Un courrier d’Ameli

27 octobre 2022, par Cancer Rose
Actualisé le 29 décembre 2022

Madame, Monsieur,

Votre médecin traitant joue un rôle central dans les actions de prévention. En fonction de votre situation, il peut notamment vous informer et répondre à vos questions sur les dépistages organisés des cancers du sein, du col de l'utérus et colorectal qui permettent de sauver des vies. Plus ces cancers sont détectés tôt, meilleur est le pronostic.

Pour aider votre médecin traitant dans sa mission de conseil en santé auprès de sa patientèle, l'Assurance Maladie va mettre à sa disposition la liste de ses patients concernés par ces dépistages et ne les ayant pas réalisés (1).

Conformément aux dispositions relatives à la protection des données personnelles, vous avez jusqu'au 1er décembre inclus pour vous opposer à cette transmission via le lien suivant : https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/declarer-mon-opposition.
Si vous faites votre demande d'opposition après le 1er décembre, votre demande ne sera pas prise en compte pour la 1ère liste mise à disposition mais le sera pour les prochaines.

Votre situation peut faire que certains de ces dépistages organisés ne vous concernent pas ; dans ce cas, veuillez ne pas tenir compte de ce message.

Soyez assuré(e) de notre attention et de notre disponibilité

Votre correspondant de l'Assurance Maladie

Voici le courrier que tout un chacun aura reçu de son Assurance Maladie-

Rappelons qu'au moment de la concertation citoyenne la communication simpliste de la caisse avait été dénoncée, voir les pages 95 et 96 du rapport de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein.
On ne peut pas dire que la communication soit davantage sophistiquée en 2022 et laisse la moindre place à toute réflexion ou doute.

Dans ce mail, il est affirmé que ces dépistages sauvent des vies, sans aucune référence scientifique, sans aucune étude citée, sans justification, sans référence aucune. La missive vous informe que votre médecin traitant sera informé des dépistages que vous n'avez pas encore réalisés...

Idéalement on pourrait espérer que cette démarche favorise la discussion avec le médecin traitant sur la pertinence des dépistages, aboutisse à une consultation débouchant sur une décision partagée et une information permettant un choix éclairé.
Mais qu'en est-il dans la vie réelle, une de nos lectrices se demande à juste titre si cela ne donnera pas plutôt l'occasion de remettre un peu plus la pression sur les patientes et patients pour participer à des dépistages en perte de vitesse, plus probablement qu'une consultation de choix éclairé, si déjà la caisse elle-même part d'un pré-supposé que les dépistages sauvent des vies, très loin hélas des réalités. Il n'y a pas beaucoup de communication autour des contestations scientifiques qui se multiplient pourtant, concernant la réelle pertinence des dépistages et leurs risques [1] [2] [3] [4] [5] .

L'utilisateur qui reçoit ce courrier est obligé d'activer le refus ; donc son acceptation, s'il omet de se rendre sur le lien lui permettant de s'opposer, est actée par défaut.

Cette initiative semble s'inscrire dans le grand plan européen censé élargir la participation des populations européennes au maximum à divers dépistages, au mépris de nombreux scientifiques demandant une information accrue sur la balance bénéfice-risques de ces dispositifs de santé.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.

Dans le nouveau plan décennal français on peut lire (https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030):

L’amélioration de l’accès au dépistage sera renforcée.

"Il s’agira de mieux connaître les déterminants de la réticence aux dépistages et de simplifier l’accès au dépistage (commande directe, professionnels de santé diversifiés, équipes mobiles notamment). Des approches seront développées, proposant un dépistage après une intervention de prévention ou de soins non programmés. Des partenariats seront envisagés, par exemple avec des associations d’aide alimentaire, pour réaliser des opérations de sensibilisation, notamment auprès des plus précaires. Les professionnels de santé, médico-sociaux et sociaux seront dotés d’outils d’information de premier contact et des applications mobiles délivrant des informations et des rappels seront développées. Des incitatifs matériels seront expérimentés pour faciliter la participation des personnes au dépistage. Enfin, les bornes d’âge du dépistage seront requestionnées."

Les incitatifs pécuniers dont on parle dans le texte permettent de recruter notamment les plus faibles économiquement, là aussi au mépris de toute information médicale, ce qui a été dénoncé dans un article du BMJ, dont une des auteurs est une citoyenne française[6]. Les conséquences d'un dépistage abusif pour ces personnes plus fragiles peuvent être dramatiques, avec une paupérisation, une perte de revenus, des difficultés à retrouver un emploi. Le problème de ces personnes défavorisées étant bien davantage l'accès aux soins que de leur trouver inutilement des cancers qui ne leur aurait jamais nui, et c'est aussi celui d'une bonne information médicale et de lutte contre des facteurs de risques auxquels elles sont davantage exposées.

Mais parfois le trop étant l'ennemi du bien, avec les autres dépistages du plan européen qui vont se rajouter force nouvelles invitations, lettres de relance, applications mobiles de rappel, consultations médicales démultipliées, l'effet obtenu risque bien d'être l'inverse: une lassitude des populations, déjà de plus en plus méfiantes vis à vis des injonctions médicales à tout va, et qui vont se détourner, comme c'est déjà le cas, d'une médecine traditionnelle de plus en plus coercitive et traquante. 

Trop c'est trop.


Actualisation décembre 2022

https://www.ameli.fr/medecin/actualites/depistages-organises-des-cancers-envoi-aux-medecins-traitants-de-listes-de-patients-eligibles

Le summum est atteint avec une missive du 23 novembre 2022 par laquelle l'assurance maladie demande clairement aux médecins cette fois d'inciter leurs patients aux dépistages.
L'Assurance Maladie, en plus du système de la ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique, déjà très contestable et contestée) souhaite renforcer le rôle des médecins traitants dans une incitation aux dépistages en se servant de listes de patients éligibles à des dépistages mais n'y ayant pas participé.

Selon la missive "L’efficacité de ces dépistages a été démontrée car plus les cancers sont détectés tôt, meilleurs sont les pronostics : ils permettent de sauver des vies."
C'est inexact, incomplet, et non éthique dans la mise délibérée sous silence des inconvénients et risques des dépistages, pour lesquels la concertation citoyenne a demandé une claire information pour les femmes. Cette demande de claire information a été renouvelée et exprimée par le Conseil de l'UE tout récemment.

Le médecin est considéré par l'Assurance maladie comme un simple incitateur de patients listés, non compliants aux dépistages ; l'information compréhensible demandée par les citoyennes et qui est le rôle majeur du médecin traitant est donc bel et bien enterrée, le consentement éclairé une utopie....

Texte du courrier :

Dépistages organisés des cancers : envoi aux médecins traitants de listes de patients éligibles

23 novembre 2022

Début décembre, l’Assurance Maladie va envoyer par courrier aux médecins traitants la liste de leurs patients n’ayant pas réalisé leur dépistage du cancer (cancer du col de l’utérus, cancer du sein et cancer colorectal) dans les intervalles recommandés.

Partant du double constat du retard de la France par rapport à ses voisins européens en termes de taux de participation aux dépistages organisés et de la stagnation de ces derniers depuis 2018, l’Assurance Maladie souhaite renforcer le rôle des médecins traitants dans l’incitation aux dépistages en mettant à leur disposition la liste de leurs patients éligibles.

L’efficacité de ces dépistages a été démontrée car plus les cancers sont détectés tôt, meilleurs sont les pronostics : ils permettent de sauver des vies.

Le rôle déterminant que jouent les médecins généralistes dans la participation aux dépistages a été prouvé, à l’étranger et en France. Grâce à sa relation privilégiée avec ses patients, le médecin peut, lors d’une consultation, les inciter à effectuer ces dépistages et répondre à leurs interrogations.

Pour simplifier la réalisation de cette mission de santé publique, la liste mise à disposition des médecins traitants inclut leurs patients n'ayant pas participé aux dépistages auxquels ils sont éligibles, selon les intervalles recommandés, que ce soit dans le cadre des dépistages organisés ou d'une démarche individuelle. Il s’agit :

À noter : malgré toute l'attention portée par l'Assurance Maladie au ciblage des assurés présents sur cette liste, il est possible que certains d'entre eux ne soient finalement pas concernés (suivi spécifique, dépistage récent, etc.). Certains des patients ont également pu exprimer leur opposition à figurer sur ces listes.

Actualisation février et mars 2024

Sur le site, il n'y a toujours pas de chapitre dédié pour présenter les risques du dépistage, l'utilisateur doit faire la démarche de cliquer sur un lien qui l'envoie sur le site de INCA, puis de là cliquer sur un autre lien pour accéder au livret d'information, puis chercher volontairement la page sur les risques du dépistage parmi toutes les pages du livret.
Il est évident que personne ne procèdera à ces démarches complexes. https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/cancer-sein/depistage-gratuit-50-74-ans

Sur le site patient il est dit que le dépistage est un choix personnel

"La décision de s’engager dans une démarche de dépistage est un choix personnel : il est important de prendre connaissance des avantages et des inconvénients de cette démarche avant de décider d’y prendre part."

Sur le site pro en revanche l'incitation des patientes est toujours préconisée auprès des médecins

https://www.ameli.fr/medecin/actualites/depistages-organises-des-cancers-envoi-aux-medecins-traitants-de-listes-de-patients-eligibles

"Pour améliorer la participation au dépistage organisé des 3 cancers cités plus haut (sein, côlon, col de l'utérus, NDLR), l’Assurance Maladie mettra à disposition des médecins traitants, courant 2024, la liste de leurs patients qui n’ont pas effectué les dépistages. Cette liste sera diffusée via amelipro. Les informations fournies leur permettront d’identifier leurs patients éligibles aux dépistages organisés, afin d’échanger avec eux et d’identifier les éventuels freins et leviers à la réalisation des dépistages."

Rien ne change réellement, l'accès à l'information n'est pas facilité à la patiente et doit être une démarche volontairement accomplie de sa part, et le médecin est toujours poussé à opter pour une incitation des patientes à se soumettre au dépistage, incitation privilégiée par rapport à l'information.

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2022/09/12/les-risques-des-depistages-un-elephant-dans-un-couloir-2/

[2] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[3] https://cancer-rose.fr/2019/10/14/en-parallele-dans-lactualite-la-faillite-du-depistage-colo-rectal/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[5] https://cancer-rose.fr/2021/02/24/etre-femme-et-tabagique-des-rayons-en-perspective/

[6] https://cancer-rose.fr/2022/01/11/incitations-financieres-pour-le-depistage/

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