les messages sociétaux, médicaux et médiatiques, que tout appel à la prudence vis à vis du mythe de la détection précoce salvatrice est vain.

Des avancées ont été faites, grâce aux faillites des dépistages nos connaissances ont progressé sur la mécanique de l'évolution cancéreuse, on a appris sur la complexité de l'histoire naturelle de la maladie.

Mais voilà, souvent, lors des communications médiatiques des campagnes d'octobre rose, il suffit d'une ou d'un "cancer-survivor", star, animateur de télévision ou politique, clamant sa survie grâce à un dépistage "salvateur", se sentant missionné pour porter son expérience comme exemplaire et emblématique, s'érigeant présomptueusement en fer de lance d'une "noble cause", pour que tout soit remis en question.
Ou d'une décision à l'emporte pièce de la Commission européenne....
Rien de plus efficace que d'insuffler la terreur pour faire disparaître toute argumentation raisonnée, prudente et scientifique, et pour balayer tout effort d'information neutre et objective des populations.

On n'a pas appris des erreurs médicales passés, l'historique brossé en début de cet article montre à quel point les décisions prises avec trop de précipitation et prématurément dans l'implantation des dépistages engagent des désastres sanitaires, soigneusement celés au public auquel on ne fait miroiter que des "bienfaits".
Ces désastres et mises en danger des personnes perdurent et les médias ne communiquent que très parcimonieusement sur ce sujet.
Beaucoup de dépistages, notamment celui du cancer du sein, n'auraient jamais dû voir le jour et se sont soldés par des fiascos retentissants (comme thyroïde, neuroblastome de l'enfant, mélanome).
La Commission européenne prévoit même d'implanter un dépistage du cancer de l'estomac pour lequel il n'existe AUCUNE évaluation scientifique...

L'avenir paraît donc assez sombre car à ce rythme effréné de dépistages répétés et à tout va, les seuls individus en bonne santé seront les personnes échappant à ces rituels macabres cadencés, renouvelés au cours de la vie à rythme régulier comme une litanie morbide, et qui propulseront des bien portants dans des maladies qu'ils n'auraient jamais dû connaître.

Lire aussi le dernier billet de Luc Perino-

Références


[1] Olsen, O., & Gøtzsche, P. C. Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Database of Systematic Reviews. 2001; (4): CD001877.

[2] Mammographies et dépistage des cancers du sein : Pour un choix éclairé des femmes désirant participer au dépistage. In : Prescrire. [En ligne : https://www.prescrire.org/aLaUne/ dossierKcSeinDepSyn.php]. Consulté le 12 mai 2021.

[3] Gøtzsche P. C., Nielsen M. Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Database of Systematic Reviews. 2009 Oct 7; (4): CD001877.

[4] Zahl PH., et al. WITHDRAWN: Results of the Two-County trial of mammography screening are not compatible with contemporaneous o icial Swedish breast cancer statistics. European Journal of Cancer. 2006 Mar 9.

[5] Zahl PH, et al. Results of the Two-County trial of mammography screening are not compatible with contemporaneous o icial Swedish breast cancer statistics. Danish Medical Bulletin. 2006 Nov; 53(4): 438-40.

[6] Gøtzsche P. C. What is publication? The Lancet. Nov 2006; 368(9550): 1854-56

[7] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[8] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/10552/

[9] https://cancer-rose.fr/2021/06/24/les-informations-independantes-en-sante-taxees-de-fake-news-cancer-rose-monte-au-creneau/

Pour en savoir plus :

1) Le dépistage du cancer de la prostate n'est pas recommandé

Dominique Dupagne

Cette vidéo a été mise en ligne en 2008. En mars 2016, l'Institut National du Cancer a rejoint la Haute Autorité de Santé pour mettre en garde le public sur les dangers potentiels et l'intérêt hypothétique du dépistage du cancer de la prostate. Il aura donc fallu 8 ans...

2) Cancer de la prostate: le diagnostic précoce n’est pas plus recommandable que le dépistage
Résumé : Ce dépistage qui paraît à première vue plein de bon sens est pourtant déconseillé par la quasi totalité des scientifiques

3)Chronique Dominique Dupagne, Jeudi 17 novembre 2016

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sante-polemique/cancer-de-la-prostate-le-diagnostic-precoce-n-est-pas-plus-recommandable-que-le-depistage-4809679

4) Blog Atoute Dominique Dupagne

http://www.atoute.org/n/Informations-destinees-aux-hommes.html

3) Dr. Blanc

https://30ansplustard.wordpress.com/2014/10/23/comment-jai-garde-ma-prostate/

4) Docteur Grange

http://docteurdu16.blogspot.com/search?q=dépistage+psa&x=0&y=0

5) Jaddo

http://www.jaddo.fr/2016/06/19/et-mes-fesses-elles-sont-roses-mes-fesses/

6) Whydoc

7)Harding

https://www.hardingcenter.de/en/transfer-and-impact/fact-boxes/early-detection-of-cancer/early-detection-of-prostate-cancer-with-psa-testing

8)CanTaskForce

https://canadiantaskforce.ca/tools-resources/cancer-de-la-prostate/?lang=fr

9)NHS

https://www.nhs.uk/conditions/prostate-cancer/psa-testing/

10) Touche pas à ma prostate : Un guide essentiel pour faire face au cancer de la prostate Broché – 19 janvier 2012 
de  Ralph Blum , Mark Scholz 

11) Le scandale du dépistage du cancer de la prostate : 300 000 hommes impuissants pour rien ! Broché – 25 mai 2018 
de  Christophe Desportes 

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