Risque accru de cancers cutanés après irradiation pour cancer du sein

12/03/2024

La radiothérapie pour le traitement du cancer du sein entraîne un risque accru de cancer de la peau sur le site d'irradiation, selon une recherche publiée le 8 mars dans JAMA Network Open.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford dirigée par Shawheen Rezaei a constaté que le risque de diagnostic de cancer de la peau non kératinocytaire, comme le mélanome et l’hémangiosarcome, après un traitement du cancer du sein par radiothérapie, était de plus de 50 % plus élevé par rapport à la population générale

L'épiderme comprend deux types de cellules, les kératinocytes et les mélanocytes.
Les kératinocytes sont des cellules de l'épiderme (couche superficielle de la peau), jointives, et distribuées en plusieurs couches. 
Les mélanocytes sont situés, eux, à la base de l’épiderme. Ils synthétisent les pigments de la peau qu'on regroupe sous le terme de mélanines, fabriquées dans les mélanosomes. 

Chacun de ces types cellulaires de la peau peut être à l’origine de tumeurs cutanées dont la fréquence et l'agressivité sont variables. Les tumeurs qui se développent à partir des kératinocytes épidermiques sont les plus fréquentes et peuvent occasionner des carcinomes baso‐cellulaires et des carcinomes spino‐cellulaires. Ce sont tumeurs d’origine kératinocytaire, que l’on regroupe sous l’appellation « cancers de la peau non mélanocytaires ».

Les cancers non kératocytaires, à l'opposé, regroupent les mélanomes qui se produisent au dépens des mélanocytes et qui sont beaucoup plus agressifs avec un potentiel métastatique.
Ces cancers non kératocytaires comprennent aussi les hémangiosarcomes, beaucoup plus rares, qui sont des néoplasmes malins caractérisés par des cellules infiltrantes à prolifération rapide, à partir des parois des vaisseaux sanguins ou lymphatiques.
L' antécédent de radiothérapie, même ancienne, est déjà connu comme étant un facteur de risque, de même que la présence d'un lymphœdème infectieux ou séquellaire après un traitement chirurgical.
Le sarcome de Kaposi par exemple, plus fréquent chez les patients atteint de SIDA, est une forme particulière de ces cancers.

L'étude

Il s'agit d'une étude de cohorte, incluant des données recueillies entre 2000 et 2019 auprès de 875880 patientes atteintes d’un cancer du sein nouvellement diagnostiqué.
Au total, 99,3 % des patients étaient des femmes, 51,6 % avaient plus de 60 ans et 50,3 % ont reçu une radiothérapie.

Les chercheurs ont examiné si la radiothérapie dans le traitement du cancer du sein augmentait ultérieurement le risque de cancers de la peau non kératinocytaires, c'est à dire les plus graves.
Ils se sont concentrés sur les cancers localisés à la peau du sein ou du tronc, donc des sites d'irradiation, et ont comparé les résultats aux patients traités par chimiothérapie et chirurgie.

Les auteurs avancent un risque de 57% plus élevé de cancer non kératocytaire pour les patients traités par radiothérapie par rapport à celui de la population générale, lorsque l’on considère la peau du sein ou du tronc.
Le traitement par radiothérapie était également lié à un risque plus élevé de cancer de la peau non kératinocytaire par rapport à la chimiothérapie et aux interventions chirurgicales, selon l’étude.

Les auteurs appellent à de futures études sur les effets de la dose du rayonnement et sur les profils génétiques des patientes atteintes d’un cancer du sein, comme facteurs favorisants possibles pour ce risque accru.

Ils expliquent que les résultats de l'étude peuvent aider les médecins à informer leurs patientes atteintes d’un cancer du sein qu'elles présentent certes un risque faible de cancers cutanés secondaires mais néanmoins plus élevé (de plus du double) par rapport à la population générale, après leur radiothérapie.
Selon eux « il faut mieux définir et intégrer le risque subséquent de tumeurs malignes dans les processus de consultation des patients et les plans de soins de suivi des survivants. »

Considérations subséquentes

Le surdiagnostic est donc bien évidemment à nouveau au centre de la problématique. Dire aux femmes que détecter davantage de cancers petits leur promet un traitement plus "léger" est inacceptable lorsqu'on sait que ce traitement "léger" comprend très fréquemment de la radiothérapie après chirurgie pour cancer du sein.
Les effets carcinogènes de la radiothérapie sont bien connus, et l'enjeu pour les femmes n'est pas d'avoir un traitement plus "léger", mais de n'avoir pas de traitement du tout lorsque celui-ci n'était pas nécessaire et découle d'une détection elle aussi non nécessaire de cancers qui n'auraient pas menacé la vie.

Cette question d'un surtraitement se pose de façon accrue lors de la détection de carcinomes in situ, lésions ne menaçant pas la vie dans la très grande majorité des cas et dont la sur-détection est majorée par le dépistage intempestif que nous connaissons, les femmes y étant incitées à présent de plus en plus jeunes et hors recommandations, une pratique se répandant demandant aux femmes de réaliser, déjà jeune, une "mammographie de référence", ce qui n'a absolument aucun intérêt puisque le sein est un organe variable selon l'état hormonal de la femme, selon le poids, les grossesses etc ....

Plusieurs éléments sont à rappeler, et à avoir en tête lorsqu'on est médecin prescripteur :
* Le dépistage est proposé à des femmes ne se plaignant de rien, saines, à qui l'ont doit l'information loyale sur l'éventualité de surdiagnostic et de possibilité de pathologies induites par les traitements.
* L'enjeu d'un dépistage n'est pas de recruter de plus en plus de cancers, cet argument est souvent à la base de la promotion du dépistage ; or son rôle est avant tout d'éviter de mourir des cancers graves.
* Pour la patiente concernée, même si les cancers secondaires sont globalement rares, ils existent et sont toujours plus fréquents que dans la population générale, et pour la femme concernée, quoi que soient les fréquences des évènements indésirables, pour elle ce sera toujours du 100% vécu...

Nous rajouterons pour finir que les cancers cutanés secondaires à la radiothérapie du sein ne sont pas les seules pathologies induites, des études ont montré l'augmentation significative de maladies cardio-vasculaires après radiothérapie, et l'augmentation des maladies malignes du sang.
Les mécanismes sont expliqués dans cet article sur le site : https://cancer-rose.fr/2021/06/01/les-cancers-radio-induits-apres-radiotherapie-du-cancer-du-sein/

Conclusion

Cette étude fait émerger deux point essentiels :
1- la nécessité incontournable d'informer les femmes des tenants et aboutissants du dépistage et des surtraitements qui en découlent, dont certains avec des conséquences fâcheuses sur la santé.
2- La nécessité de la mise en balance du surdiagnostic induit par le dépistage organisé ou hors-recommandations, pratiqué souvent trop tôt, trop fréquemment, parfois trop répété, avec les bénéfices du dépistage qui, de nos jours, peine à montrer une quelconque efficacité dans la réduction des cancers les plus graves et les plus mortels.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.