Par Cancer Rose, le 10/10/2024
Outre les fausses alertes terriblement anxiogènes pour les femmes et le surdiagnostic, effet secondaire du dépistage insidieux et risquant d’exposer les femmes à une maladie qu’elles n’auraient peut-être jamais connue, il y a aussi l’effet de la radiotoxicité[i] sur un tissu particulièrement radiosensible qu’est le sein.
La toxicité des rayons X n’est pas uniquement dépendante de la dose reçue par les tissus.
Selon les travaux des radiobiologistes, les microdoses répétées présentent une radiotoxicité plus élevée sur les brins d’ADN qu’une dose équivalente délivrée en une seule fois (les brins se cassent sous l’effet du rayonnement ionisant et n’ont le temps ni de se reformer ni de se réparer entre les différents clichés). Avec des cassures mal répa- rées, la cellule peut dégénérer en cellule cancéreuse.
Bien identifiée par le travail des radiobiologistes[ii], la radiotoxicité est d’autant plus forte que les premières mammographies ont lieu tôt dans la vie d’une femme, que les examens sont fréquents et que l’on multiplie le nombre de clichés par séance.
Le risque est plus important chez les femmes porteuses de mutations favorisant le cancer du sein (BRCA1 ou BRCA2), femmes davantage radiosensibles, et qui souvent débutent les mammographies très jeunes. Mais même chez les femmes n’ayant pas de mutation particulière, il faut prendre en compte ce risque d’exposition aux faibles doses, surtout avant 50 ans où le sein est plus dense et nécessite des doses d’irradiation plus importantes que chez la femme ménopausée.
Se rajoute à cela le fait qu’une femme, dans son existence, subira probablement d’autres examens à rayons X, comme les scanners par exemple, et dont les doses se cumulent avec les examens mammographiques.
Aujourd’hui il n’y a aucune traçabilité des doses d’irradiation dues aux examens de diagnostic pour un patient, qui sont appliquées sur des organes radio-sensibles et de façon concentrée ce que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire souligne dans son rapport[iii] : « … les faibles doses efficaces, associées aux examens ne portant que sur une petite partie du corps – tels que les radiographies dentaires ou la mammographie par exemple –, ne doivent pas masquer que l’exposition locale, aux glandes salivaires ou à la glande mammaire dans le cas des exemples précités, peut-être relativement élevée ».
Ce qui signifie qu’il faut tenir compte du fait que cette dose est concentrée sur un organe irradié de petit volume.
Les cancers radio-induits seraient responsables de 1 à 10 décès pour 100 000 femmes ayant une mammographie tous les deux ans à partir de 50 ans avec une irradiation standard[iv]. C’est rare peut-être, mais non inexistant, les cancers radio-induits sont de mauvais pronostic, difficiles à traiter, et même s’ils sont rares, pour la femme concernée c’est bien du 100%.
Tomosynthèse et dépistage du cancer du sein
Pour réaliser une mammographie, actuellement trois systèmes co-existent dans le parc des appareils de mammographie en France/

En 2022 une étude[v] a été réalisée sur la tomosynthèse. Cette technique 3D est une sorte de « scanner » du sein permettant une détection accrue. L’un des problèmes est que dans certains cabinets médicaux elle est effectuées sans que la femme n’en soit informée.
Cette mammographie 3D, est une technique d’imagerie radiologique qui permet de diminuer l’effet de superposition des tissus mammaires, car elle reconstitue de manière tridimensionnelle l’image du sein à partir de plusieurs radiographies à faible dose acquises sous différents angles de projection. Au début, elle était ajoutée à la mammographie 2D et occasionnait une réelle sur-irradiation.
A présent, l’utilisation de la tomosynthèse (TDS) peut se faire en réalisant une seule acquisition en 3D permettant une reconstruction secondaire des images en 2D, épargnant ainsi à la patiente une double irradiation.
Pour résumer, la tomosynthèse aurait un apport sur une meilleure détection et réduirait (même si modestement) les fausses alertes, en revanche aucune donnée ne permet de déterminer si l’utilisation de mammographies 3D améliore réellement la morbidité, la mortalité ou la qualité de vie.
La technique peut détecter davantage de cancers, mais rien ne prouve que les cancers détectés auraient réellement nui aux patientes et ne seraient pas des diagnostics inutiles, de sorte que les mammographies 3D peuvent également entraîner davantage de surdiagnostics et de surtraitements. De plus la TDS ne pourra régler le problème des cancers occultes à la mammographie standard, qui peuvent être occultes même dans des seins graisseux, et elle ne règlera pas non plus tous les problèmes des cancers d’intervalle qui peuvent se produire en très peu de temps entre deux mammographies.
Et comme toujours se pose la question de l’information des femmes, déficiente. Elles ne sont pas informées sur le fait que les faux positifs existent néanmoins toujours, qu’on a une surdétection certes, mais s’agit-il d’une détection toujours utile ? Et de toute façon, comme dit plus haut, les femmes ne savent parfois même pas qu’on leur a appliqué cette technique, dont l’irradiation n’est pas répertoriée.
Introduction dans le dépistage
Malgré toutes ces incertitudes, et après un refus initial de la Haute Autorité de Santé, la tomosynthèse est quand-même intégrée dans le dépistage[vi], comme il fallait s’y attendre.
L’épineux du surdiagnostic, pourtant évoqué dans la feuille de route de 2018, disparaît complètement des préoccupations.
Comme nous l’écrivions dans cet article « derrière l’abdication de la HAS de toute prudence, on peut malheureusement y lire l’opportunité pour l’industrie de s’ouvrir de nouveaux marchés et pour les investisseurs d’accélérer l’émergence et la multiplication de méga-structures médicales pouvant investir dans un tel matériel, sur fond de bêtise médicale qui fait que les leçons des erreurs passées de « toujours plus de dépistage » ne seront jamais tirées.
Le salut, pour les femmes, n’est pas dans l’amélioration des techniques de détection qui fait bondir les diagnostics de cancers, mais dans la compréhension de ce que nous faisons et dans le questionnement de la pertinence et de l’utilité de nos pratiques, et de nos « découvertes » ».
Il y a bien eu des oppositions, par exemple de la part de l’association des centres régionaux de coordination des dépistages qui écrivait dans leur communiqué de presse, en 2023 : « Cette technique améliore la sensibilité et la spécificité du dépistage mais augmente la dose d’environ 50%. La HAS recommande l’utilisation de la 3D associée à la 2D synthétique (2Ds) à la place de la 2D (mammographie numérique de dépistage) pour diminuer l’irradiation. La 2Ds correspond à une reconstruction à partir des coupes de tomosynthèse, elle n’est pas validée pour tous les constructeurs et toutes les versions qui se succèdent. Elle ne peut être soumise à aucun contrôle de qualité, ni analysée par l’intelligence artificielle.
Dans le cas du dépistage organisé, elle ne permet pas une seconde lecture car les clichés 2Ds doivent être impérativement lus avec les coupes 3D de tomosynthèse. Ce point a été totalement occulté par la HAS qui n’a pas mesuré l’impact majeur de cette recommandation sur le DO et sur les pratiques radiologiques en général. »
Le problème du risque de sur-irradiation persiste donc toujours, il y a un souci de variabilité selon les constructeurs et de traçabilité des doses reçues.
Un avis de l’Autorité de Sureté Nucléaire[vii] [viii]
Tout récemment, la large diffusion de la tomosynthèse a amené l’Autorité de Sureté Nucléaire à revoir les règles de bonne pratique et à proposer une mise à jour des Niveaux de Référence Diagnostiques.
Il est indispensable que l’équilibre bénéfice/risque soit indiscutable. D’une part donc, la technique d’acquisition doit être excellente sur le plan qualitatif, et d’autre part raisonnable en termes d’exposition aux rayons X afin de limiter au maximum le risque stochastique, c’est à dire l’effet aléatoire des rayonnements X, non-dose dépendants, et qu’on ne maîtrise pas puisqu’ils dépendent de la sensibilité inhérente aux tissus et à la personne qui subit le rayonnement ionisant. Il y a, lorsqu’on irradie un organe, une partie de l’effet des rayonnements ionisants qu’on ne connaît pas, et dont on ne sait exactement ce qu’il provoque.
l’ASN a défini de nouvelles règles qualitatives incluant la mesure de la dose délivrée, y compris en tomosynthèse ; la collecte nationale des doses délivrées permettront de tenir pour tenir à jour les Niveaux de Référence Diagnostiques (NRD). Une étude de terrain menée récemment par l’IRSN a montré une grande dispersion des doses délivrées selon les différents équipements utilisés.
Sur le plan qualitatif de nouveaux critères sont en vigueur émanant de L’European Reference Organisation for Quality Assured Breast Screening and Diagnostic Services (EUREF), qui sont plus restrictifs que ceux actuellement appliqués en France.
Les fabricants d’appareils de mammographie devront donc se conformer à ces nouvelles exigences.
L’ASN va mettre en place des études sur la qualité des systèmes de tomosynthèse, pour l’instant insuffisamment uniformes, avec des critères d’évaluation non seulement sur les doses délivrées mais aussi sur la qualité des images.
Sur le plan de la radioprotection, l’ASN rappelle que la radiosensibilité mammaire étant plus élevée chez les femmes plus jeunes, l’emploi des rayons X doit être justifié au regard du risque de cancers radio-induits, notamment avant 50 ans, et tracé dans le dossier de la patiente.
Il n’est donc pas question d’irradier les femmes jeunes, sans symptômes, sans raison médicale particulière juste sur l’injonction de praticiens, souvent des spécialistes, exigeant cet examen chez des patientes dès 40 ans comme on le constate en pratique régulièrement. L’examen doit être motivé, et de plus les doses reçues doivent être consignées et traçables.
L’ASN encourage les services de radiodiagnostic à connecter les dispositifs médicaux émetteurs de rayonnements ionisants à des systèmes de collecte systématique et d’archivage des données dosimétriques afin de faciliter le recueil et l’analyse des doses.
Pourquoi le lien avec le surdiagnostic est si important ?
L’irradiation de base du sein par des mammographies répétées est déjà une problématique en soi à ne pas prendre à la légère comme nous venons de le voir.
Mais les procédures de dépistages entrainent une surdétection.
Nous parlons souvent du problème de ce surdiagnostic en matière de dépistage du cancer du sein, à savoir la détection inutile de lésions qu’on pouvait laisser non découvertes, mais qui, une fois trouvées vont être toutes traitées avec la même agressivité ; ces surtraitements sont susceptibles eux-mêmes d’entraîner des effets adverses, comme la radiothérapie. Il s’agit ici de délivrer des rayonnements à visée thérapeutiques, mais qui auront eux-mêmes une toxicité importante sur les tissus ciblés.
Pour les rayonnements ionisants, on sait que dans les trois mois qui suivent le diagnostic d’un cancer du sein, on observe une augmentation des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux, des thromboses et embolies
1-Fang F et coll. « Suicide and cardiovascular death after a cancer diagnosis » . N Eng J Med, 2012 ; 366 : 1310-1318
2- https://acsjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/cncr.32648 Causes of death after breast cancer diagnosis: A US population-based analysis Ahmed M. Afifi MBBCh, Anas M. Saad MD, Muneer J. Al-Husseini MD, Ahmed Osama Elmehrath, Donald W. Northfelt MD, Mohamad Bassam Sonbol MD
Une étude française a montré une augmentation des hémopathies (maladies du sang). Les femmes françaises participant à l’étude ayant eu un cancer du sein au cours de la dernière décennie ont 3X plus de probabilité de développer une leucémie myéloide aigue et cinq fois plus de développer un syndrome myélodysplasique que les femmes de la population générale.
doi: 10.1001/jamanetworkopen.2018.7147 Evaluation of the Incidence of Hematologic Malignant Neoplasms Among Breast Cancer Survivors in FranceMarie Joelle Jabagi, PharmD, MPH; Norbert Vey, MD, PhD; Anthony Goncalves, MD, PhD; Thien Le Tri, MSc; Mahmoud Zureik, MD, PhD; Rosemary Dray-Spira, MD, PhD
Au total,
Il s’agit donc bien d’évaluer les dispositifs médicaux émetteurs de rayonnements ionisants pour obtenir une homogénéisation des pratiques et optimiser l’équilibre entre la dose émise tout en respectant la qualité des images.
Parce que non, les mammographies, ce ne sont pas des photos de vacances et ce n’est pas « rien, pas plus qu’un voyage en avion ». Cet argument proféré sentencieusement par des professionnels de santé cherchant à minimiser leurs propres sur-prescriptions est déplacé parce que :
- * Le cumul des doses avec d’autres clichés (parfois des clichés agrandis ou localisés sont rajoutés à l’examen mammographique de base), le cumul avec d’autres expositions médicales et non médicales ;
- * La radiosusceptibilité individuelle de chacune n’est pas connue ; ce n’est pas parce qu’on ne voit pas directement ce que le rayonnement provoque qu’il ne se passe rien.
- * Il n’y a aucun sens à exposer de façon répétée une femme saine qui ne se plaint de rien et ne retire aucune utilité d’un examen réalisé « pour se rassurer ». Surtout si elle a moins de 50 ans.
[i] https://cancer-rose.fr/2018/11/03/quest-ce-que-la-radiotoxicite/
[ii] Dubousset J. 16-11 De l’usage des Rayons X en radiologie (diagnostique et interventionnelle), à l’exclusion de la radiothérapie. Rapport et recommandations. In : Académie nationale de médecine. 2016 [En ligne : https://www.academie-medecine.fr/de-lusage-des-rayons-x-en- radiologie-diagnostique-et-interventionnelle-a-lexclusion-de-la-radiotherapie-rapport-et- recommandations/].
[iii] Exposition radiologique de la population française liée aux examens d’imagerie médicale diagnostique : le rapport ExPRI. [En ligne : https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/ Communiques_et_dossiers_de_presse/Pages/20200510_IRSN-exposition-radiologique-imagerie- medicale-diagnostique.aspx#.YP-WvC3pMWo].
[iv] Lauby-Secretan B., et al. Dépistage du cancer du sein – point de vue du Groupe de Travail du CIRC. In: Cancer environnement. 2015. [En ligne : https://www.cancer-environnement.fr/506- Depistage-du-cancer-du-sein—point-de-vue-du-Groupe-de-Travail-du-CIRC.ce.aspx]. Consulté le 8 mai 2021.
[v] https://cancer-rose.fr/2022/05/17/bilan-sur-la-tomosynthese/
[vi] https://cancer-rose.fr/2023/03/24/la-tomosynthese-integree-dans-le-depistage/
[vii] https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/mammographie-recommandations-du-gprp-et-prise-de-position-de-l-asn#close
[viii] https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/bulletin-officiel-de-l-asn/activites-medicales/avis/avis-n-2024-av-0444-de-l-asn-du-3-septembre-2024
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