Abaisser l’âge du dépistage ? Une boîte de Pandore

Traduction, restitution et commentaires par Cancer Rose, 17/09/2023

Les nouvelles recommandations de l'USPSTF sur la mammographie - Un point de vue divergent

  • Steven Woloshin, M.D., 
  • Karsten Juhl Jørgensen, M.D., D.Med.Sci., 
  • Shelley Hwang, M.D., M.P.H., 
  • and H. Gilbert Welch, M.D., M.P.H.

De : Dartmouth Institute and Dartmouth Cancer Center, Lebanon, NH (S.W.); the Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine, Norwich, VT (S.W., K.J.J., S.H., H.G.W.); Cochrane Denmark and the Center for Evidence-Based Medicine Odense, Department of Clinical Research, University of Southern Denmark, Odense (K.J.J.); the Department of Surgery, Duke University, Durham, NC (S.H.); and the Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston (H.G.W.).

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2307229

September 16, 2023

Le groupe de travail américain (USPSTF) émettant les recommandations sur les dispositifs de santé publique a émis de nouvelles recommandations pour le dépistage mammographique au mois de mai 2023, préconisant le début des mammographies de routine à 40 ans.
Il s'agit d'un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
La décision a été motivée sur la base de deux arguments :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.
Nous avons synthétisé cette annonce ainsi que les réactions qu'elles ont suscité ici : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Cette modification des recommandations d'âge a soulevé beaucoup de contestations, notamment sur l'argumentation avancée d'une meilleure 'égalité' de traitement pour les classes sociales les plus pauvres.
Cette recommandation n'est pas anodine du tout et le tribut à payer pour les femmes risque d'être très lourd, c'est ce qui motive la mise en garde des auteurs, publiée hier.

Pourquoi cela doit nous concerner ?

Premièrement, plusieurs études toutes récentes, de cette années, mettent en cause de façon flagrante l'efficacité-même du dépistage mammographique.
Non, il ne permet pas de 'sauver des vies', ce mythe a fait long feu, il n'y a pas de prolongement de la durée de vie par les dépistages en général.
Non, ce n'est pas le dépistage mammographique qui est responsable d'une baisse de mortalité par cancer du sein ; le risque de décès par cancer du sein est en baisse, dépistage ou pas. Les traitements du cancer du sein s’améliorent de façon spectaculaire, ainsi la valeur de la détection primaire diminue, ce qui, à l’avenir, devrait le dépistage obsolète.
Non, le dépistage mammographique n'est pas anodin, les risques surpassent le bénéfice qu'on pourrait en attendre et le surdiagnostic est pire dans les évaluations actuelles.

Deuxièmement les recommandations américaines, très favorables aux fournisseurs du secteur de l'imagerie de la femme, risquent de servir d'exemple et d'ouvrir une boîte de Pandore qu'il sera impossible ensuite de refermer ; déjà des voix s'élèvent ici ou là pour demander un dépistage mammographique même annuel...
Il n'y a rien de 'complotiste' dans cet argument, en effet la prise en charge du cancer du sein est, il faut pouvoir le dire publiquement, une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l'égard de cette maladie." Ce business du cancer est ce que le journaliste John Horgan explique longuement dans cet article.

Troisièmement, un essai européen, appelée MyPEBS, vient d'achever l'intégration des femmes réparties dans les différents groupes d'étude. Or cette étude, censée évaluer un dépistage individualisé basé sur le risque de chaque femme de faire un cancer est de toute évidence calibrée pour inciter à dépister plus et plus jeune, car elle recrute des femmes dès 40 ans, et elle comporte des biais flagrants que nous avons dénoncés dans une lettre ouverte en compagnie d'autres groupes de vigilance sanitaire.
Les femmes n'auront pas à choisir entre dépistage ou pas dépistage, mais entre dépistage standard et ... davantage de dépistage si elles sont désignées 'à risque'.
Cependant le sous-groupe de femmes dit 'à faible risque' comprendra très peu de femmes, et toutes les autres seront réparties dans des sous-groupes à plus haut risque très rapidement puisque le logiciel, non validé scientifiquement, admet des critères de risques très généreux et les femmes se verront davantage examinées par mammographies.
Par exemple, le fait d'avoir eu une biopsie du sein pour lésion même bénigne représente un facteur de risque, or le nombre d'actes biopsiques chez des femmes jeunes pour des lésions bénignes telles que des fibro-adénomes a très considérablement augmenté ces dernières années, ce qui va rendre de facto beaucoup de femmes abusivement "à risque".

En bref, alors que le dépistage mammographique peine de plus en plus à démontrer une quelconque pertinence et que les preuves de sa nocivité s'accumulent, on s'achemine Outre-Atlantique comme en Europe vers plus de dépistages, chez plus de jeunes, au mépris des risques auxquels on expose la population, et bien sûr sans l'en informer.
Il ne faudrait pas que ça se sache....

Le point de vue divergent

Nous restituons in extenso ci-dessous la publication du NEJM-

Récemment, la U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) a modifié sa recommandation concernant l'âge de début du dépistage par mammographie de 50 à 40 ans.1 Précédemment, la Task Force considérait que le dépistage chez les femmes de 40 à 50 ans relevait d'un choix personnel. Les recommandations de l'USPSTF étant très influentes, le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans deviendra probablement une norme de performance des services de santé ; si c'est le cas, il s'agira d'un impératif de santé publique auquel les praticiens de soins primaires devront se conformer. Un tel changement affectera plus de 20 millions de femmes américaines et soulève des questions importantes.

Premièrement, existe-t-il de nouvelles preuves de l'augmentation de la mortalité due au cancer du sein ? Au contraire, la mortalité due au cancer du sein n'a cessé de diminuer aux États-Unis, ce qui constitue une réussite majeure de la médecine moderne. La réduction a été la plus prononcée chez les femmes de moins de 50 ans, dont la mortalité par cancer du sein a été réduite de moitié au cours des 30 dernières années, selon le système national des statistiques de l'état civil. Des tendances similaires sont observées dans d'autres pays à revenu élevé, y compris ceux où le dépistage chez les femmes de 40 ans est très rare (Danemark et Royaume-Uni) et ceux où le dépistage est rare dans tous les groupes d'âge (Suisse) - ce qui suggère que le déclin résulte en grande partie de l'amélioration des traitements, et non du dépistage (voir les graphiques).

Deuxièmement, existe-t-il de nouvelles preuves que les bénéfices de la mammographie augmentent ? Depuis la précédente recommandation de l'USPSTF, il n'y a pas eu de nouveaux essais randomisés sur le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans.
Huit essais randomisés portant sur cette tranche d'âge, dont le plus récent (l'essai britannique sur l'âge), n'ont révélé aucun effet significatif.2 Ce résultat reflète à la fois la rareté des décès liés au cancer du sein chez les femmes de 40 ans et le fait que le dépistage réduit moins la mortalité qu'on ne l'espérait - probablement parce que la maladie est plus agressive dans cette tranche d'âge. Les cancers à croissance rapide sont plus susceptibles de ne pas être détectés par le dépistage, car ils apparaissent souvent dans l'intervalle entre deux examens.

Sans nouvelles données issues d'essais cliniques, la nouvelle recommandation se fonde sur des modèles statistiques qui estiment ce qui pourrait se passer si l'âge de début du dépistage était abaissé. Les modèles partent du principe que le dépistage par mammographie réduit la mortalité par cancer du sein d'environ 25 % et concluent que le dépistage de 1 000 femmes âgées de 40 à 74 ans, au lieu de 50 à 74 ans, permettrait de réduire d’un à deux le nombre de décès par cancer du sein au cours de la vie.

Le recours croissant de l'USPSTF à des modèles statistiques complexes est problématique. Les effets estimés peuvent être extrêmement sensibles aux hypothèses de modélisation, qui reflètent souvent la perception générale du moment.
Un modèle important, réalisé avant l'étude Women's Health Initiative, prévoyait que presque toutes les femmes ménopausées verraient leur espérance de vie augmenter grâce à un traitement hormonal substitutif. Les modèles peuvent paraître attrayants en raison de leur précision quantitative apparente, mais ils ne sont fiables que si les données d’entrée et les hypothèses utilisées le sont également. Comme d'autres l'ont souligné, les décideurs politiques ne devraient utiliser les modèles que s'ils comprennent les paramètres et les hypothèses sur lesquels ils reposent3.

Dans le cas présent, il est particulièrement problématique que la réduction modélisée de 25 % du risque relatif de mortalité par cancer du sein grâce au dépistage mammographique dépasse celle observée dans les méta-analyses des essais randomisés : une réduction de 16 % du risque relatif pour les huit essais combinés (intervalle de confiance [IC] de 95 %, 27 % à 4 % de réduction) et une réduction de 13 % du risque relatif dans les trois essais présentant un faible risque de biais (IC de 95 %, 27 % de réduction à 3 % d'augmentation).2

Ainsi, la balance des bénéfices et préjudices justifie-t-elle un nouvel impératif de santé publique ? Les réductions du risque relatif peuvent être trompeuses car elles ne contiennent aucune information sur le risque absolu, qui est déjà faible et en constante diminution pour ce groupe d'âge. Pour clarifier les effets potentiels de la recommandation actualisée en termes absolus, le tableau (ci-dessous) résume les bénéfices et préjudices.
Pour les femmes américaines à la quarantaine, le risque de décès, quelle qu'en soit la cause, au cours des dix prochaines années est d'environ 3 %, indépendamment du dépistage. Le bénéfice modélisé de la mammographie représente une réduction du risque de décès par cancer du sein sur 10 ans d'environ 0,3 % à environ 0,2 %, soit une différence de 0,1 point de pourcentage (un décès par cancer du sein pour 1 000 femmes dépistées pendant 10 ans). En d'autres termes, grâce au dépistage, la probabilité de ne pas mourir d'un cancer du sein au cours des dix prochaines années passe de 99,7 % à 99,8 %.

Cet effet est faible, surtout si l'on tient compte des préjudices potentiels et de ce qui semble être des hypothèses trop optimistes en matière de bénéfices. Les fausses alertes sont manifestement les conséquences les plus fréquentes : le modèle de l'USPSTF estime que 36 % des femmes âgées de 40 à 49 ans en subiront au moins une dans le cadre d'un dépistage bisannuel sur 10 ans. Toutes devront subir des examens supplémentaires pour confirmer qu'elles n'ont pas de cancer ; certaines subiront des examens multiples et devront payer des frais substantiels. Et certaines éprouveront de la peur : environ un tiers des femmes décrivent l'expérience comme "très effrayante" ou "la période la plus effrayante de leur vie "4.

Environ 6,6 % des femmes dépistées auront une fausse alerte nécessitant une biopsie. En outre, le modèle de l'USPSTF estime que 0,2 % des femmes seront surdiagnostiquées et traitées pour un cancer qui n'est pas destiné à causer des préjudices. Ces préjudices peuvent être plus fréquents dans la pratique, étant donné que les données du modèle provenant du Consortium de surveillance du cancer du sein ne reflètent probablement que les taux des pratiques les plus performantes. Les préjudices seront plus fréquents si le dépistage a lieu tous les ans plutôt que tous les deux ans, comme c'est le cas actuellement pour la plupart des femmes américaines.

Le tableau illustre le compromis critique pour les femmes d'une quarantaine d'années : les bénéfices, qui profiteront à peu de femmes, l'emportent-ils sur les risques qui affecteront beaucoup plus de femmes ? La solution est un choix de valeur que les femmes devraient pouvoir faire elles-mêmes, plutôt que de se voir imposer un impératif de santé publique par des médecins recevant des incitations pour atteindre un niveau de "qualité". Compte tenu de la baisse constante de la mortalité au cours des 30 dernières années, attribuable à l'amélioration des traitements, il est probable que de moins en moins de femmes bénéficieront du dépistage au fil du temps, tandis qu'un dépistage plus poussé augmentera les risques.

La Task Force affirme également que la nouvelle recommandation constitue une première étape importante dans la réduction de la disparité entre les femmes noires et les femmes blanches en matière de mortalité due au cancer du sein. Bien que la mortalité chez les femmes dans la quarantaine ait diminué de moitié dans les deux groupes depuis 1990 (voir l'annexe supplémentaire, disponible sur le site NEJM.org), la disparité est inquiétante et persistante : Selon le système national des statistiques de l'état civil, les femmes noires sont beaucoup plus susceptibles de mourir d'un cancer du sein que les femmes blanches (23 contre 13 décès pour 100 000 femmes). Mais il est difficile d'imaginer comment le fait de recommander la même intervention aux deux groupes pourrait réduire la disparité, d'autant plus que les taux de dépistage sont déjà aussi élevés pour les femmes noires et blanches dans la quarantaine (environ 60 %, selon le National Center for Health Statistics).

L'augmentation du dépistage ne peut pas résoudre les différences sous-jacentes dans la biologie du cancer : l'incidence du cancer du sein triple négatif (qui n'exprime pas le récepteur des œstrogènes, le récepteur de la progestérone et le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain) chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l'Institut national du cancer. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus à risque de ne pas être détecté par le dépistage.5

Un dépistage précoce ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, qui sont en général noires dans une mesure disproportionnée, tels que la moindre qualité des services médicaux disponibles, le suivi tardif des scanners anormaux, les retards de traitement et le plus faible recours aux thérapies adjuvantes. En fait, l'abaissement de l'âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi. Nous devons faire davantage ce qui fonctionne vraiment : veiller à ce que les femmes pauvres atteintes d'un cancer du sein aient plus facilement accès à un traitement de haute qualité.

Une modification des recommandations relatives à la mammographie serait justifiée s'il était prouvé que les conséquences du cancer du sein s'aggravent ou s'il existait de nouvelles preuves que le dépistage chez les femmes plus jeunes présente des bénéfices clairs. En fait, aucune de ces deux conditions n'est remplie.

Nous espérons que les décideurs politiques reconsidéreront la décision d'abaisser l'âge de début du dépistage par mammographie. Les modèles de la Task Force sont insuffisants pour soutenir un nouvel impératif de santé publique, étant donné les bénéfices limités et les risques courants et importants pour les femmes en bonne santé.
Il serait préférable de permettre aux femmes de prendre leurs propres décisions sur la base de leur propre évaluation des données et de leurs valeurs - et de réorienter les ressources pour garantir que toutes les femmes atteintes d'un cancer du sein reçoivent le meilleur et le plus équitable des traitements possibles.

Références

  1. Preventive Services Task Force. Draft recommendation statement — breast cancer: screening. May 9, 2023 (https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/draft-recommendation/breast-cancer-screening-adults. opens in new tab).

2. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013;2013(6):CD001877-CD001877.

3. Kramer BS, Elmore JG. Projecting the benefits and harms of mammography using statistical models: proof or proofiness? J Natl Cancer Inst 2015;107(7):djv145-djv145.

4. Schwartz LM, Woloshin S, Fowler FJ Jr, Welch HG. Enthusiasm for cancer screening in the United States. JAMA 2004;291:71-78.

5. Hayse B, Hooley RJ, Killelea BK, Horowitz NR, Chagpar AB, Lannin DR. Breast cancer biology varies by method of detection and may contribute to overdiagnosis. Surgery 2016;160:454-462.

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L’avenir des dépistages

Traduction et restitution par Cancer Rose, 31 août 2023

La distinction entre vraie prévention et détection précoce doit être faite pour que le public comprenne que la détection précoce ne diminue pas le risque de cancer mais au contraire l'augmente.
Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.
Les auteurs proposent que les conflits d'intérêts de toutes les parties prenantes soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Des auteurs suédois et norvégiens publient un article concernant l'avenir du dépistage des cancers en recommandant que ce futur soit guidé par l'absence de conflits d'intérêts des parties prenantes.

The Future of Cancer Screening—Guided Without Conflicts of Interest

Hans-Olov Adami, MD, PhD1,2; Mette Kalager, MD, PhD1; Michael Bretthauer, MD, PhD1

  • 1Clinical Effectiveness Research Group, Institute of Health and Society, University of Oslo, Oslo, Norway
  • 2Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden

"Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.1 Presque tous les essais n'incluent pas la mortalité toutes causes confondues comme critère d'évaluation, et encore moins comme critère d'évaluation principal, ce qui empêche de tirer des conclusions sur l'allongement de l'espérance de vie.2,3 Après l'enthousiasme suscité par le dépistage du cancer entre les années 1970 et le début des années 2000, la prise de conscience de l'incertitude des bénéfices, l'inquiétude croissante concernant le surdiagnostic et la reconnaissance des préjudices causés par les tests de dépistage faussement positifs et le poids des procédures diagnostiques et thérapeutiques en aval ont fait du dépistage du cancer un domaine polarisé de la médecine contemporaine.4 Il est difficile, voire impossible, de supprimer progressivement les programmes de dépistage, même lorsque la recherche n'a pas permis de mettre en évidence des bénéfices significatifs. Nous pensons que les discussions transparentes et fondées sur des données probantes concernant les tests de dépistage du cancer, avec un équilibre délicat entre les avantages et les inconvénients, sont devenues une menace pour les parties prenantes les plus puissantes."

Dépistage du cancer : Concepts et effets

.....
"Le dépistage par détection précoce ne peut pas réduire le risque d'être atteint d'un cancer, ce qui est une idée fausse très répandue. Ces dernières années, nous avons appris que le dépistage précoce augmentait en fait le risque de cancer. C'est ce qu'on appelle le surdiagnostic. Les personnes surdiagnostiquées sont traitées sans bénéfice, mais sont affectées par tous les préjudices potentiels."

Prévention et détection précoce, pas la même chose

Il faut différencier deux concepts distincts : la détection précoce et la prévention du cancer. Les tests de détection précoce (comme la mammographie pour le cancer du sein ou le dosage de l'antigène prostatique spécifique [PSA] pour le cancer de la prostate) détectent le cancer à un stade précoce avec l'objectif de réduire le nombre de décès dus au cancer. Ils augmentent donc le nombre de nouveau cas de cancers (l'incidence), mais pas le risque d'être atteint d'un cancer, et notamment pas le risque d'un cancer grave.
Parmi ces nouveaux cas diagnostiqués grâce à une détection régulièrement renouvelée, on sur-détecte aussi des lésions inutiles à détecter, qui n'auraient jamais tué.
Dans l'augmentation des nouveaux cas détectés (dans les taux d'incidence donc) se cache une importante partie de cas de surdiagnostics. C'est pour cela qu'avec ces dépistage fonctionnant sur la détection précoce on assiste non pas à moins de cas mais au contraire à une inflation de lésions découvertes, dont une grande partie de lésions surdiagnostiquées, sans obtenir toutefois de drastique diminution de la mortalité qu'on espérait, en grande partie parce que les formes graves des cancers échappent au dépistage et ne sont pas trouvées suffisamment tôt du fait de leur vélocité et agressivité.

A l'inverse la prévention, c'est à dire le fait d'empêcher, en amont, la survenue de cancers, diminuera l'incidence ainsi que la mortalité. Par exemple ne pas fumer correspond à une véritable prévention du cancer du poumon, à un moindre risque de cancer broncho-pulmonaire, ce qui conduira à produire moins de cancers dans la population et à voir un taux de mortalité moindre.
Pour le dépistage du cancer du col de l'utérus, on est en face d'un vrai dépistage préventif qui réduit lui aussi à la fois l'incidence du cancer (les nouveaux cas) et la mortalité spécifique par cancer du col, en détectant et éliminant des lésions qui sont précurseurs de ce cancer.

Les auteurs écrivent :

"À l'instar de la prévention primaire par des changements de mode de vie, tels que l'arrêt du tabac et une alimentation saine, les tests de 'dépistage préventif' présentent un attrait évident par rapport aux tests de détection précoce ; la plupart des gens choisiraient probablement un test de dépistage qui prévient le cancer dès le départ plutôt qu'un test où ils auront quand même le cancer sans toutefois mourir de ce cancer.
De nombreuses parties prenantes font la promotion des deux concepts sans expliquer les différences et leurs implications. Cela a pu conduire à des malentendus et à des attentes irréalistes chez les patients et les décideurs."

Les parties prenantes

Le corps médical

"Les personnes qui sont invitées à participer à des programmes de dépistage ou qui en voient la publicité supposent probablement que ces programmes bénéficient du soutien de la profession médicale, sur la base d'une évaluation approfondie qui a démontré que les bénéfices l'emportent indubitablement sur les préjudices et les inconvénients, et qu'ils "sauvent des vies". Cependant, cette hypothèse est malheureusement erronée. Étonnamment, sur les deux principaux programmes de dépistage précoce disponibles, seule la mise en œuvre du dépistage par mammographie a été précédée d'essais randomisés de soutien portant sur la mortalité par cancer du sein.5 En revanche, à la fin des années 1980, les professionnels de la santé ont commencé à promouvoir le test du PSA, avant que les conditions préalables fondamentales à l'évaluation du dépistage du cancer (déjà établies en 19686) n'aient été remplies pour le dépistage du PSA ; la performance du test de dépistage, l'histoire naturelle des lésions détectées et les avantages d'un traitement radical étaient largement inconnus.

Quelques décennies plus tard, des essais randomisés ont montré que le test du PSA n'avait qu'un faible effet bénéfique sur la réduction du nombre de décès dus au cancer de la prostate et que le surdiagnostic et le surtraitement du cancer de la prostate étaient importants.7 Pourtant, dans de nombreux pays, les médecins continuent de prescrire le dépistage du PSA.

Nous avons récemment publié les résultats du premier essai clinique randomisé (à notre connaissance) sur le dépistage du cancer colorectal par coloscopie.8 L'essai a indiqué une réduction de l'incidence du cancer colorectal d'environ 20 %, mais le dépistage n'a pas réduit la mortalité par cancer colorectal dans les analyses en intention de traiter. Ces résultats ont été moins remarquables que ce qu'attendaient certains leaders d'opinion. Leurs commentaires étaient émotionnels, reflétant peut-être le fait que les gastro-entérologues font partie des spécialités médicales les mieux payées aux États-Unis, principalement en raison de la mise en œuvre du dépistage par coloscopie."

Représentants des patients

"Les représentants des patients sont des lobbyistes convaincants qui apportent leur contribution aux décideurs, aux organismes de réglementation, aux cliniciens, aux journalistes et aux chercheurs. Ils s'opposent avec passion à l'abandon du dépistage du cancer et promeuvent des plans visant à étendre le dépistage à des groupes d'âge plus jeunes ou plus âgés, ou à augmenter la fréquence des dépistages. Bien que ces activités partent d'une bonne intention, elles peuvent s'avérer malavisées. La théorie selon laquelle la détection précoce du cancer est bénéfique est compliquée et n'est pas facile à comprendre pour les profanes. Bien que tout le monde connaisse les avantages d'un diagnostic précoce du cancer, cette expérience ne nous apprend pas grand-chose sur les bénéfices - et encore moins sur les préjudices - des tests de dépistage, tels qu'ils sont décrits ci-dessus.

Les défenseurs des patients se composent généralement d'un groupe sélectionné de survivants du cancer relativement sains - avec probablement une surreprésentation de patients surdiagnostiqués avec une maladie non mortelle qui se considèrent comme sauvés alors qu'ils ont en fait été lésés par le dépistage, un concept appelé le paradoxe de la popularité."

NDLR : le paradoxe du dépistage issu du livre "mammo ou pas mammo?" aux ed.T.Souccar, page 78

"Aux États-Unis, des estimations récentes indiquent que 1,5 à 1,9 million d'hommes ont été surdiagnostiqués avec un cancer de la prostate précoce - des patients qui ne peuvent tirer aucun bénéfice du dépistage mais qui pensent avoir évité la mort à cause du cancer de la prostate."

Organisations de lutte contre le cancer

"Les organismes de lutte contre le cancer et les organisations caritatives dépendent des campagnes pour obtenir des dons. Pour réussir, elles doivent rester visibles et apparaître pertinentes, positives et engagées. Dans cette optique, les sociétés de lutte contre le cancer promeuvent souvent le dépistage du cancer. Les préjudices dus à la stigmatisation psychologique du diagnostic, au surdiagnostic ou aux effets indésirables du traitement sont moins susceptibles d'être évoqués. Nous n'avons pas connaissance d'initiatives de la part des organisations de lutte contre le cancer visant à promouvoir la réduction ou l'abandon des programmes de dépistage du cancer qui se sont avérés peu ou pas bénéfiques. Les organisations de lutte contre le cancer contribuent donc à la poursuite du dépistage du cancer."

Les hommes politiques

"Les hommes politiques, les décideurs et les experts qui les conseillent doivent agir au milieu d'une tempête de lobbyistes. Ils doivent établir des priorités entre les innombrables possibilités d'améliorer la santé publique et un système de soins de santé surchargé. Ils doivent comparer les bénéfices à court terme et à long terme : le dépistage du cancer sauverait-il plus de vies à court terme que, par exemple, l'application de mesures antitabac ou la promotion d'un mode de vie sain ? Il est difficile d'imaginer qu'un homme politique s'attirerait davantage de voix lors des prochaines élections en proposant d'abandonner les programmes de dépistage du cancer en cours, perçus comme des services bénéfiques pour leurs électeurs ; il est plus intéressant de proposer de nouveaux programmes de dépistage. C'est pourquoi nous n'avons jamais entendu parler d'une campagne politique contre un test de dépistage du cancer."

Le personnel

"Les programmes de dépistage en cours consomment d'énormes ressources, financières et humaines. Aux États-Unis, les dépenses liées au dépistage du cancer s'élèvent à 40 à 80 milliards de dollars par an, employant des dizaines de milliers de professionnels de la santé et d'associés. Nous supposons qu'ils ne choisiraient guère cet emploi sans être optimistes quant aux avantages qu'ils en tireront. La menace de les mettre au chômage en abandonnant le programme susciterait probablement des protestations, notamment de la part de ceux qui participent au diagnostic, au traitement, à la réadaptation et à la surveillance à long terme après le dépistage."

Les solutions

"Un paradoxe fondamental prévaut dans la médecine du 21e siècle. Les traitements pharmaceutiques, les vaccins ou les dispositifs médicaux invasifs doivent généralement faire l'objet d'une évaluation des bénéfices et des risques dans le cadre d'essais cliniques randomisés avant de faire l'objet de recommandations et d'une mise en œuvre systématique. Même des preuves provisoires de nocivité peuvent entraîner le retrait du marché.
En revanche, le dépistage du cancer - qui inclut désormais de nouveaux tests de détection précoce des cancers multiples - peut être mis en œuvre sous la forme d'expériences humaines à grande échelle avant que l'on dispose d'informations de base sur les performances des tests, leurs avantages, leurs inconvénients et leur rapport coût-efficacité.9 Tous les acteurs mentionnés ci-dessus ont des conflits d'intérêts financiers et autres qui plaident en faveur de la poursuite du dépistage du cancer, malgré le peu d'éléments permettant de déterminer si les bénéfices l'emportent sur les risques. Nous proposons que les conflits d'intérêts soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Pour éviter les dommages et augmenter les bénéfices, nous pensons que les représentants des soins de santé et les experts doivent être honnêtes, transparents et impartiaux sur les bénéfices et les risques du dépistage, exprimés d'une manière qui permette une réelle prise de décision partagée. Pour les décideurs et les payeurs qui décident si un test de dépistage doit être remboursé ou si un programme de dépistage doit être mis en place, les coûts marginaux comparés aux bénéfices et aux risques marginaux, en chiffres absolus, sont une condition préalable à une prise de décision éclairée.

Les lignes directrices relatives au dépistage du cancer sont souvent élaborées par des professionnels du dépistage, des organisations de dépistage et des représentants des patients, qui ont des intérêts particuliers. Nous proposons que les lignes directrices en matière de dépistage n'autorisent pas les personnes ou les organisations ayant des intérêts cliniques, financiers ou intellectuels à jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration des lignes directrices. Cela permettrait d'améliorer la qualité et la fiabilité des recommandations. Une récente ligne directrice sur le dépistage du cancer colorectal respectant ces normes a donné lieu à des recommandations moins enthousiastes en matière de dépistage, mais a été ignorée par de nombreux professionnels de la santé impliqués dans les programmes de dépistage et par les sociétés de dépistage.10

Les taux de participation au dépistage* ne doivent plus être utilisés comme un indicateur de qualité ou pour contrôler les performances des médecins ou des programmes. Les professionnels de la santé, les représentants des patients et les sociétés de lutte contre le cancer devraient suivre cette voie en plaidant pour une information transparente sur les bénéfices et les risques plutôt que pour une promotion non critique du dépistage. Les décisions de reconsidérer les programmes en cours ou d'en lancer de nouveaux doivent être prises sans l'influence de parties prenantes ayant des intérêts particuliers."

NDLR : en France les taux de participation sont un indicateur largement utilisé pour évaluer les programmes, et les incitations financières par l'intermédiaire de la ROSP sont toujours en vigueur.
Lire : https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

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Références

1.

Bretthauer  M, Wieszczy  P, Løberg  M,  et al.  Estimated lifetime gained with cancer screening tests.   JAMA Intern Med. Published online August 28, 2023. doi:10.1001/jamainternmed.2023.3798
ArticleGoogle Scholar

2.

Prasad  V, Lenzer  J, Newman  DH.  Why cancer screening has never been shown to “save lives”—and what we can do about it.   BMJ. 2016;352:h6080.PubMedGoogle Scholar

3.

Gigerenzer  G.  Full disclosure about cancer screening.   BMJ. 2016;352:h6967.PubMedGoogle Scholar

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Lutter contre le surdiagnostic

Lutter contre le surdiagnostic créera des soins de santé plus durables pour les populations et la planète

Il nous faut prendre conscience que l'usage de tests de diagnostics et de dépistages excessifs conduit à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies, ce qui peut nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire également à la planète.

Les auteurs* de ce billet publié dans le BMJ alertent pour une prise de conscience par le public et les législateurs pour la lutte contre le surdiagnostic.

De nombreux systèmes de soins de santé dans plusieurs pays font face à des crises de demandes abusives, à une augmentation constante des maladies chroniques, à des coûts croissants et sont confrontés à un déficit de main-d’œuvre médicale qui menacent leur fonctionnement.

Une partie de l’augmentation de la prévalence (c'est à dire une augmentation du nombre de nouveaux cas et de cas existants) de « maladie » est due au surdiagnostic.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
Et : https://cancer-rose.fr/2023/01/09/le-surdiagnostic-des-cancers-un-defi-a-lere-du-depistage/
On estime que 30 % des soins médicaux sont de faible valeur ou gaspillent des ressources de santé. On estime que le secteur de la santé est responsable de plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, ce qui est une autre façon dont les soins de faible valeur menacent la santé.

La flambée des coûts des soins de santé et le fardeau des traitements déraisonnables pour les patients, liés à l ’épuisement professionnel du personnel de santé et les dommages pour la planète doivent nous conduire à plus de réflexion et de discussion sur les ressources financières, humaines, sociétales et planétaires limitées disponibles et sur une meilleure répartition des ressources existantes.

Les auteurs écrivent : "Les crises actuelles dans la prestation des soins de santé sont exacerbées par le vieillissement de la population et la multimorbidité associée. Les décideurs politiques, les politiciens et le public doivent comprendre comment même les efforts bien intentionnés pour fournir des soins de santé plus nombreux et de meilleure qualité amplifient et renforcent inévitablement ces crises par le surdiagnostic, la surmédicalisation et le surtraitement,"

L'enjeu d'une meilleure médecine se porte surtout sur la perinence des soins prodigués à la population.

Contrôle des soins de santé en excès

La réduction du surdiagnostic est une première étape essentielle pour contrôler l’excès de soins de santé.
Pour ce faire, disent les auteurs, la santé publique est la mieux placée pour revoir les programmes de dépistages dont plusieurs ne fonctionnent pas, ne sont plus recommandés ou deviennent obsolète de par le fait que les traitements contre la maladie sont plus efficaces que de dépister tout une population saine au risque de l'exposer à de la surmédicalisation.

De plus, ajoutent-ils, le concept de surdiagnostic devrait être enseigné dans le cadre de soins de santé fondés sur des données probantes dès les premiers stades de la formation médicale.
Des ressources éducatives sur le surdiagnostic, sur l'utilisation de données probantes et la pensée critique devraient également être offertes aux législateurs, aux décideurs politiques ainsi qu’aux patients et au public. Il faut communiquer plus largement sur l’ampleur du surdiagnostic, en illustrer le coût humain, par exemple, proposent les rédacteurs de cet article, en mettant des visages et des histoires individuels sur des concepts et des données abstraits.

Les programmes de dépistage établis devraient être réévalués à la suite du développement d'une prévention primaire efficace, et en raison, comme nous le disions plus haut, de la disponibilité de meilleurs traitements pour les maladies symptomatiques.

Par exemple, à mesure que la prévalence du tabagisme diminue, l’incidence du cancer du poumon diminue. Ceci a des répercussions sur la balance entre bénéfices et risques liés au programme de dépistage du cancer du poumon, dont la pertinence est à revoir, ou les populations ciblées.

En conclusion

"Notre culture médicale mondiale a conduit à des tests de diagnostic excessifs, à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies qui peuvent nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire à la planète.
Nous en appelons aux autorités locales, aux décideurs nationaux et internationaux pour prendre conscience de ces problèmes et prendre des mesures urgentes pour les résoudre. Ce n’est qu’alors que nous pourrons espérer créer des soins de santé plus durables à l’avenir."

*Les auteurs

  1. Thomas Kühlein1,  
  2. Helen Macdonald2,  
  3. Barnett Kramer3,  
  4. Minna Johansson4,  
  5. Steven Woloshin45,  
  6. Kirsten McCaffery6,  
  7. John B. Brodersen7,  
  8. Tessa Copp8,  
  9. Karsten Juhl Jørgensen9,  
  10. Anne Møller10,  
  11. Martin Scherer11
  12. for the Scientific Committee of the Preventing Overdiagnosis Conference

  1.      1Institute of General Practice, Universitätsklinikum Erlangen, Germany
  2. 2The BMJ, London, United Kingdom
  3.     3The Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine Norwich, VT/USA
  4.   4Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg, Sweden
  5. .     5Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice, Lebanon, NH/USA
  6. .     6Sydney Health Literacy Lab, Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  7.     7Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand and Research Unit for General Practice, Department of Community Medicine, Faculty of Health Sciences, UiT The Arctic University of Norway, Tromsø Odense University Hospital Odense, Denmark and Cochrane Collaboration, Oxford, United Kingdom
  8. .     8Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  9.     9Herrestads Healthcare Centre, Närhälsan, Denmark; Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg Denmark; University, FoUUI Fyrbodal, Cochrane Sweden
  10.    10Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand, Denmark
  11.   11Institut and Polyclinic of General Practice, Universitätsklinikum Hamburg Eppendorf, Hamburg, Germany
  12.    12Preventing Overdiagnosis Conference.

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Communication des risques : être impartial pour le bien des patients

Par Cancer Rose, 18 juin 2023

A partir d'un article du BMJ, paru le 16 juin 2023

Quel est mon risque, docteur ? Comment communiquer le risque de maladie et les effets du traitement

Michael Bretthauer, Mette Kalager, Clinical Effectiveness Research Group, Université d'Oslo, Norvège
the bmj | BMJ 2023;381:e075289 | doi : 10.1136/bmj-2022-075289
https://www.bmj.com/content/381/bmj-2022-075289.full

Les auteurs introduisent l'article sur la base d'un exemple concret, qui servira pour illustrer leur propos :

Mme Olsen est une femme de 65 ans qui souffre d'hypercholestérolémie et d'hypertension. Son médecin lui dit qu'elle peut réduire son risque d'accident cardiovasculaire majeur de 50 % si elle prend une statine. "C'est génial", pense-t-elle, "50 % de réduction, c'est beaucoup !" Elle se sent alors contente et bien informée, et prévoit de prendre la statine.

Une fois rentrée chez elle, elle se souvient de sa récente conversation avec un concessionnaire automobile (elle avait vraiment besoin d'une nouvelle voiture). Il lui a dit que le prix d'une voiture qu'il avait en stock avait été réduit de 15 %. C'est peut-être une bonne affaire, pense-t-elle, et elle demande le prix de la voiture. Malheureusement, il était beaucoup trop élevé, même avec la réduction de 15 %. Elle a pensé que le concessionnaire n'avait pas été honnête puisqu'il ne lui avait pas annoncé le prix d'emblée, mais seulement la réduction.

Le risque de maladie et d'effets du traitement est exprimé de plusieurs manières : de façon relative ou absolue, en pourcentages, en risques ou en ratios de probabilité ("odds ratios"). Certaines sont plus informatives que d'autres, et les plus fréquemment utilisées sont souvent difficiles à comprendre.
Cet article explique comment communiquer les bénéfices, les dommages et le fardeau des interventions aux patients et à la société de manière informative, et propose des conseils pour communiquer les risques absolus et relatifs en consultation avec les patients, les collègues et les décideurs politiques.

Ce qu'il faut savoir

- Les effets relatifs des traitements sont souvent évoqués dans les entretiens avec les patients, les revues scientifiques et les médias, mais, utilisés seuls pour guider la prise de décision, ils sont insuffisants et potentiellement trompeurs.

- Les effets absolus des traitements, associés au risque absolu de la maladie que l'on souhaite prévenir ou traiter, sont plus instructifs et doivent être utilisés dans ce cas.

- Les discussions concernant les seuils pour le risque absolu de maladie et les effets absolus du traitement sont importantes lors des rencontres avec les patients et ailleurs dans le système de soins de santé.

Mais quelle est la différence entre un risque absolu et un risque relatif ?

Nous ouvrons ici un chapitre afin de donner d'abord quelques définitions et un exemple concret pour comprendre la suite de l'exposé.

  • Risque absolu (RA) : nombre d’évènements survenus sur l'effectif global du groupe 
  • Risque relatif (RR) :  rapport entre le risque du groupe traité (intervention)/groupe de référence (ou témoin) 
  • La réduction du risque relatif : se calcule par 1-RR
  • La réduction du risque relatif exprime le bénéfice, l’efficacité de l'intervention.

Appliquons cela dans un exemple concret :

On réalise un essai clinique sur un nouvel anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), le groupe 1 est le groupe testé (ou groupe intervention) avec nouveau médicament.
Le groupe 2 est le groupe de référence (ou témoin) avec l'ancien AINS.

Le risque absolu d'avoir un ulcère d'estomac avec le nouvel AINS est de 20 ulcères/300 personnes ; le risque absolu d’ulcère pour le groupe intervention (groupe 1) est donc de 6,6%.

Le risque absolu de connaître un ulcère avec l'ancien AINS est de 35 ulcères/300 personnes ; le risque absolu d'ulcère pour le groupe témoin (groupe 2) est donc de 11,6%

Le risque relatif est le rapport entre les deux groupes, le groupe testé/groupe référence : 6,6%/11,6% = 0,57

La réduction du risque relatif est, comme nous l'avons vu dans les définitions, 1-RR ; elle est ici donc de 1-0,57 = 0,43

Ce qui signifie que le traitement testé réduit de 43% l’évènement ulcère.
Ce chiffre est une expression en termes de réduction de risque relatif, c'est à dire en comparant deux groupes.
MAIS en valeurs absolues, il y a 7 évènements pour 100 personnes dans le groupe testé ; et environ 12 évènements dans le groupe de référence pour 100 pers.
Le médicament réduit le risque ulcéreux pour 5 personnes/100

Vous voyez donc que les nombres absolus sont plus clairement représentatifs que les pourcentages, mais beaucoup moins spectaculaires et moins "média-géniques"...

Revenons à l'article :

Confiance et prise de décision partagée

La confiance dans les médecins et les professionnels de la santé est fondamentale pour des échanges informatifs avec les patients et l'adhésion ultérieure des patients au traitement et aux soins.1 La confiance des patients et du public dans les médecins est élevée, bien que des rapports aient indiqué un déclin ces dernières années, avec des variations entre les pays et les environnements de soins.2 Pourtant, dans le cas de nombreux échanges avec les patients en médecine, nous, médecins, ne fournissons pas les bénéfices et les dommages absolus des interventions que nous recommandons. Souvent, nous ne fournissons des informations que sur le gain (la réduction du risque relatif) pour la maladie, et nous attendons des patients qu'ils prennent des décisions en connaissance de cause, alors qu'en fait ils ne disposent pas de toutes les informations pertinentes pour le faire.1

En tant que médecins, nous visons une prise de décision partagée lors des consultations, alors pourquoi rendons-nous les choses si difficiles pour les patients3 ? En 2012, un stagiaire en première année de médecine a estimé dans The BMJ que "de nombreux médecins ne connaissent pas les bénéfices réels des médicaments qu'ils prescrivent ou ne comprennent pas les implications statistiques de base de la réduction du risque absolu par rapport au risque relatif "4 Nous pensons que la situation est similaire aujourd'hui.

Les idées fausses et le manque de connaissances des médecins et des décideurs politiques sur les risques absolus et relatifs entravent la prise de décision partagée et empêchent un consentement véritablement éclairé. D'après notre expérience, l'utilisation des risques et bénéfices relatifs domine encore les échanges des médecins avec les patients, ainsi que les discussions entre médecins dans les services et les cliniques sur les thérapies et les interventions. Le plus souvent, ce n'est pas intentionnel, mais plutôt inconscient, en raison des normes culturelles qui entourent le conseil aux patients et du manque de formation à l'interprétation et à la transmission des chiffres relatifs aux risques.

Alors....

Comment communiquer les risques, les bénéfices et les dommages

Une prise de décision appropriée nécessite une discussion sur les résultats pertinents pour le patient et une communication réfléchie de quatre éléments, que nous décrivons ci-dessous à l'aide du cas de Mme Olsen :

1. Quel est le risque absolu de la maladie en l'absence de traitement ?
Dans le cas de Mme Olsen, qui souffre d'hypertension et d'hypercholestérolémie et pour laquelle un traitement par statines est envisagé, quel est son risque (par exemple, dans les 10 ou 15 prochaines années) de subir un événement cardiovasculaire majeur (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral) en l'absence de statines ?

2. Quel est le bénéfice du traitement en question pour réduire ce risque ?
Il peut s'agir d'une différence de risque absolue ou d'une réduction du risque relatif.

Quelle est la réduction du risque pour Mme Olsen de développer un événement cardiovasculaire majeur dans les 10 ou 15 prochaines années avec des statines, par rapport à l'absence de statines ?

3. Quel est le risque absolu de la maladie avec le traitement ?
Quel est le risque pour Mme Olsen de développer un événement cardiovasculaire majeur dans les 10 ou 15 prochaines années avec les statines ?

4. Quels sont les risques absolus de dommages et quelle est la charge du traitement ?
Quel est le risque absolu de dommages et d'effets secondaires (par exemple, diarrhée ou douleurs musculaires) liés à la prise d'une statine pour Mme Olsen au cours des 10 ou 15 prochaines années, et quelle est la contrainte que représente pour elle la prise du traitement (par exemple, les coûts, les rendez-vous de contrôle, les tests en aval, et la manière dont le traitement par statine peut affecter sa qualité de vie en raison de la crainte potentielle d'être exposée à un risque de maladie8) ?

Si on doit être brefs, il convient d'utiliser les chiffres absolus parce que les effets relatifs peuvent être calculés à partir de ces chiffres, mais pas l'inverse.

Rencontre avec la patiente, Mme Olsen

En appliquant les principes ci-dessus et en ajoutant des exemples numériques, une rencontre informative avec Mme Olsen comprendrait les éléments suivants :

- Premièrement, estimer son risque absolu d'événement cardiovasculaire, par exemple en utilisant un calculateur de risque sur 10 ans.11 Sur une période de 10 ans, son risque d'avoir une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral est d'environ 6 %

- Deuxièmement, appliquer la réduction attendue au risque absolu estimé (6 %). Supposons que la réduction de 50 % suggérée par son médecin soit exacte (bien qu'elle soit plutôt de l'ordre de 20 à 25 %12), la réduction de son risque de moitié lui donnerait une différence de risque de 3 %.

- Troisièmement, lui dire que son risque d'avoir un événement cardiovasculaire majeur est de 3 % si elle choisit d'utiliser une statine.

- Quatrièmement, l'informer de la fréquence absolue des effets secondaires du traitement par statine, par exemple un risque de 5 % de douleurs musculaires et de 10 % de troubles digestifs, tels que constipation, diarrhée ou ballonnements.

Nous rouvrons ici une parenthèse pour parler de la présentation du risque de décéder dans le cadre du cancer du sein, et la présentation qui en est faite sur les sites officiels français et lors des campagnes de dépistage.

le dépistage du cancer du sein

Très fréquemment, notamment sur les sites officiels vous lirez que le dépistage réduit de 20% le risque de décéder du cancer du sein. Qu'en est-il ?

Reprenons la méta-analyse d'un collectif de chercheurs nordiques (Cochrane)-
2000 femmes ont effectué une mammographie de dépistage à partir de 50 ans et cela pendant 10 ans. Au terme de ces 10 ans, 4 femmes étaient mortes d’un cancer du sein.
Pour pouvoir comparer, une projection est faite pour 2000 femmes à partir de 50 ans ne se soumettant pas au dépistage. Les deux groupes sont comparables car ont les mêmes caractéristiques (âge, profil physiologique etc..).
Dans ce groupe non dépisté, 5 femmes sont mortes d’un cancer du sein.
Appliquons nos calculs :
Groupe testé/groupe témoin : 4 décès sur 2000/ 5décès sur 2000 = 0,8 ;
La réduction du risque relatif est ici de 1-0,8 = 0,2 = 20%
Voilà d'où vient cette valeur toujours mise en avant.

Mais quel est réellement le bénéfice pour une femme de se faire dépister?
C’est le bénéfice absolu qui nous le donne. Sur les 2000 femmes qui se feront dépister, 1 seule verra son cancer dépisté plus tôt et donc sa vie sauvée ( 5 décès – 4 décès).

20% de bénéfice relatif, 0.05% de bénéfice absolu.
Si on avait opté pour une présentation honnête nous aurions dû lire dans les documents d'information :

 » Les programmes de dépistage permettent de réduire le nombre de décès par cancer du sein. Selon les chiffres issus d’études internationales, cette réduction est estimée aux alentours de 0,05 %. »

Quand bien même il y a 20% de réduction du risque relatif, il faut considérer cette donnée selon le risque absolu de décéder en fonction de l'âge des personnes.
En France en 2010 par exemple, le risque absolu de mourir par cancer du sein était d'environ 4% dont 1,9% chez les femmes entre 50 et 79 ans. Réduire de 20% un risque de mourir déjà très faible n'est pas extraordinaire, et doit être mis en balance avec le risque de connaître un effet adverse du dépistage.

La présentation en fréquences absolues, de plus, permet la conception de pictogrammes visuels, et ce sont eux qui permettent une meilleure communication au public, et une bonne compréhension de la part des patients.
Comme cet outil d'aide à la décision, ici, élaboré sur la base de la méta-analyse Cochrane.

Fermons cette parenthèse, les auteurs de l'article s'interrogent à présent sur la pertinence d'agir sur le risque et surtout sur le moment à partir du quel il serait pertinent d'agir sur le risque.

Quand agir sur le risque ?

Transmettre des risques absolus et des réductions de risque au lieu de chiffres relatifs moins informatifs nécessite une formation et une communication éclairée. La question la plus difficile reste cependant la suivante : à quel niveau doit se situer le risque d'une maladie ou d'une affection pour que l'on puisse agir, compte tenu d'une certaine réduction de ce risque grâce à une thérapie ou à un traitement ? Il est plus difficile d'établir des seuils pour savoir quand agir, car cela dépend des valeurs et des préférences individuelles et sociétales.

Au niveau du patient, il est important de comprendre les perceptions et les préférences personnelles concernant les bénéfices et les dommages des interventions visant à réduire un certain risque de maladie. Mme Olsen peut être intéressée par un risque de 6 % d'événement cardiovasculaire, mais elle ne se soucierait peut-être pas d'entreprendre un traitement si son risque était de 3 %. D'autres patients peuvent voir les choses différemment et seraient prêts à commencer à prendre des statines avec un risque plus faible que celui de Mme Olsen.

Bien que les calculateurs de risques de maladies futures s'améliorent et puissent prédire le risque individuel de manière assez précise pour certaines maladies, ils sont encore insuffisants pour beaucoup d'autres. Des collections de calculateurs de risques et d'aides à la décision sont disponibles en ligne pour les médecins et les patients, comme l'initiative "Care that fits" de la Mayo Clinic (http://carethatfits.org).

Toutefois, certains patients peuvent accepter ou refuser de suivre un traitement ou une action sans tenir compte du cadre et des faits relatifs aux risques et aux effets, et fonder leur décision sur d'autres facteurs, tels que l'expérience de membres de leur famille atteints de la maladie en question, ou les contraintes financières liées aux frais de prescription.13 14

La stratégie pour les patients individuels (comme Mme Olsen) utilisant les quatre caractéristiques décrites peut également être appliquée à la prise de décision au niveau de la société. De nombreux systèmes de santé proposent des interventions, des tests et des traitements remboursés. La plupart des systèmes de santé publique disposent également de lignes directrices prioritaires et de répertoires établis d'options thérapeutiques, qui sont proposés à la population. Ces priorités doivent tenir compte du risque absolu et de la réduction du risque.

Communiquer les risques et les effets des traitements

Nous pensons que les publications scientifiques ont leur part de responsabilité dans l'insuffisance de l'information fournie aux patients sur les risques liés aux maladies et les effets des traitements. Les estimations des effets relatifs, telles que les rapports de risque, les risques relatifs ou les ratios de probabilité, apparaissent couramment dans les rapports d'études d'observation et d'essais cliniques depuis des dizaines d'années. De nombreux rapports scientifiques mettent en évidence les effets relatifs,5 6 alors que les chiffres absolus sous-jacents sont difficiles à déterminer, car ils nécessitent souvent des compétences et du temps qui ne sont pas à la disposition de la plupart des cliniciens.

Dans un essai pivot sur le dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie au Royaume-Uni en 2017, le principal résultat a été rapporté comme "l'incidence du cancer colorectal a été réduite de 26 % (rapport de risque 0,74 ; intervalle de confiance à 95 % 0,70 à 0,80 ; P<0,0001)".7 L'essai a influencé la décision d'introduire le dépistage du cancer colorectal dans la population au Royaume-Uni.
Bien que le rapport de l'essai ne soit pas incorrect, le rapport de risque ne suffit pas à lui seul à fonder une décision éclairée sur l'opportunité d'introduire le dépistage. Dans ce cas, la décision doit prendre en considération les risques absolus de cancer colorectal auxquels s'applique la réduction du risque relatif rapportée.
(NDLR : en effet, il faut considérer le risque de base de la personne ; 25% de réduction du risque relatif par le dépistage reste une réduction faible chez les personnes présentant un risque de base déjà faible de faire un cancer colorectal. Les préjudices de ce dépistage sont susceptibles de l'emporter largement sur un maigre bénéfice)

La couverture médiatique des nouvelles interventions médicales suit rapidement la publication des résultats des essais et transmet généralement au public les effets relatifs présentés dans l'article scientifique. Cela peut être intéressant, car les effets relatifs semblent souvent plus impressionnants que les effets absolus et attirent davantage l'attention. Mais cela ne fournit pas d'informations impartiales et ne permet pas de prendre les bonnes décisions. Si les revues scientifiques occultent la réduction du risque absolu au profit d'effets relatifs apparemment plus importants et plus attrayants, il est compréhensible que les médias s'en emparent et présentent ce côté de l'histoire.

Conclusion des auteurs

De notre point de vue, aucune situation en médecine clinique ne tire bénéfice de l'utilisation de différences relatives au lieu de différences absolues pour la compréhension dans les conversations entre les médecins et les patients, ou entre les médecins lorsqu'ils discutent des options de traitement pour un patient.
Dans les discussions sur ce qu'un système de soins de santé devrait offrir, l'utilisation de chiffres absolus est cruciale pour garantir des soins équitables. Les risques absolus et les réductions absolues de risques doivent être utilisés dans la communication avec les patients, les collègues, les décideurs et les médias. Les réductions relatives peuvent être utilisées en plus des réductions absolues pour illustrer ou exemplifier, mais seulement en plus et non à la place des effets et des risques absolus.

L'éducation dans la pratique

- Entraînez-vous à trouver et à transmettre les risques absolus de maladie pour votre patient, ainsi que les effets absolus de tout traitement que vous envisagez de recommander.

- Discutez avec vos patients de l'importance du risque pour qu'un certain traitement soit intéressant. Quels sont les facteurs susceptibles d'influencer leur décision ?

Bref, il s'agit bien de décision partagée avec le patient dont parlent ces auteurs.

Commentaire Cancer Rose

Le nouveau livret de l'Institut National du Cancer persiste dans ce travers que la concertation citoyenne lui avait déjà reproché, à savoir une présentation en valeurs relatives, mettant en avant les 20% de réduction de mortalité. Nous en parlons ici : https://cancer-rose.fr/2022/10/15/le-nouveau-livret-de-linca/

Or les femmes doivent maintenant être informées complètement et dûment, selon les exigences de la concertation citoyenne, et ce jusqu'au bout de leur vie de dépistée.

Pour les journalistes

Un site utile :

site Winton Risk communication Center , avec outil de conversion du risque relatif en risque absolu, à destination des journalistes.

https://realrisk.wintoncentre.uk

RealRisk est un outil en ligne destiné aux attachés de presse et aux journalistes qui travaillent à la communication de la recherche sur les risques dans le domaine de la santé et des sciences sociales.

Les titres des journaux regorgent des dernières recherches sur les risques : les aliments liés au cancer, les modes de vie qui favorisent les maladies cardiaques, les médicaments qui augmentent le risque de caillots sanguins, les habitudes associées à une mauvaise santé mentale. Les articles écrits sur ces questions sont souvent effrayants et les chiffres utilisés sont souvent trompeurs.

RealRisk convertit les statistiques spécialisées souvent utilisées pour rendre compte des conclusions de recherches - notamment les risques relatifs, les rapports de cotes et les rapports de dangerosité - en risques absolus, plus facilement compréhensibles par tous. Les risques absolus qui en résultent sont présentés sous forme de texte, de tableaux d'icônes et de diagrammes à barres dont l'utilisation est gratuite.

 Nous voulons encourager les attachés de presse et les journalistes à rendre compte des "risques sanitaires" à l'aide de chiffres largement compréhensibles et qui ne provoquent pas d'anxiété inutile.

https://wintoncentre.maths.cam.ac.uk/resources/resources-journalists/

https://wintoncentre.maths.cam.ac.uk/resources/medicine/

Références utilisées par les auteurs

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9  Helsingen LM, Vandvik PO, Jodal HC, etal. Colorectal cancer screening with faecal immunochemical testing, sigmoidoscopy or colonoscopy: a clinical practice guideline. BMJ 2019;367:.
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10  Bielawska B, Dubé C. Colorectal cancer screening: it is not time for a radical shift. CMAJ 2020;192:-2. doi: 10.1503/cmaj.191566 pmid: 31971514

11  BMJ Best Practice. Evidence-based medical calculators. https://bestpractice.bmj.com/calculators

12  Cholesterol Treatment Trialists’ Collaboration. Efficacy and safety of statin therapy in older people: a meta-analysis of individual participant data from 28 randomised controlled trials. Lancet 2019;393:-15. doi: 10.1016/S0140-6736(18)31942-1 pmid: 30712900

13  Usher-Smith JA, Mills KM, Riedinger C, etal. The impact of information about different absolute benefits and harms on intention to participate in colorectal cancer screening: a think-aloud study and online randomised experiment. PLoS One 2021;16:e0246991.
doi: 10.1371/journal.pone.0246991 pmid: 33592037

14  Rosenbaum L. Invisible risks, emotional choices-mammography and medical decision making. N Engl J Med 2014;371:-52. doi: 10.1056/NEJMms1409003 pmid: 25317876

15  Appleby J, Devlin N, Parkin D. NICE’s cost effectiveness threshold. BMJ 2007;335:-9. doi: 10.1136/bmj.39308.560069.BE pmid: 17717337

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Les non-maladies, un livre de Luc Perino

27 avril 2023

Luc Perino est médecin, écrivain, propriétaire du blog Le Monde "pour raisons de santé", et du blog https://www.lucperino.com/ et il vient de publier un essai "Les non-maladies : la médecine au défi" aux éditions du Seuil.

Situations de rencontres patient-médecin

A notre époque où on traite de plus en plus des personnes saines et ne se plaignant de rien, où on fait croire au public que même un bien-portant a besoin de soins et où la médecine fait la collusion entre diagnostic et maladie, L'auteur propose 4 situations bien distinctes de rencontres patient-médecin, qu'il détaille dans l'ouvrage.

  • La première catégorie de rencontre est la situation parfaite, où il y a adéquation entre les plaintes du malade et la labellisation médicale. Les symptômes vont bien correspondre à une maladie étiquetée et déboucher sur un traitement.
  • La deuxième catégorie, les MNO ou maladies non objectivables, est un trouble vécu par le malade mais pour lequel la médecine ne parvient pas à élaborer de diagnostic. La médecine tente néanmoins de regrouper ces symptômes et de labelliser certains syndromes, comme la fibromyalgie, le trouble du déficit de l'attention, phobie sociale, syndrome de l'intestin irritable, syndrome prémenstruel, troubles musculo-squelettiques etc....
    Selon l'auteur : "Lorsque les symptômes sont assez prévalents dans la population et similaires d'un patient à l'autre, le commerce médical créé un nouvel objet-maladie en rupture totale avec le précepte anatomo-clinique."
    "D'autres maladies non objectivables ont été secondairement acceptées par la médecine académique et intégrées dans les classifications officielles des objets-maladie sous la seule pression du marché, après la découverte d'un médicament. Le cas emblématique est celui de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge)."
  • Les objets non-maladie, composant la troisième ligne, sont définis par l'auteur dans un interview accordé à La Nutrition :
    "C’est le cas, par exemple, où vous allez très bien. Vous n’avez ni plainte, ni souffrance, mais un beau matin, vous recevez une invitation pour un dépistage pour tel ou tel cancer. Vous n’y pensiez pas avant. Vous allez donc vous soumettre au dépistage, pensant qu’il est bon pour vous. Peut-être qu’on va vous trouver quelque chose, comme une minuscule image suspecte dans le sein. Cette maladie qui vous est « proposée » par la médecine elle-même, voilà ce que j’appelle les « non-maladies ». Cet objet ne vous concerne pas, mais la médecine vous propose un diagnostic. Cette intrusion peut être considérée comme abusive, et elle l’est assez souvent."
    Car ces objets non-maladie, comme l'hypercholestérolémie, le syndrome métabolique, et les surdiagnostics des dépistages systématiques ont un réel impact dans la vie d'une personne.
  • Enfin, dans la quatrième catégorie se trouvent les 'hors-sujets sanitaires'. Il s'agit par exemple du vieillissement, la calvitie, la demande de beauté, enfin ces rencontres patient-médecin qui ne relèvent pas du registre de la santé à proprement parler, qui ne sont, selon l'auteur, " des extensions de la pratique médicale, consistant non plus à réparer le corps mais à tenter de l'améliorer".
    "L'exigence démesurée des consommateurs, les contraintes juridiques et administratives, le niveau de compétition, la tyrannie du paraître et tant d'autres facteurs sociétaux conduisent les citoyens dans les cabinets médicaux."

La fabrication des ONM, objets non-maladies

Ce chapitre nous a intéressés en premier lieu, les découvertes de lésions par les dépistages avec leur lot de surdiagnostics s'insérant dans cette catégorie.

L'obsession diagnostique est déplacée en amont de la maladie et l'idée générale pour l'instauration des dépistages est, dit l'auteur, "de ralentir ou de stopper l'évolution du processus physio-pathologique avant l'apparition des symptômes, donc avant que la maladie ne devienne clinique".

Cet espoir repose sur deux dogmes :

  • Dogme de la continuité physiopathologique, selon lequel un cancer évoluerait de façon inexorable de la cellule aux métastases, que l'athérosclérose aboutirait immanquablement à l'obstruction d'une artère etc...
  • Dogme de l'équivalence du soin pré-symptomatique, qui part du principe que le traitement administré lors des symptômes se montrera aussi efficace administré en amont, avant l'apparition des signes. Comme fluidifier le sang avant l'accident vasculaire, traiter l'ostéoporose avant la fracture, donner des neuroleptiques avant l'apparition de délires, et ôter tout cancer solide non symptomatique avant sa manifestation clinique.
    "Malgré la multiplication des exemples prouvant l'inefficacité ou la dangerosité de certaines préventions pharmacologiques primaires", dit l'auteur, "celles-ci continuent à gagner du terrain sous l'influence des deux dogmes précités."

Nous devons nous considérer comme des porteurs sains, explique Luc Perino, de gènes de prédisposition et de facteurs de risque, dont on ne sait que faire puisque ne sachant pas si on a découvert alors des maladies réelles, virtuelles ou potentielles. En réalité ce ne sont que des objets non-maladie.

Lire les différents modèles de progression du cancer : https://cancer-rose.fr/2021/02/24/cancers-et-depistages/

Et notre vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=pbGZdyUCITc

Objets non-maladie, les surdiagnostics et les incidentalomes

1° Les incidentalomes, ce sont des découvertes fortuites, lors d'examens para-cliniques, d'anomalies inexprimées qui n'ont rien à voir avec les symptômes ou la maladie pour lesquels ces examens ont été prescrits, et souvent qui ne siègent même pas dans l'organe qui était l'objet des explorations.

Souvent, comme l'explique l'auteur, "ces incidentalomes conduisent à de nouvelles « vérifications ». Vous allez entrer dans une spirale d’examens et une chaîne ininterrompue entre commerce médical et angoisses."
En effet, "les incidentalomes sont trouvés dans près de 40% des examens d'imagerie médicale, ils suscitent des interrogations nécessitant de nouveaux examens de contrôle qui génèrent à leur tout un lot incompressible d'incidentalomes".

Ainsi on trouve des nodules surrénaliens silencieux, des nodules pulmonaires non spécifiques, très fréquemment, dont certains sont surveillés parfois pendant plusieurs années. Certaine de ces découvertes aboutissent à des faux positifs de cancers, et d'autres à des découvertes inutiles générant du surdiagnostic, objet du prochain paragraphe.

2° Le surdiagnostic, c'est la découverte inutile d'une lésion contenant vraiment des cellules cancéreuses sous le microscope, mais qui n'aurait jamais mis en danger ni la santé ni la vie du patient si elle n'avait pas été découverte.

Voir ici pour définition et explication : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

"Alors même que les autorités de santé de tous les pays déconseillent le dépistage par PSA(Antigène Prostatique Spécifique), même chez les patients avec facteurs de risque, la moitié des médecins ignorent cette recommandation ou se heurtent à des patients qui la réclament. Le problème est plus délicat pour le sein et la polémique continue, alors que 30% à 50% des diagnostics sont inutiles ou erronés."
"On a de bonnes raisons de supposer qu’il en sera de même pour le cancer du côlon. En France, nous n’en sommes pas encore là. En revanche, pour le cancer de la thyroïde, je suis très clair : 98% des interventions de la thyroïde pour cancer sont inutiles."

L'auteur s'exprime également sur un nouveau dépistage, à l'étude, celui du cancer broncho-pulmonaire par scanners faibles doses :
"Pour certains dépistages, comme celui du cancer du poumon que certains essaient activement de promouvoir, nous possédons déjà suffisamment de données pour savoir qu’il aura un effet délétère. Cela pourra diminuer les incitations à ne pas fumer ou à cesser de le faire. On sait aussi que le diagnostic de ce mauvais cancer élève sensiblement le taux de suicide. Un tel dépistage aura bien du mal à prouver un effet bénéfique en termes de santé publique, mais la machine est en marche et certains pays finiront par le proposer. Pour moi, ce énième dépistage relève d’un ensemble de commerces scandaleux qui jouent sur l’angoisse et l’idée mensongère qu’on peut supprimer ce fléau sans supprimer le tabac. Je trouve cela éthiquement honteux. "
A ce propos lire : https://cancer-rose.fr/2021/02/24/etre-femme-et-tabagique-des-rayons-en-perspective/

La confusion entre dépistage et prévention est totale et ainsi "de nombreux bien-portants se sentent malades. C'est un curieux paradoxe largement entretenu par les médias qui ne cessent de ressasser tous les risques qui nous guettent et contre lesquels on doit se protéger."
L'auteur cite Amartya Sen, un Indien prix Nobel d’économie, " plus la santé objective s’améliore, plus la santé subjective se dégrade. En France, de nombreux bien- portants se sentent malades"

Notion de porteur sain

Nous connaissons cette notion en infectiologie. Concernant la cancérologie, nous portons tous en nous des gènes de prédisposition et des facteurs de risque.
En infectiologie, un microbe ne suffit pas à développer la maladie, il faut d'autres facteurs inhérents au malade et aussi à son environnement. En cancérologie l'affaire est analogue. Sous la forte pression biomédicale que nous connaissons dans la médecine actuelle, ne pas être malade ne signifie pas la même chose qu'être un non-malade, mais la connaissance d'être porteur d'une non-maladie fait que la peur précède l'épidémie (ou la maladie), au lieu de la suivre, explique l'auteur.

Pour le cancer du sein, nous connaissons des variants pathogènes de gènes BCRA1 et BCRA2 qui impliquent une augmentation significative de la probabilité d'avoir un cancer du sein par rapport à la population générale. Bien sûr ces femmes doivent bénéficier d'un suivi particulier, mais il y a néanmoins 30 à60% des femmes avec mutation BCRA1, et jusqu'à 50/60% des femmes avec la mutation BCRA2 qui vivront jusqu'à 90 ans ou mourront de tout à fait autre chose qu'un cancer du sein.
L'environnement, l'exposition à d'autres facteurs supplémentaires ont une importance pour l'expression ou non de la maladie.

Comme le relate Luc Perino dans son ouvrage, la cellule cancéreuse a acquis des potentialités importantes de reproduction. Nous sommes tous porteurs de cellules cancéreuses, mutées, mais la plupart du temps d'une part le système immunitaire les considère comme étrangères et les éliminera, d'autre part les cellules mutées ont une telle instabilité génétique que les mutations de leur ADN finissent par les tuer.
Il faut donc beaucoup de temps, explique l'auteur, pour que la défaillance immunitaire permette aux cellules de migrer et coloniser des tissus. On estime que les cellules qui migrent échouent à coloniser un nouvel organe dans 99% des cas." "Le cancer est donc biologiquement inscrit dans l'évolution de toutes les lignées cellulaires."

On comprend ainsi qu'un cancer peut rester infra-clinique, ou pré-clinique pendant longtemps, voire durant la vie du patient, et même disparaître. (De nombreux cas de disparitions et guérisons spontanées, notamment de mélanomes ou de cancers de poumon sont décrits depuis les années 1970 ; mis on ne peut pas parier dessus bien évidemment, ainsi tout cancer détecté sera traité).
"Néanmoins, lorsqu'un anatomo-pathologiste détecte une cellule cancéreuse sous son microscope, il ne tient pas compte de cette savante biologie et il écrit au médecin ou au chirurgien que son patient est porteur d'un cancer. Lorsque le mot du diagnostic est prononcé, il n'est plus possible de revenir en arrière".

La symbolique du cancer est particulière, aucune autre maladie ne possède cette aura d'ennemi interne, d'alien dont chacun "est persuadé que cet ennemi poursuit inexorablement sa route dans l'organisme et qu'il faut constamment le traquer pour l'extraire avec un bistouri, le brûler avec des rayons, le tuer avec des produits chimiques."
Et il en sera de même pour les biopsies liquides, dont la recherche systématique est très controversée dans le domaine des dépistages, faisant planer sur le patient un syndrome de Damoclès. Voir ici : https://cancer-rose.fr/2022/09/15/biopsie-liquides-le-graal-2/

Selon Luc Perino, la question du temps zéro va se poser avec de plus en plus d'acuité, s'exprimant dans la question : 'à partir de quand est-on malade ?'
"...demain les puces de microréseaux d'ADN et les biopsies liquides, encore contestées, nous permettrons de détecter des cancers bien avant." "La question du temps zéro du cancer devient alors impérative, ne pas y répondre conduirait tôt ou tard la biomédecine à diagnostiquer des cancers chez tous les adultes."

Les abus des dépistages

On peut déterminer 4 groupes évolutifs de cancer, explique Luc Perino, ce sont ceux que vous trouverez figurés dans notre vidéo sus-citée, expliquant la mécanique des cancers.

1-Les cancers rapidement mortels.
2-Les cancers évolutifs entraînant une mort anticipée
3-Les cancers pas ou peu évolutifs, sans effet sur la durée de vie "programmée", "idéale" ou "prévisible"
4- Les cancers à régression ou guérison spontanée.

Le troisième groupe, dit l'auteur, "est incontestablement majoritaire. Les cancers accompagnant la vieillesse jusqu'à ce que la mort survienne par une autre cause sont innombrables. Les carcinomes baso-cellulaires de la peau, les cancers papillaires de la thyroïde, l'adénocarcinome de la prostate, les cancers du rein sont les plus connus de ceux dont on peut affirmer que l'incidence sur la durée de vie n'est pas plus importante que celle de tous les autres processus de vieillissement."

C'est pour cela d'ailleurs que les dépistages, notamment celui du sein, sont stoppés à un certain âge, et c'est cela qui rend l'appel du Collège des Gynécologues pour un dépistage du cancer du sein à un âge prolongé complètement insensé.

Le surdiagnostic des cancers est une problématique importante, car c'est la détection inutile de masses qui n'auraient jamais nui, mais qui seront traitées avec virulence. Mais, dit l'auteur, "cela risque aussi de nous dissimuler l'histoire naturelle des cancers, car presque tous les cancers dépistés sont traités." Ceci pour des raisons éthiques, politiques et économiques mais aussi, selon lui, pour des raisons émotionnelles qu'on peut regrouper sous le terme de "panique au cancer".
"L'autre abus de la communication en cancérologie est d'assimiler le dépistage à une façon d'éviter le cancer".

LE DEPISTAGE N'EST PAS UNE PREVENTION ! Ressasse avec justesse l'auteur. Classiquement, rappelle-t-il, "les mesures hygiéno-diététiques et comportementales sont les seules mesures de la prévention primaire."

D'autres objets-non maladie

C'est le façonnage de maladies, ou ce qu'on appelle le 'disease-mongering'.

Il s'agit de parler dans les médias d'une maladie en suggérant qu'elle est méconnue ou sous-reconnue, ou d'abaisser les seuils critiques pour qu'un plus grand nombre de personnes soit atteint (l'hypercholestérolémie en est un bon exemple), ou transformer des expériences humaines en pathologie (l'hyperactivité par exemple, ou la ménopause). D'autres 'fabrications' de maladies peuvent s'opérer en présentant des facteurs de risque comme des pathologies à part entière, en utilisant des statistiques en exploitant les biais pour exagérer un bénéfice d'un traitement, ou amplifier l'impact épidémiologique de symptômes rares.

Conséquences

L'auteur alerte sur cette multiplication d'objets non-maladie, mais aussi de maladies non objectivables et des demandes hors sujet sanitaire, car elle "entraîne une dissociation entre diagnostic et soin :
-L'augmentation de la précision diagnostique a de moins en moins de répercussions sur la qualité des soins.
-Les médecins ont une offre de diagnostics qui dépasse largement largement leur offre de soins.
-Les patients ont une demande de diagnostics devenue étrangement aussi importante que leur demande de soins.
-La demande de soins est de plus en plus dé-corrélée de l'exactitude diagnostique.
-Les choix de soins sont soumis à de multiples pressions médiatiques, médicales, commerciales et politiques qui contraignent le médecin.
-Les soins deviennent une cause de confusion, voire d'empêchement diagnostique.
-Les soins deviennent une cause majeure de morbidité.
-Les progrès de la recherche fondamentale n'ont presque plus de répercussion sur l'amélioration de la santé publique et sur le gain individuel de quantité-qualité de vie (QALY)."

Conclusion

Nous renouvellerons la conclusion d'un article que nous avions publié en janvier de cette année, en lien avec l'ouvrage "les non-maladies" de Luc Perino, à savoir que nous devons accepter la probabilité de connaître telle ou telle situation de santé, mais jamais en termes de certitudes, aucune technologie, aucun test n'étant capable de nous prévoir avec une certitude absolue ce qu'il va advenir. Et parfois ce test peut même nous induire en erreur. Il peut déboucher sur des procédures et des traitements inutiles.

Les tests systématiques peuvent induire des "objets non-maladie", dont parle Luc Perino, dont nous ne savons que faire et qui nous conduisent dans des parcours de "malades" que nous n'aurions pas connus sans eux.

Evaluer un risque est difficile, et la précipitation peut conduire à des décisions délétères ; en cela le médecin traitant est un allié pour n'être pas piégé par des slogans, des poncifs tout prêts et simplistes, des campagnes médiatiques outrancières et bêtifiantes, et par des injonctions de leaders d'opinion dont les liens d'intérêts ne sont pas toujours bien annoncés.

Dans l'interview accordé à La Nutrition, Luc Perino conclut en répondant à la question : et pour terminer, qu’est-ce qu’être en bonne santé ?
"En être convaincu ! Je connais plein de grands malades et de porteurs d’objets maladies en bonne santé !"

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Augmentation des cancers, une épidémie ?

Dr C.Bour, 27 octobre 2022

Marie Négré Desurmont est reporter-conférencière et a suivi une formation de recherche en anthropologie à l’École de Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Elle est journaliste scientifique et a étudié spécifiquement la question du cancer du sein, après avoir été elle-même atteinte, et frappée, un peu à l'instar de Maëlle Sigonneau par les injonctions envers les malades véhiculées par le langage et que les malades subissent dans leur quotidien.

Dans un article engagé, "octobre rose ou la non-politique du sein", l'auteure dénonce ce qu'elle appelle la neutralisation des enjeux sociaux, environnementaux et politiques lors du mois rose, et recommande une vision plus large, au-delà de la simple campagne d'octobre rose pour garantir un avenir aux générations futures, qui ne les rendra pas malades.
" Ayons le courage", écrit-elle, "de voir plus loin qu’Octobre Rose et d’exiger qu’on puisse mettre au monde des petites filles qui n’auront pas à perdre autant d’énergie à tenter de survivre, soignées par ce même monde qui les aura rendues malades."

Elle dénonce :
"…plutôt que de politiser cette maladie grave, on préfère répéter que c’est le cancer le mieux soigné, on se concentre sur les comportements individuels en valorisant les survivantes qui ont tant appris de cette épreuve,.."
L'accent est mis, avec un vernis coloré et souriant, sur l'apparence et le bien-être, "car", écrit l'auteure en citant Audre Lordre (Journal du Cancer*), " il est plus facile d’exiger des gens qu’ils soient heureux que d’assainir l’environnement. Partons à la recherche de la joie n’est-ce pas, plutôt que d’une nourriture saine, d’un air propre et d’un avenir moins fou sur une terre vivable ."

*Audre Lorde, Journal du Cancer, traduit de l’américain par Frédérique Pressman, Éd. Mamamélis, Genève, 1998.

Politisation du cancer

Maëlle Sigonneau plaidait déjà dans son livre "Impatiente" pour un combat qui doit aller bien au-delà de la seule focalisation sur les comportements individuels des "survivantes".
Pour elle, afin de sortir des comportements compassionnels et de la glamourisation du cancer, il faudrait boycotter octobre rose, remplacer les messages roses par de grandes affiches sur les perturbateurs endocriniens ; on pourrait imaginer un mois, écrivait-elle, où on 'sensibiliserait', (pour utiliser un mot galvaudé et vidé de sens), sur les effets cancérigènes de l'environnement, des pesticides, par exemple…

MMe Desurmont résume très bien la façon qu'a notre société de…prendre le problème à l'envers : " Notre société a tellement confiance en ses capacités technologiques, qu’elle s’occupe plus de mettre des moyens dans la réparation des dégâts de la croissance, que dans le fait de trouver une autre forme de production et d’échange moins mortifère."
Presque la moitié des cancers sont d'origine comportementale et environnementale, et l'auteure rappelle à juste titre que les facteurs de risques ne sont pas seulement ceux du tabac, de l’alcool ou de l'obésité, mais aussi des perturbateurs endocriniens, les rayonnements ionisants (dont la mammographie !), de la pollution atmosphérique, de nouvelles substances chimiques (pesticides), de l’exposition aux gaz d’échappement, des expositions professionnelles, et de l’exposition aux substances chimiques en population générale.

Les campagnes roses et les messages des autorités sanitaires en parlent peu, et lorsqu'ils en parlent c'est surtout pour blâmer les comportements individuels, mais est-ce vraiment essentiellement et uniquement une problématique de comportement individuel ?
"À force de vouloir nous faire croire que nous sommes maîtres de notre santé, imperméables aux conditions environnantes et indépendants de nos structures sociétales, nous en venons, nous patientes, à chercher désespérément la cause de notre cancer, psychologisant à tout prix cette maladie."

On parle d'injustice d'une maladie qui touche les femmes dans leur féminité-même, mais, dit Mme Desurmont, "ce qui est vraiment injuste, c’est ce qu’on a fait du monde, pas le cancer qui n’en a que faire de ce que nous pensons de lui et qui profite juste du tapis rouge que nous lui déroulons pour se développer.
La réalité, c’est qu’en parlant d’injustice et de petites batailles individuelles, nous finissons par croire que le cancer est anecdotique, que c’est « la faute à pas de chance », et qu’il suffit d’avoir un moral d’acier pour le vaincre. Alors qu’il s’agit d’une épidémie pas vraiment rose bonbon et qui s’aggrave en même temps que se dégrade l’environnement. Adoptez un mode de vie sain mesdames, mais s’il vous plaît oubliez que lorsque vous faites votre footing, vous respirez à pleins poumons un air pollué."

A juste titre Marie Négré Desurmont, comme Maëlle Sigonneau, dénoncent la culpabilisation et la resposabilisation qu'on fait peser sur les femmes atteintes du cancer.

Mais qu'en est-il de "l'épidémie" ?

Une épidémie ?

Et si "l'épidémie" provenait aussi de la médecine ?

Dans son livre "dépistage du cancer du sein, la grande illusion" (ed.Souccar), Bernard Duperray explique :
"Des années 1980 aux années 2000, le nombre de mammographies réalisées explose. Dans le même temps, le parc des sénographes, les appareils permettant de réaliser les mammographies, s’étend considérablement : de 308 sénographes en 1980 avec 350 000 mammographies en 1982, on passe à 2 511 sénographes avec 3 millions de mammographies en 2000. Quel va être le résultat de cette progression spectaculaire de l’activité mammographique ? 21 387 cancers du sein diagnostiqués en 1980, 42 696 en 2000, 49 087 en 2005. Une épidémie de cancers du sein ? Épidémie indépendante de l’activité humaine ou résultat lié à une activité humaine hors contrôle ?
ÉPIDÉMIE OU UN SURDIAGNOSTIC LIÉ À L’ACTIVITÉ DE DÉPISTAGE ?
Deux hypothèses sont envisageables pour expliquer cette flambée des cancers :
•soit il s’agit d’une simple coïncidence entre la mise en place du
dépistage et la survenue d’une épidémie de cancers du sein ;
• soit il s’agit d’une pléthore de diagnostics de cancer du sein liée au dépistage.
Examinons la première hypothèse. Si l’accroissement continu des nouveaux diagnostics annuels correspondait à une épidémie de cancers évolutifs, il faudrait alors que la réduction de mortalité grâce au dépistage soit considérable : on aurait 1 cancer guéri pour 1 décès en 1980 et 3 cancers guéris pour 1 décès en 2000.
Or, ni les résultats les plus optimistes des essais randomisés concernant la réduction de mortalité, ni les progrès thérapeutiques durant cette période ne peuvent soutenir cette hypothèse.
Voyons le deuxième scénario selon lequel le dépistage serait à l’origine de l’augmentation du nombre de nouveaux cas de cancers diagnostiqués chaque année.
Entre 1980 et 2000, le taux d’incidence augmente de 2,7 % par an en moyenne. L’augmentation concerne toutes les tranches d’âge mais elle est plus marquée chez les femmes de 50 à 75 ans. Or cette tranche d’âge est celle des femmes pour lesquelles un dépistage mammographique systématique est réalisé (dans les dix départements pilotes). ……
L’épidémie de cancers du sein actuellement constatée n’est qu’apparente. Pourquoi apparente ? Sans le dépistage, nombre de cancers diagnostiqués aujourd’hui ne se seraient pas manifestés. Nous fabriquons ainsi de toutes pièces, avec le surdiagnostic provoqué par le dépistage, une épidémie qui n’est effectivement qu’apparente. L’augmentation de l’incidence ne signi e pas épidémie dès lors qu’on reconnaît le surdiagnostic.
L’hypothèse d’une majoration du surdiagnostic liée au dépistage n’a pas de contre-argument objectif. La démonstration de sa réalité repose sur des données épidémiologiques irréfutables, à haut niveau de preuves. "

J'en donne une explication détaillée dans mon livre "mammo ou pas mammo" (ed.Souccar), que je vous livre ici :
"Une étude a été conduite en France pour permettre cette analyse ne de la situation : il s’agit d’une enquête réalisée en 2011 par des épidémiologistes internationaux, dont un Français, Bernard Junod, éminent épidémiologiste issu de l’École des hautes études en santé publique de Rennes (EHESP) (Junod B, et al. S. An investigation of the apparent breast cancer epidemic in France: screening and incidence trends in birth cohorts. BMC Cancer. 2011;11(1):1-8. ).
Voici leurs observations :
• ✹ Le nombre d’appareils de mammographie en fonctionnement en
France a augmenté régulièrement en l’espace de 20 ans, passant de 308 en 1980, à 499 en 1984, puis à 1351 en 1990, 2282 en 1994 et 2511 en 2000. Le nombre d’appareils a donc été multiplié par huit entre 1980 et 2000. En conséquence, le dépistage s’est intensifié.
• ✹ Lorsqu’on compare l’incidence du cancer du sein à différentes époques chez des femmes de même classe d’âge, on s’aperçoit qu’elle augmente avec le temps et qu’elle est nettement supérieure lorsque les femmes sont soumises à un dépistage intense. La plus forte augmentation, de 112 %, s’est produite en 2005 pour le groupe d’âge de 60 à 64 ans.
Cette augmentation de l’incidence du cancer du sein s’est donc produite parallèlement à l’augmentation de l’intensité du dépistage comme l’illustre la figure 1.

cliquez sur image pour agrandir

Plus on dépiste, plus l’incidence augmente. Ce phénomène d’augmentation d’incidence, dès lors qu’on introduit un dépistage systématique, est frappant. Il a été observé dans tous les pays où le dépistage a été instauré. "

La dénonciation de la non-prise en compte des facteurs environnementaux est tout à fait justifiée et pertinente, mais le rôle de la médecine elle-même doit être inclus et dénoncé au même titre.
Il faut se poser les bonnes questions devant le constat d'une augmentation de nouveaux cas de cancers et de l'absence concomitante de la réduction des cancers graves, de l'absence concomitante de réduction de ces cancers qui tuent, que le dépistage ne détecte pas, car ils ne sont pas anticipables et évoluent avec une vitesse de croissance qui fait d'eux des cancers graves. L'incidence augmente, la mortalité ne chute pas parallèlement à l'intensité du dépistage.

Et en parallèle, le dépistage massif et systématique débusque une foule de lésions qui n'auraient jamais tué si non détectées, ce qu'on appelle le surdiagnostic. Les carcinomes in situ alimentent de beaucoup le réservoir des cancers surdiagnostiqués et sont d'ailleurs, pour certains scientifiques, appelés cancers à tort.

Pourquoi le surdiagnostic est-il un réel danger ?


Il augmente abusivement l'incidence (le taux de nouveaux cas de cancers) du cancer du sein ; comme il s'agit de cancers qui n'auraient jamais nui, les taux de survie s'améliorent artificiellement, conduisant à ce slogan rassurant: "le cancer du sein se traite très bien et guérit souvent". Certes, il se guérit d'autant mieux qu'on surtraite des lésions qui n'auraient jamais dû être détectées et n'auraient de toute façon jamais tué, le corps médical ne résistant pas à avancer aux patientes qu'on les a "sauvées", alors que le dépistage les a peut-être même lésées.

Surtout, le surdiagnostic augmente les surtraitements, dont font partie les radiothérapie. Comme la chirurgie du sein (mastectomies partielles et totales) qui n'est en rien "allégée" contrairement à ce qui est péroré par les autorités sanitaires elles-mêmes, les traitements par radiothérapie ne font que croître, contribuant à ce que nos deux auteures dénoncent, à savoir une exposition aux rayonnements ionisants
Ce n'est peut-être pas tant l'exposition directe lors des mammographies qui est en cause ici (sauf néanmoins pour les femmes jeunes, non ménopausées, en-dessous de 50ans qui voient leur risque de cancer radio-induit majoré), que la radiothérapie qu'une femme va subir.
Parler de traitement "allégé" comme le font les autorités sanitaires apparaît bien cynique, car il ne s'agit pas d'alléger des traitements mais de faire en sorte que des femmes ne soient pas surdiagnostiquées et ne subissent pas abusivement un traitement qu'elles n'auraient jamais dû connaître.

La radiotoxicité, minimisée en matière de dépistage du cancer du sein, est une réalité, le cancer radio-induit ne doit pas être passé sous silence.
Les cardiopathies radio-induites sont le plus grand tueur chez les survivantes du cancer traité.
Des cancers hématologiques peuvent survenir après radiothérapie et chimiothérapie.

Subir cela n'est pas anodin, subir cela abusivement parce qu'une femme n'a pas été alertée du risque de surdiagnostic inhérent au dépistage est éthiquement inacceptable.

Conclusion


Alors oui, reprenons la conclusion de Mme Desurmont :" Ayons le courage de voir plus loin qu’Octobre Rose et d’exiger qu’on puisse mettre au monde des petites filles qui n’auront pas à perdre autant d’énergie à tenter de survivre, soignées par ce même monde qui les aura rendues malades."

Mais ce courage doit inclure la remise en question de la médecine elle-même, de son caractère intrusif sur des personnes saines par un dépistage qui les rendra abusivement malades.

C'est à cela qu'il faut que nous soyons tous, public, malades et non-malades et surtout politiques, "sensibilisés". Et cette sensibilisation passe par une information honnête des femmes sur les dérives et dangers du dépistage, et non par une propagande rose héroïsant à tort des femmes dont certaines n'auraient jamais dû connaître cette maladie, et d'autres connaissant cette maladie dans sa forme la plus grave, loin du rose, qui les invisibilise, les paupérise, et qui les isole de la société.

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L’irréversibilité des dépistages

Dr C.Bour, 26septembre 2022

Un peu d'histoire

Utiles ou pas, l'instauration de dépistages en population est une chose irréversible. L'histoire le démontre.

1° le dépistage du cancer de la prostate

Le médecin américain qui avait mis au point le dosage en 1970, Richard Albin, s’inquiètait lui-même du « désastre de santé publique » provoqué par sa découverte. Dans une tribune publiée en 2010 dans le New York Times, il écrivait : « Jamais je n’aurai pu imaginer, quatre décennies plus tôt, que ma découverte allait provoquer un tel désastre de santé publique, engendré par la recherche du profit. Il faut arrêter l’utilisation inappropriée de ce dosage. Cela permettrait d’économiser des milliards de dollars et de sauver des millions d’hommes de traitements inutiles et mutilants. »

Le dosage du PSA a suscité la controverse dès 1989 en France. Une « conférence de consensus » est organisée par trois urologues, les professeurs François Richard, Guy Vallancien et Yves Lanson, et l’économiste Laurent Alexandre, cette concertation d’experts conclut déjà que « l’organisation d’un dépistage de masse du cancer de la prostate n’est pas recommandée ».
Une nouvelle conférence de consensus se tient en 1998 et la même année, une recommandation de pratique clinique statue encore plus clairement : « Le dépistage du cancer de la prostate (qu’il soit de masse, dirigé vers l’ensemble de la population intéressée, ou qu’il soit opportuniste, au cas par cas) n’étant pas recommandé dans l’état actuel des connaissances, il n’y a pas d’indication à proposer un dosage du PSA dans ce cadre. »

Mais les choses ne restent pas aussi simples.
La majorité des sociétés savantes et des groupes professionnels à travers le monde se prononcent certes contre ce dépistage, mais trois associations américaines (American Cancer Society, American Urological Society, American College of Radiology) ne sont pas du même avis. Peu à peu, on assiste à une dérive de la position de l’Association française d’urologie (AFU), (spécialistes de l’appareil reproducteur masculin), qui enclenche une campagne de promotion du dosage du PSA.

Le problème de ce dépistage réside dans le fait qu'il n'y a pas d'effet établi sur la mortalité, mais qu'en contrepartie il détecte de très nombreux cancers à évolution très lente qui n'auraient jamais été manifestés (surdiagnostic), mais qui, une fois détectés seront traités, entraînant des effets désastreux en termes d'impuissance et d'incontinence.
Un autre problème réside dans les traitements par radiothérapie qui seraient susceptibles de favoriser la survenue de cancers secondaires.

En 2011, l' autorité américaine sur les soins en santé publique, l’US Preventive Service Task Force (USPSTF), recommande de cesser le dépistage du cancer de la prostate par le PSA en insistant sur ses effets secondaires. Pour 1000 personnes traitées, il y a 5 décès prématurés un mois après la chirurgie, entre 10 et 70 patients atteints de complications graves mais survivants. La radiothérapie et la chirurgie entraînent des effets à long terme, et 200 à 300 patients deviendront impuissant et/ou incontinent.

Et la Haute autorité de santé (HAS) de conclure, en France : « Aucun élément scientifique nouveau n’est de nature à justifier la réévaluation de l’opportunité de la mise en place d’un programme de dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA. » Avis renouvelé en 2016 : avis HAS 2016
"La Haute Autorité de santé rappelle ainsi que les connaissances actuelles ne permettent pas de recommander un dépistage du cancer de la prostate par dosage de PSA de façon systématique en population générale ou dans des populations d’hommes considérées comme plus à risque."
La conclusion de l'Institut National du Cancer va dans le même sens.

Malheureusement, les recommandations et la pratique quotidienne font un grand écart, et les biopsies, comme dénoncé en 2013, vont en augmentation.

Les habitudes de prescription ont la vie dure, mais les organismes assureurs de crédits imposent aussi ce test dans les "formalités" demandées pour souscrire un prêt, exposant ainsi les personnes à de graves effets délétères sur leur santé.

Pour en savoir plus : liens vers articles, blogs, livres sur le dépistage du cancer de la prostate

2° le dépistage du cancer du sein

De 1970 à 1980, dans divers pays (Norvège, Danemark, Canada, New York, Suède) des femmes ont été incluses dans des études expérimentales, appelées des essais, consistant à comparer tout simplement le devenir de femmes dépistées à celui de femmes non dépistées. À l’époque c’était possible, les femmes n’ayant jamais été radiographiées au niveau des seins. Ces études montraient une soi-disant formidable diminution de mortalité grâce au dépistage, jusqu’à 30 % de moins de risque de décéder d’un cancer du sein.

Or ces premières expériences, on le sait à présent, comportaient de bien nombreux biais dans la méthode, dans la répartition des femmes entre les deux groupes et dans les analyses statistiques. La méthodologie n’obéissait pas aux critères de qualité actuels. Les résultats les meilleurs étaient obtenus avec les moins bonnes mammographies.

De 1992 à 2000, les publications victorieuses et enthousiasmantes se multiplient avec un écho médiatique colossal.

De 2000 à 2001, enfin, des voix s'élèvent pour alerter sur les irrégularités des premiers essais et pour lancer l'alerte sur les risques de ce dépistage.
Peter Gøtzsche et Ole Olsen, deux chercheurs indépendants nordiques procèdent à une méta-analyse selon la méthodologie de la collaboration Cochrane à laquelle ils appartiennent. Et là c’est un choc, car même en combinant les meilleurs essais, il apparaît qu’il n’existe aucune différence statistiquement significative de mortalité entre les femmes dépistées et les non dépistées : « il n’y a aucune preuve fiable que le dépistage diminue la mortalité par cancer du sein », conclut l’étude [1] .
Cette conclusion est confirmée plus tard par la revue indépendante Prescrire en 2006 [2] .

Malheureusement ces chercheurs n’eurent pas l’autorisation de publier leurs résultats parmi les revues Cochrane, sauf à la condition d’inclure même les essais les plus biaisés afin d’améliorer les résultats.
S'ensuivirent de longues négociations, à la suite desquelles, en 2009, les chercheurs Peter Gøtzsche et Margrethe Nielsen estiment que, si tous les essais y compris les plus mauvais sont inclus dans la méta-analyse, alors le dépistage est susceptible de réduire la mortalité par cancer du sein de 15 %, ce qui n’est malgré tout qu’un très maigre et supposé bénéfice [3] .
Surtout émerge un invité surprise, et c'est le surdiagnostic, c'est à dire la détection de lésions indolentes, inutiles à détecter, qui n'auraient jamais impacté la vie ou la santé de la femme mais seront toutes traitées comme tout cancer, avec chirurgie, radiothérapie, voire chimiothérapie, entraînant un surtraitement délétère pour la personne. Ces surtraitements ont des conséquences physiques, psychiques, économiques (perte d'emploi), trans-générationnelles (les descendantes étiquetées comme 'à risque'), etc...

En 2005, le statisticien norvégien Per-Henrik Zahl, membre de la collaboration Cochrane, soulève le problème de discordances entre des études valorisant une diminution de mortalité et les données du registre officiel du cancer suédois. Il y aurait davantage de décès déclarés dans le groupe non dépisté et des décès manquants dans le groupe dépisté. Le chercheur propose à la revue médicale The Lancet un article sur ces discordances qui sera refusé.

Un an plus tard, Per-Henrik Zahl parvient à le faire publier en ligne dans l’European Journal of Cancer [4] .Cet article ayant été censuré, il sera enfin publié dans une revue danoise peu après [5] .

Dans The Lancet, Peter Gøtzsche, co-fondateur de la collaboration Cochrane, dénonce les pressions inacceptables subies [6] .

Mais la machine était lancée, les pays européens avaient démarré les campagnes à grand renfort médiatique, à coup de slogans, de soutiens de stars et d’évènements populaires colorés en rose. Et la presse, comme les sociétés savantes, les femmes largement influencées par les médias, les médecins, les autorités sanitaires, ont préféré retenir l’histoire enchanteresse d’un dépistage qui sauve...
En 2004, sous l’égide du Président Chirac, le dépistage du cancer du sein est généralisé en France.

En 2015/2016, sous l'égide de Mme Marisol Touraine, une concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein est organisée, deux scénarios sont proposés par le comité d'orientation dans le rapport final, demandant tous les deux l'arrêt du dépistage du cancer du sein dans sa forme actuelle en raison d'une balance bénéfice risques très incertaines, avec une réduction non significative de la mortalité et en parallèle des effets adverses importants, comme l'irradiation, les fausses alertes (voir vidéo en bas de ce lien) entraînant des examens complémentaires angoissants, et le surdiagnostic bien sûr. Les citoyennes demandent une meilleure information.

De nos jours, le dépistage est toujours conduit dans sa forme habituelle, les femmes reçoivent une information sur la balance bénéfice-risques toujours peu claire et manifestement déséquilibrée.[7][8]
La controverse scientifique sur ce dépistage est qualifiée de fake-news par l'Institut National du Cancer.[9]

3-Le dépistage du cancer broncho-pulmonaire.

Deux essais essentiellement (il y a eu plusieurs études) étaient censés apporter la preuve d'une diminution significative de la mortalité spécifique par cancer broncho-pulmonaire grâce à un dépistage par scanner thoracique à faibles doses d'irradiation (TDMFD). Il s'agissait de l'essai étatsunien National Lung Screening Trial (NLST), et de l’essai NELSON mené en Belgique et aux Pays Bas.

Déjà en 2014, dans une note de cadrage, la HAS notait : ".... il est probable que la faible spécificité du dépistage par TDM faible dose restera un obstacle majeur à la mise en place d’un dépistage dans la pratique clinique et d’un programme de dépistage."
"Les inconvénients et risques associés au dépistage du TDM FD (scanner faibles doses) incluent l'exposition aux radiations allant de 0,61 à 1,5 mSv, un certain degré de sur-diagnostic variable selon les études, et un taux élevé d'examens faux positifs, généralement exploré avec davantage d'imagerie."

Lorsqu'on examine l'étude publiée dans le NEJM sur l'essai NELSON, on peut lire sur la dernière ligne du tableau n°4 ceci : "All-cause mortality — deaths per 1000 person-yr 13.93 (screening group) 13.76 (control group)  RR 1.01 (0.92–1.11)".
En clair il n'y a aucun retentissement sur la mortalité toutes causes confondues par ce dépistage scannographique.
(Rappelons que la donnée "mortalité globale" inclut tout, le cancer, son traitement et son non traitement, et reflète d'autant mieux les données en "vraie vie".)

Mais l'Académie de Médecine a retenu ce critère, et fait part dans un rapport publié de ses préoccupations, ici, et . Elle note plusieurs problèmes pour ne pas généraliser ce dépistage :

  • Les deux essais principaux sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ont grandement sous-estimé les effets nocifs potentiels (faux positifs, surdiagnostics, faux négatifs, irradiations et surtraitements). On ne connaît pas l'ampleur du bénéfice ni l'ampleur des risques, et même si on obtient ce taux de 25% de guérison parmi les sujets inclus dans l'étude, la majorité des malade décèdera précocement des autres pathologies du tabagisme (autres cancers, cardiopathies, emphysème etc...) sans que leur espérance de vie ne soit allongée.
  • Pour qu'un dépistage soit efficace, il faut avoir des cancers à latence suffisamment longue pour les "rattraper" lors d'un dépistage (donc le moins possible de cancers d'intervalle) ; or la proportion des cancers à latence longue dans le poumon est faible.
  • "Ces cancers sont majoritairement dus au tabagisme actif et, marginalement au tabagisme passif : plus de 85% des cas peuvent être attribués au tabac. La diminution progressive du tabagisme chez les hommes (60% de fumeurs dans les années 60 à 33% actuellement) se traduit par la diminution de l’incidence et de la mortalité dues à ces cancers", ce qui équivaut à dire que ce cancer est tout bonnement accessible à de bonnes campagnes de prévention primaire, et aux incitations d'arrêt du principal facteur de risque, le tabac.
    "L’histoire naturelle et évolutive de la maladie doit être connue et les diverses formes définies"." Entre 50 et 74 ans les cancers du poumon sont donc essentiellement composés d’adénocarcinomes qui semblent les plus facilement détectables. Par exemple, dans l’essai européen NELSON, 61% des CBP du groupe dépisté sont des adénocarcinomes contre 44% dans le groupe témoin ce qui pourrait expliquer un meilleur effet du dépistage chez les femmes." explique l'Académie.
  •  Des inconnues : sur la population cible, sur le taux de participation souhaitable, la fréquence des scanners, les indications thérapeutiques pour les cancers découverts lors du scanner, l'acceptabilité par les patients, la motivation et le respect de l'arrêt du tabac etc..
  • les personnes qui participent aux essais ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population éligible au dépistage ultérieurement, ce qui peut entrainer une surestimation de l’efficacité dans l'étude Nelson.
  • Une évaluation économique s'impose aussi, l'Académie soulignant fort justement que la prévention primaire est certainement plus efficace et moins coûteuse.

Pour rebondir sur les arguments de l'Académie de Médecine, il faut garder à l'esprit l'enjeu économique de ce dépistage, non seulement de l'examen initial mais de l’importance des dépenses occasionnées par les examens itératifs en cas de nodules intermédiaires (qu’il faut suivre durant les années pour en contrôler l’évolution). Le dépistage du cancer bronchique par CT serait 4 fois plus cher que le dépistage du cancer du sein et 10 fois plus que le dépistage du cancer colorectal.

Pour les académiciens, ce qui est primordial est la lutte contre le principal facteur de risque : le tabagisme, l'acceptation de sa réduction est la condition-même pour les candidats sélectionnés pour un éventuel dépistage régulier.

Les réactions ne se sont pas fait attendre, une dépêche apm du 24 février 2021 nous apprend que trois sociétés savantes prennent position.
" Les trois sociétés savantes sont l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, la Société de pneumologie de langue française et la Société d’imagerie thoracique.
Dans ce texte, qui actualise de précédentes recommandations, les sociétés savantes réaffirment leur position en faveur d'un dépistage individuel, par scanner thoracique à faible dose sans injection de produit de contraste, dont elles précisent les modalités." ......
"Contrairement à l'Académie de médecine qui propose un scanner faible dose une fois lors d'un bilan de santé d'un fumeur, les sociétés savantes envisagent un examen récurrent. Elles estiment qu'il faudrait 2 examens tomodensitométriques espacés d'un an puis un tous les 2 ans, sauf en cas de facteurs de risque ou d'examen antérieur avec un résultat intermédiaire ou cela devrait continuer tous les ans.
Et ce dépistage devrait être poursuivi "pour une période minimale d’au moins 5,5 à 10 ans".

Trois radiologues contestant avis de l’Académie de Médecine, celle-ci persiste et signe : https://lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/controverse-sur-le-depistage-du-cancer-du-poumon-lacademie-de-medecine-repond-aux-prs-revel-lederlin… avec un argument qui devrait prévaloir dans tout dépistage : à savoir celui de la mortalité GLOBALE.
"Les auteurs mentionnent que la mortalité par CBP (cancer broncho-pulmonaire) est diminuée dans les essais Nelson et NLST mais sans prendre en compte la mortalité générale de la population de fumeurs, seul paramètre important pour envisager un dépistage organisé et qui elle ne change pas dans les divers essais".
(Ce paramètre, rappelons-le, englobe la mortalité par CBP mais aussi celle due aux traitements et celle imputable à d'autres causes de mortalité, les fumeurs étant exposés à d'autres pathologies (emphysème, autres cancers, maladies cardio-vasculaires).
L'Académie dit encore ne pas vouloir revenir sur " la polémique de l’irradiation", les auteurs écrivent : "..notre rapport étant sur ce point totalement factuel et nous vous encourageons à relire ce paragraphe. Il est toutefois regrettable que dans aucun des essais une dosimétrie précise n’ait pas été faite."

La Haute Autorité de Santé, tout d'abord réticente en 2016 change complètement d'attitude et donne en 2022 son feu vert à une expérimentation sur le dépistage du cancer du poumon, en dépit d'une inefficacité de ce dépistage scannographique à réduire la mortalité toutes causes confondues.

"La HAS estime que l’état des connaissances est encore incomplet et insuffisamment robuste pour la mise en place d’un dépistage systématique et organisé du CBP (cancer broncho-pulmonaire) en France. Cependant, les données montrant une diminution de la mortalité spécifique et autorisent l’engagement d’un programme pilote visant à documenter : les modalités de dépistage, la performance/efficacité et l’efficience, les contraintes organisationnelles et les dimensions éthiques et sociales, ceci en testant plusieurs scénarios possibles et sur plusieurs rangs de dépistage.
Ainsi, la HAS recommande la réalisation d’expérimentation en vie réelle au regard du système de soin français pour répondre aux questions en suspens."

Dans son rapport page 70 la HAS estime que "Les métaanalyses ne montrent pas de diminution significative de la mortalité toutes causes confondues quelles que soient les procédures comparées : ce critère de jugement est peu pertinent du fait de l’interférence sur la mortalité de l’âge et du tabagisme chronique, et de la nécessité d’avoir un suivi à très long terme sur une importante cohorte."

Ce qui signifie que la HAS ne reconnait pas la mortalité globale comme critère principal d'efficacité, met avant la mortalité spécifique par cancer du poumon faisant fi des autres causes de mortalité et de morbidité liées au tabagisme ; et elle considère que des études randomisées avec un suivi de 10 ans sont insuffisantes. Ce qui fait que n'importe quel dépistage non probant peut-être défendu et maintenu, à l'instar de celui du cancer du sein, incapable de prouver à l'heure actuelle son efficacité.

Une nouvelle étude est publiée en 2022. Cette étude de cohorte écologique basée sur la population a révélé que le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses de femmes asiatiques à faible risque, pour la plupart non-fumeuses, était associé à un surdiagnostic considérable du cancer du poumon. La survie à cinq ans est biaisée par la détection accrue de cancers du poumon indolents, à un stade précoce, et qui n'auraient jamais tué. 
À moins que des essais randomisés puissent démontrer une certaine valeur pour les groupes à faible risque, le dépistage par scanner faibles doses devrait rester ciblé uniquement sur les gros fumeurs, conclut-elle.

Un avis de la HAS sur la pertinence des dépistages

La docteur Catherine Rumeau-Pichon, Adjointe au Directeur Evaluation Médicale, Economique et en Santé Publique, HAS, expliquait dans cette vidéo d'il y a 5 ans, que les dépistages doivent remplir les six critères suivants :

1- Une maladie détectable précocement avant l'apparition des symptômes

2- Un test fiable

3- Des traitements efficaces contre la maladie doivent exister

4- Les personnes à risque doivent être identifiables

5- Le dépistage doit notoirement faire décroître la mortalité par cancer.

6- La balance bénéfice/risques doit être en faveur d'un bénéfice prépondérant par rapport aux risques.

Examinons les dépistages (sein, prostate) à l'aune de ces critères

1- Maladie détectable précocement avant symptômes.

Pour le sein et prostate, pas toujours...

Les cancers avec un temps de séjour long dans le sein, donc peu évolutifs, sont détectés facilement par le dépistage avant leurs symptômes, car lentement progressifs justement. Ils participent pour beaucoup du surdiagnostic.

En revanche les cancers de mauvais pronostic, à potentiel évolutif important et à croissance rapide sont 'loupés' au dépistage, trop véloces pour être 'rattrapés' (ce sont les faux négatifs).
Leur histoire naturelle n'est donc pas linéaire et prévisible, et elle n'est toujours pas connue à l'heure actuelle. Pour le cancer de la prostate, les cancers agressifs libèrent leurs métastases souvent dès le départ.

2- Fiabilité du test

Non

La mammographie est un mauvais outil de dépistage, elle a une bonne sensibilité pour les lésions atypiques et les cancers in situ, les moins agressifs ; elle a en revanche une mauvaise sensibilité pour les cancers de haut stade, les triple négatifs, les formes infiltrantes.

Le dosage du PSA peut être élevé en cas de simple hypertrophie bénigne de la prostate, un taux élevé n'est pas spécifique de cancer.

3-Des traitements efficaces

Oui

Pour le cancer du sein, l'efficacité des traitements s'est beaucoup améliorée depuis les années 90, on dit que 9 cancers /10 guérissent, mais même pour les non-dépistés.
C'est d'ailleurs pour cette raison, d'autant plus, que l'utilité du dépistage s'amenuise.

Pour le cancer de la prostate, qu’il soit traité ou non, il métastase rarement (1 cas sur 10 environ). Lorsqu’il se métastase, il engendre, dans 90 % des cas, la formation de métastases dans les os.
Si les métastases osseuses sont habituellement de sombre pronostic pour d'autres formes de cancers, ce n’est pas forcément le cas pour le cancer prostatique. Qu’il soit métastasé ou non, le cancer de la prostate est souvent une maladie à évolution lente.
Pour ce cancer aussi, la survie des patients s’améliore d’année en année grâce à l’apparition de nouveaux traitements et de nouvelles associations thérapeutiques.

4-Personnes à risque identifiables.

Non

Pour le cancer du sein, on peut isoler des facteurs de risque prédisposant au cancer, comme l'exposition à des toxiques, le travail de nuit, les antécédents familiaux....
Mais toutes les femmes tabagiques ou travaillant de nuit ne vont pas automatiquement développer un cancer du sein, et il n'y a pas de caractère reliable entre un facteur de risque précis et le cancer du sein, pas de façon aussi nette que le fait de fumer et le fait de développer un cancer broncho-pulmonaire (et pourtant là aussi le dépistage systématique des fumeurs n'est pas recommandé).

Seulement 5% des cancers sont héréditaires. C'est un phénomène trop rare pour imposer un dépistage à tout une population saine et sans risque familial.
Des femmes sans aucun risque, ni d'exposition, ni intrinsèque, peuvent développer un cancer du sein, sans 'raison' apparente.

Pour le cancer de la prostate non plus, on ne trouve pas de facteur de risque identifié et relié à ce cancer.

5-Décroissance de mortalité

Non

Des études d'impact ont montré que la décroissance de la mortalité pour plusieurs cancers solides était effective depuis les années 90, et n'étaient pas imputables au dépistage, puisque ce modèle de décroissance était retrouvé aussi pour des cancers ne faisant pas partie de programme de dépistage.
Sein : étude Norvège ; étude d'impact
Prostate : Réf:http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/pros.20017/abstract; Labrie, Québec, 2004

6-La balance bénéfice/risque en faveur du bénéfice

Non

Pour le sein, ceci n'est clairement plus le cas, même dans les hypothèses les plus favorables, comme l'évaluation du rapport Marmot, il y a toujours davantage de surdiagnostic par rapport aux "vies sauvées".
M.G. Marmot, D. Altman, D. Cameron, J. Dewar, S. Thompson, M. WilcoxThe benefits and harms of breast cancer screening: an independent review
Lancet, 380 (2012),. Marmot
D'autres analyses indépendantes sont plus sévères encore, voir notre synthèse ici : https://www.cancer-rose.fr/le-sur-diagnostic-un-graphique-pour-expliquer/

Lorsqu'on cumule les trois inconvénients essentiels du dépistage systématique du cancer du sein, surdiagnostic, fausses alertes, cancers radio-induits, décès imputables aux surtraitements, on obtient toujours une balance bénéfice/risques défavorable.

Pour le cancer de la prostate, Les cancers vraiment agressifs libèrent leurs métastases dès le début de la maladie. Dans ce cas le traitement ne va pas protéger du décès. Les traitements de ce cancer entraînent des effets négatifs qui peuvent être importants (incontinence urinaire, impuissance). On altèrera la vie du patient plus qu’on ne le « sauvera ».
Le patient âgé a toute probabilité de décéder avant, d’autre chose que de son cancer.
Entre 50 et 75 ans, il n'y a pas de preuve qu’un dépistage de ce cancer sauverait des personnes. (HAS). L’OMS ne recommande pas non plus ce dépistage.
Dans l'étude canadienne il y a plus de mortalité dans le groupe dépisté, parce que les risques du dépistage, les effets collatéraux des biopsies et des traitements chez les hommes dépistés l’emportent sur le bénéfice qui est minime.
La mortalité globale, toutes causes confondues, est quasiment la même chez les hommes opérés et chez les hommes non opérés.

==> au total :

Sur 6 conditions, le dépistage du cancer du sein et de la prostate ne répondent pas à 5 d'entre elles.


Et néanmoins...

...la Commission européenne propose en cette fin d'année 2022 une extension et/ou une reprise de certains dépistages, ainsi qu' une implantation de nouveaux venus.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.
S'y rajoutent les dépistages du cancer du poumon et celui de l'estomac, alors que pour ce dernier aucune étude probante n'existe.
Beaucoup de médias ont copieusement relayé cette information sans plus d'analyse critique que cela...

La commissaire européenne Mme Stella Kyriakides a émis en ce mois de septembre le discours suivant :  
"Today we know that it is estimated that one in two EU citizens will develop cancer during their lifetime". ("Nous savons aujourd'hui que selon les estimations, un citoyen européen sur deux développera un cancer au cours de sa vie".)

Mme la commissaire européenne omet toutefois de préciser que l'espérance de vie en Europe continue à augmenter.
On est dans le plus pur "fear-mongering" avec création d'un sentiment de situation urgente, menaçante pour les populations, et qu'il faut appréhender avec grande diligence.
C'est une technique bien connue pour pousser à un changement afin qu'il soit immédiat et vécu comme nécessaire, à l'instar de ce qui est préconisé dans les milieux de l'entreprise.
John P. Kotter, Professeur de la Harvard Business School, expose les éléments de la gestion du changement :
"Pour réussir un projet ou un changement, il est important d’en démontrer la nécessité. Le moyen le plus efficace est de déclencher un besoin auquel votre projet répondra en créant un sentiment d’urgence chez l’ensemble de vos collaborateurs. Exposez les risques pris par l’entreprise en ne changeant pas son mode de fonctionnement."

Conclusion

A la différence d'autres pathologies, même plus graves ou les plus mortelles, le cancer prend une place particulière, il a remplacé les fléaux du moyen âge, la tuberculose et la syphilis de nos anciens. Il symbolise le mal sournois et il est toujours associé au tueur silencieux.

Malgré toutes les connaissances accumulées ces dernières décennies sur les failles et faillites des dépistages, la peur du cancer est tellement ancrée en nous, véhiculée sempiternellement par les messages sociétaux, médicaux et médiatiques, que tout appel à la prudence vis à vis du mythe de la détection précoce salvatrice est vain.

Des avancées ont été faites, grâce aux faillites des dépistages nos connaissances ont progressé sur la mécanique de l'évolution cancéreuse, on a appris sur la complexité de l'histoire naturelle de la maladie.

Mais voilà, souvent, lors des communications médiatiques des campagnes d'octobre rose, il suffit d'une ou d'un "cancer-survivor", star, animateur de télévision ou politique, clamant sa survie grâce à un dépistage "salvateur", se sentant missionné pour porter son expérience comme exemplaire et emblématique, s'érigeant présomptueusement en fer de lance d'une "noble cause", pour que tout soit remis en question.
Ou d'une décision à l'emporte pièce de la Commission européenne....
Rien de plus efficace que d'insuffler la terreur pour faire disparaître toute argumentation raisonnée, prudente et scientifique, et pour balayer tout effort d'information neutre et objective des populations.

On n'a pas appris des erreurs médicales passés, l'historique brossé en début de cet article montre à quel point les décisions prises avec trop de précipitation et prématurément dans l'implantation des dépistages engagent des désastres sanitaires, soigneusement celés au public auquel on ne fait miroiter que des "bienfaits".
Ces désastres et mises en danger des personnes perdurent et les médias ne communiquent que très parcimonieusement sur ce sujet.
Beaucoup de dépistages, notamment celui du cancer du sein, n'auraient jamais dû voir le jour et se sont soldés par des fiascos retentissants (comme thyroïde, neuroblastome de l'enfant, mélanome).
La Commission européenne prévoit même d'implanter un dépistage du cancer de l'estomac pour lequel il n'existe AUCUNE évaluation scientifique...

L'avenir paraît donc assez sombre car à ce rythme effréné de dépistages répétés et à tout va, les seuls individus en bonne santé seront les personnes échappant à ces rituels macabres cadencés, renouvelés au cours de la vie à rythme régulier comme une litanie morbide, et qui propulseront des bien portants dans des maladies qu'ils n'auraient jamais dû connaître.

Lire aussi le dernier billet de Luc Perino-

Références


[1] Olsen, O., & Gøtzsche, P. C. Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Database of Systematic Reviews. 2001; (4): CD001877.

[2] Mammographies et dépistage des cancers du sein : Pour un choix éclairé des femmes désirant participer au dépistage. In : Prescrire. [En ligne : https://www.prescrire.org/aLaUne/ dossierKcSeinDepSyn.php]. Consulté le 12 mai 2021.

[3] Gøtzsche P. C., Nielsen M. Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Database of Systematic Reviews. 2009 Oct 7; (4): CD001877.

[4] Zahl PH., et al. WITHDRAWN: Results of the Two-County trial of mammography screening are not compatible with contemporaneous o icial Swedish breast cancer statistics. European Journal of Cancer. 2006 Mar 9.

[5] Zahl PH, et al. Results of the Two-County trial of mammography screening are not compatible with contemporaneous o icial Swedish breast cancer statistics. Danish Medical Bulletin. 2006 Nov; 53(4): 438-40.

[6] Gøtzsche P. C. What is publication? The Lancet. Nov 2006; 368(9550): 1854-56

[7] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[8] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/10552/

[9] https://cancer-rose.fr/2021/06/24/les-informations-independantes-en-sante-taxees-de-fake-news-cancer-rose-monte-au-creneau/

Pour en savoir plus :

1) Le dépistage du cancer de la prostate n'est pas recommandé

Dominique Dupagne

Cette vidéo a été mise en ligne en 2008. En mars 2016, l'Institut National du Cancer a rejoint la Haute Autorité de Santé pour mettre en garde le public sur les dangers potentiels et l'intérêt hypothétique du dépistage du cancer de la prostate. Il aura donc fallu 8 ans...

2) Cancer de la prostate: le diagnostic précoce n’est pas plus recommandable que le dépistage
Résumé : Ce dépistage qui paraît à première vue plein de bon sens est pourtant déconseillé par la quasi totalité des scientifiques

3)Chronique Dominique Dupagne, Jeudi 17 novembre 2016

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sante-polemique/cancer-de-la-prostate-le-diagnostic-precoce-n-est-pas-plus-recommandable-que-le-depistage-4809679

4) Blog Atoute Dominique Dupagne

http://www.atoute.org/n/Informations-destinees-aux-hommes.html

3) Dr. Blanc

https://30ansplustard.wordpress.com/2014/10/23/comment-jai-garde-ma-prostate/

4) Docteur Grange

http://docteurdu16.blogspot.com/search?q=dépistage+psa&x=0&y=0

5) Jaddo

http://www.jaddo.fr/2016/06/19/et-mes-fesses-elles-sont-roses-mes-fesses/

6) Whydoc

7)Harding

https://www.hardingcenter.de/en/transfer-and-impact/fact-boxes/early-detection-of-cancer/early-detection-of-prostate-cancer-with-psa-testing

8)CanTaskForce

https://canadiantaskforce.ca/tools-resources/cancer-de-la-prostate/?lang=fr

9)NHS

https://www.nhs.uk/conditions/prostate-cancer/psa-testing/

10) Touche pas à ma prostate : Un guide essentiel pour faire face au cancer de la prostate Broché – 19 janvier 2012 
de  Ralph Blum , Mark Scholz 

11) Le scandale du dépistage du cancer de la prostate : 300 000 hommes impuissants pour rien ! Broché – 25 mai 2018 
de  Christophe Desportes 

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Et si on changeait de vocabulaire ?

31 mai 2022

https://philarchive.org/archive/LARCDS

L'article ici défend que le phénomène de surdiagnostic est lié à la fois à notre connaissance grandissante du cancer, au fait que ces nouvelles connaissances causent des biais dans les processus de dépistage qui sont conduits en vue de trouver un cancer, mais aussi à notre approche du cancer et au vocabulaire médical associé.

Deux types de cancer ont été retenus par les auteurs comme particulièrement exemplaires : le cancer papillaire de la thyroïde et le carcinome in situ du sein.

Au début il convient de s'accorder sur ce que nous considérons comme maladie, l’autrice (étudiante au baccalauréat en philosophie (Université de Montréal)) propose une définition de dysfonction qui, pour être préjudiciable, doit l’être autant pour le patient qu'être considérée comme telle par la communauté scientifique faisant autorité.

Rappel du surdiagnostic

La définition du surdiagnostic est, rappelons-le, la découverte d'une anomalie qui, si elle n'avait jamais été décelée, n'aurait entraîné aucun dommage pour le patient. C'est une découverte inutile mais qui va entraîner injustement le patient vers une cascade d'examens supplémentaires et de procédures thérapeutiques dont il aurait pu se passer et qui, en plus, peuvent lui apporter des dommages que la non-découverte n'aurait jamais occasionnés.

De nombreuses causes sont à la source de surdiagnostics :

  • Les taux plus élevés d’examens (fréquence ou utilisation accrues de tests dans des groupes à faible risque de maladie),
  • La sensibilité accrue des tests dont nous disposons et le désir du médecin ou du patient de ne pas échapper à un diagnostic,
  • La définition plus élargie des pathologies (abaissement des seuils biologiques auxquels on décrète un diabète ou un taux de cholestérol pathologique, ou un état d'hypertension artérielle).
  • Les incitatifs financiers (p. ex. rémunérations versées aux médecins pour remplir des objectifs de santé publique ; et actuellement projets de rémunérations des patients se soumettant à un dépistage; à ce propos lire : https://cancer-rose.fr/2022/01/11/incitations-financieres-pour-le-depistage/    

 Il devient donc important de questionner la pertinence des soins prodigués, puisque le surtraitement est une conséquence très fâcheuse de tout surdiagnostic.

Les solutions envisagées

1° Information et décision partagée

L'autrice écrit :

"L’approche par prise de décision partagée (PDP) est cohérente avec une approche hybride de la santé et de la maladie, puisqu’elle permet d’identifier à la fois les inquiétudes du médecin traitant, soutenues par les évidences médicales, et les préférences, craintes et valeurs du patient. L’approche par prise de décision partagée nous semble être une approche à privilégier puisqu’elle valorise non seulement l’autonomie du patient, mais aussi un consentement éclairé."

Nous en parlons depuis longtemps, ici : https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/
et ici : https://cancer-rose.fr/2019/06/04/pourquoi-il-faut-prendre-dabord-une-decision-eclairee-avant-de-recourir-au-depistage/

La décision partagée avec prise en compte des préférences des patients fait partie du trépied de la médecine basée sur les preuves. Nous évoquions cette notion ici : https://cancer-rose.fr/2021/05/22/prevention-quaternaire/
C'est une vision moderne de la médecine, éloignée d'un paternalisme médical qui confisque la décision éclairée au patient. Elle débouche sur la création d'outils d'aide à la décision qui permettent une schématisation de la balance bénéfices-risques d'une procédure de santé de façon plus accessible pour tout patient, quel que soit son degré d'éducation et de littératie en santé.

L'autrice ajoute encore à ce propos : "Il y a lieu d’envisager la possibilité d’un surdiagnostic dans la prise de décisions cliniques avant de prescrire un examen de dépistage ou de diagnostic, et il importe de communiquer la possibilité d’un surdiagnostic dans la prise de décisions conjointe avant que les personnes s’engagent dans une cascade de dépistages.....
Une étude américaine (Rogers, W. A. (2019), “Analyzing the ethics of breast cancer overdiagnosis: a pathogenic vulnerability”, p. 135) faite auprès de 300 femmes ayant été invitées à faire une mammographie a indiqué que seules 8,4% de ces femmes ont été informées de la possibilité d’un surdiagnostic, alors que 80% d’entre elles avaient explicitement demandé à leur médecin d’obtenir toutes les informations nécessaires".

Un autre moyen de limiter le surdiagnostic et de décourager les tendances à la recherche effrénée de lésions dans des examens de routine demandés à des patients asymptomtiques, est :

2° La modification du vocabulaire autour du cancer

 a) le cancer de la thyroïde

L'avènement de l'échographie thyroïdienne prescrite en masse a largement favorisé la sur-détection de petits cancers papillaires peu agressifs, mais qui, une fois découverts, n'échappaient pas à la chirurgie. Le surdiagnostic pour ces lésions est massif ; lire : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
On constatait alors la très forte hausse du nombre de petits cancers papillaires de la thyroïde (forme la plus fréquente et la moins dangereuse), et ce depuis les années 80-90.

Le préjudice psychologique du simple mot "cancer" dans ce contexte ne doit pas être sous-estimé, explique l'autrice.
Dans le cas du cancer de la thyroïde la modification du vocabulaire médical pour classer ces microcarcinomes papillaires simplement comme « lésions micropapillaires peu évolutives », est une modification qui encourage davantage une surveillance de ces lésions plutôt que le recours immédiat à une chirurgie mutilante, excessive et définitive. En effet jusqu'à présent la majorité des patients subissaient une thyroïdectomie plus ou moins complète, alors qu'on s'oriente davantage actuellement vers ce qu'on appelle la "surveillance active"pour certaines lésions dont on sait leur faible pouvoir évolutif.
"Lors d’une étude conduite en 2016 (Nikiforov, Y. E. et al. (2016), “Nomenclature Revision for Encapsulated Follicular Variant of Papillary Thyroid Carcinoma: A Paradigm Shift to Reduce Overtreatment of Indolent Tumors”, p. 1023.)" explique l'autrice,  "la refonte du vocabulaire médical lié au diagnostic du cancer de la thyroïde a permis aux patients participants d’éviter d’importantes conséquences du surdiagnostic. En effet, en recatégorisant les microcarcinomes papillaires comme "néoplasme thyroïdien folliculaire non invasif avec des caractéristiques nucléaires papillaires (NTFNIP)", les patients ont pu éviter de devoir souscrire à des chirurgies invasives (thyroïdectomie complète) et à des traitements de radiothérapie."
Lire:https://stringfixer.com/fr/Noninvasive_follicular_thyroid_neoplasm_with_papillary_like_nuclear_features

Le processus de décision partagée apparaît d'autant plus important, afin de donner des explications nuancées au patient et lui laisser une marge de manoeuvre pour ses choix.

b) Le carcinome in situ du sein

Le carcinome in situ, lésion qui ne franchit pas la paroi du canal galactifère du sein, alimente de façon importante le surdiagnostic en matière du cancer du sein, et les conséquences sont importantes car ces lésions sont traitées comme des "vrais cancers" par chirurgie et radiothérapie. On sait que le traitement par chirurgie et radiothérapie des carcinomes in situ n'a pas réduit le taux des cancers invasifs.
Toutes les explications sont à trouver dans l'article dédié : https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

D'une part les programmes de dépistage nationaux donnent l'impression à une grande majorité de femmes que les mammographies à partir de 50 ans sont obligatoires, d'autre part les politiques de santé publique font la promotion de ces dispositifs de santé et contribuent à dramatiser le cancer du sein en alimentant la peur, souvent avec des slogans angoissants et coercitifs.

Comme pour la thyroïde, certains scientifiques estiment que le terme « carcinome » dans l’expression « carcinome in situ du sein» est trompeur et devrait être abandonné (Mulcahy N. Take Carcinoma Out of DCIS and Ease O Treatment. Jan 21, 2010. In : Medscape. [En ligne : https://www.medscape.com/viewarticle/715586]).

Ces « in situ », aussi appelés « stade 0 du cancer », ne sont pas menaçants pour les femmes dans leur très grande majorité. Ils ne sont même pas saisis dans le comptage des nouveaux cas de cancers dans les rapports épidémiologiques officiels. Pourtant, dans la pratique ils sont traités comme de véritables cancers (chirurgie doublée éventuellement de radiothérapie). Il y a donc un véritable décalage entre leur non-prise en compte officielle d’un côté et la façon dont ils sont vus et traités par les praticiens (oncologues et chirurgiens) de l’autre, alors que le carcinome in situ est un candidat possible pour la simple gestion par surveillance active.

c) le vocabulaire militaire dans le champ du cancer

Des métaphores guerrières sont souvent utilisées : " se battre contre un cancer", "vaincre le cancer", "succomber au cancer", "arsenal thérapeutique" " lutter et survivre au cancer", etc....
L'autrice dans sa thèse défend l'idée que la métaphore militaire réitère constamment la difficulté et la souffrance liées au cancer. Ces choix sémantiques contribuent à dramatiser le cancer et à encourager les méthodes de prévention drastiques conçues en vue de trouver un cancer, de l'identifier et de le détruire à tout prix et dans tous les cas, quoi qu'il en coûte, sans distinction entre les lésions indolentes ou agressives.

Pour les auteurs, cette rhétorique militaire contribue à une "culture de la peur", en diminuant la culture de la peur associée au cancer, autant de la part de la communauté scientifique que de la part des patients, il serait possible de tendre vers davantage de traitements de surveillance, et de mieux cibler les populations pour lesquelles des dépistages spécifiques sont bénéfiques.

Conclusion

Les patients ne sont pas des guerriers aux ordres d’un commandement supérieur que serait le corps médical et ses injonctions à toujours plus de dépistages.

La culture de la peur infligée aux populations par des slogans comme « chaque jour compte », « le cancer frappe à toutes les portes », ou « le dépistage précoce sauve la vie », au sophisme indigent, entraîne dans la société une sur-représentation du risque de contracter un cancer, une surestimation du bénéfice des dépistages avec une sous-estimation, voire même un recel volontaire des risques et inconvénients des dépistages systématiques, pourtant massifs, comme nous l’apprennent maintenant des données scientifiques récentes et mondiales, tout cela contribue à du surdiagnostic qui s'auto-alimente par un succès apparent de toujours plus de détection.

La sémantique militaire et les dénominations abusives de "cancers" pour des lésions ne mettant pas en danger la vie des personnes contribue à la fois à l'augmentation du niveau d'angoisse global de la société et au surdiagnostic, vrai fléau de la médecine post-moderne.

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Pourquoi l’INCa instrumentalise la peur de mourir par cancer du sein et la peur pour la femme du cancer du sein ?

5 novembre 2021

Par Dr Alain Rauss, biostatisticien, pour le collectif Cancer Rose

Depuis des années, il existe une opposition majeure entre l'INCa et Cancer Rose sur l'utilité du dépistage du cancer du sein. Plus encore, la critique de Cancer Rose vise l'absence d'informations claires, objectives et neutres de l'INCa vis-à-vis des femmes pour ainsi les rendre captives d'un processus initié par l'INCa sur orientation des plans cancer successifs[1].

Pourtant, la question n'est pas d'être pour ou contre le dépistage mais de permettre à chaque femme de prendre une décision personnelle compte tenu de son histoire de ses peurs et non une décision orientée par des considérations souvent autres que sanitaires.

Au final, il nous semble que le problème est ailleurs. Pourquoi faire peur et utiliser des méthodes qui relèvent plutôt des techniques de  manipulation et de propagande ?

Instrumentaliser la peur

Aujourd'hui, à bien y regarder, on ne peut que constater que l'INCa, pour arriver à ses fins, instrumentalise la peur d'avoir un cancer du sein et celle de mourir par cancer du sein.

La peur de mourir est une peur qui nous a permis de vivre, de sauver notre peau et d'arriver jusqu'ici. Cette peur reste en nous malgré toutes les évolutions que nos sociétés ont réalisées. En revanche, jouer sur la peur est une attitude honteuse car en cas de peur, le discernement devient difficile à exercer, et c'est là le problème. Jouer sur les peurs revient, comme nous le disions précédemment à une manipulation.

Prendre conscience de l'ensemble des risques

En fait, il existe dans la vie de très nombreux risques de mourir et le cancer du sein en fait partie. Le matraquage que réalise l'INCa sur le cancer du sein amène, au moins une partie de la population, à oublier que la vie comporte beaucoup d'autres risques. Ce matraquage amène à ne plus relativiser et à considérer que si le dépistage est mis en œuvre, ce serait un peu rendre la femme "immortelle".

Le tableau ci-dessous présente l'ensemble des causes de décès chez les hommes et les femmes et son évolution entre 2015 et 2016. Il est intéressant de constater que sur les 290 300 décès observés chez les femmes en 2016, on s'aperçoit que le cancer du sein est la 8ème cause de décès. On trouve, bien avant la mortalité par cancer du sein: les autres causes, les maladies du système nerveux, les maladies de l'appareil respiratoire, les maladies cérébrovasculaires, les troubles mentaux et du comportement, les causes externes, les cardiopathies ischémiques. Ainsi, la mortalité par cancer du sein, bien que non négligeable, ne représente que 4,27% des décès des femmes alors que les 7 premières causes de mortalité représentent 48,5% des décès (et encore nous ne comptons pas les autres causes de décès de l'appareil circulatoire non précisément individualisées qui représentent 44 000 décès par an soit près de 15% des décès).

Cliquez ,

Si les femmes devaient ressentir toutes leurs peurs à hauteur de ce que l'INCa tente de faire ressortir pour le cancer du sein (tel dans l'encadré que l'on retrouve dans la dernière plaquette de l'INCa repris ci-dessous), la vie d'une femme deviendrait vite insupportable. Le risque de mourir d'une autre cause étant près de 25 fois plus élevé, la vie de tous les jours avec cette pression sur le risque de mort serait vite invivable.

Exploiter une situation où l'ensemble des risques ne sont pas conscients

En fait, nous pouvons constater que L'INCa joue sur le fait que toutes les autres sources de risque de mourir ne font aucun battage médiatique ce qui laisse le champ libre à l'INCa sur le cancer du sein et surtout met en exergue une peur qui peut stimuler l'irrationnel dans l'attitude d'une femme par rapport au dépistage du cancer du sein.

l'INCA avec ce mois "Octobre Rose" occupe tout de même, pour 4,2% des morts, 1 MOIS de l’année dans l’espace médiatique; c’est énorme. Imaginez ce que serait la vie si tous les mois nous avions un mois pour tel ou tel risque qui tue plus bien plus que le cancer du sein ?

Il est clair que si le monde de la cardiologie, le monde de la neurologie ou le monde de la pneumologie mettait en avant le risque de mourir d'une maladie cardiovasculaire, d'une maladie du système nerveux ou d'une maladie respiratoire avec des moyens décuplés vue les risques qui peuvent exister, le "bruit" sur le cancer du sein serait étouffé.

Pourtant, à y regarder de plus près, pour ces mondes pourvoyeurs de la majorité des morts, il existe bien souvent de la prévention et non du dépistage. Cela signifie qu'il est possible de mettre en place des mesures qui vont alors diminuer fortement le risque et qui pourraient être la source de plusieurs centaines de décès évités (au contraire d'une bataille sur 1 ou 2 décès en moins sur un suivi de 10 ans dans le cas du dépistage du cancer du sein chez 1000 femmes).

Ainsi, l'INCa exploite une situation que nous pourrions caractériser comme monopolistique de l'usage de la peur de mourir en France.

Pour diminuer la peur de mourir d'un cancer du sein

Au travers de tout ce que nous venons de dire, il apparaît indispensable de reprendre conscience que les risques de décès sont multiples!

Les femmes ont bien de multiples risques de décéder dans la vie de tous les jours, et pas seulement du cancer du sein, loin s'en faut. Nous acceptons des conduites à risque à l'origine de très nombreux décès, par exemple la consommation de tabac et d'alcool. En réalité l'augmentation et la baisse des décès par cancer suivent l'augmentation et la baisse du tabagisme, avec un décalage de quelques décennies.  Le tabagisme augmente le risque pour de nombreux cancers mais surtout celui du cancer du poumon qui est de loin le plus grand tueur, responsable de davantage de décès que le cancer du colon, du sein et de la prostate réunis.[2]

Est-il raisonnable d'avoir peur de mourir du cancer du sein et de nous faire manipuler alors que nous n'avons pas peur de mourir au travers de nos conduites à risques ?

Un retour à "raison garder" semble essentiel pour diminuer le stress que met l'INCa sur les femmes, surtout qu'il se focalise sur un seul cancer.

Le droit de choisir APRES une bonne information

Chaque femme doit pouvoir, grâce à une information claire, fiable, complète, honnête, faire le point sur l'ensemble des risques de décès qui existent chez elle. A partir de ces informations, chacune doit pouvoir décider des risques qu'elle accepte et ceux qu'elle n'accepte pas. Son attitude sera alors en harmonie avec son histoire, ses caractéristiques, son environnement… Ce choix lui est propre, il ne doit être influencé par qui que ce soit et surtout pas par le corps médical ou un organisme quel qu'il soit. Voilà ce que chaque femme devrait exiger de nos autorités de santé, de l'information et un respect de ses choix.

S'il n'y avait que la peur de mourir

Dans cette propagande du dépistage, l'INCa ne joue pas seulement sur la peur de la mort par cancer, mais aussi sur la peur de développer ce cancer du sein. Or, la peur de perdre son identité et sa féminité est peut-être encore plus dévastatrice pour une femme. Sans même penser à la mort, les conséquences sur le plan psychologique, pour ce cancer en particulier, sont forcément énormes. Il est évident que beaucoup de femmes, qui sont en bonne santé, pensent qu'en se rendant régulièrement au dépistage, elles éviteront un cancer du sein. Les arguments du style: "plus un cancer du sein est détecté tôt plus les chances de guérison sont grandes" ou encore: " Je participe tous les deux ans au dépistage organisé du cancer du sein . C’est finalement devenu une habitude et cela nous rassure, mes proches et moi" ne sont là que pour instiller l'idée qu'en participant régulièrement au dépistage, les femmes en bonne santé éviteront l'atteinte de leur corps et de leur identité de femme. Il est clair que l'INCa leur ment, exploite leur naïveté sur le sujet et surtout leur peur.

L'appel à la peur est une technique d'influence utilisée pour augmenter la participation au dépistage, comme dénoncé dans un article universitaire détaillant toutes les méthodes utilisées pour inciter les femmes au dépistage ; nous en avions parlé.[3] [4]

Une culture de la compréhension du risque

Être aujourd'hui dans nos conditions de vie, sans compréhension du risque (comme nous venons de le voir avec le jeu de l'INCa sans aucune notion pour relativiser) expose la population à un climat de peur facilement exploitable par des personnes peu scrupuleuses qui veulent arriver à leurs objectifs. C'est bien par cette absence d'explication de ce qu'est un risque qu’une sorte "d'hystérie" autour du risque peut être utilisée par ces personnes qui sont au final mal intentionnées.

Comme nous le disions au début, sans compréhension du risque, la peur ressurgit et le discernement devient très difficile à exercer.

Gerd Gigerenzer, psychologue berlinois et auteur de "penser le risque-vivre dans l'incertitude" dénonce la mauvaise utilisation et la torture des données statistiques de façon récurrente à chaque mois d'octobre rose, dans tous les pays.[5]

Défendons la fin de l'usage de la peur pour orienter les choix des femmes, défendons une information claire sur les risques (sans catastrophisme)


Références

[1] https://cancer-rose.fr/2021/02/08/nouveau-plan-cancer-2021-2030-une-planification-sovietique/

[2] https://blogs.scientificamerican.com/cross-check/the-cancer-industry-hype-vs-reality/

[3] https://cancer-rose.fr/2021/04/20/les-methodes-dinfluence-du-public-pour-linciter-aux-depistages/

[4] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf  (tableau récapitulatif des institutions utilisant les méthodes de manipulation).

[5] Traduction de cet article https://cancer-rose.fr/2021/11/02/la-mauvaise-statistique-du-mois/

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La mauvaise statistique du mois

https://www.hardingcenter.de/en/node/285

https://www.rwi-essen.de/unstatistik/120/

Traduction par Sophie, patiente référente à Cancer Rose

La mauvaise statistique du mois d'Octobre, le mois du cancer du sein - Des rubans roses à la place de l’information

Le psychologue berlinois Gerd Gigerenzer, l'économiste Thomas Bauer de Bochum et le statisticien Walter Krämer de Dortmund ont commencé à publier la "mauvaise statistique du mois" ("Unstatistik des Monats") en 2012.
Katharina Schüller, directrice générale et fondatrice de STAT-UP, a rejoint l'équipe en août 2018.
Chaque mois, les auteurs remettent en question les statistiques récemment publiées et leurs interprétations. Leur objectif sous-jacent est d'aider le public à traiter les données et les faits de manière plus rationnelle, à interpréter correctement les représentations numériques de la réalité et à décrire de manière plus adéquate un monde de plus en plus complexe. De plus amples informations sur cette initiative sont disponibles sur le site www.unstatistik.de et sur le compte Twitter @unstatistik.

Octobre est le mois de la sensibilisation au cancer du sein. On pourrait penser que les femmes sont particulièrement bien informées pendant ce mois.
Nous avons tapé "Breast Cancer Month October 2021" dans Google et avons regardé les liens de la première page. Tous encouragent le dépistage, mais aucun d'entre eux ne fait état des résultats des études scientifiques sur ses avantages et ses inconvénients. Avant d'examiner les pages web, il est bon de jeter un coup d'œil aux résultats des études scientifiques menées jusqu'à présent auprès de plus de 500 000 femmes.

Ces résultats montrent que lorsque 1 000 femmes âgées de 50 ans et plus se soumettent au dépistage, 4 d'entre elles meurent d'un cancer du sein dans les 11 ans environ, tandis que pour les femmes qui ne se soumettent pas au dépistage, ce chiffre est de 5. Donc une femme de moins meurt d'un cancer du sein pour chaque 1 000 femmes dépistées.

Cependant, le nombre total de femmes qui meurent d'un cancer quoi qu’il en soit (y compris le cancer du sein) ne change pas ; il y en a 22 dans chacun des deux groupes avec et sans dépistage. Autrement dit, une femme de moins meurt d'un cancer du sein dans le groupe de dépistage, mais une femme de plus meurt d'un autre cancer dans le groupe avec dépistage. Donc, dans l'ensemble, rien ne prouve que le dépistage sauve ou prolonge des vies.

Mais les femmes qui se soumettent au dépistage sont confrontées à des risques. Sur 1 000 femmes, une sur 100 subit une biopsie inutile en raison de fausses alertes, et 5 femmes subissent une ablation partielle ou totale de leur sein sans que cela soit nécessaire. Ces informations devraient être disponibles en octobre, mois de sensibilisation au cancer du sein, afin que les femmes puissent prendre une décision éclairée pour ou contre le dépistage précoce (voir également la "Fact Box on Early Breast Cancer Detection through Mammography Screening" „Faktenbox zur Brustkrebs-Früherkennung durch Mammographie-Screening“ du Harding Center for Risk Literacy, dirigé par le professeur Gerd Gigerenzer). https://www.hardingcenter.de/en/early-detection-of-cancer/early-detection-of-breast-cancer-by-mammography-screening


Les pages de recherche Google ne fournissent pratiquement aucune information sur les avantages et les inconvénients du dépistage

Que nous disent donc les résultats de la recherche Google ou les pages web ? Euronews.com  ne donne aucune information sur les avantages et les inconvénients du dépistage. Au lieu de cela, le site web fait la promotion de rubans roses et d'un défilé de canards roses. Le site womens.es , en revanche, donne un chiffre : Le dépistage "réduit la probabilité de décès de 25 %". Cela signifie-t-il que sur 100 femmes, 25 de moins mourront du cancer du sein ? Non.
Ce chiffre est obtenu en rapportant la réduction de 5 à 4 sur 1 000 femmes comme "20 % de moins" et en l'arrondissant à 25 %. Je soupçonne ici que les lecteurs ne sont pas avertis sur la différence entre un risque relatif (25 % de moins) et un risque absolu (1 sur 1 000). En effet, des études montrent que beaucoup de femmes (et d'hommes) ne comprennent pas cette subtilité.

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

Sur le site web suivant, la Ligue contre le cancer de la Suisse orientale Krebsliga Ostschweiz encourage le dépistage par mammographie, en donnant de nombreux chiffres (comme le nombre de femmes et d'hommes souffrant d'un cancer du sein) mais aucun sur les avantages et les inconvénients. Sur son site  Webseite, le Ministère des Affaires Sociales, de la Santé, de l'Intégration et de la Protection des consommateurs du Brandebourg conseille à nouveau le dépistage, donne de nombreux chiffres, comme l'âge moyen auquel les femmes sont diagnostiquées, mais aucun qui permette de prendre une décision en connaissance de cause - à la différence d'une « fact box » ou "boîte de données".

La compagnie d'assurance maladie HMR conseille notamment l'autopalpation du sein, sans mentionner des études qui montrent que cette autopalpation ne réduit pas davantage la mortalité par cancer du sein, mais peut provoquer de fausses alertes et des craintes inutiles. Le site web recommande également la mammographie, là encore sans information sur les avantages et les inconvénients.

Le dépistage est également qualifiée à tort comme "prévention " - ce qui est très répandu et l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes pensent que la mammographie prévient le cancer. La vaccination est une prévention et empêche les maladies ; la détection précoce, en revanche, signifie qu'une maladie déjà existante est détectée.
Sur le reste des pages web, les choses se poursuivent ainsi : aucune information sur les avantages et les inconvénients, mais des célébrités, des rubans roses, des nounours en peluche et des flamants roses.

Étant donné que les utilisateurs obtiennent parfois des résultats différents sur la première page d'une recherche Google, chacun devrait essayer de son côté. Toutefois, la plupart des utilisateurs ne trouveront des informations fiables que sur les dernières pages.
Alors qu’environ 90 % de tous les clics conduisent sur la première page.

Le "mois de la sensibilisation au cancer du sein" 2021 fait encore l'impasse sur une information équilibrée.

En octobre 2014, nous avions déjà dénoncé le marketing du mois de la sensibilisation au cancer du sein, ainsi que les chiffres absents ou trompeurs sur les avantages et les inconvénients du dépistage.
En octobre 2021, la situation est la même.
Dans une société où l'on polémique au sujet des stéréotypes de genre, on tolère que les résultats scientifiques sur le dépistage soient dissimulés aux femmes. Les femmes et les organisations de femmes devraient être celles qui finalement déchirent les rubans roses et ne tolèrent pas cela. Chaque femme devrait pouvoir prendre ses propres décisions en connaissance de cause au lieu d'être contrôlée émotionnellement par des nounours en peluche et des intérêts commerciaux.

Contact:

Prof. Dr. Gerd Gigerenzer Tel.: (030) 805 88 519
Sabine Weiler (Communications RWI), Tel.: (0201) 8149-213, sabine.weiler@rwi-essen.de 
Katharina Schüller, auteur de Unstatistics, est également co-initiatrice de la "Charte de la compréhension des données", qui promeut une éducation complète à la compréhension des données. La charte est disponible à l'adresse www.data-literacy-charta.de.

RWI - Institut Leibniz pour la recherche économique https://en.rwi-essen.de/das-rwi/

Le RWI - Leibniz Institute for Economic Research (anciennement Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung) est un centre leader de recherche économique et de conseil politique basé sur des preuves en Allemagne.

Centre Harding pour l'éducation au risque

https://hardingcenter.de/en/the-harding-center/about

Université de Potsdam-Faculté des sciences de la santé

"Notre objectif est d'étudier comment les gens se comportent dans des situations à risque. Nous pensons que notre travail peut contribuer à l'idéal d'une société qui sait calculer les risques et vivre avec."

Gerd Gigerenzer, directeur

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