19 septembre 2024
Effet de la mammographie de dépistage sur les risques de décès par cancer du sein et de décès toutes causes confondues : revue systématique avec méta-analyse d’études de cohortes
Auteurs : Philippe Autiera, Karsten Juhl Jørgensenb ,Michel Smansa ,Henrik Støvringc
a International Prevention Research Institute (iPRI), Lyon, France
b Cochrane Denmark and Centre for Evidence Based Medicine, Odense, Denmark
c Steno Diabetes Center, Aarhus, Denmark
https://www.jclinepi.com/article/S0895-4356(24)00181-1/fulltext#fig1
Une étude qui met à mal l’assertion selon laquelle le dépistage réduirait la mortalité par cancer du sein
Voici une publication parue cet été dans le Journal of Clinical Epidemiology, et qui risque de faire grand bruit.
En effet, les auteurs avancent que les femmes qui se présentent au dépistage du cancer du sein sont différentes des femmes qui ne s’y soumettent pas, et que ce constat bat en brèche la validité de certaines études validant l’efficacité du dépistage mammographique sur la réduction de mortalité par cancer du sein.
Les différences dans les résultats d’études examinant et cherchant à chiffrer la réduction du risque de décès grâce au dépistage mammographique sont liées à des comportements différents chez les femmes qui se font dépister. Ces différences des résultats ne sont en rien liées aux vertus du dépistage.
Sans le dépistage du cancer du sein, les résultats sur le risque de décès par cancer du sein seraient équivalents. Nous allons voir cela en détail.
Depuis pratiquement trois décades, le dépistage du cancer du sein parvient de moins en moins à faire preuve de son efficacité, et surtout la balance bénéfices-risques est loin d’être positive. Deux études importantes parues en 2023 suggèrent, pour l’une, que le risque de décès par cancer du sein est en baisse (ce qui est une excellente nouvelle)autant pour les femmes dépistées que pour les non-dépistées. Et pour l’autre il s’agit de la démonstration qu’aucun dépistage (hormis celui du cancer du côlon par sigmoïdoscopie) ne parvient à allonger la durée de vie.
Toutefois les autorités sanitaires et l’INCa invoquent sempiternellement un gain de mortalité imputable au dépistage de l’ordre de 15% (avant on tablait sur 20%, pourcentage revu à la baisse), en se basant sur diverses études malheureusement de fiabilité et de qualité différentes.
Nous avons déjà expliqué ce que ce pourcentage signifie dans la vraie vie, raison pour laquelle les femmes doivent exiger une présentation des données non pas en pourcentages enjolivant mais en valeurs brutes.
Admettons donc 20% de réduction de mortalité : cela signifie que sur 2 000 femmes non dépistées en 10 années, vous constaterez 5 décès par cancer du sein, et que sur 2 000 femmes dépistées en 10 années, vous constaterez 4 décès par cancer du sein, ainsi la réduction relative du risque de décéder du cancer de sein est de 1 sur 5, soit 20 %. Mais en chiffres absolus, cela ne fait qu’une seule femme décédée en moins. (Lire ici : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/mensonges-et-tromperies/)
On comprend bien que déjà, il faut suivre un très grand nombre de femmes (2 000) sur un très long laps de temps (10 ans) pour constater un seul décès de moins dans le groupe dépisté, soit un tout petit bénéfice, et encore incertain…
Qu’apporte cette étude ?
Les auteurs de cette revue d’études de cohortes mettent en évidence que les femmes qui participent au dépistage, de base, ont déjà un risque de décès toutes causes confondues beaucoup plus faible que les autres femmes. « Les sujets qui ne participent pas au dépistage sont généralement moins conscients de leur santé, sont plus démunis, présentent davantage de comorbidités ou de handicaps et ont une espérance de vie plus courte. »
Autrement dit, les résultats sur la mortalité seraient les mêmes sans dépistage aucun, les femmes les mieux aisées auront toujours une espérance de vie meilleure que les autres, dépistage ou pas.
Les auteurs avancent que la méthodologie utilisée dans certaines études d’observation visant à prouver une réduction du risque de mourir d’un cancer du sein grâce au dépistage sont biaisées par l’échantillon même des femmes choisies pour ces études, et qu’elles présentent une méthodologie fausse et trompeuse.
Des études sociologiques et des enquêtes démographiques ont déjà démontré que le niveau socio-économique est le premier facteur influant sur l’espérance de vie.[1]
L’étude en langage simplifié
Nous citons les auteurs :
« La capacité des programmes de dépistage par mammographie à réduire le risque de décès par cancer du sein est souvent évaluée à l’aide d’études comparant le risque de décès par cancer du sein chez les femmes qui se soumettent au dépistage au risque chez les femmes qui ne s’y soumettent pas. Ces études montrent que ce risque (de décès) est plus faible chez les femmes qui participent au dépistage. Toutefois, les femmes qui participent au dépistage ont généralement plus de ressources et ont un comportement favorisant une meilleure santé. En outre, la mammographie de dépistage permet de détecter des cancers occultes qui n’auraient pas évolué vers une maladie potentiellement mortelle (surdiagnostic).
Ces deux facteurs impliquent que l’on pourrait s’attendre à ce que ces études révèlent un risque plus faible de décès chez les femmes qui se soumettent au dépistage, même si le dépistage n’apporte aucun avantage.
Malheureusement, l’influence de ces deux facteurs sur les résultats n’est pas connue avec suffisamment de certitude pour pouvoir en tenir compte de manière fiable.
Étant donné que le dépistage par mammographie ne peut pas réduire le risque de décès dû à des causes autres que le cancer du sein, nous avons évalué si le risque de décès, toutes causes confondues, était également plus faible chez les femmes qui se soumettent au dépistage.
Nous avons constaté que les femmes qui participaient au dépistage avaient un risque de décès toutes causes confondues beaucoup plus faible et que ce moindre risque était similaire à leur moindre risque de décès par cancer du sein.
Cela signifie que les résultats des études qui comparent le risque de décès par cancer du sein entre les personnes qui participent au dépistage et celles qui n’y participent pas sont entièrement dus à des défauts dans leur méthodologie et ne devraient donc pas être utilisés pour évaluer les avantages des programmes de dépistage par mammographie. »
Le biais de l’utilisateur sain ou d’autosélection
Le bais de l’utilisateur sain (HUB, healthy user bias[2] [3]) est déjà bien connu.
Le niveau d’observance au dépistage, expliquent les rédacteurs de l’étude, doit être considéré comme un marqueur de risque, et non comme un facteur de causalité pour le cancer du sein à un stade avancé et pour un risque plus élevé de mourir d’un cancer du sein, ou même d’une cause autre que le cancer du sein.
En effet, les femmes dont l’observance au dépistage est faible correspond à un groupe de femmes globalement peu observantes et moins soucieuses de leur santé, moins attentives à leur corps et à ses modifications ; ce groupe présente davantage de cancers à un stade avancé et une survie globale plus faible que le groupe de dépistage régulier.
La différence du risque de décès par cancer du sein s’explique donc par une différence de comportement, et, sans dépistage du tout, la situation serait identique.
Le dépistage du cancer du sein, en dehors du fait que les femmes sont très largement sous-informées de ces nouvelles données, s’avère donc inefficient sur la diminution du risque de décès comme on le promeut depuis des décennies, et il comporte de très nombreux effets indésirables maintenant connus (fausses alertes, surdiagnostics, irradiations, surtraitements).
Quel est le problème ?
Le problème majeur est qu’on met en avant un bénéfice du dépistage du cancer du sein sur la mortalité qui est complètement biaisé, comme les auteurs l’expliquent, dans les études observationnelles :
« L’évaluation de l’effet des programmes de dépistage du cancer sur le risque de décès par cancer est souvent réalisée au moyen d’études d’observation (études cas-témoins et études de cohorte), bien que l’on sache depuis longtemps que ces études sont vulnérables à de nombreux biais, principalement le biais d’autosélection (ou « biais de l’utilisateur sain », ou « biais du dépistage sain »).
L’autosélection provient des différences de caractéristiques personnelles et de mode de vie entre les sujets qui choisissent de participer ou non au dépistage. Les sujets qui ne participent pas au dépistage sont généralement moins sensibilisés à la santé, sont plus démunis, présentent davantage de comorbidités ou de handicaps et ont une espérance de vie plus courte, autant de caractéristiques associées à un risque accru de mortalité par cancer, quel que soit l’effet du dépistage sur ce risque. [4] [5] «
Les études observationnelles que les auteurs mentionnent consistent à effectuer des observations en population et à recueillir des informations, ici des données de santé, sur des groupes de personnes.
Ces études ne nécessitent aucune action particulière, il s’agit juste d’observer les réponses des sujets à l’intervention qu’on veut étudier, ici le dépistage, en fonction de certains paramètres, ici la mortalité.
Mais toutes les études scientifiques ne se valent pas et il existe bien une hiérarchie.
Les études de cohortes, qui sont soit observationnelles ou interventionnelles, rétrospectives ou prospectives, n’ont pas le standard de niveau de preuve d’un essai clinique randomisé par exemple. (Lire https://cancer-rose.fr/2021/06/05/un-guide-de-la-sante-et-de-la-medecine-du-gijn/)
Les chercheurs réalisant des études sur l’effet du dépistage sur la mortalité par des études observationnelles ont tenté, diversement, de limiter ce biais d’autosélection. Mais ceci s’est opéré de façon variable selon les chercheurs, et sans qu’ils puissent étayer leurs corrections par des études précises.
Ces tentatives de rectification n’ont jamais été unanimes ni satisfaisantes, et finalement les études d’observation ne prouvent nullement que le dépistage est efficace en matière de réduction de mortalité, ce serait plutôt l’inverse, elles suggèrent fortement que le dépistage ne marche pas comme on l’espérait sur la mortalité;
« Les réductions du risque de décès par cancer du sein rapportées par les études de cohorte sur l’efficacité du dépistage par mammographie sont entièrement dues au biais d’autosélection… »
Les méthodes correctives utilisées jusqu’à présent par les études observationnelles « ne peuvent pas corriger entièrement l’effet réel de l’autosélection sur les estimations du risque de mortalité. »
Ce qu’apporte cette étude
Citons les auteurs :
« -Il s’agit de la première étude montrant que les études d’observation sur l’efficacité du dépistage du cancer sont exposées à des biais qui ne peuvent être contrôlés.
-La participation au dépistage par mammographie est un indicateur des caractéristiques associées à un risque plus faible de décès, quelle qu’en soit la cause, y compris le cancer du sein, que les études d’observation ont faussement interprétées comme un effet du dépistage. »
En conclusion, « étant donné que la mammographie de dépistage n’a aucun effet sur les causes de décès autres que le cancer du sein, et que la mammographie de dépistage est censée réduire le risque de décès par cancer du sein, les études de cohorte comparant les femmes qui participent au dépistage à celles qui n’y participent pas après avoir été invitées devraient constater des réductions relatives nettement plus importantes du risque de décès par cancer du sein que du risque de décès toutes causes confondues.
Cela n’a pas été le cas dans les études de cohortes sur l’efficacité des mammographies de dépistage. »
Les changements demandés par les auteurs, application pratique
Se pose la question fondamentale suivante : « Quelles sont les implications et qu’est-ce qui devrait changer maintenant ? »
Cette question est en effet fondamentale parce qu’on a basé toute la promotion du dépistage sur ces études démontrant fallacieusement et grâce à des défauts méthodologiques un bénéfice du dépistage du cancer du sein que celui-ci n’a pas.
La réponse en conséquence est : « Les études d’observation ne devraient plus être utilisées pour évaluer l’efficacité d’un programme de dépistage du cancer. »
Il en découle une demande d’application pratique. En effet en 2002, un groupe international d’experts au sein du CIRC, le centre international pour la recherche sur le cancer, a examiné les données probantes sur le dépistage du cancer du sein, après la publication de la revue systématique du Centre nordique Cochrane dans la revue The Lancet.[6] [7]
Mais en 2015, un nouveau groupe d’experts internationaux a fait le point sur les connaissances accumulées après 2002 [8] ; cependant Autier et all reprochent ici un manque de transparence sur le processus d’intégration des membres du groupe de travail et l’inclusion disproportionnée d’experts favorables au dépistage.
Les groupes de 2002 et de 2015 ont certes tous deux émis des recommandations pour l’évaluation des activités de dépistage du cancer du sein, mais la différence notable est qu’en 2015 de nombreuses études, de valeurs variables, avaient été publiées entre temps.
Le groupe de 2015 a statué sur l’adoption des études observationnelles comme étant une conception d’études à privilégier pour évaluer l’efficacité du dépistage sur la réduction de mortalité.
Etant donné cette nouvelle étude dans le Journal of Clinical Epidemiology, montrant les biais dans les études observationnelles comparant les personnes ayant participé au dépistage à celles qui n’y ont pas participé, il est demandé un rétablissement des recommandations émises par le groupe du CIRC de 2002, à savoir que toutes les études observationnelles ne soient pas utilisées.
Et pour les femmes ?
Pour les femmes, il reste à tirer toutes les conséquences de l’échec confirmé de la mammographie de dépistage.
Les conséquences observables sont essentiellement iatrogènes : le surdiagnostic avec pour corollaire un surtraitement qu’on ne peut plus tolérer et qui est non-éthique, par le fait d’infliger des traitements non anodins à des personnes a priori bien portantes, qui ne se plaignent de rien et de voir ainsi leurs vies détruites, des amputations d’organes de façon inutile, une irradiation ionisante inutile d’un organe particulièrement radio-sensible, une élévation du niveau général d’angoisse pour la personne et en population.
On citera également comme effets adverses des sur-détections une augmentation excessive et infondée du nombre de femmes dites « à risque », risque trans-générationnel puisque reporté inutilement sur la descendance des femmes surdétectées.
Mentionnons encore une mésinformation des femmes qu’on a bercées d’illusions, des problèmes médicolégaux évitables, une activité médicale inutile avec embolisation des cabinets de radiologie et détournement de l’activité de soins. Un surtraitement et un excédent de soins pour une population non nécessiteuse s’accompagne de sous-traitements pour une autre frange de la population qui en aurait besoin.
Il est impératif à présent de donner de l’information aux femmes, et de se recentrer sur la recherche fondamentale pour comprendre l’histoire naturelle du cancer qui est plus complexe qu’on ne l’imaginait.
Il s’agit également d’agir sur les disparités socio-économiques qui font que les femmes de milieux plus défavorisés et paupérisées ont davantage de problématiques d’accès aux soins, et accumulent davantage de facteurs de risque au cancer en général. Et ce n’est pas le dépistage qui règlera le problème, il n’a aucun rôle positif à jouer dans l’affaire.
Il faut accepter la réalité de l’échec du dépistage et concéder des moyens vers la recherche et l’information du public.
Persévérer et inciter les femmes à adhérer sans information est non éthique et c’est une perte de temps, d’argent et d’énergie.
[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3319895
[2] International Agency for Research on Cancer. Breast Cancer Screening. Lyon: IARC Press; 2002.
[3] Shrank WH, Patrick AR, Brookhart MA. Healthy user and related biases in observational studies of preventive interventions: a primer for physicians. J Gen Intern Med 2011;26:546e50.
[4] Mottram R, Knerr WL, Gallacher D, Fraser H, Al-Khudairy L, Ayorinde A, et al. Factors associated with attendance at screening for breast cancer: a systematic review and meta-analysis. BMJ Open 2021;11(11):e046660.
[5] McWilliams L, Groves S, Howell SJ, French DP. The impact of morbidity and disability on attendance at organized breast cancer- screening programs: a systematic review and meta-analysis. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2022;31(7):1275e83.
[6] Gøtzsche PC, Olsen O. Is screening for breast cancer with mammography justifiable? Lancet (London, England) 2000;355(9198):129-34. doi: 10.1016/s0140-6736(99)06065-1 [published Online First: 2000/02/16]
[7] Vainio H, Bianchini F, editors. IARC Handbooks of cancer prevention. Volume 7. Breast cancer screening. Lyon: IARC Press, 2002.
[8] Lauby-Secretan B, Loomis D, Straif K. Breast-Cancer Screening–Viewpoint of the IARC Working Group. The New England journal of medicine 2015;373(15):1479. doi: 10.1056/NEJMc1508733 [published Online First: 2015/10/09]
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