Des preuves pour tous les dépistages ! Même génomiques

19/02/2024

Synthèse et traduction Cancer Rose

Auteurs

Le dépistage de la population exige des preuves solides – la génomique ne fait pas exceptionThe Lancet

Vol 403 February 10, 2024
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)02295-X/abstract

Selon les auteurs de l’article, l’introduction de nouveaux programmes de dépistage génomique « est motivée par des pressions commerciales, des objectifs gouvernementaux de détection précoce et des groupes de patients, plutôt que par des preuves solides de bénéfices.20 « Tous les programmes de dépistage causent des préjudices ; certains apportent également des bénéfices et, parmi ceux-ci, certains apportent plus de bénéfices que de préjudices à un coût raisonnable ».21
Les programmes de dépistage doivent montrer des améliorations en termes de survie ou de qualité de vie ; un programme de dépistage qui n’y parvient pas ne peut que causer des préjudices, coûter de l’argent et utiliser des ressources qui pourraient être mieux employées ailleurs dans le système de soins de santé.
En outre, les tests génomiques peuvent avoir des implications à long terme et de grande ampleur : les préjudices psychologiques, le déplacement des ressources et les effets économiques d’un dépistage génomique de la population mis en œuvre prématurément pourraient être particulièrement durables. »
Pour les auteurs ces tests génomiques ne sont pas conçus et ne sont pas aptes à fournir les preuves nécessaires pour soutenir la mise en œuvre de programmes nationaux de dépistage génomique à l’échelle de la population. Et ils risquent d’être très coûteux.

Les tests génomiques

Nous avions parlé déjà de ces tests qui suscitent énormément d’enthousiasmes et d’espoirs ici : https://cancer-rose.fr/2023/03/09/scores-polygeniques-pour-predire-les-cancers-trop-denthousiasme-beaucoup-de-limites/
On examine des milliers de variantes génétiques dans le génome d’une personne, prélevé par exemple par un prélèvement salivaire, pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on estime pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une ou des maladie(s).
Pour l’instant les attentes sont importantes, les appétits commerciaux aussi, les avantages modestes et les inconvénients bien présents.

Les auteurs ici suggèrent fortement de ne pas renouveler les mêmes précipitations dangereuses et délétères qui ont été commises pour beaucoup de dépistages instaurés avec hâte et dont on voit les limites et les dégâts à présent, au moment où on a assez de recul pour juger, mais où ces programmes, lancés, ne peuvent plus être freinés.

Nous restituons les passages majeurs de l’article.

Technologies et échecs

Les auteurs expliquent :
 » Les nouvelles technologies génomiques ont amélioré la rapidité et la précision des diagnostics de maladies rares chez les individus présentant un phénotype. Ces progrès ont suscité l’enthousiasme pour l’application de ces technologies au niveau de la population afin d’identifier les individus présentant un risque génomique accru de maladie, et pour leur application aux maladies courantes ainsi qu’aux maladies rares.
Au Royaume-Uni, deux initiatives majeures ont été lancées en 2023 pour explorer le dépistage des populations à l’aide de la génomique.
-Dans le cadre du Genomics England Newborn Genomes Programme (NGP ; the Generations Study), les résultats exploitables du séquençage du génome entier (WGS) seront communiqués pour plus de 200 maladies chez 100 000 nouveau-nés participants.1 -Le programme Our Future Health (OFH) du Royaume-Uni recrute jusqu’à 5 millions d’adultes par l’intermédiaire du National Health Service (NHS) pour participer à la recherche sur les variantes génétiques courantes, et prévoit de fournir aux participants un retour d’information sur leur risque génomique de développer toute une série de maladies courantes.

De nombreux tests se sont avérés utiles pour le diagnostic ou le suivi des maladies, mais leur évaluation dans le cadre du dépistage de la population n’a pas permis de mettre en évidence une amélioration des résultats essentiels (survie ou qualité de vie associée à la santé). »

Pourquoi cet échec ?

« Cet échec est souvent dû à l’hétérogénéité sous-estimée de l’histoire naturelle d’une maladie ou au fait que l’imparfaite prédictivité du test, c’est-à-dire sa sensibilité et sa spécificité) devient non viable au niveau de la population. » Affirment les auteurs.
Cette phrase signifie tout d’abord qu’une maladie n’a pas forcément une évolution linéaire et progressive, prévisible comme on le conçoit théoriquement. Par exemple pour le cancer du sein, l’histoire de la maladie, c’est à dire son évolution du début des symptômes jusqu’au bout sans traitement, est fort imprévisible et variable ; certaines tumeurs évoluent très vite, mais d’autres pas du tout, certaines très lentement ne menaçant pas la vie des personnes (qui mourront d’autre chose), d’autres encore peuvent régresser.
Plus on essaie de ne pas rater des personnes porteuses d’une maladie, plus il faut dépister de personnes ; mais plus il y a de personnes dépistées, plus on expose ces populations à des fausses alertes, et/ou à leur détecter des anomalies qui les auraient jamais rendues malades si elles n’avaient pas été dépistées, car porteuses de maladies non évolutives.
De l’autre côté, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura beaucoup moins de faux positifs, mais comme certaines maladies avec formes graves peuvent se déclarer dans le groupe plus large des personnes à faible risque et évoluer très rapidement, on les manquera également en grande partie.
C’est cela la raison essentielle qui fait que les dépistages fonctionnent très mal.
L’autre problème évoqué dans la phrase sus-citée est que le test peut être inutilisable à l’échelle d’une population en raison de ses aptitudes défaillantes à être suffisamment sensible ou spécifique.
Qu’est-ce que la spécificité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit négatif quand le sujet n’est effectivement pas malade.
Qu’est-ce que la sensibilité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit positif pour un sujet effectivement malade.

Pour comprendre l’importance de ces deux critères liés, prenons un exemple concret donné dans l’article sur les scores polygéniques dont nous avons parlé plus haut :

« Il a été évalué que les scores polygéniques ont une capacité de prévenir des maladies avec une spécificité fixée à 95 % ; ceci signifie que pour 5 % des personnes il y aura un score élevé alors qu’il n’y aura pas de développement pas la maladie (5% de faux positifs).
La sensibilité typique pour un score polygénique, selon cette évaluation, est de 10-15 % ; ce qui signifie que seulement 10 à 15 % des personnes qui développeront la maladie auront un score polygénique élevé. ( 85 à 90% des cas surviendraient chez des personnes considérées par le score polygénique comme n’étant pas à haut risque de maladie NDLR.)
Lorsqu’on cherche à augmenter la sensibilité d’un score polygénique on en réduit la spécificité, et inversement. »
Les variantes polygéniques seront toujours limitées dans leur capacité à différencier les personnes qui développeront la maladie de celles qui ne la développeront pas.

Les rédacteurs de l’article Lancet mentionnent les principes de Wilson et Junger et rappellent les conditions préalables à la validation d’un dépistage d’envergure :
« Reconnaissant la complexité et les pièges du dépistage au sein de la population, Wilson et Jungner ont formulé en 1968 dix critères clés dans Principles and Practice of Screening for Disease2 et, en 1996, le UK National Screening Committee a été créé pour garantir une évaluation solide de toutes les nouvelles propositions de dépistage.
Cette évaluation préliminaire détaillée porte sur l’épidémiologie de la maladie, les études de l’histoire naturelle et les données des essais existants.
Si les évaluations sont favorables, un projet pilote régional est mené, les résultats étant comparés entre les régions dépistées et les régions non dépistées (ce qui s’apparente à un essai randomisé en cluster).
Si ces résultats sont positifs, le projet pilote est suivi d’analyses économiques de la santé afin de s’assurer que l’adoption du dépistage ou les changements apportés sont rentables pour les régimes de santé.
L’abandon du dépistage est un défi. Ces processus d’évaluation (souvent longs) sont donc essentiels pour éviter la mise en œuvre prématurée de programmes de dépistage inefficaces, voire nuisibles.

Il s’agit donc, en résumé, de critères très stricts permettant d’évaluer la pertinence d’un dépistage garantissant des bénéfices réels pour la population, sans avoir des dommages l’impactant de façon délétère.
Les 10 critères parmi ceux édictés par retenus par L’OMS sont :

  • La maladie étudiée doit présenter un problème majeur de santé publique
  •  L’histoire naturelle de la maladie doit être connue
  • Une technique diagnostique doit permettre de visualiser le stade précoce de la maladie
  •  Les résultats du traitement à un stade précoce de la maladie doivent être supérieurs à ceux obtenus à un stade avancé
  •  La sensibilité et la spécificité du test de dépistage doivent être optimales
  • Le test de dépistage doit être acceptable pour la population
  • Les moyens pour le diagnostic et le traitement des anomalies découvertes dans le cadre du dépistage doivent être acceptables
  •  Le test de dépistage doit pouvoir être répété à intervalle régulier si nécessaire
  •  Les nuisances physiques et psychologiques engendrées par le dépistage doivent être inférieures aux bénéfices attendus
  •  Le coût économique d’un programme de dépistage doit être compensé par les bénéfices attendus

Etudions ces principes concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie, programme lancé et généralisé avec un enthousiasme débridé en 2004 en France :
La complexité de l’histoire naturelle de la maladie reste à ce jour non maîtrisée. La sensibilité et spécificité de la mammographie ne sont pas ‘optimales’ (faux négatifs, faux positifs), les moyens financiers consentis au dépistage mammographique sont énormes sans qu’on ne parvienne à réduire le taux des cancers les plus avancés.
Sans cynisme aucun, « seulement » 3 % des femmes meurent d’un cancer du sein, le risque de décéder d’un cancer du sein est 8X inférieur à celui, pour une femme, de décéder de maladie cardio-vasculaire, pourtant un large focus est mis dans les médias et par les autorités sanitaires sur ce cancer, angoissant terriblement toute la population féminine, pour un cancer qui tue « peu » par rapport à d’autres maladies impactant les femmes.
Le dépistage mammographique déclenche la découverte de « résultats non pertinents », c’est à dire des découvertes fortuites d’anomalies non recherchées et inutiles, dont le taux de découverte est extrêmement important et qui occasionneront des cascades d’autres investigations ou de surveillances systématiques au patient. Les nuisances physiques et psychologiques sont alors énormes.
On le voit, les 10 conditions préalables à un dépistage de masse étaient loin d’être remplies concernant le dépistage mammographique, pourtant le programme a été mis sur pied dans presque tous les pays occidentaux, et largement promu auprès des femmes comme ‘salvateur’.

Ce rappel aux principes initiaux est important pour comprendre comment une croyance ferme au bien fondé d’un dispositif comme le dépistage, et comment le mépris des mises en garde d' »alerteurs » comme il y en a eu avant l’instauration du dépistage du cancer du sein, conduisent ensuite à une situation non maîtrisable, de laquelle on ne parvient plus à revenir.
Avant de faire les mêmes bévues en matière de dépistage génomique, les auteurs de cette publication du Lancet avertissent :

« Nous soutenons que les complexités et les incertitudes inhérentes à la prédiction génomique (du risque de maladie future) signifient qu’une évaluation rigoureuse, indépendante et experte est tout aussi essentielle pour les approches de dépistage génomique au niveau de la population que pour le dépistage classique des maladies (c’est-à-dire pour la détection de la présence d’une maladie aujourd’hui), pour lequel une telle évaluation est la norme. »

Les problèmes des tests génomiques

Ils sont bien identifiés, nous avons déjà parlé de la prédictibilité, problème d’importance que les auteurs développent, nous verrons ensuite les autres problématiques posées.

La prédictibilité des tests génomiques est plus incertaine qu’on ne le pense communément

« Bien que l’encodage du code génomique G-T-A-C en séquence d’acides aminés soit d’une simplicité exquise, la compréhension de sa relation avec le phénotype (l‘apparence des gènes chez le sujet, ici l’apparence physique de la maladie génétique) n’en est qu’à ses débuts.
Dans le contexte des maladies rares dites monogéniques (c’est à dire maladies portées par un seul gène), les personnes porteuses de la même variante pathogène, même au sein d’une famille, peuvent être atteintes d’une maladie grave, d’une maladie légère ou d’aucune maladie. Des études menées dans des biobanques de population indiquent une pénétrance génétique (c’est-à-dire une association avec une maladie déclarée) beaucoup plus faible que les estimations largement citées dérivées de familles cliniquement vérifiées présentant une maladie. »3

La « pénétrance » variable d’une maladie signifie qu’au sein d’une même famille, parmi les porteurs du gène défaillant, la maladie peut avoir des expressions cliniques très diverses.

« La pénétrance de la maladie est variable car, même en présence d’une variante pathogène causale rare, d’autres facteurs (génétiques et environnementaux) contribuent – souvent de manière substantielle – à déterminer si, quand et avec quelle gravité une maladie se manifeste.4 En outre, différentes variantes pathogènes rares du même gène peuvent avoir une gravité phénotypique très différente.5
Même en regroupant les données au niveau mondial, les biobanques et les bases de données de population sont actuellement trop limitées ou biaisées pour permettre une estimation précise de la pénétrance de la maladie au niveau de la population pour la plupart des gènes, et encore moins des risques spécifiques à une variante. »

Actuellement sont à l’étude les fameux tests de risques polygéniques, c’est à dire des tests permettant la détection groupée d’un ensemble de maladies, mais « l’héritabilité » des différentes maladie est variable, et l’impact de l’environnement a son rôle à jouer.
Parfois le seul critère génétique (l’héritabilité) joue au final un rôle mineur parmi les autres facteurs (comme l’environnement) qui occasionnent et influent le cours de la maladie. Ce qu’expliquent ici les rédacteurs :

« De vastes études cas-témoins d’association à l’échelle du génome ont permis d’identifier des ensembles de variantes génomiques communes associées à la maladie.
Ces ensembles ont été utilisés pour construire des scores de risque polygénique (PRS) pour plusieurs maladies courantes.
Cependant, la plupart des maladies courantes sont principalement déterminées par l’exposition accumulée au cours de la vie à des facteurs environnementaux, ce qui signifie que l’héritabilité (c’est-à-dire la contribution génétique) est modeste. Par exemple, l’héritabilité est de 31 % pour le cancer du sein chez la femme, de 15 % pour le cancer colorectal et de 38 % pour l’infarctus du myocarde chez l’homme.6,7
En outre, le PRS ne reflète qu’une fraction modeste de cette composante génétique : même avec des études d’associations pangénomiques de plus grande envergure, la majorité des variants associés à la maladie continueront d’échapper à la découverte parce qu’ils sont trop rares ou que leur effet est trop faible. « 

« Les PRS n’offrent donc qu’une force prédictive modeste pour l’identification des individus qui présentent réellement un risque élevé de maladie. Le cancer du sein, par exemple, est l’un des cancers les mieux étudiés. Toutefois, un groupe dit à haut risque composé de personnes faisant partie des 20 % les plus exposés selon le PRS ne représenterait que 37 % des cancers du sein, ce qui signifie que 63 % des cas surviendraient chez des personnes considérées par le PRS comme n’étant pas à haut risque de maladie. »

D’autres sources d’échecs sont détaillés dans cet article.

Prédire l’évolution d’une maladie au cours d’une vie peut avoir des implications plus larges que les tests de dépistage actuels

« Un résultat positif lors d’un dépistage traditionnel, tel qu’un test immunochimique fécal (TIF) dans le cadre du dépistage du cancer de l’intestin, peut être rapidement confirmé comme étant un vrai positif ou un faux positif par un test diagnostique supérieur (mais plus coûteux, peu pratique ou invasif), tel qu’une coloscopie. De même, un test sanguin biochimique positif chez le nouveau-né pour la phénylcétonurie peut être clarifié en quelques jours par une série de tests métaboliques orthogonaux.
Cependant, un résultat génomique positif ou à haut risque ne peut souvent pas être clarifié de la même manière. Dans le contexte des tests génomiques sur les nouveau-nés, les caractéristiques cliniques de certaines maladies peuvent être apparues au moment où le résultat du WGS (kit de séquençage) est disponible (ou peuvent avoir déjà évolué de manière irréversible ou fatale). Dans de nombreux cas, cependant, le test génomique sera positif sans aucun signe de maladie au moment de l’évaluation du nouveau-né. Ce résultat est-il un faux positif ou la maladie apparaîtra-t-elle plus tard ? »

« Dans une étude rétrospective des prises de sang de nouveau-nés en Californie (États-Unis), la sensibilité n’était que de 88 %, tandis que le taux de faux positifs était de 1 à 6 % pour l’analyse génomique de 48 maladies métaboliques graves.10
Transposés à la population du Royaume-Uni, ces taux équivaudraient à plus de 11 000 bébés avec des résultats ‘faux positifs’ par an.
Par rapport à ces maladies métaboliques récessives à forte pénétrance, pour la plupart des maladies rares monogéniques pédiatriques (en particulier les maladies dominantes), la pénétrance est plus faible, plus incertaine et l’apparition est plus tardive. Les bébés pourraient être surveillés pour l’émergence de la maladie jusqu’à l’enfance (et peut-être au-delà) pour être finalement informés que leur résultat était un faux positif.
Les ressources des services de santé nécessaires au suivi et l’anxiété potentielle des parents n’ont pas encore été évaluées dans de tels contextes, pas plus que les séquelles pour les membres de la famille dont le test est positif dans le cadre d’un dépistage en cascade. »11

Les conséquences sur le plan économiques doivent également, à un moment où les ressources de la santé doivent être gérées avec sagesse, considérées et évaluées.

Le dépistage de nombreuses maladies par un seul test pourrait représenter une fausse économie

« L’un des principaux arguments en faveur du WGS (séquençage des gènes) à la naissance ou en faveur du PRS (scores polygéniques) pour les maladies courantes c’est ‘l’économie d’échelle’ ( baisse du coût unitaire d’un produit qu’obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production) qu’obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production que permet la réalisation de plusieurs tests en un seul.12
Toutefois, comme l’ont souligné Wilson et Jungner, avant d’introduire le dépistage en population pour toute maladie, il convient d’examiner attentivement l’histoire naturelle de la maladie, de déterminer si la détection et l’intervention présymptomatiques améliorent réellement la survie, et d’étudier les caractéristiques de performance du test proposé dans la population générale. »2

« Le danger d’une approche centrée sur la technologie (plutôt que sur la maladie) est qu’elle peut encourager l’inclusion dans le dépistage de la population des maladies pour lesquelles le dépistage ne présente aucun avantage, ainsi que l’utilisation d’approches génomiques pour des maladies pour lesquelles d’autres tests de dépistage supérieurs existent.
Par exemple, des dizaines de maladies métaboliques néonatales héréditaires peuvent être facilement détectées biochimiquement par spectrométrie de masse en tandem sur une prise de sang néonatale, avec une sensibilité et une spécificité supérieures à celles fournies par l’analyse génomique. »

Le profilage génomique ne sélectionne pas les maladies agressives, et ne permet pas non plus d’améliorer un test de dépistage de la maladie qui est déjà défaillant

« Le profilage PRS (scores polygéniques) vise à répartir la population en groupes à haut risque et à faible risque. L’enthousiasme pour le PRS repose sur la possibilité de concentrer le dépistage sur les personnes à haut risque et d’éliminer ou de restreindre le dépistage pour les personnes à faible risque.
Toutefois, l’utilité ultime du dépistage stratifié par PRS reste tributaire de la performance du test de dépistage de la maladie, qui présentera les mêmes lacunes dans un groupe à haut risque que dans l’ensemble de la population. »8

Comme dit plus haut, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura toujours des faux positifs ; ce nombre de faux positifs sera certes moindre que pour une population plus large (à plus faible risque), mais comme les maladies se déclarent aussi dans le groupe plus large des personnes à faible risque, le test les manquera en grande partie. Ce sont les mêmes lacunes (faux positifs et faux négatifs) que l’on constate aussi pour beaucoup d’autres tests de dépistages.

« Le profil de sensibilité-spécificité du test n’est pas amélioré et l’ajout d’une stratification du PRS ne modifiera pas la question de savoir si le test de dépistage de la maladie améliore réellement la survie (au-delà du simple délai de réalisation).
De même, il est peu probable que le rapport entre les cas détectés de maladies agressives et de maladies indolentes (c’est-à-dire les surdiagnostics) change.15 En fait, les analyses suggèrent que le PRS pour le cancer du sein et de la prostate sélectionne de manière disproportionnée les maladies à pronostic favorable, plutôt que les maladies à pronostic défavorable, qui bénéficieraient davantage d’une détection précoce. »16,17

Les tests génomiques de population ont été peu étudiés dans la population réelle

« Les connaissances actuelles sur les tests génomiques de population ne reflètent que les expériences du sous-ensemble très biaisées d’individus qui se sont portés volontaires pour des études de dépistage. Il n’est pas certain qu’un test génomique comme condition préalable au dépistage ne pourrait pas décourager des groupes déjà désavantagés.
Si l’on ajoute à cela la prédiction nettement moins bonne du PRS dans d’autres groupes d’ascendance par rapport à ceux d’ascendance européenne occidentale, les disparités existantes en matière de santé pourraient potentiellement s’aggraver.
En outre, les réactions comportementales aux résultats d’un PRS à faible risque sont peu étudiées, mais pourraient inclure des modifications des comportements sanitaires préventifs, ou la dissuasion de se présenter avec des symptômes.
De même, la sensibilité sous-optimale du WGS chez le nouveau-né entraînera un taux appréciable de résultats faux négatifs. Dans quelle mesure ce faux réconfort apporté par le WGS pourrait-il retarder la présentation ou l’examen clinique de ces nourrissons ? »

Les auteurs soulignent ici le danger qu’un test négatif rassure à tort les personnes, qui, fortes de la négativité de la recherche de maladie, se dispensent de consulter en cas d’apparition de symptômes. Les personnes réellement malades, faussement assurées de l’absence de tout risque de la maladie par le test, pourraient consulter alors avec retard.

Allocation des ressources et coûts d’opportunité

Les coûts d’opportunité correspondent aux pertes lorsqu’on affecte les ressources disponibles à un usage donné au détriment d’autres choix. 
Les auteurs écrivent :

« Abstraction faite des coûts directs considérables liés à la production technique, à l’analyse et au stockage des données WGS et PRS au niveau de la population, des ressources supplémentaires considérables seront nécessaires pour mettre en place une nouvelle infrastructure logistique et informatique. En outre, les laboratoires et le personnel clinique du service de médecine génomique seront considérablement réaffectés à l’analyse initiale des résultats génomiques. »

En France par exemple, les délais d’attente pour le retour des tests génétiques peu dépasser actuellement un an.

« La réorientation des priorités et des ressources entraîne des conséquences ailleurs, et le coût d’opportunité lié à l’utilisation de ressources de soins de santé limitées d’une certaine manière signifie que les avantages potentiels obtenus en utilisant ces ressources ailleurs sont perdus. »

Autrement dit, dépenser beaucoup d’argent pour utiliser des tests peu fiables risque de nuire par défaut de ressources à des soins plus pertinents.

CONCLUSION

Les programmes de dépistage génétique, selon les auteurs doivent tout d’abord être rigoureusement évalués, cette évaluation devrait être la norme avant l’introduction d’autres programmes de dépistage.

Ceci est indispensable afin de ne pas répéter les bévues que nous constatons en population à cause de l’introduction mal évaluée et trop précipitée de dépistages qui maintenant posent beaucoup de problèmes, et entraînent des personnes dans des ‘maladies’ qu’elles n’auraient pas connues sans ce dépistage.
On a bien du mal ensuite à revenir en arrière, comme c’est le cas pour le dépistage du cancer de la prostate, dépistage qui n’est plus recommandé actuellement mais néanmoins encore couramment prescrit chez des hommes, même jeunes.

Article connexe : innovation ne rime pas avec progrès

Auteurs

Division of Genetics and Epidemiology, Institute of Cancer Research, London, Sutton, UK (Prof C Turnbull PhD, A George MD); The Royal Marsden NHS Foundation Trust, London, UK(Prof C Turnbull, A George); Department of Medical Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK (Prof H V Firth FMedSci, Prof F L Raymond DPhil); Cambridge University Hospitals NHS Foundation Trust, Cambridge, UK (Prof H V Firth,Prof F L Raymond); MRC Weatherall Institute of Molecular Medicine(Prof A O M Wilkie FRS) and Department of Oncology (Prof I Tomlinson FRS), University of Oxford, Oxford, UK; Oxford Centre for Genomic Medicine, Oxford University Hospitals NHS Foundation Trust, Oxford, UK(Prof A O M Wilkie, Prof I Tomlinson, Prof A Lucassen DPhil); Division of Evolution, Infection and Genomics, University of Manchester, Manchester, UK (Prof W Newman PhD); Manchester University NHS Foundation Trust, Manchester, UK (Prof W Newman); Charles Dent Metabolic Unit, National Hospital for Neurology, University College London Hospitals NHS Trust, London, UK (R Lachmann PhD); Institute of Biomedical and Clinical Science, University of Exeter, Exeter, UK (Prof C F Wright PhD); Health Economics Research Centre, Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Oxford, UK (Prof S Wordsworth PhD); Population and Behavioural Science Division, School of Medicine, University of St Andrews, St Andrews, UK (M McCartney MRCGP); Fulton Street Medical Centre, Glasgow, UK (M McCartney) Wellcome Centre for Human Genetics and Centre for Personalised Medicine, University of Oxford, Oxford, UK (Prof A Lucassen)

Références de l’article

1 Genomics England. Newborn Genomes Programme. https://www. genomicsengland.co.uk/initiatives/newborns (accessed Nov 17, 2023).

2 Wilson JMG, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Geneva: World Health Organization, 1968.

3 Mirshahi UL, Colclough K, Wright CF, et al. Reduced penetrance of MODY-associated HNF1A/HNF4A variants but not GCK variants in clinically unselected cohorts. Am J Hum Genet 2022; 109: 2018–28.

4 Raj A, Rifkin SA, Andersen E, van Oudenaarden A. Variability in gene expression underlies incomplete penetrance. Nature 2010; 463: 913–18.

5 Burgunder J-M. Mechanisms underlying phenotypic variation in neurogenetic disorders. Nat Rev Neurol 2023; 19: 363–70.

6 Mucci LA, Hjelmborg JB, Harris JR, et al. Familial risk and heritability of cancer among twins in Nordic countries. JAMA 2016; 315: 68–76.

7 Zdravkovic S, Wienke A, Pedersen NL, Marenberg ME, Yashin AI, De Faire U. Heritability of death from coronary heart disease:a 36-year follow-up of 20 966 Swedish twins. J Intern Med 2002; 252: 247–54.

8. Huntley C, Torr B, Sud A, et al. Utility of polygenic risk scores in UK cancer screening: a modelling analysis. Lancet Oncol 2023; 24: 658–68.

9. Lacaze P, Manchanda R, Green RC. Prioritizing the detection of rare pathogenic variants in population screening. Nat Rev Genet 2023; 24: 205–06.

10.Adhikari AN, Gallagher RC, Wang Y, et al. The role of exome sequencing in newborn screening for inborn errors of metabolism. Nat Med 2020; 26: 1392–97.

11. Horton RH, Lucassen A. Ethical issues raised by new genomic technologies: the case study of newborn genome screening.Camb Prism Precis Med 2023; 1: e2.

12. Schwarze K, Buchanan J, Fermont JM, et al. The complete costs of genome sequencing: a microcosting study in cancer and rare diseases from a single center in the United Kingdom. Genet Med 2020; 22: 85–94.

13. UK Government. UK NSC Blood Spot Task Group (BSTG). https:// https://www.gov.uk/government/groups/uk-nsc-blood-spot-task- group-bstg (accessed Nov 17, 2023).

14. UK National Screening Committee. UK NSC recommends introduction of screening for tyrosinaemia in newborns. https:// nationalscreening.blog.gov.uk/2023/02/02/uk-nsc-recommends- introduction-of-screening-for-tyrosinaemia-in-newborns/ (accessed Nov 17, 2023).

15 Brodersen J, Schwartz LM, Heneghan C, O’Sullivan JW, Aronson JK, Woloshin S. Overdiagnosis: what it is and what it isn’t. BMJ Evid Based Med 2018; 23: 1–3.

16 Klein RJ, Vertosick E, Sjoberg D, et al. Prostate cancer polygenic risk score and prediction of lethal prostate cancer. npj Precis Onc 2022; 6: 25.

17 Lopes Cardozo JMN, Andrulis IL, Bojesen SE, et al. Associations of a breast cancer polygenic risk score with tumor characteristics and survival. J Clin Oncol 2023; 41: 1849–63.

18 Devlin H. Backlog in NHS genome service leaves families facing long wait for results. The Guardian. April 3, 2023. https://www. theguardian.com/society/2023/apr/03/backlog-in-nhs-genome- service-leaves-families-facing-long-wait-for-results (accessed Nov 17, 2023).

19 King B. David Cameron in row over promoting genetics firm Illumina. BBC News. Aug 11, 2021. https://www.bbc.co.uk/news/business-58146567 (accessed Nov 17, 2023).

20 Armstrong B, Christensen KD, Genetti CA, et al. Parental attitudes toward standard newborn screening and newborn genomic sequencing: findings from the BabySeq study. Front Genet 2022; 13: 867371.

21 Gray JAM, Patnick J, Blanks RG. Maximising benefit and minimising harm of screening. BMJ 2008; 336: 480–83.


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