Respecter les préférences des patientes

Préférences des patientes suite à  la prise en charge d'un carcinome canalaire in situ  (CCIS) :  Une étude selon la méthode par choix discrets*

Résumé par Sophie patiente Cancer Rose et Dr C.Bour

Chapman BM, Yang JC, Gonzalez JM, Havrilesky L, Reed SD, Hwang ES.
https://ascopubs.org/doi/10.1200/OP.20.00614
JCO Oncol Pract. 2021 Nov;17(11):e1639-e1648. doi: 10.1200/OP.20.00614. Epub 2021 Mar 12. PMID: 33710917.

*La méthode des choix discrets (Discrete Choice Experiment, DCE) a été introduite dans la santé au début des années 90. On présente aux individus différentes situations hypothétiques de choix («épreuves»), dans lesquelles ils peuvent choisir une, deux ou plusieurs options qui sont proposées à la sélection.
Chaque option présente différentes caractéristiques qu'on appelle des «attributs», (p.ex. efficacité, durée, effets indésirables, coût), dont la valeur dépend des options choisies et des situations de choix. 

Résumé :

Le carcinome canalaire in situ (CCIS) est d'autant plus fréquent qu'on dépiste systématiquement, les estimations indiquent que 80% des CCIS sont de bon pronostic et ne menacent pas la santé des femmes. Ils alimentent ainsi de beaucoup le surdiagnostic du cancer du sein, à savoir des diagnostics inutiles de lésions qui, si elles n'avaient pas été découvertes, n'auraient impacté ni la santé ni la vie de la femme.
Mais presque tous les CCIS sont traités de manière agressive par la chirurgie, souvent associée à une radiothérapie et/ou une hormonothérapie, selon les directives de prise en charge selon les pays. Dans certains pays une surveillance active est proposée, dans d'autres, comme la France, ils sont traités avec la même agressivité que les "vrais" cancers invasifs.

En revanche, il existe peu d'études sur les préférences de choix des patients en matière d'options de traitement.

Ici la question posée est : Quels sont les compromis que les femmes seraient prêtes à faire entre les effets adverses des traitements d’un carcinome canalaire in situ (CCIS) et le risque de développer un futur cancer invasif ?

Le résultat principal : Une majorité de femmes (71%) étaient prêtes à accepter une certaine augmentation du possible risque d’un futur cancer du sein en optant pour des scénarios de traitements leur offrant moins d'effets secondaires liés au traitement.

Les résultats de l’étude soulignent l'importance d'une prise de décision partagée, mettant en balance les risques et les bénéfices, entre la patiente et le soignant qui prend en charge une maladie à faible risque.

Contexte et rappels

Le terme "surtraitement" est utilisé pour caractériser le traitement de ces affections qui ressemblent à un cancer précoce mais qui ne causeront pas de symptômes durant la vie du patient ou décès. On estime que pas moins d'une patiente sur quatre avec un cancer du sein détecté par dépistage peut faire l'objet d'un surdiagnostic et d'un surtraitement.
Une majeure partie du surtraitement est liée au traitement du carcinome canalaire in situ (carcinome non invasif, restant dans le canal lactifère du sein).
En effet presque tous les CCIS sont traités de manière agressive par la chirurgie, radiothérapie et/ou à une endocrinothérapie (notamment en France) .

La survie spécifique au cancer du sein à 10 ans chez les femmes traitées pour un CCIS est de 98 % à 99 %  ce qui implique soit que le traitement actuel est quasi totalement efficace pour éradiquer la mortalité par cancer du sein, soit que de nombreux cas de CCIS n'auraient pas connu d'évolution vers un cancer du sein invasif et ont donc subi un surtraitement.
Le taux exceptionnellement élevé de survie spécifique au cancer du sein pour l'ensemble des options de traitement suscite des préoccupations car pour les patientes présentant une forme indolente de CCIS, le traitement qui leur est imposé leur inflige actuellement un préjudice important sans leur offrir de bénéfice significatif.

L'alternative aux référentiels de traitements actuels serait une approche de surveillance active (SA), telle qu'elle est actuellement proposée à de nombreux hommes atteints d'un cancer de la prostate précoce et aux femmes présentant d'autres pathologies considérées comme à haut risque de cancer du sein, telles que l'hyperplasie canalaire atypique, le carcinome lobulaire in situ, ou une mutation délétère héréditaire.
Une stratégie de SA implique une surveillance étroite, dans le but d'intervenir uniquement en cas de progression de la maladie.

Au niveau international, quatre essais cliniques prospectifs actifs visent à tester la sécurité et les avantages de cette approche. L'essai LORD qui intègre encore des patientes.

(Lire ici : https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02492607
-Depuis février 2019 sont acceptés aussi les CIS grade II, en plus du grade I
-Depuis juillet 2020 l'essai randomisé a été transformé en essai de préférence du patient :  les femmes ont le choix du bras d'essai (soit surveillance soit traitement classique)
-Un test des récepteurs oestrogenes et HER2 a été rajouté avant l'inclusion des patientes dans l'essai pour éliminer les cas de lésions de haut grade, afin de rendre les essais encore plus sécurisants
-Il y a à présent 28 sites ouverts aux Pays Bas,  6 en Belgique dont site francophone ouvert à Bruxelles : https://www.chu-brugmann.be/fr/research/trials/trial.asp?num=82 - 15 sites vont ouvrir dans d'autres pays dont la France, à venir !)


En attendant les résultats de ces essais, il est important de savoir si la SA pourrait être une option acceptable pour certaines femmes dans le cas où on leur offrait la possibilité d'évaluer les avantages et les inconvénients des autres options de prise en charge. En d'autres mots, les femmes accepteraient-elles d'autres options comme la SA au lieu des traitements habituels dans le cas où on leur aurait bien explicité la balance bénéfice/risques ?
Pour tester cette hypothèse, l'étude dont nous parlons a permis de sonder les préférences des patientes pour quantifier dans quelle mesure les femmes sont prêtes à accepter des compromis parmi les options possibles de prise en charge du CCIS, dans lesquelles est comprise aussi la SA.

Les études par "méthode des choix discrets", comme c'est ici le cas, sont des instruments d'enquête utilisés pour obtenir des informations sur les préférences concernant différents aspects des biens et des services d'intérêt.
Dans une méthode par choix discrets, les participants sont invités à choisir entre deux ou plusieurs scénarios conçus expérimentalement qui nécessitent des compromis entre les caractéristiques (appelées "attributs") d'un bien ou d'un service, ici de la prise en charge du CCIS ; en analysant les choix des participants entre les questions de l'étude, il est possible d'estimer l'importance relative qu'accordent les personnes aux caractéristiques pour chaque option de prise en charge, et comment cela oriente les choix que font alors les personnes.

Dans les scénarios oncologiques, cela peut inclure des compromis entre la survie supplémentaire apportée par un traitement anticancéreux proposé et ses effets secondaires, les inconvénients ou les coûts associés à ce traitement.

Méthode de l'étude :

Pour mieux comprendre les préférences des patientes, à l'aide d'une "expérience de choix discret", Hwang et ses coauteurs ont recruté 194 femmes en bonne santé dans une clinique de mammographie de dépistage.

Les participantes ont visionné des vidéos informatives sur le diagnostic et la signification clinique du CCIS.
Ensuite les femmes ont été invitées à imaginer qu'on leur avait diagnostiqué un CCIS, puis à choisir entre plusieurs scénarios de prise en charge qui incluaient l'option de traitements agressifs, de traitements moins agressifs, qui incluaient aussi l'estimation du risque de cancer, et les effets secondaires des traitements.
Différents critères étaient définis comme l'aspect des seins, la gravité d'une infection au cours de la première année, les douleurs chroniques, les bouffées de chaleur et le risque de développer un cancer du sein ou d'en mourir dans les dix ans pour générer des tableaux cliniques ou des "profils de santé" selon les différents scénarios, pour une représentation plus concrète pour les femmes selon le choix qu'elles feraient.

Résultats :

Sans surprise, le risque d’un futur cancer du sein et la mortalité ont été les facteurs les plus importants lorsque les femmes ont évalué les options de prise en charge hypothétiques. Toutefois, l'étude a révélé que plus des deux tiers des participantes étaient prêtes à accepter une certaine augmentation du risque futur de cancer du sein pour réduire l'ampleur de la chirurgie ou la gravité et/ou la durée des effets secondaires liés au traitement.

En d'autres termes une majorité de femmes étaient prêtes à accepter une légère augmentation du possible risque futur de cancer invasif pour des scénarios de traitement offrant une réduction des effets secondaires des traitements.

Conclusion et implication dans la vie réelle :

Les résultats suggèrent qu'il existe probablement un sous-ensemble de femmes qui, lorsqu'elles sont diagnostiquées avec un CCIS, donneraient la priorité à une réduction des effets secondaires et une réduction de la chirurgie, plutôt qu'anticiper un risque futur de cancer du sein dans certains contextes, ont conclu les chercheurs.

La plupart des femmes étaient prêtes à faire des compromis entre les effets liés au traitement et le risque de cancer invasif, ce qui souligne la nécessité d'une prise de décision partagée entre les patients et les prestataires concernant les stratégies de traitement du carcinome in situ.

Bien que de nombreuses discussions sur les options de prise en charge du CCIS se concentrent presque exclusivement sur le risque futur de cancer du sein et sur la réduction du risque, les résultats de cette étude confirment que les femmes tirent des bénéfices si des informations détaillées sur les risques et les résultats des traitements leur sont présentées, leur permettant de prendre une décision de santé personnalisée et entièrement informée.

L'étude confirme que les décisions de choix de traitements du CCIS sont très sensibles aux préférences personnelles, et que l'on ne peut pas faire d'hypothèses a priori sur les compromis que les patientes seraient prêtes à envisager lorsqu'elles mettent en balance les risques et les effets secondaires du traitement.

Ces considérations complexes sont fondamentales dans les efforts visant la désescalade des traitements pour des affections à faible risque comme l'est le CCIS.

Conseils aux oncologues, interview de l'auteure principale :

https://www.medpagetoday.com/reading-room/asco/breast-cancer/97547

Par Jeff Minerd, rédacteur à MedPage 8 mars 2022

Dans un interview l'auteure principale propose des conseils aux oncologues pour qu'ils puissent discuter des options de traitement du CCIS avec les patientes de manière approfondie et équilibrée.

ES Hwang : L'une des étapes clés consiste à déterminer dans quelle mesure la patiente connaît son diagnostic et ses implications. Je pense qu'un chirurgien oncologue aurait tendance à se précipiter et à dire : c'est un cancer, nous devons l'enlever, voici les options chirurgicales.
C'est toujours la chose la plus facile à faire pour nous, mais nous négligeons parfois de passer du temps avec la patiente pour parler du diagnostic lui-même et de ses implications cliniques.
Et lorsqu'il s'agit d'une maladie qui n'a pas d'implications cliniques immédiates ou qui ne met pas la vie en danger, et plus particulièrement pour le CCIS lorsque nous ne savons même pas s'il se transformera en cancer même si nous n'intervenons pas chirurgicalement, je pense qu'il est important de formuler le diagnostic en premier lieu et de s'assurer que le patient comprend les implications du diagnostic.

Votre étude a utilisé des expériences de choix discret, qui ont été développées initialement pour les études de marché. Pouvez-vous décrire brièvement leur fonctionnement ?

ES Hwang : Les expériences de choix discret ont été beaucoup utilisées dans des domaines tels que l'économie de la santé pour voir comment les gens prennent des décisions et pèsent le pour et le contre de tous les différents aspects de cette décision. Par exemple, si vous êtes sur le point d'acheter une maison, vous devez non seulement tenir compte du coût, mais aussi de l'emplacement et du nombre de chambres à coucher.

Ce n'est jamais un seul facteur qui fait qu'une personne décide d'acheter une maison. Il y a aussi des aspects très émotionnels dans cette décision. Une expérience de choix discret tente donc de trouver un ensemble d'attributs qui sont importants pour prendre un certain type de décision.

Dans ce cas, il s'agissait d'un diagnostic de CCIS et de la décision sur la manière de le gérer. Nous avons essayé d'inclure des attributs que nous pensions être significatifs pour les patients. Ainsi, la douleur postopératoire, par exemple, est une question que les gens se posent et qui les préoccupe. Nous avons inclus différents niveaux de douleur dans l'expérience. Les aspects esthétiques et les effets secondaires du traitement sont également des considérations importantes. Nous avons créé différents scénarios dans lesquels nous avons combiné ces différents attributs. Nous les avons présentés aux patients et leur avons demandé de choisir le scénario qui correspondait le mieux à leurs préférences. Cela nous a donné une idée des valeurs que les patients considéraient comme les plus importantes lorsqu'ils essayaient de prendre une décision concernant le CCIS.

Je pense que c'est une question qui devient de plus en plus pertinente. Le dépistage du cancer détecte des lésions précancéreuses telles que le CCIS qui n'ont pas d'implications cliniques immédiates. Il n'y a pas de symptômes, il n'y a pas d'implications en termes de mortalité, il y a juste cette préoccupation, à savoir que nous essayons de prévenir l'apparition de cancers. Et je pense que plus nous serons performants en matière de dépistage, plus nous nous retrouverons dans cette situation, non seulement avec le cancer, mais aussi avec les maladies cardiaques et métaboliques, où nous diagnostiquons une maladie avant que le patient ne présente des symptômes.

Je pense donc qu'il est beaucoup plus pertinent de peser le pour et le contre lorsque l'on n'a pas à faire à des maladies mettant immédiatement la vie en danger, et apprendre à parler de ces scénarios aux patients sera une compétence de plus en plus importante.

Votre étude incluait des femmes sans diagnostic réel de CCIS. Pensez-vous que cela limite la généralisation de vos résultats à la population générale du CCIS ?

ES Hwang : C'est un très bon point. Nous ne pensions pas pouvoir réaliser cette étude avec des femmes chez qui un CCIS avait été diagnostiqué, car nous ne savions pas quelles informations elles avaient déjà. Si quelqu'un, à un moment ou à un autre, leur disait qu'elles avaient un cancer et qu'il fallait le faire enlever, cela pouvait certainement influencer la façon dont elles envisageaient leurs choix.
Pour réaliser cette expérience de choix discret, nous avions besoin d'un groupe de patients qui ne disposaient pas au préalable de beaucoup de sources d'information sur la maladie. D'un autre côté, les femmes participant à l'étude se sont présentées avec une anomalie ou venaient pour un dépistage du cancer du sein, elles pensaient donc déjà à ce qui se passerait si elles recevaient un diagnostic. Nous avons donc estimé qu'il n'était pas exagéré d'utiliser cette population.

En tant que chirurgiens, on nous apprend à nous concentrer sur les résultats du cancer et la mortalité, et nous devons le faire. Cependant, il arrive que notre formation n'intègre pas la manière d'équilibrer d'autres éléments auxquels les patients tiennent, ni la manière de les aider à appliquer ces valeurs à une décision de traitement qui leur convient ou qui est préférable pour eux.
J'ai constaté que parfois les chirurgiens oncologues, et les oncologues en général, traitent le cancer. Mais que ce que nous devons réellement faire, c'est traiter le patient de manière holistique, en plus du cancer.
C'est le message à retenir de cette étude, qui souligne combien il est important de traiter chaque personne comme un individu unique, qui ne partage pas nécessairement le système de convictions du professionnel qui le traite.

En médecine, il y a de la place pour tenir compte de nombreuses visions différentes du risque et de la santé.

Pour en savoir plus :

Surtraitement du CCIS du cancer du sein de stade 0

Et
Perspective : Les risques de surdiagnostic - Nature

Et https://cancer-rose.fr/2020/10/22/carcinome-in-situ-le-probleme-de-son-surdiagnostic-lors-des-mammographies-de-d

Et

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Une étude de modélisation sur le surdiagnostic

Par le collectif Cancer Rose, 12 mars 2022

https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/M21-3577

Selon une étude de modélisation basée sur les données des centres du Breast Cancer Surveillance Consortium (BCSC), environ un cas de cancer du sein dépisté sur six à sept est surdiagnostiqué.
Cette étude souligne d’abord que le surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein est bien réel.

Résultats de l’étude

On a estimé qu’en moyenne 15,4 % (IC 95 % : 9,4 %-26,5 %)  des cas de cancer dépistés étaient surdiagnostiqués, rapportent l'auteur principal Marc D. Ryser* de l’Université Duke à Durham, Caroline du Nord, et ses collègues.

* Ryser : Marc Daniel Ryser, professeur adjoint en sciences de la santé des populations
Le Dr Marc Ryser est un expert en modélisation mathématique et statistique. Ses recherches s'appuient sur des données biologiques, cliniques et au niveau de la population pour informer et guider la détection précoce et la prévention du cancer. 

Voici les résultats par tranche d’âge et type de cancer détecté dans la figure 3 et le Tableau 3.

Au-delà des valeurs moyennes, nous pouvons observer (Fig 3) que pour toutes les tranches d’âge le taux de surdiagnostic peut atteindre des valeurs maximales supérieures à 20%, et selon le Tableau 3, le taux de surdiagnostic au premier dépistage atteint une valeur maximale de 28%, à 58 ans 21,1%,  à 66 ans 25,4% et à 74 ans 31,9%

Dans cette étude de modélisation, une découverte intéressante est que le taux de surdiagnostic augmente avec l’âge et a presque doublé selon la tranche d'âge analysée : 11,5% (IC 95%, 3,8%-28,3%) au premier examen de dépistage à 50 ans jusqu'à 23,6% (IC 95%, 17,7%-31,9%) au dernier examen à 74 ans.

Comparaison avec données antérieures

Les auteurs notent  « Une comparaison de nos estimations avec celles d'autres études n'est pas simple en raison de différences dans les définitions du surdiagnostic et les pratiques de dépistage ».
lls concluent que leurs résultats concernant le surdiagnostic sont à la fois plus élevés que les études de modélisation précédentes (allant de 1% à 12%, selon les études citées par l’article), en raison de différences dans les pratiques de dépistage, les pratiques de diagnostic et les hypothèses de modélisation, mais plus faibles que d'autres études qui ont montré des taux bien plus hauts que la moyenne de cette étude.
Par exemple, l'essai de dépistage canadien a estimé un taux de surdiagnostic de 30 % (Baines CJ, To T, Miller AB. Revised estimates of overdiagnosis from the Canadian National Breast Screening Study. Prev Med. 2016;90:66-71. [PMID: 27374944] doi:10.1016/j.ypmed.2016.06.033 ) pour les cancers détectés par le dépistage.
Dans une étude de population, Bleyer et Welch (Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mam- mography on breast-cancer incidence. N Engl J Med. 2012;367:1998- 2005. [PMID: 23171096] doi:10.1056/NEJMoa1206809 ) ont estimé que 31% de tous les cas de cancer du sein diagnostiqués étaient surdiagnostiqués. 

Les auteurs concluent en espérant que leurs résultats rejoindront un consensus et faciliteront la prise de décision concernant le dépistage par mammographie.

Conclusions de l’Editorial “Reducing the Burden of Overdiagnosis in Breast Cancer Screening and Beyond” " (Réduire la fardeau du surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein et au-delà")

L’Editorial publié conjointement à l’étude souligne  l’importance de l’information des femmes ainsi ce que ce surdiagnostic représente.
(Marcondes FO, Armstrong K. Reducing the Burden of Overdiagnosis in Breast Cancer Screening and Beyond. Ann Intern Med. 2022 Mar 1. doi: 10.7326/M22-0483. Epub ahead of print. PMID: 35226534.)

Les auteurs soulignent l’importance de l’information éclairée :  « Les femmes qui envisagent de passer une mammographie doivent être conseillées sur les risques de traitement inutile du cancer en utilisant ces informations ».

En estimant qu'environ 60 % des 280 000 cas de cancer du sein diagnostiqués chaque année aux États-Unis sont découverts grâce au dépistage par mammographie, l'élimination du surdiagnostic pourrait épargner à 25 000 femmes le coût et les complications d'un traitement inutile.

Des "avancées substantielles" dans d'importants domaines doivent être réalisées selon les auteurs, notamment :

  • Développer une meilleure capacité prédictive dans le but d’identifier avec précision les tumeurs qui ne progresseront pas
  • Améliorer l’exactitude des technologies de dépistage pour réduire le risque de surdiagnostic et améliorer la capacité de détecter le cancer du sein qui n’a pas été détecté par la mammographie.
  • Mettre en œuvre des stratégies de prévention pour réduire le taux global de diagnostic de cancer du sein, comme fournir des conseils sur les modifications du mode de vie, ainsi que le dépistage du risque génétique.

Les auteurs de l’éditorial concluent :

« Les tests de dépistage, qu'il s'agisse du cancer ou d'autres affections, peuvent être très utiles en détectant les maladies lorsqu'elles sont plus facilement traitables. Cependant, le risque d'étiqueter des millions de personnes comme étant atteintes d'une maladie sans améliorer leurs résultats est très réel. Pour l'instant, la communication ouverte et efficace entre les médecins et les patients, l'évaluation rigoureuse de toutes les stratégies de dépistage proposées et l'investissement continu dans la recherche sur la détection précoce sont les éléments clés de la gestion de ces compromis. Nous attendons avec impatience le jour où un diagnostic précoce aidera toujours nos patients à obtenir de meilleurs résultats. »

Et les conclusions vont au-delà du dépistage du cancer du sein.

« Alors que les tests de dépistage et de diagnostic continuent de se développer dans la pratique clinique, le problème du surdiagnostic se fait sentir bien au-delà du dépistage du cancer. Pour certaines affections, l'évolution des définitions a conduit à attribuer aux patients un état prédisposé sur la base d'un résultat de test qui était auparavant considéré comme normal. Bien qu'il existe de solides arguments en faveur d'un traitement précoce pour prévenir les complications à long terme dans de nombreuses pathologies, la réalité est que, tout comme pour le dépistage du cancer, il ne fait guère de doute que certains patients diagnostiqués par un test de dépistage n'auraient jamais évolué et sont susceptibles de recevoir un traitement inutile. »

Commentaires et critiques, avis de Dr V.Robert, statisticien

1-Une étude de modélisation

L'étude reste une étude de modélisation, ce qui signifie que les résultats d'une modélisation dépendent d'un modèle choisi et de conditions de validité, au mieux invérifiables et au pire contestables. Par exemple, les auteurs sont obligés de considérer qu'un cancer du sein est soit définitivement non-évolutif, soit inexorablement évolutif, sans possibilité que le statut évolutif du cancer change au fil du temps. Pas sûr que les choses soient aussi simples.
Autre exemple, les auteurs sont obligés de construire leur modèle en considérant que tous les cancers du sein évolutifs évoluent au même rythme et que ce rythme reste constant pendant toute la durée d'évolution. En pratique, il y a très vraisemblablement des distributions différentes des vitesses de progression pour chaque type de cancers du sein et il n'est pas certain que les vitesses de progression ne puissent pas varier au cours du temps.

2- Les données de mortalité de cause autre que le cancer du sein utilisées par l'étude ne semblent pas bien adaptées.


D'une part, après vérification de la référence 25 de l'étude qui correspond à la source de ces données (Contribution of Breast Cancer to Overall Mortality for US Women) : pour une population de femmes de 50 à 80 ans, ce ne sont pas des données issues de mesures directes de la mortalité mais des données estimées à partir de projections (autrement dit à partir de modèles).
D'autre part, les données correspondent à une cohorte de femmes nées en 1971. Puisque l'âge médian des femmes incluses dans l'étude est de 56 ans, la cohorte née en 1971 est adaptée pour la mortalité de femmes incluses en 1971 + 56 = 2027. Ou, si vous préférez, la cohorte adaptée pour avoir la mortalité de femmes de 56 ans en 2000-2018 devrait être née entre 1944 et 1962. Quel que soit le raisonnement, il est clair que la cohorte prise pour se procurer les données de mortalité est trop récente d'au moins une dizaine d'années. Ce n'est pas neutre puisque les tables figurant dans la référence 25 montrent une diminution non négligeable de la mortalité au fil du temps.

3-La définition des cancers détectés par le dépistage est contestable.


Sont considérés comme cancers détectés par le dépistage les situations qui cochent les deux conditions suivantes : mammographies de dépistage BI-RADS 3 à 5 + diagnostic de cancer dans les 12 mois suivants.
Avec des critères comme ceux-là, des cancers de l'intervalle risquent d'être classés cancers détectés par le dépistage (BI-RADS 3 + examens complémentaires négatifs = dépistage ne montrant pas de cancer ; si un cancer survient 11 mois après la mammo de dépistage, c'est un cancer de l'intervalle et pourtant il sera classé cancer dépisté) . Même si ces cas de figure ne sont pas très fréquents, ils participent aux données servant à l'ajustement des paramètres et, ajuster sur des données "foireuses", ça ne peut que donner des résultats foireux ("garbage in, garbage out" comme disent les statisticiens).

4-.Il est faux de prétendre que l'étude montre que le taux de surdiagnostic est de 15%.


La réalité, c'est que l'étude montre que le taux de surdiagnostic est quelque part entre 9 et 27% (et n'importe quelle valeur au sein de cette plage est possible, pas plus 15% que 9% ou 27%).

Figure 3 de l'étude :

Selon la tranche d'âge le pourcentage de surdiagnostic peut varier jusqu'à atteindre 25%, voire 32%.



C'est malheureusement une erreur très fréquente de prendre le résultat d'une étude (taux estimé à partir d'un échantillon) pour la réalité (taux réel, et inconnu, dans la population). Et c'est une erreur encore plus fréquente de croire que le taux estimé a plus de chance d'être proche du taux réel que n'importe quelle autre valeur dans l'intervalle de confiance.

Conclusion

On ne peut pas considérer, sur la base d'une telle étude et de façon arbitraire que le débat sur la fréquence des surdiagnostics est clos, avec une fréquence définitivement établie à 15%, comme les auteurs de l'étude le souhaiteraient.

En revanche le modèle peut être intéressant pour répondre à des questions sur l'évolution de la fréquence des surdiagnostics en fonction de l'âge des femmes dépistées, ou sur l'évolution de la fréquence des surdiagnostics en fonction de l'intervalle entre 2 mammos de dépistage ?     

La professeure Alexandra Barrat, de l’Université de Sydney, interrogée par Amanda Sheppeard, rédactrice associée et journaliste à Oncology Republic et à The Medical Republic, a déclaré qu’il existait différentes méthodes pour estimer le taux potentiel de surdiagnostic par le dépistage du cancer du sein.
Elle a indiqué que l’étude a démontré l’inévitabilité du surdiagnostic dans le dépistage d’un certain nombre de cancers.
« Je pense qu’il y a un besoin dans la communauté professionnelle d'une plus grande acceptation de ce que les données probantes montrent sur le dépistage du cancer du sein. »
« Nous devons simplement reconnaître que cela est inhérent à un programme de dépistage du cancer. »

En conséquence et au-delà des données probantes, selon A.Barrat, l’étude a permis de souligner l’importance du consentement éclairé dans le dépistage du cancer du sein.

Liens d'intérêts

Un des principaux investigateurs Dr. Ruth Etzioni possède des actions au sein de la société Seno Medical d'imagerie, comme investisseur.

Le Dr Ruth Etzioni est une biostatisticienne de Fred HutchCenter qui se concentre principalement sur le dépistage du cancer et la détection précoce. Sa motivation première est de veiller à ce que les décideurs, les prestataires et le public soient bien informés des avantages et des inconvénients des interventions de prévention et de détection précoce du cancer.
Seno Medical Instruments, Inc. est une société d'imagerie médicale basée à San Antonio, au Texas, créée pour commercialiser une nouvelle modalité de dépistage et de diagnostic du cancer appelée imagerie opto-acoustique. La première application clinique de Seno concerne le diagnostic du cancer du sein, qui se concentre principalement sur le dépistage du cancer et la détection précoce. La technologie opto-acoustique développée par Seno fusionnée avec l'échographie a pour but de réduire les biopsies mammaires négatives. https://senomedical.com/clinical/product-applications

Le premier produit clinique de Seno cible le diagnostic du cancer du sein et sera utilisé en complément de la mammographie de dépistage, en intégrant l'opto-acoustique et les ultrasons.

Liens d'intérêts Dr Etzioni




Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Probabilité d’un stimulateur cardiaque après cancer du sein

Résumé C.Bour, 21 février 2021

Quelle est la probabilité de recevoir un stimulateur cardiaque implantable après radiothérapie pour cancer du sein ?

https://www.univadis.fr/viewarticle/quelle-est-la-probabilite-de-recevoir-un-stimulateur-cardiaque-implantable-apres-radiotherapie-pour-cancer-du-sein

Une étude française montrerait que des femmes traitées par radiothérapie pour cancer du sein au cours des deux dernières décades auraient deux fois plus de probabilité de recevoir un stimulateur cardiaque implantable, par rapport à celles qui n’avaient pas reçu de radiothérapie. 

Au total, 3.853 femmes avec un diagnostic de cancer du sein ont été incluses, traitées entre 2008 et 2016, avec ou sans radiothérapie, et ont été suivies jusqu’en 2018 (suivi moyen de 5,8 ans pour les femmes traitées par radiothérapie et de 5,5 ans pour les autres.)
Le risque de recevoir un stimulateur cardiaque était significativement plus élevé chez les femmes traitées par radiothérapie.
Une limitation de l'étude est l'échantillon limité des sujets observés, les auteurs évoquent la nécessité de faire une étude de plus grande ampleur.

Une étude antérieure sur les maladies cardiaques chez les survivantes de cancer du sein

En 2020 nous avions relayé une étude américaine de 2019 sur 750 000 femmes qui tendait à montrer que plus les femmes sont suivies à distance de leur diagnostic de cancer du sein, plus il y a de probabilité de trouver une cause de décès non liée au cancer initial.
Il s'agit alors le plus souvent de maladies cardiaques (cardiopathies et AVC), selon les auteurs de l'étude publiée dans la revue "Cancer".

Les taux élevés de décès par maladie cardiaque sont probablement liés à la toxicité de la chimiothérapie (notamment les anthracyclines) et de la radiothérapie (sein gauche notamment).

La prévention de ce problème repose, selon les auteurs de l'étude, sur un suivi au long terme des femmes par les médecins hospitaliers en étroite collaboration avec les médecins généralistes.

Nous voyons un autre moyen d'éviter ce genre de déconvenues graves pour la santé des femmes, à savoir la lutte contre le surdiagnostic imputable à la mammographie systématique de dépistage, et contre le surtraitement qui s'ensuit, de lésions inutiles à diagnostiquer et donc à traiter.
Ce surtraitement entraîne alors des maladies que les femmes n'auraient jamais connues sans le dépistage.






Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Cancer du sein et fatigue sévère

Résumé Dr Bour C., le 14 février 2022

Cancer du sein : un algorithme prédit la fatigue sévère dès le diagnostic

De très nombreuses femmes (plus du tiers) ayant eu un cancer du sein allèguent une fatigue importante et durable persistant même plusieurs années après le diagnostic.

En se basant sur une cohorte de femmes dite cohorte Canto (cohorte de femmes sur lesquelles un programme d'étude des effets secondaires des traitements est effectué) un algorithme prédictif a été développé pour calculer le risque de cette hyper-fatigue et ce dès le diagnostic, afin de mettre en place une prévention personnalisée de ce phénomène.

L’étude vient d’être publiée dans la revue Journal of Clinical Oncology.
https://ascopubs.org/doi/full/10.1200/JCO.21.01252

MÉTHODES

Les participantes atteintes d'un cancer du sein de stade I à III ont été incluses de manière prospective à partir de la cohorte CANTO avec des données au moment du diagnostic (avant le début de tout traitement anticancéreux) et 1, 2 et 4 années après le diagnostic. 

Le critère de jugement principal était la fatigue globale sévère rapportée sur un questionnaire de qualité de vie.
Les critères de jugement secondaires comprenaient la fatigue physique, émotionnelle et cognitive.

RÉSULTATS

Parmi presque 15000 patientes incluses à différents temps (1 an, 2 ans, 4 ans), on retrouvait environ le tiers des femmes qui étaient concernées par une fatigue globale sévère post-traitement. 

Six facteurs de risque majeurs ont été identifiés.

Les chercheurs ont mis en lumière six principaux facteurs de risque cliniques et comportementaux déterminants d’une fatigue sévère : le jeune âge (en lien avec le statut de la pré-ménopause), un indice de masse corporel (IMC) élevé, le tabagisme, l’anxiété, l’insomnie et la douleur ressentie avant le début des traitements, ainsi que la fatigue préexistante au moment du diagnostic de cancer du sein

  • La fatigue avant le traitement représentait le facteur prédictif le plus fort et le plus cohérent. La fatigue avant le traitement peut ouvrir la voie à une fatigue élevée même des années après la fin du traitement, en raison d'une perturbation des mécanismes biologiques, psychologiques ou comportementaux qui existent avant le début du traitement. 
  • Cependant, on relève une relation plus étroite entre la fatigue physique et l'augmentation de l'IMC, et entre la fatigue émotionnelle/cognitive et la détresse et vulnérabilité psychologiques.
  •  À plus court terme on constate que l'impact lié à la chimiothérapie semble transitoire et surtout marquant au lendemain du traitement.
  • En revanche, une association délétère plus marquée entre l'hormonothérapie et la fatigue a été confirmée après une exposition plus longue (après 4 années). Ces résultats appuient l'idée que l'impact de l'hormonothérapie sur la qualité de vie ne semble pas se réduire avec le temps. L'hormonothérapie semble impacter la récupération des fonctions rapportées par les patients qui s'améliorent généralement avec le temps, y compris la fonction émotionnelle et les perspectives futures. 
    Les données de la présente étude soulignent que certaines patientes recevant une hormonothérapie, en particulier les jeunes femmes préménopausées, peuvent nécessiter une attention particulière. Ceci est d'autant plus important à considérer dans la prise en charge que des stratégies d'intensification de l'hormonothérapie ont été récemment mises en œuvre en prolongeant sa durée au-delà de 5 ans.
  • Des preuves substantielles montrent que la fatigue liée au cancer est sous-traitée.
  • Certaines des patientes souffriraient déjà de fatigue avant le traitement et nécessiteraient l'utilisation initiale de prises en charge pour traiter ce symptôme.

CONCLUSION

  • La fatigue est un effet secondaire très fréquent chez les patientes atteintes d'un cancer du sein, mais il existe peu d'outils pour prédire son risque. 
  • Environ une patiente sur trois endurerait une fatigue persistante et sévère au fil du temps.
  • Les auteurs proposent un modèle prédictif pour évaluer la fatigue chez les survivantes du cancer du sein, dans un cadre personnalisé de soins aux survivantes, au moyen d'un outil en ligne pour le calcul du risque de fatigue.
  • Cela peut aider les cliniciens à fournir des interventions de prise en charge précoces ou à corriger les facteurs de risque modifiables ; ils peuvent ainsi offrir un suivi et une éducation plus adaptés aux patientes à risque de fatigue post-traitement sévère.
  • Ceci permettrait aussi à mettre en place un cadre de soins cliniques où les patientes entrantes seraient systématiquement dépistées pour la fatigue et les facteurs de risque au moment du diagnostic du cancer du sein, avant le début de tout traitement contre le cancer.


Les stratégies de prise en charge pourront ainsi être adaptées au cas par cas. Selon leur score et leur profil, les patientes se verront proposer un soutien psychologique, des séances d’activité physique adaptée et un accompagnement pour correction des facteurs de risque comme par exemple la proposition d'un sevrage tabagique ou encore des conseils nutritionnels.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

L’anatomopathologie, des incertitudes possibles

Synthèse par Dr C.Bour, 18 décembre 2021

Une observation :

Il s'agit d'une femme de 65 ans, début des mammographies à 40 ans en raison d'un antécédent familial (la mère à l'âge de 80 ans). Elle a déjà subi des biopsies démontrant une simple mastose (état bénin du sein, se manifestant par des tensions et douleurs des seins, ainsi qu'une consistance "granuleuse" à la palpation des seins, là où la glande mammaire est plus présente et plus dense.)

On découvre ensuite chez cette patiente, sur une mammographie et dans un seul sein deux petits foyers de microcalcifications, une première macrobiopsie est réalisée, échouée en raison d'une difficulté de repérage. Puis une deuxième macrobiopsie est alors effectuée quelques mois plus tard.

Les 2 foyers biopsiés ont révélé d'une part un carcinome in situ et une lésion classée "hyperplasie atypique". Une mastectomie complète (ablation complète) du sein est préconisée sur la base du compte rendu d'anatomopathologie, en raison de la présence de deux lésions concomitantes.

L'anatomopathologie n'est pas infaillible

Les échantillons de biopsie mammaire sont parfois d'analyse difficile.

Dans une étude publiée en 2016 par le  BMJ , des chercheurs américains ont évalué 12 stratégies différentes pour évaluer l'efficacité de chacune à réduire les erreurs d'interprétation, (deuxième avis demandé pour tous les échantillons, deuxième avis uniquement en cas d'atypies, ou uniquement en cas du souhait du premier anatomo-pathologiste ou encore pour des premiers lecteurs présentant une moins bonne expérience en pathologie mammaire etc...).
115 pathologistes ont interprété  240 échantillons de biopsie mammaire à raison d'une lame pour chaque cas, et leurs avis comparés aux diagnostics de référence d'un consensus d'experts.

Les résultats de cette étude furent les suivants : les pathologistes ayant accepté de participer à l'étude étaient en désaccord  avec le consensus du groupe d'experts dans environ 25 % des cas ; la plupart des désaccords concernaient des échantillons provenant de conditions difficiles à interpréter, comme les atypies, lorsque les cellules semblent anormales mais ne sont pas cancéreuses, et le carcinome canalaire in situ (CIS), appelé aussi stade 0 du cancer du sein.

La conclusion de l'étude : à l'exception des cas de cancer invasif où car le deuxième avis diffère rarement de l'interprétation initiale, TOUTES les stratégies demandant un deuxième avis améliorent la concordance diagnostique et réduisent les taux d'erreur de classification des échantillons mammaires de 24,7% à 18,1%, ce qui montre que la variabilité dans les diagnostic n'est quand-même qu'incomplètement éliminée, en particulier pour les spécimens mammaires avec atypie.

Le deuxième avis est donc recommandé car il peut faire la différence entre un diagnostic d'hyperplasie bénigne ou de carcinome in situ et influer ainsi sur les sanctions chirurgicales, sur la nécessité d'une ré-intervention, d'une radiothérapie et/ou d'une chimiothérapie.

Le deuxième avis peut ainsi aider la patiente dans son choix thérapeutique.

Pourquoi ne pas proposer plus systématiquement une deuxième lecture des lames ?

En cas de biopsie positive, dans les cas litigieux (donc en dehors du cancer invasif où l'incertitude est plus rare), on définit le départ de la maladie par ce seul examen du tissu prélevé au microscope (diagnostic histologique). Et il est stupéfiant de constater comment, d'une part, le CIS est considéré comme un stade 0 du cancer du sein avec un très bon pronostic, et comment d'autre part les sanctions thérapeutiques pour ce CIS et à fortiori pour les lésions pré-cancéreuses peuvent être extrêmement lourdes, aussi lourdes que pour un "vrai" cancer invasif.

La patiente, elle, ne connaît pas le nom de celui qui a lu sa biopsie ; pire encore, elle n'a pas le choix du lecteur de sa biopsie, de l'anatomopathologiste donc, contrairement au choix dont elle dispose pour le médecin généraliste, le gynécologue et même un chirurgien le cas échéant.

Ce compte-rendu d'anatomie pathologique n'est jamais communiqué à la patiente, pourtant il est strictement nécessaire et obligatoire pour commencer le traitement. Le traitement et les choix des options thérapeutiques en dépendent.
Et pourtant encore, le compte- rendu anatomopathologique fait partie du dossier- patient, il peut donc logiquement être réclamé par la patiente.

Conduite à tenir pour les patientes en cas de découverte d'un carcinome in situ ou d'une lésion frontière ou atypique.

D'abord pas de panique, prenez votre temps. Vous pouvez :

1- Demander l’envoi du résultat de la biopsie au médecin traitant

2- En cas d’échec, demander la copie intégrale du dossier médical (obligatoire dans les 8 jours)

3- En cas d’échec, demander au Conseil de l’Ordre des médecins d'intervenir pour l'obtenir. Le dossier médical vous appartient.

4- Avec le résultat, il est légitime de demander une révision des lames, on peut même faire relire le dossier par un expert (il suffit que votre médecin généraliste en fasse la demande).

5-Il vous est également possible de demander un second avis à un autre chirurgien, éventuellement situé dans une autre région.

Le choix thérapeutique peut être discuté : une intervention moins agressive ou même tout simplement une « surveillance attentive », en sachant que malheureusement en France, pour l'instant très peu de praticiens sont adeptes de cette attitude attentiste qui est à l'étude dans plusieurs grands essais européens, dont l'essai LORD qui intègre encore des patientes. Lire ici : https://www.dcisprecision.org/clinical-trials/lord/https://www.dcisprecision.org/clinical-trials/lord/
(-Depuis février 2019 sont acceptés aussi les CIS grade II, en plus du grade I
-Depuis juillet 2020 l'essai randomisé a été transformé en essai de préférence du patient :  les femmes ont le choix du bras d'essai (soit surveillance soit traitement classique)
-Un test des récepteurs oestrogenes et HER2 a été rajouté avant l'inclusion des patientes dans l'essai pour éliminer les cas de lésions de haut grade, afin de rendre les essais encore plus sécurisants
-Il y a à présent 28 sites ouverts aux Pays Bas,  6 en Belgique et 15 sites vont ouvrir dans d'autres pays dont la France, à venir !)

Conclusion

Un diagnostic anatomopathologique devrait être revu et discuté, et non accepté comme un "gold standard" par les soignants, car il peut déclencher une succession de traitements lourds, dont l'utilité devrait être discutée avec la patiente.

Pour en savoir plus lire : https://www.gyneco-online.com/cancerologie/prise-en-charge-des-carcinomes-canalaires-situ-une-desescalade-therapeutique-est-elle

Pour quelles patientes peut-on envisager une désescalade thérapeutique ?

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Renforcer la valeur du diagnostic clinique précoce

5 novembre 2021

Une étude du Lancet

Duggan C., Trapani D., Ilbawi A., Fidarova E., Laversanne M., Curigliano G. et al.
National health system characteristics, breast cancer stage at diagnosis, and breast cancer mortality: a population-based analysis
DOI:https://doi.org/10.1016/S1470-2045(21)00462-9

Notion du diagnostic clinique précoce

Dans leur article, les auteurs distinguent le dépistage d'une part, et puis le repérage précoce des premiers symptômes d'un cancer du sein.
Nous distinguons donc :

  • Le diagnostic par anticipation = le dépistage, qui repose sur les mammographies répétées, tel que pratiqué dans de nombreux pays.
  • Le diagnostic clinique précoce = le repérage le plus précocement possible des premiers symptômes annonciateurs d'un cancer du sein ; ce repérage repose sur la formation et l'information des femmes et des médecins et/ou sages-femmes (les soignants en général), d'une part en les sensibilisant (penser à rechercher le symptôme dans le sein), et d'autre part en leur apprenant 'quoi' rechercher.
    Cette notion de diagnostic clinique précoce s'oppose au diagnostic trop tardif, consécutif à l'existence de symptômes d'un cancer existants, qui ont été négligés pendant un laps de temps long à cause d'un manque d'information des femmes et d'un manque de formation des soignants.

Les auteurs constatent que certains pays font aussi bien avec le repérage précoce des premiers symptômes que les pays qui recourent au dépistage.

L'article du Lancet suggère que le diagnostic précoce pourrait faire aussi bien que le dépistage.
Certes, ce diagnostic clinique précoce est promu par l'OMS comme alternative au dépistage dans les pays qui n'ont pas les moyens d'un dépistage de masse, ce qui n'est pas le cas de la France. Nous en parlions ici : https://cancer-rose.fr/2021/09/02/campagnes-de-depistage-vers-plus-de-prudence/
L'Ukraine semble avoir adopté cette option, adaptée à des pays qui n'ont pas les moyens d'un dépistage mammographique de routine.

Mais nous pourrions tirer de ces résultats un questionnement pertinent et un enseignement pour nos pays où les campagnes vont bon train, avec un dépistage mammographique qui ne parvient plus à montrer son efficacité et qui comporte des inconvénients : et si le diagnostic précoce avait une meilleure balance bénéfices/risques que le dépistage mammographique systématique ?

Réduire la mortalité par cancer du sein, avec moins de surdiagnostics

Les résultats de l'étude publiée dans « The Lancet Oncology », confirment la recommandation de l'OMS, en suggérant que le diagnostic clinique précoce pourrait être aussi efficace que le dépistage pour éviter les cancers avancés et réduire la mortalité par cancer du sein.
La balance bénéfices-risques du diagnostic précoce pourrait être meilleure que celle du dépistage de masse, en éliminant de facto les surdiagnostics et les surtraitements imputables au dépistage mammographique.

Une alternative sérieuse

Comme expliqué de façon détaillée sur le site de Dr Vincent Robert, statisticien, il s'agit là de proposer une alternative aussi bien au dépistage qu'au "ne rien faire".


L' idée, promue par l'OMS et confirmée par l'étude du Lancet n'est pas de faire la promotion à tout prix du dépistage clinique précoce, mais de proposer cette option aux femmes, pour élargir la palette de leurs options, de leurs choix, et de leur permettre, en connaissance de cause, de privilégier la voie qui leur semble le mieux leur convenir.

Lire : https://mypebs-en-question.fr/actus/duggan_lancet.php#ref


Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Une analyse critique de l’étude « Dépistage du cancer du sein : impact sur les trajectoires de soins »

23 octobre 2021

Par Dr Vincent Robert

Glossaire
ALD = Affection de Longue Durée
CCAM = Classification Commune des Actes Médicaux = nomenclature de tous les actes médicaux, chirurgicaux, de radiologie, .... Cette nomenclature est utilisée aussi bien à l'hôpital (pour le PMSI) qu'en ville pour la facturation à la Caisse.
CIM-10 = Classification Internationale des Maladies 10ème révision = système de codage des pathologies actuellement utilisé en France.
PMSI = Programme de médicalisation du système d'information = recueil de données concernant toutes les hospitalisations (conventionnelles, en hôpital de jour, en séances), incluant les diagnostics, codés en CIM-10, et les actes réalisés, codés en CCAM.
DO = dépistage organisé

Rappel de l'étude

PDF de l'étude

Cette étude a été réalisée en s'appuyant sur des données de remboursement, pour les prises en charge en ville, et du PMSI, pour les prises en charge hospitalières. Les codes CIM-10 des ALD ou du PMSI ont permis de répérer les cancers du seins et l'existence d'un envahissement ganglionnaire ou de métastases. Les codes de la CCAM ont permis de repérer les actes réalisés, en particulier: mammographies (en distinguant mammographies dans le cadre du dépistage organisé, mammographies de dépistage en dehors du dépistage organisé et autres mammographies), chirurgie du cancer du sein, séances de radiothérapie, séances de chimiothérapie. Les auteurs ont eu accès à des données nominatives, ce qui a permis de rattacher à chaque femme l'ensembe de codes CIM-10 et CCAM (y compris attribués à des moments différents lors de prises en charge différentes).

L'étude porte sur l'ensemble des cancers du sein codés pour la 1ère fois en 2014 chez des femmes de 50 à 74 ans, après exclusion des femmes en ALD pour cancer du sein entre 2010 et 2013, ayant déjà un autre code de cancer, ayant un code d'antécédent familial de cancer du sein ou un code de dysplasie mentionné entre 2010 et 2013 et des dossiers sans code de mammographie.

Les cancers retenus pour l'étude ont été classés en 2 groupes : groupe DO (dépistage organisé) si le dossier comprenait un acte CCAM de mammographie de dépistage dans le cadre du dépistage organisé et groupe DIDC dans le cas contraire (le groupe DIDC comprend donc des femmes non dépistées et des femmes dépistées sur initiative individuelle).

Les résultats, détaillés dans les tableaux 1 et 3 ci-dessous, montrent dans le groupe DO une plus forte proportion de cancers localisés et une plus faible proportion de cancers avec envahissement ganglionnaire ou métastases. Parallèlement, les proportions de mastectomies totales et de chimiothérapie sont plus faibles dans le groupe DO.

Les auteurs en concluent que :

  • –  le dépistage organisé permet de détecter des cancers à un stade plus précoce
  • –  le dépistage organisé est associé à des traitements moins lourds (notamment moins de mastectomies totales et moins de chimiothérapie)

Critique

Outre les limites, discutées dans l'article, sur les possibles erreurs de codage, cet article et sa conclusion me semblent poser 2 problèmes.

  1. Les 2 groupes sont composés de femmes qui ne sont certainement pas comparables. Dans ces conditions, il est impossible d'attribuer au dépistage organisé l'intégralité des différences observées, tant dans les stades tumoraux que dans les traitements.
  2. Raisonner en pourcentage, c'est négliger le problème des surdiagnostics.
    Les surdiagnostics sont quasi-exclusivement des cancers localisés. Dans une expression des résultats en pourcentage, les surdiagnostics augmentent la proportion de cancers localisés et par contre-coup diminuent celle des cancers avec envahissement ganglionnaire et celle des cancers métastatiques.
    Le même raisonnement s'applique pour les traitements. Les surdiagnostics font l'objet de traitements moins lourds que des cancers évolués et ils faussent les proportions de traitements lourds.

Pour illustrer le problème des surdiagnostics et de l'erreur de raisonner en pourcentage, faisons l'hypothèse suivante : dans la cohorte de l'étude, les proportions de femmes DO et DIDC sont conformes à la participation des femmes au dépistage organisé, autrement 52,1% de la cohorte sont dans le groupe DO et 47,9% de la cohorte dans le groupe DIDC (en 2014, la participation au dépistage organisé était de 52,1%).
(Remarque : si l'hypothèse d'une cohorte composée de 52,1% de femmes dans le groupe DO et 47,9% dans le groupe DIDC n'est pas, au moins approximativement respectée, l'étude n'a aucun intérêt car elle décrit une population de femmes "hors sol" qui n'existe pas dans la réalité.)

Sous cette hypothèse, on peut dresser le tableau suivant :

Conclusion

Ce tableau décrit une situation beaucoup plus contrastée que celle présentée dans l'article.
Le DO permettrait de réduire le nombre de cancers avec envahissement ganglionnaire ou métastase mais au prix d'un nombre considérable de surdiagnostics.
Le DO permettrait de réduire le nombre de mastectomies totales mais en augmentant sensiblement le nombre d'interventions chirurgicales. Le DO diminue le nombre de chimiothérapies mais augmente le nombre de radiothérapies et d'hormonothérapies.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Intelligence artificielle et dépistage, ce n’est pas pour demain…

Dr C.Bour, 7 sept 2021

Pas assez de preuves de bonne qualité pour envisager un remplacement de radiologues humains par la technologie de l'intelligence artificielle (IA) dans le dépistage du cancer du sein.

https://www.bmj.com/content/374/bmj.n1872?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_term=hootsuite&utm_content=sme&utm_campaign=usage

Utilisation de l'intelligence artificielle pour l'analyse d'images dans les programmes de dépistage du cancer du sein : examen systématique de la précision des tests

BMJ 2021 ; 374 doi : https://doi.org/10.1136/bmj.n1872 (Publié le 02 septembre 2021)

L'expertise et l'analyse humaines semblent toujours surpasser la technologie, explique un article du BMJ.
Depuis 2019 déjà sont publiés des articles vantant les mérites de l'IA comme méthode innovante pouvant "prédire" les tumeurs du sein, méthode qui révolutionnerait à l'avenir le dépistage.

Nous nous en étions fait l'écho ici : https://cancer-rose.fr/2019/06/05/intelligence-artificielle-de-prediction/ et ici : https://cancer-rose.fr/2019/04/08/depistage-et-intelligence-artificielle/

Qu'en est-il en 2021 ?

Cette revue systématique, effectuée par des chercheurs de l'université de Warwick (Coventry, RU) examine l'exactitude de l'IA pour rechercher et anticiper les tumeurs mammaires.

Méthode :

Des recherches bibliographiques ont été effectuées pour regrouper 12 études publiées entre le 1er janvier 2010 et le 9 septembre 2020, concernant 131.822 femmes de Suède, Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas et Espagne.

Les bases de données consultées étaient Medline, Embase,; Web of Science et la base de données Cochrane des revues systématiques. 

Le critère de sélection des études : rapporter la précision des tests d'algorithmes d'IA dans la détection du cancer lors les mammographies numériques au sein de la pratique du dépistage, quand ces système d'IA étaient utilisés seuls ou en association avec l'examen réalisé par des radiologues. 
La norme de référence était : cancer confirmé par l'analyse histologique d'échantillons de biopsie lors du dépistage, ou la présentation d'un symptôme par la femme (pour les femmes non dépistées.)

Les résultats incluaient la précision du test (en fonction de la biopsie) et le type de cancer détecté.

Résultats :

De façon générale, la qualité des méthodes employées dans les 12 études était mauvaise et les possibilités d'application aux programmes européens ou britanniques du dépistage du cancer du sein étaient inférieures au dispositif actuel avec "humains".

La majorité des systèmes d'IA évalués dans trois grandes études comparant les systèmes IA et les décisions cliniques du radiologue étaient moins précis qu'un radiologue unique, et tous les systèmes étaient moins précis que l'avis conjoint de deux radiologues ou plus, ce qui est la pratique courante en Europe (double lecture).

En revanche, cinq plus petites études rapportaient que les systèmes d'IA évalués étaient plus performants qu'un seul radiologue, mais les chercheurs de cette revue de littérature notent que les résultats prometteurs des petites études n'étaient pas reproduits ni retrouvés dans les études de plus grande ampleur.

Conclusions :

L'utilisation de critères très rigoureux de la part des auteurs de Warwick pour l'inclusion d'études contribuent à la robustesse de leurs conclusions : il y a actuellement un manque de preuves de bonne qualité pour remplacer des radiologues humains par la technologie IA pour le cancer du sein. Plus exactement : « La preuve actuelle sur l'utilisation des systèmes d'IA dans le dépistage du cancer du sein est loin d'avoir la qualité et la quantité exigées pour sa mise en place dans la pratique clinique. »

Les études étaient de mauvaise qualité méthodologique et aucune étude prospective[1] mesurant la précision des tests d'IA dans la pratique du dépistage n'a été trouvée dans la revue de littérature.  

Pour les auteurs :

Il n'est pas clair où l'IA pourrait contributive. Les systèmes d'IA ne sont pas suffisamment spécifiques pour remplacer la double lecture des radiologues dans les programmes de dépistage. 
Les résultats prometteurs de petites études ne sont pas retrouvés dans les plus grandes études. 

Les preuves actuelles sur l'utilisation des systèmes d'IA dans le dépistage du cancer du sein sont loin d'avoir la qualité et la quantité requises pour sa mise en œuvre dans la pratique. 

Des études prospectives, et des études comparatives bien conçues sur la précision des tests, des essais contrôlés randomisés et des études de cohorte dans de grandes populations de dépistage seront nécessaires pour évaluer les systèmes d'IA disponibles actuellement en association avec des radiologues.

Pour synthétiser, retenons :

  • Les preuves actuelles sur l'utilisation des systèmes d'IA dans le dépistage du cancer du sein sont de qualité et de quantité insuffisantes pour être mises en œuvre dans la pratique clinique
  • Dans les études rétrospectives disponibles étudiant la précision des tests utilisant l'IA, 94 % des systèmes IA étaient moins précis que le radiologue d'origine, et tous étaient moins précis que le consensus initial de deux radiologues ; une évaluation prospective est requise.

Bref,  l'utilisation de l'IA dans le dépistage, ce n'est pas demain.

Sur le même sujet lire aussi :

Intelligence artificielle de prédiction

Dépistage et intelligence artificielle

Une étude pilote multi-lecteurs sur la détection du cancer du poumon par radiographie thoracique

Cette étude a pour objectif d'examiner si des résultats de l'intelligence artificielle (IA) incorrects ont un impact sur les performances du radiologue et, dans l'affirmative, si les facteurs humains peuvent être optimisés pour réduire les erreurs.

L'étude conclut qu'une IA incorrecte amène les radiologues à prendre des décisions de suivi incorrectes, alors qu'elles étaient correctes sans IA. Cet effet est atténué lorsque les radiologues pensent que l'IA sera supprimée du dossier du patient ou qu'un encadré est fourni autour de la région d'intérêt.

Conclusion détaillée et implications :

L'IA a souvent raison mais parfois tort. Puisque nous ne savons pas quand elle est exacte, nous devons considérer comment minimiser la mesure dans laquelle les radiologues sont influencés par des résultats incorrects. Dans cette étude, les auteurs montrent que des résultats d'IA incorrects peuvent influencer un radiologue à prendre une mauvaise décision. Cependant, cet effet est atténué lorsque les radiologues sont informés que les résultats de l'IA sont supprimés, plutôt que conservés, dans le dossier du patient, et lorsque l'IA fournit une boîte qui décrit visuellement les régions suspectes (la 'boîte' est un cadre visuel qui s'affiche sur l'écran d'interprétation, généré par l'IA, autour d'une image jugée suspecte et à étudier particulièrement par le radiologue-NDLR) . 
En fait, l'IA qui incluait une boîte améliorait les performances des radiologues que l'IA soit correcte ou incorrecte .

Selon l'étude les facteurs humains de l'IA peuvent avoir un impact sur les radiologues. 
Pour améliorer les soins aux patients, les cabinets de radiologie doivent tenir compte de la manière dont l'IA est mise en œuvre. Les sociétés de radiologie devraient formuler des lignes directrices, disent les auteurs, à l'intention des radiologues, concernant l'intégration des résultats de l'IA dans le compte rendu des examens. De plus, les radiologues devraient être formés aux meilleures pratiques d'utilisation clinique des outils d'IA.

Note :


[1] Dans les études dites « prospectives », la période de suivi débute à la date de mise en place de l'enquête ; diverses données sont alors recueillies : questionnaires, tests fonctionnels, indicateurs biologiques, etc.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Mammographie numérique

Résumé par Dr C.Bour 26/04/2021

Dans le Journal of The National Institute Volume 113, Numéro 1, janvier 2021, est édité un article de 2020 portant sur une importante méta-analyse. Celle-ci traite de l'apport de la mammographie numérique dans le dépistage du cancer du sein, publication que nous avions relayée ici : https://cancer-rose.fr/2020/06/28/la-mammographie-numerique-pas-plus-efficace-dans-la-reduction-des-cancers-les-plus-graves-selon-meta-analyse-australienne/

La mammographie numérique, approuvée en 2000 par la FDA américaine, est utilisée largement en France également. 
Des études suggéraient en effet que la nouvelle technologie était équivalente à l’ancienne technologie analogique sur film pour la détection du cancer.

Un peu de technique

La mammographie analogique produit une image imprimée directement sur un film argentique. 

La radiographie par capteur numérique (CR), qui a actuellement complètement remplacé l'analogique, est une technique de mammographie indirecte qui capte l’image sur une plaque réutilisable. Ce récepteur d’image contient un luminophore photostimulé, les rayons X entrainent une excitation des molécules luminescentes qui convertissent les rayons X en lumière. Un convertisseur analogique-numérique produit ensuite une image numérique qui peut être archivée.

La radiographie numérique directe (DR) n’emploie pas de plaques réutilisables. Des capteurs convertissent directement le flux de rayons X en un signal électrique qui sera par la suite numérisé et transféré à l'écran. L' image est visible et analysable sur écran directement par le radiologue. L’image est alors améliorable si elle est sur-ou sous-exposée pour un meilleur rendu. Ici aussi les images peuvent être stockées sous forme de fichiers numériques dans un système d’archivage informatique.

L'article

Dans l'article de la revue du National Institute les auteurs Otis W Brawley (oncologue et épidémiologiste à Baltimore USA) et Channing J Paller (oncologue et urologue à Baltimore, USA) rappellent tout d'abord les réultats de cette importante méta-analyse.

La mammographie numérique certes se justifie par un stockage et une manipulation plus aisés des images. Il existe également une possibilité de diagnostic assisté par ordinateur et une meilleure performance pour l'exploration des seins denses. La mammographie numérique présente aussi une exposition au rayonnement inférieure à celle de la mammographie sur film, si tant est qu'on ne multiplie pas le nombre de clichés de façon déraisonnable... Nous en reparlerons plus loin.

Pour un dépistage efficace rappellent les auteurs, trois objectifs doivent être atteints : davantage de tumeurs localisées trouvées en même temps qu'une diminution des cancers d'intervalle (tumeurs diagnostiquées entre deux dépistages), et une diminution de l’incidence des cancers avancés.

Malheureusement la méta-analyse australienne de Faber et col. (Ecole de santé publique de Sydney, Australie) confirme le problème du surdiagnostic accru par cette méthode permettant davantage de détection de petites lésions, notamment des carcinomes in situ dont la grande majorité n'impacte pas la vie de la femme diagnostiquée, en revanche il n'y a pas de différence sur les taux de détection des cancers invasifs.
L'étude suggère que 11% des cancers détectés par mammographie numérique sont des surdiagnostics. Mais d'autres analyses sont citées dans l'article, beaucoup plus pessimistes sur ces taux de surdiagnostics imputables au système numérique [1].

La technique numérique n'a aucun effet non plus sur les cancers d'intervalle qui ne s'en trouvent pas diminués.

Aux États-Unis, le taux d’incidence ( nouveaux diagnostics) du cancer du sein ajusté en fonction de l’âge a augmenté de plus de 30 % de 1975 à 2000, alors que l’incidence de cancer du sein avancé au moment du diagnostic était stable pour les 25 années, au lieu de décroître comme on l'attendait.[2]

Mais surtout on constate que le taux de rappel est nettement augmenté avec la technologie numérique en raison de l'augmentation des faux positifs, rendant fragile l'allégation d'une moindre irradiation grâce au numérique, puisque ces femmes rappelées en raison d'une fausse suspicion de cancer subiront, entre autres examens, de nouvelles radiographies.

Le plus de l'article

Deux points intéressants sont évoqués par Brawley et Channing par rapport aux résultats qu'on peut extraire de la méta-analyse australienne :

  1. La véritable mesure de la valeur d'un dépistage efficace au niveau de la population, c'est une réduction du taux de mortalité par cancer et des traitements inutiles. 
    Le dépistage ne devrait pas justifier son apparent succès par la découverte d'un plus en plus grand nombre de cancers, dont beaucoup sont des découvertes inutiles, mais plutôt sur la découverte d'un plus grand nombre de cancers qui sont importants à trouver car cliniquement dangereux pour les femmes qui en sont porteuses. Mais la mammographie numérique n'est pas plus discriminante pour ces formes-là et surdétecte bon nombre de cancers qui n'auraient pas portés à conséquence.
  2. Il est de nature humaine de penser que la nouvelle technologie est toujours la meilleure, et de nombreux experts ont estimé que la mammographie numérique conduirait à de meilleurs résultats pour la santé. 
    Parfois il faut se rendre à l'évidence que la vérité est différente de ce que des experts ont mis en avant. Ces résultats démontrent, selon les auteurs, l’importance de l’évaluation post-commercialisation et de l’ouverture d’esprit. 

    Ces résultats montrent également les variations biologiques du cancer du sein, et confirment une histoire naturelle de la pathologie non linéaire : certains cancers sont inutiles à trouver car régressent ou n'évoluent pas, d'autres sont d'emblée agressifs et se développent entre deux mammographies de dépistage sans qu'on puisse en enrayer leur survenue.

Notre commentaire

Nous invitons nos lecteurs à prendre connaissance des travaux de Bernard Junod et de Dr Bernard Duperray sur le surdiagnostic. L'histoire naturelle du cancer revêt une importance capitale, sans cette connaissance nous ne pourrons jamais comprendre le problème du surdiagnostic et celui des cancers d'intervalle.

https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/12/article-JunodDuperray-2006.pdf

Cliquez sur les images

https://cancer-rose.fr/2019/12/17/contributions-de-dr-b-duperray-sur-le-surdiagnostic-dans-le-cancer-du-sein/embed/

https://cancer-rose.fr/2021/02/24/diplo%cc%82me-interuniversitaire-senologie/embed/

Références

[1] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959804917313850

"Un tiers à la moitié des cancers du sein détectés par mammographie n'auraient pas été cliniques au cours de la vie (surdiagnostic)."

[2]Welch HG, Gorski DH, Albertsen PC. Trends in metastatic breast and prostate cancer–lessons in cancer dynamics. N Engl J Med. 2015;373(18):1685–1687.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Couverture médiatique des dépistages


Couverture médiatique mondiale des avantages et des inconvénients des tests de détection précoce

Mary O’Keeffe, PhD1Alexandra Barratt, MD2Alice Fabbri, MD3,4Joshua R. Zadro, PhD1Giovanni E. Ferreira, PhD1Sweekriti Sharma, MPH1Ray N. Moynihan, PhD5
https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2778372

Synthèse Dr C.Bour 22 avril 2021

Cette "lettre de chercheurs" émane de scientifiques australiens dont Pr A.Barratt, professeur de santé publique à l'Université de Sydney et Dr. Ray Moynihan, chercheur à Bond University , et journaliste de santé, et porte sur la couverture médiatique des tests de dépistage. Elle a été publiée dans le JAMA le 5 avril 2021, les auteurs de la publication étudient la façon dont la balance bénéfices/préjudices de 5 tests sont traités dans les médias.

Les médias sont la clé de la promotion des tests envers des individus asymptomatiques dans la population, ils pourraient jouer un rôle important en encourageant la restitution réaliste des avantages et des inconvénients des dépistages, en incluant les diagnostics inutiles.
Mais les données suggèrent que la couverture médiatique médicale tend à exagérer les avantages, à minimiser les méfaits et à ignorer les conflits d’intérêts.

Méthodes

Les auteurs ont étudié toutes les narrations en anglais de 2016 à 2019 dans LexisNexis (société d'édition et d'information professionnelle), ProQuest (société mondiale fournissant des outils pour la recherche et la gestion de contenus, provenant de dissertations, thèses, livres, journaux, périodiques etc..) et Google News. 

Ont été inclus tous les types d’articles non fictifs des journaux, blogues, magazines, et transcriptions de diffusion dès lors qu'ils mentionnaient ou impliquaient un bénéfice ou un préjudice de tests médicaux, avec ou sans divulgation des conflits d’intérêts des narrateurs impliqués.

Les histoires ont été passées en revue selon qu'elles relataient des bénéfices sur la santé (traitements précoces, "sauvetage" de vies), ou au contraire des préjudices (faux positifs, surdiagnostics), et restituaient les points de vue exprimés par les commentateurs selon leur accord ou désaccord.

Cinq tests de détection précoce ont été ciblés par cet examen : les biopsies liquides, la tomosynthèse appelée aussi mammographie tri-dimensionnelle (dont nous avons parlé sur ce site [1] [2]), enregistrement de l'électrocardiogramme à l'aide de l'application Apple Watch Serie4, les biomarqueurs sanguins de la démence, et la technologie de l'intelligence artificielle dans la démence.

Résultats

Globalement la couverture médiatique met beaucoup plus l’accent sur les bénéfices des tests de détection précoce que sur les préjudices, et le risque de surdiagnostic était peu couvert.

Dans l’ensemble, 97 % des narrations ont rapporté les avantages, 37 % les inconvénients et seulement 34 % ont parlé à la fois des avantages et des inconvénients.

63 % des histoires ont indiqué uniquement les bénéfices, tandis que seulement 3 % relataient uniquement les inconvénients.

Le surdiagnostic n’a été mentionné que dans 57 des 432 des histoires, ce qui fait 13% seulement de tous les contenus qui mentionnaient des méfaits, soit 5 % des histoires de tout l’ensemble.

Au total

Cette étude confirme les résultats d'autres études analogues sur le sujet de la couverture médiatique en santé.[3] [4] [5]

Les auteurs suggèrent qu'une meilleure communication journalistique encouragerait un scepticisme plus sain sur les options en santé proposées aux populations, et réduirait le problème du surdiagnostic (ou surdétection).

Pour eux il est urgent d’adopter des stratégies afin d' améliorer la couverture médiatique pour que les professionnels, les patients et le public reçoivent des renseignements plus équilibrés sur les tests de détection précoce.

Commentaires Cancer Rose

Nous nous sommes par le passé déjà maintes fois alarmés de la restitution biaisée des faits scientifiques dans les médias.
Concernant la mammographie de dépistage, les slogans faciles vont bon train, facilités par l'impossibilité pour les femmes de prendre une décision éclairée puisque fallacieusement informées, comme le montre une étude antérieure.[6]

Un commentaire publié à la suite de l'étude australienne dans le JAMA nous a particulièrement intéressés[7].
Il s'agit de celui de Dr Diamandis[8], biochimiste en chef de l'University Health Network et des 'Toronto Medical Laboratories' et aussi chef de division de biochimie clinique au département de pathobiologie de l'Université de Toronto en Ontario, Canada.
Dans son commentaire à l'étude de l'équipe australienne, Dr Diamandis écrit ceci :
"Plus récemment, comme les auteurs l’ont souligné, nous avons vu une forte poussée de la part des chercheurs universitaires et des entreprises de tests d’ADN de tumeur en circulation pour la détection précoce du cancer. Cependant, nos calculs ont montré que ce test ne pourra détecter que de grandes tumeurs symptomatiques. Nous avons en outre souligné la nécessité pour les journaux de fournir un espace de débats sains sur des questions aussi controversées. Depuis :reportage biaisé favorisant la bonne nouvelle, mais pas les mauvaises nouvelles..."

On se souvient de l'engouement et de l'enthousiasme débridés de la part des médias, dès 2015, sur les "biopsies liquides"[9]. On présentait la "femme qui vaincrait le cancer", "l'héroïne des temps modernes" sur de nombreux plateaux télévisés et plusieurs médias plus ou moins glamour. Il s'agissait de Mme Patrizia Paterlini-Bréchot, scientifique ayant travaillé sur la mise au point des biopsies liquides. [10][11] [12] [13] [14] [15] [16] [17]

Mais des études et publications moins média-compatibles[18] [19] douchent cet enthousiasme sur la possibilité d'utiliser les biopsies liquides plus largement comme dépistages de routine systématiques en population.
En effet, en plus de leur coût et de leur complexité élevés, ces tests sur l'ADN tumoral circulant semblent souffrir des mêmes problèmes de faible sensibilité et spécificité que les biomarqueurs traditionnels si on cherche en les utiliser pour un dépistage dans une population asymptomatique et a priori saine. Ce qui veut dire qu'on va au-devant de surdiagnostics, de faux positifs en grands nombres, avec affolement des populations et cascades d'examens somplémentaires pour les personnes testés positives (pour mieux comprendre ces notions, se reporter ici : https://cancer-rose.fr/2016/11/13/cancer-du-sein-un-peu-de-technique/).

Mais ces préoccupations sur les biopsies liquides et l'engouement médiatique et des gouvernements sont même déjà bien antérieures.

Si on remonte dans le temps, en 2015 aux Etats-Unis, les membres du Congrès présentaient un projet de loi obligeant l'assurance-maladie américaine (Medicare) à couvrir un test de dépistage du cancer coûteux, et pour lequel il n'y a aucune preuve scientifique qu'il sauve des vies. 

L'American Cancer Society, organisation à but non lucratif américaine créée en 1913 pour lutter contre le cancer et très en faveur des dépistages, approuvait le projet en arguant que ce test coûteux et non probant résoudrait les disparités en matière de santé.

Deux chercheurs américains, H. Gilbert Welch et Barnett Kramer[i] avaient pris position.[ii]
Le dépistage est censé trouver une maladie silencieuse avant qu'elle ne se déclare. Lorsqu'on met au point un tel test, disent-ils, deux questions fondamentales doivent être posées: Est-ce que cela fonctionne comme annoncé ? Et est-ce que cela fonctionne suffisamment bien pour que cela en vaille la peine ?

Les biopsies liquides fonctionnent-elles comme annoncé ?

La réalité est que personne n'a étudié si les biopsies liquides sauvaient des vies....

L'argument de personnes en faveur du dépistage, comme l'expliquent les auteurs, est toujours le même : les cancers localisés à un stade précoce ont un taux de survie à 5 ans d'environ 90 %, tandis que les cancers métastatiques à un stade avancé ont un taux de survie à 5 ans d'environ 20 %.

Ce n'est pas pour autant que les dépistages sauvent les vies. Welsch et Kramer apportent trois arguments.

" Premièrement, la détection précoce de certains cancers n'est peut-être pas possible. Malgré quatre décennies de dépistage par mammographie, par exemple, l'incidence du cancer du sein métastatique reste pratiquement inchangée. Les cancers très agressifs se sont souvent propagés au moment où ils deviennent détectables.

Deuxièmement, s'il est possible de détecter plus tôt certains cancers potentiellement agressifs, un traitement plus précoce ne modifiera pas nécessairement le moment du décès. Les statistiques de survie cachent cette possibilité. Bien entendu, les personnes atteintes d'un cancer à un stade précoce ont une durée de survie plus longue que celles atteintes d'un cancer à un stade avancé - leur "horloge de survie" a été mise en marche plus tôt. La survie est mesurée à partir du moment du diagnostic jusqu'au moment du décès, donc une survie plus longue ne signifie pas nécessairement que l'on vit jusqu'à un âge plus avancé. Le problème est tellement répandu qu'il a même un nom : le "lead time bias" (NDLR : le biais du temps d'avance au diagnostic, qui anticipe la date de naissance du cancer, donnant l'illusion d'une vie plus longue ; mais il s'agit juste d'un temps de vie plus long de l'individu avec son cancer, sans aucun impact sur sa longévité. Voir ici)

Troisièmement, des statistiques de survie élevées peuvent en fait indiquer un problème. La survie à 5 ans de 90 % pour les cancers de stade précoce, par exemple, inclut de nombreux cancers détectés par des tests sanguins, comme le cancer de la prostate et son test PSA, ou par imagerie, comme le cancer du sein et la mammographie, qui n'étaient pas destinés à évoluer vers un cancer de stade avancé ou à causer la mort. Le surdiagnostic[iii] - fréquent dans le cas des cancers du sein, de la prostate, de la thyroïde et du mélanome cutané - gonfle considérablement les taux de survie. L'augmentation du taux de survie due au surdiagnostic n'est pas un avantage, mais un inconvénient, puisque davantage de personnes sont diagnostiquées et traitées pour des "cancers" qui n'ont jamais été destinés à causer des problèmes."

Nous savons que la survie[iv] est gonflée artificiellement par deux éléments : le surdiagnostics (des cancers qui de toute façon ne tueront pas, il est donc normal que les patients "survivent" plus), et par l'efficacité des traitements.

Pour savoir si les biopsies liquides peuvent réellement sauver des vies, il faudra attendre le d'un essai randomisé dans lequel la moitié des participants bénéficient de biopsies liquides et l'autre moitié n'en bénéficie pas. Le National Health Service (NHS) d'Angleterre recrute actuellement 140 000 personnes pour un tel essai.[v]Encore faudra-t-il que le nombre de décès soit mesuré dans chaque groupe.

Les auteurs abordent la deuxième question.

Si les biopsies liquides sont efficaces, le sont-elles suffisamment pour que cela en vaille la peine ?

Voici ce qu'ils écrivent :
"Même si une intervention médicale est efficace, il est important d'évaluer également ses effets secondaires. L'aspirine, par exemple, est efficace pour prévenir les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, mais pas suffisamment dans la population générale pour justifier les inconvénients qui lui sont associés, comme les hémorragies cérébrales et intestinales.

Les biopsies liquides auront leurs propres inconvénients involontaires : davantage de tests, davantage de traitements et les problèmes psychologiques et physiques qui en découlent. Certaines personnes se verront dire qu'elles ont un "signal de cancer" - ce qui déclenchera la peur et des tests supplémentaires - pour apprendre plus tard qu'il s'agissait d'une fausse alerte. D'autres seront surdiagnostiquées et traitées pour des cancers qui, autrement, ne les auraient jamais inquiétées. Certains seront affectés par le traitement ; quelques-uns pourraient même en mourir.

D'autres encore se verront découvrir des cancers conséquents plus tôt qu'ils ne les auraient trouvés sans la biopsie liquide, sans pour autant vivre plus longtemps. Ils seront soumis à la toxicité des thérapies anticancéreuses plus tôt, à un moment où ils n'auraient autrement aucun symptôme. Ces effets secondaires existent dans tous les programmes de dépistage du cancer. Mais le dépistage multicancer par biopsie liquide en présente un qui lui est propre : S'il peut être évident qu'une personne a un cancer, on ne sait pas toujours où se trouve ce cancer. Imaginez que l'on vous dise que vous avez un cancer, mais que personne ne sache de quel type il s'agit.

À ce jour, personne ne connaît la fréquence de ces effets secondaires, car ces tests n'ont pas fait l'objet d'études rigoureuses. Mais un mauvais test est aussi mauvais qu'un mauvais médicament. C'est une autre raison pour laquelle un essai randomisé est nécessaire - pas seulement pour savoir si les biopsies liquides apportent un bénéfice, mais aussi pour savoir à quelle fréquence elles causent des dommages.

Il y a une chose que nous savons à propos du dépistage par biopsie liquide : il coûtera très cher."

Welsch et Kramer avancent que si ce test annuel est couvert par Medicare pour tous ses bénéficiaires, on arrive à un total de 40 milliards de dollars par an, rien que pour le test lui-même. S'ajoute à cela tous les examens complémentaires et autres tests qui vont en découler pour rechercher et confirmer le cancer que la biopsie liquide laisse suspecter, et des consultations médicales démultipliées. Car il faut encore le retrouver, ce cancer.

Et pour la réduction des disparités que l'American Cancer Society met en avant ?

Pour les deux chercheurs, ces tests coûteux " vont au contraire détourner les ressources d' interventions qui peuvent réellement réduire les disparités en matière de santé, comme les crédits d'impôt pour les enfants, les repas scolaires et les logements abordables. Elles ne peuvent qu'accroître le coût croissant des soins médicaux américains et amplifier les disparités de revenus qui, à leur tour, sont fortement liées à l'espérance de vie.

Ceux qui veulent s'attaquer aux principaux facteurs de disparités en matière de santé devraient moins se préoccuper de la population couverte par l'assurance-maladie et davantage des personnes de moins de 65 ans, en particulier là où les disparités commencent vraiment : chez les jeunes adultes et les enfants. Et ils devraient moins se préoccuper des interventions médicales telles que le dépistage du cancer et davantage des véritables déterminants de la santé, comme l'alimentation, le logement et la sécurité des revenus.

Les effets de la pauvreté sur la santé n'ont pas été réglés par l'augmentation du nombre de mammographies et de coloscopies, et ils ne le seront pas par les biopsies liquides."


[i] H. Gilbert Welch est interniste généraliste, chercheur principal au Centre de chirurgie et de santé publique du Brigham and Women's Hospital à Boston, et auteur de plusieurs ouvrages, dont "Less Medicine, More Health : 7 Assumptions That Drive Too Much Medical Care" (Beacon Press, 2015). Barnett Kramer est oncologue, membre de la Fondation Lisa Schwartz pour la vérité en médecine, et ancien directeur de la division de la prévention du cancer de l'Institut national du cancer américain.

[ii] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmp1510443

[iii] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

[iv] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-que-la-survie/

[v] https://www.nhs-galleri.org/

Références


[1] https://cancer-rose.fr/2019/11/28/avis-de-la-haute-autorite-de-sante-sur-la-performance-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-depistage-organise/

[2] https://cancer-rose.fr/2019/03/09/association-de-la-tomosynthese-versus-mammographie-numerique-dans-la-detection-des-cancers/

[3] MoynihanR,BeroL,Ross-DegnanD,etal.Coveragebythenewsmediaof the benefits and risks of medications. N Engl J Med. 2000;342(22):1645-1650.

[4] MoynihanRN,ClarkJ,AlbarqouniL.Mediacoverageofthebenefitsand harms of the 2017 expanded definition of high blood pressure. JAMA Intern Med. 2019;179(2):272-273.

[5] Walsh-ChildersK,BraddockJ,RabazaC,SchwitzerG.Onestepforward,one step back: changes in news coverage of medical interventions. Health Commun. 2018;33(2):174-187.

[6] https://cancer-rose.fr/2017/01/03/la-perception-et-la-realite/

[7] https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2778372

[8] https://www.aacc.org/community/merit-awards/hall-of-fame/bios/a-to-k/eleftherios-diamandis

[9] La biopsie liquide consiste, schématiquement, à prélever un échantillon sanguin pour détecter le plus précocément possible du matériel libéré dans le sang par des tumeurs cancéreuses. Trois outils peuvent être utilisés : la détection d’ADN tumoral circulant , d'ARN tumoral circulant , de cellules tumorales circulantes.

Pour l'instant on considère qu'il pourrait s'agir d'une piste intéressante pour la recherche. Mais une personne qui n’a pas de cancer et simplement inquiète pour sa santé ne peut pas, aujourd’hui, bénéficier de ce type de prise de sang.

[10] https://www.letemps.ch/sciences/biopsie-liquide-parade-inedite-contre-cancer

[11] https://www.marieclaire.fr/,focus-sur-patrizia-paterlini-brechot-la-femme-qui-va-nous-sauver-du-cancer,819617.asp

[12] https://www.notretemps.com/sante/actualites-sante/patrizia-paterlini-brechot-oncologue-court-cancer,i119711

[13] https://www.hachette.fr/interview/patrizia-paterlini-brechot-combattu-avec-la-tete-et-avec-le-coeur-pour-y-arriver

[14] https://www.elle.fr/Societe/News/Patrizia-Paterlini-Brechot-la-femme-qui-fait-reculer-le-cancer-2859710

[15] https://www.dailymotion.com/video/x43u007

[16] https://www.youtube.com/watch?v=5AwzQ77r258

[17] https://da-dk.facebook.com/franceinter/videos/patrizia-paterlini-br%C3%A9chot-est-linvit%C3%A9-de-patrick-cohen-du-19/1230781260290325/

[18] Fiala C, Diamandis EP. Utility of circulating tumor DNA in cancer diagnostics with emphasis on early detection. BMC Med. 2018 Oct 2;16(1):166. doi: 10.1186/s12916-018-1157-9. PMID: 30285732; PMCID: PMC6167864.

[19] https://www.edimark.fr/lettre-cancerologue/biopsie-liquide-avantages-limites

"L'utilisation des CTC ou de l'ADNtc comme outils de dépistage précoce d'une tumeur primitive ou d'une récidive reste un sujet de recherche clinique très actif, mais n'est pas, en l'absence de preuve clinique, utilisable en routine."

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.