Un nouveau site d’outils d’aide à la décision

24 septembre 2024

Avant de vous présenter le nouveau site que nous avons conçu, qui rassemble les principaux outils d’aide à la décision pour vous aiguiller dans votre choix de vous faire dépister ou non, nous nous sommes livrés à un travail d’analyse d’un site provisoire, concernant un projet de conception d’un outil « à la française ».

En effet, dans une étude de recherche intitulée DEDICACES (Décision Partagée dans le cadre du dépistage du cancer du sein en soins premiers), un outil d’aide à la décision a été mis en place en ligne, avec pour objectif d’évaluer l’effet de l’outil sur « le niveau de conflit décisionnel concernant le choix des femmes de participer ou non au dépistage organisé ».
L’adresse provisoire hébergeant l’outil est à retrouver ici : http://vps781631.ovh.net/

La page d’accueil indique clairement que le site est conçu pour aider les femmes à faire un choix de participer ou non au dépistage organisé du cancer du sein. La recherche DEDICACES est sous la promotion du CHU de Nantes et est financée par l’Institut National du Cancer (INCa).
(Le CHU de Nantes, l’Université de Nantes (comprenant en sein le Département de Médecine générale), la CPAM44, la CPAM49, la CPAM53, la CPAM72, la CPAM85, sont co-responsables de cette étude.)

Le début de l’étude dépend encore de la soumission du protocole au CPP (comité de protection des personnes nécessaire à la validation (notamment éthique) de toute étude impliquant une population examinée), et l’étude durera 18 mois.
Le site hébergeant l’outil n’est pas ouvert au public mais l’outil en lui-même avec ses visuels, est dans une version consultable, ici, en présentant des données sous formes de pictogrammes comme le demandait la concertation citoyenne, données basées sur d’anciennes recommandations de Canadian Task Force on Preventive Health Care, (groupe de travail canadien sur les soins de santé préventifs).

ANALYSE DE L’OUTIL PROPOSé AU SEIN DE DEDICACES

Nous notons que les données canadiennes utilisées pour l’instant sont obsolètes, car le CanTaskForce a actualisé ses recommandations accessibles ici : https://canadiantaskforce.ca/guidelines/published-guidelines/breast-cancer-update-2024/

Cela est d’importance, car déjà pour les tranches d’âges 50 et 59 ans, et 60 et 69 ans, les données des fausses alertes et des biopsies par exemples, ont été revues à la hausse, ce qui rend la balance bénéfices-risques plus défavorable qu’évalué initialement. En outre dans les anciennes recommandations, pour la tranche des 60-69 ans, le surdiagnostic était inconnu ; mais une estimation chiffrée est bien donnée dans les recommandations actualisées de 2024.

Femmes de 50-59 ans, anciennes recommandations canadiennes
Femmes de 50 à 59 ans, nouvelles recommandations 2024
Femmes de 60-69 ans, anciennes recommandations
Femmes de 60-69 ans, nouvelles recommandations 2024

Nous pensons que, très certainement, l’étude n’étant pas démarrée, une correction de ces pictogrammes obsolètes sera entreprise.

Dans cette partie avantages et inconvénients, il y a deux articles, l’un intitulé « participer au dépistage organisé » et l’autre « ne pas participer au dépistage organisé ».

Dans la partie « participer au dépistage » un des avantages allégués est l’allègement thérapeutique pour les personnes dépistées par rapport aux non dépistées, par le fait de traiter un cancer plus « tôt ».
Cet argument n’est pas recevable ; en effet l’enjeu n’est pas de traiter moins par rapport à traiter plus, mais l’enjeu est de ne pas traiter du tout une femme avec un cancer de découverte inutile (surdiagnostic).
Parallèlement au fait qu’il n’y a pas de différence en termes de mortalité (en baisse pour tous les groupes[1]) ou de survie entre les groupes de femmes dépistées et non dépistées, pour les dépistées il y a bien davantage d’interventions, et l’argument d’allègement thérapeutique ne tient pas.
En effet toutes les études réalisées démontrent toujours plus de traitements, d’ablations de seins[2] [3] [4] (du moins partielles), de radio[5] [6]et d’hormono-thérapies chez les femmes dépistées.

Nous avons déjà expliqué dans un article que détecter » tôt » un cancer ne signifie pas qu’il s’agira d’un cancer moins mortel, ou plus « gentil », ou même qu’il s’agirait d’une détection utile.
Un cancer petit peut être un cancer très lent dont le temps de séjour dans le sein est très long, et qui ne menacera jamais la santé de la femme. A l’inverse un petit cancer peut être d’emblée métastatique en raison de caractéristiques biologiques propres qui font qu’il est agressif d’emblée. La taille n’est pas corrélée au temps et n’est pas corrélée à la gravité de la lésion. Ainsi un petit cancer peut très bien être un cancer métastatique.(voir les images au bas de l’article)

Avancer, comme cela est fait dans ce petit chapitre qu’il est utile de « traiter un cancer le plus tôt possible pour limiter les métastases et diminuer la mortalité », ne répond hélas pas du tout à la réalité.
Le problème est bien celui-ci : le taux des cancers graves et métastatiques n’a pas du tout baissé concomitamment au dépistage, justement parce que le dépistage loupe ces sortes de cancers très agressifs d’emblée et rapidement évolutifs. Nous disposons de suffisamment d’études et de preuves attestant de ce phénomène[7]  [8] .
« Les cancers retrouvés dans le cadre du dépistage organisé sont en moyenne plus petits et risquent moins de se propager dans d’autres parties du corps sous forme de métastases.
En participant au dépistage organisé on a moins de risque de développer des métastases et de mourir de ce cancer. »

Concernant la première phrase, en effet le dépistage a tendance à recruter davantage des petits cancers, faiblement ou pas évolutifs et dont le temps de séjour suffisamment long dans le sein permet de tomber dessus lors d’un dépistage. Ils alimentent d’ailleurs le réservoir des surdiagnostics, ces cancers qui ne menaceraient jamais la vie s’ils n’étaient pas découverts.
Mais la deuxième phrase n’est pas juste et est une information trompeuse. En aucun cas une femme se soumettant au dépistage peut s’attendre à avoir moins de risque de cancer grave ou métastatique. Les cancers métastatiques ne découlent pas de ces plus petits cancers qui sont détectés par dépistage, ce sont des cancers particuliers, à part, issus de lignées cellulaires possédant des caractéristiques tumorales plus agressives intrinsèquement. Ils échappent au dépistage, lequel n’a justement pas fait régresser le taux des cancers avancés.
Cette assertion selon laquelle le dépistage permet d’éviter davantage les cancers métastatiques doit être combattue, c’est une fake-new souvent mise en avant lors des campagnes promotionnelles d’octobre rose, contredite par les faits et les observations.

Rappelons que la survie est identique chez les femmes dépistées et non dépistées, et que selon une étude récente le dépistage du cancer du sein ne prolonge pas la durée de vie [9] .

Dans la partie « autres inconvénients », le problème du faux négatif est bien abordé, mais le faux négatif n’est pas toujours le cancer qui était là et qu’on n’a pas vu, mais aussi le cancer qui vraiment n’était pas là et qui survient en très peu de temps, entre deux mammographies, ce qu’on appelle le cancer de l’intervalle.

Avancer ensuite que grâce au dépistage la qualité de vie est améliorée est également une contre-vérité. De très nombreuses études sur la qualité de vie, listées dans le document « effets indésirables » en fin d’article sur le surdiagnostic, nous montrent que des syndomes anxio-dépressifs sont extrêmement fréquents (notamment à cause des fausses alertes), et qu’il en va de même pour la qualité de vie physique, psychique, sexuelle, ainsi que de l’appauvrissement.

L’assertion selon laquelle « En participant au dépistage organisé, on irradie un peu les seins. » nous apparait bien sibylline et nous renvoyons nos lectrices/lecteurs à cet article ici qui éclaircit le réel enjeu des radiations ionisantes répétées, qu’elles soient « peu » ou pas, elles sont bien réelles, répétitives et nocives.

Lorsque nous abordons ensuite la rubrique « ne pas participer au dépistage« , nous retrouvons en négatif les mêmes arguments déployés cette fois dans la partie  » Quels sont les inconvénients à ne pas participer au dépistage organisé par mammographie du cancer du sein ? »
Voir notre argumentaire plus haut concernant le risque métastatique (dépendant de la nature même du cancer et non pas du fait de dépister, puisque ces cancers métastatiques ne sont pas décelés à temps par le dépistage), et les traitements qui seraient plus lourds ce qui ne correspond pas à la vraie vie ni aux études menées sur l’ampleur des traitements.

Dans les « autres avantages » de ne pas participer au dépistage un argument attire notre attention : « Une mammographie pourrait sembler normale alors qu’il y aurait un cancer. La femme serait faussement rassurée. C’est ce qu’on appelle un faux-négatif. En ne participant au dépistage organisé, on évite le risque de faux-négatif. »
Bon, certes, disons qu’on évite le risque d’être faussement rassurée et de connaître cette situation puisqu’il n’y a pas eu dépistage… Mais le faux négatif correspond à un échec du dépistage, il s’agit d’un cancer raté parce que très rapide, souvent agressif, donc de moins bon pronostic. Et absolument rien ne garantit à une femme d’échapper, hélas, à cette forme de cancer.


Même si nous ne connaissons pas encore le protocole de l’étude DEDICACES, nous espérons que l’outil  mis à la disposition des femmes et des professionnels de santé ne devienne pas un moyen d’inciter les femmes à davantage d’adhésion au dépistage, comme cela fut longtemps le but recherché de l’INCa qui finance le projet, mais demeure ce qu’il doit être, à savoir un outil d’aide à la décision adapté, pour les femmes, afin qu’elles décident en connaissance de cause de participer ou non au dépistage sur la base d’une information non tendancieuse, qui ne prend position ni dans un sens ni dans l’autre.

Cela dit nous saluons l’initiative d’un outil d’aide à la décision désireux de respecter les choix et préférences des femmes, outil quémandé par les citoyennes lors de la concertation de 2016, et nul doute que ce site sera dûment amélioré et amendé après consultation avec le CPP.

ALTERNATIVE-UN AUTRE SITE

Nous avons le grand plaisir de vous présenter un autre site rassemblant plusieurs supports décisionnels.
C’est ici : https://discutonsmammo.fr/

Ce nouveau site propose des articles concis et synthétiques sur le dépistage mammographique et rassemble les principaux outils d’aide à la décision fondés sur des ressources émanant de bases de données françaises, et répondant ainsi aux interrogations des femmes de ce pays.

Dans le « menu » proposé en haut de la page d’accueil, vous trouverez une page contenant des renseignements divers et généraux sur le dépistage. https://discutonsmammo.fr/depistage-du-cancer-du-sein-en-toute-transparence/
L’invitation au dépistage, ce qu’elle signifie et implique est renseigné ici : https://discutonsmammo.fr/jai-recu-une-invitation-au-depistage-du-cancer-du-sein/
La page « suis-je concernée », ici https://discutonsmammo.fr/depistage-du-cancer-du-sein-suis-je-concernee/ vous informe sur les conditions liées à l’âge et sur les facteurs de risque du cancer du sein.
Enfin, une page est dédiée aux symptômes, https://discutonsmammo.fr/cancer-du-sein-les-symptomes/, cela nous paraissait important car la découverte d’un signe clinique implique pour la femme de sortir du programme de dépistage de masse et de consulter un professionnel de santé.
Et bien sûr, la page dédiée aux outils d’aide à la décision à proprement parler, https://discutonsmammo.fr/outils-daide-a-la-decision/, pour vous aider à décider de votre participation ou pas.

Vous y trouverez la version la plus récente réalisée en 2024 par notre groupe Cancer Rose.
Ce dépliant, détaillé ici, est fait avec les données disponibles en France (données épidémiologiques françaises) et des hypothèses issues des revues indépendantes internationales pour les données manquantes en France.
Il permettra aux femmes de faire le choix de participer ou non au dépistage mammographique, qui est, rappelons-le, facultatif, proposé aux femmes sans risque génétique, de 50 à 74 ans.
Il fait l’objet d’une thèse à laquelle il est encore possible de participer et dont les résultats devraient être publiés courant 2025. Vous trouverez tous les détails sur la participation à cette étude dont l’appel s’adresse et aux femmes et aux professionnels de santé, ici : https://cancer-rose.fr/2024/05/03/communique-de-presse-etude-cancer-rose/

L’outil interactif qui est également proposé sur le site  https://discutonsmammo.fr/, permet de se faire une opinion sur le dépistage du cancer du sein et l’intérêt d’y participer ou non, par la présentation d’une balance bénéfices/risques basée sur des hypothèses favorables au dépistage et d’une balance bénéfices/risques basée sur des hypothèses défavorables au dépistage.
L’outil est interactif puisque vous pouvez entrer l’âge de début et l’âge de fin de votre dépistage et ainsi obtenir un calcul en fonction de balance bénéfices/risques.

https://discutonsmammo.fr/ présente également un petit outil illustré plus ludique et relativement court, dont toutes les sources et les calculs sont consultables ici : https://cancer-rose.fr/oad/

Enfin une affiche, reproduisant la balance bénéfices/risques sur la base d’une méta-analyse conduite par le collectif indépendant Cochrane, basée sur des études regroupant 90000 femmes, est accessible, imprimable et visible en version multilangues ici.

Nous vous souhaitons une excellente lecture et espérons que ce site ainsi que les outils qui y sont regroupés vous aideront dans votre choix et dans la prise d’une décision éclairée, telle que la concertation citoyenne de 2016 sur le dépistage l’avait réclamée.


[1] https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

[2] https://cancer-rose.fr/2017/09/06/etude-le-depistage-organise-permet-il-reellement-dalleger-le-traitement-chirurgical-des-cancers-du-sein/

[3] Harding C, Pompei F, Burmistrov D, Welch HG, Abebe R, Wilson R. Breast Cancer Screening, Incidence, and Mortality Across US Counties. JAMA Intern Med. 2015 Sep;175(9):1483–9.

[4]  Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database of Systematic Reviews 2013 ; 4;(6) : CD001877. doi: https://doi.org/10.1002/14651858.CD001877.pub5

[5] Prescrire rédaction « Radiothérapie et cancer du sein non métastasé » Rev Prescrire 2013 ; 33 (359) : 531.

[6] Prescrire rédaction « Traitement des carcinomes canalaires in situ du sein.  » Rev Prescrire 2013 ; 33 (359) : 675-681

[7] Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med 2012;367:1998-2005.

[8] Autres études plus anciennes :
Autier P, Boniol M, Koechlin A, Pizot C, Boniol M. Effective- ness of and overdiagnosis from mammography screening in the Netherlands: population based study. BMJ 2017;359:j5224.

Autier P, Boniol M, Middleton R, Dore JF, Hery C, Zheng T, et al. Advanced breast cancer incidence following population- based mammographic screening. Ann Oncol 2011;22(8): 1726e35.

Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med 2012; 367(21):1998e2005.

De Glas NA, de Craen AJ, Bastiaannet E, Op ’t Land EG, Kiderlen M, van de Water W, et al. Effect of implementation of the mass breast cancer screening programme in older women in The Netherlands: population based study. Bmj 2014;349:g5410.

Autier P, Boniol M. The incidence of advanced breast cancer in the West Midlands, United Kingdom. Eur J Cancer Prev 2012; 21(3):217e21.

Nederend J, Duijm LE, Voogd AC, Groenewoud JH, Jansen FH, Louwman MW. Trends in incidence and detection of advanced breast cancer at biennial screening mammography in The Netherlands: a population based study. Breast Cancer Res 2012;14(1):R10.

Lousdal ML, Kristiansen IS, Moller B, Stovring H. Trends in breast cancer stage distribution before, during and after intro- duction of a screening programme in Norway. Eur J Public Health 2014;24(6):1017e22.

Johnson RH, Chien FL, Bleyer A. Incidence of breast cancer with distant Involvement among women in the United States, 1976 to 2009. JAm Med Assoc 2013;309(8):800e5.

Esserman L, Shieh Y, Thompson I. Rethinking screening for breast cancer and prostate cancer. Jama 2009;302(15):1685e92. [53] Jorgensen K, Gøtzsche PC, Kalager M, Zahl P. Breast cancer screening in Denmark: a cohort study of tumor size and over-diagnosis. Ann Intern Med 2017 Mar 7;166(5):313e23.

Welch HG, Gorski DH, Albertsen PC. Trends in metastatic breast and prostate cancer dlessons in cancer dynamics. N. Engl JMed 2015;373(18):1685e7.

Di Meglio A, Freedman RA, Lin NU, Barry WT, Metzger-Filho O, Keating NL, et al. Time trends in incidence rates and survival of newly diagnosed stage IV breast cancer by tumor histology: a population-based analysis. Breast Cancer Res Treat 2016;157(3):587e96.

[9] https://cancer-rose.fr/2023/09/08/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/


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