7 février 2021
Dr C.Bour
Emmanuel Macron vient de lancer jeudi 4 février une stratégie nationale décennale (pour 2021-2030) de lutte contre les cancers, financée à hauteur de 1,74 milliard d’euros sur 5 ans, à savoir 20 % de plus que les trois précédents plans cancer.
https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030
Il s’agit de faire baisser de 60 000 cas par an le nombre de nouveaux cancers dits « évitables » d’ici à 2040.
Plusieurs médias en parlent mais nous prenons appui sur la relation assez exhaustive faite par le journal Le Monde[1]du 4 février 2021 et sur le 6ème rapport au président élaboré par l’INCa[2].
Nous allons faire un bilan des « plans » de leur origine jusqu’à aujourd’hui, et nous verrons les évolutions à travers les âges, depuis les grands objectifs démagogiques d’antan jusqu’aux….grands objectifs démagogiques d’aujourd’hui agrémentés de l’intrusion des industriels du médicament.
En 2013 déjà le laboratoire Roche n’était pas bien loin du dépistage du cancer du sein et aux aguets en analysant la « compliance des femmes » au dépistage qu’il étudiait par le biais de l’étude EDIFICE[3].
Et lorsqu’un laboratoire pharmaceutique s’intéresse de si près à un dispositif controversé, c’est souvent pour voir comment protéger ses intérêts…
Plus il y a de malades, plus on vend de la pharmacopée.
Focus sur les dépistages
Les grands axes de ce nouveau plan cancer sont déployés dans l’article du journal Le Monde et nous nous intéresserons aux dépistages, notre cœur de cible, dont le président nous promet le renforcement dans le premier axe appelé « prévention ».
« Chaque année en France », dit l’article, « 9 millions de personnes participent à l’un des trois programmes de dépistage organisé (sein, côlon et col de l’utérus). Le but est de porter ce nombre à 14 millions en 2025. »
« Chaque année, plus de 157 000 personnes meurent d’un cancer en France. Au total, 3,8 millions de personnes vivent avec la maladie. Quatre nouveaux cancers sur dix seraient évitables. Soit 153 000 nouveaux cancers par an qui seraient prévenus, si la population adhérait aux programmes de dépistage organisé, s’alimentait de façon équilibrée, pratiquait une activité physique régulière. »
La « légende urbaine » des dépistages » préventifs » chère aux communicants de l’INCa se heurte à la définition-même de la prévention, à savoir faire en sorte que la maladie ne survienne pas. Or le dépistage vise à trouver, à traquer une maladie, qui est donc déjà là.
Les procédures de dépistage, que ce soit celles du côlon, du sein ou de la prostate n’anticipent pas la maladie mais détectent une lésion qui est bel et bien déjà présente dans l’organisme.
Cette confusion trompeuse entre « prévention » et « dépistage » est retrouvée dans l’axe « améliorer la prévention »[4] de la consultation citoyenne que l’INCa (Institut national du cancer) a proposée à la population en fin d’année dernière.[5] [6]
Pourtant les citoyennes française, lors de la concertation citoyenne et scientifique de 2016 sur le dépistage du cancer du sein, pointaient du doigt cette confusion malhonnête entre les deux termes.[7]
- Page 5 : Le comité a constaté également des dysfonctionnements, des anomalies dans l’organisation actuelle du dépistage et les conséquences qu’il engendre : inégalités d’accès, incompréhension des enjeux, confusion entre prévention primaire, dépistage, et diagnostic précoce, absence d’information sur les risques et les incertitudes du dépistage dans la lettre d’invitation envoyée tous les 2 ans,
- Page 125 » De plus, l’information délivrée au sujet du DO entretient une confusion entre prévention et diagnostic précoce. «
Difficile d’admettre une simple maladresse cette fois, cet amalgame de vocables est entretenu au contraire sciemment, servant à attribuer fallacieusement aux dépistages un pouvoir préventif qu’ils n’ont bien évidemment pas.
Revue des précédents plans cancers
Faisons une revue de ce qui a été concocté antérieurement dans les différents plans-cancer successifs, en suivant l’évolution du cancer du poumon et celui du sein.[8]
1°Plan 2003-2007[9]
Libellé
« Le Plan a permis de faire reculer la consommation de tabac, grâce à une stratégie complète de lutte contre le tabagisme associant l’augmentation des prix, l’interdiction de la vente aux moins de 16 ans, des campagnes d’information et des actions ciblées vers les jeunes et les femmes et le développement des aides à l’arrêt du tabac. »
« Le programme de dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé en 2004 tandis que le programme de dépistage organisé du cancer colorectal faisait l’objet d’une expérimentation de 2002 à 2007 dans 23 départements pilotes. »
Résultat épidémiologiques des années 2000
- Poumon (Rapport Remontet 2013 page 79[10])
« L’incidence du cancer du poumon augmente de façon constante au cours des deux dernières décennies. Cette évolution est plus marquée chez la femme, même si l’incidence comme la mortalité restent beaucoup plus élevées chez l’homme. … Dans le même temps, la mortalité suit une tendance identique…. Le nombre de décès passe de 15 473 à 22 649 chez l’homme et de 1 997 à 4 515 chez la femme. »
Page 84 tableaux 5 et 6
- Sein (Page 99 du rapport)
« L’incidence du cancer du sein a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies. Entre 1978 et 2000, le taux annuel moyen d’évolution de l’incidence est de +2,42 %. Le nombre de nouveaux cas a pratiquement doublé en 20 ans, puisqu’il est passé de 21 211 cas en 1980 à 41 845 cas en 2000.
Dans le même temps, la mortalité est restée stable (légère augmentation annuelle de 0,42 %). Le nombre de décès est passé de 8 629 en 1980 à 11 637 en 2000. »
Tableau 5 page 104
- Au total : Quelles déductions s’imposent à l’examen de ces données ?
Duperray note[11] : « Pour le sein et la prostate, on observe une mortalité stable et une incidence qui s’envole suivant l’intensité du dépistage, alors que pour le cancer du poumon qui ne fait pas l’objet d’un dépistage systématique, le nombre de décès est proportionnel à celui des diagnostics. L’incidence du cancer du poumon augmente parallèlement à la cause réelle de la maladie, la consommation de tabac. »
Tableau page 155
En effet pour les cancers dépistés comme sein et prostate, le surdiagnostic généré par le dépistage en s’intensifiant fait s’envoler l’incidence des cancers en 2005, sans répercussion sur la mortalité qui reste comparable à celle des années précédentes sans dépistage. Par comparaison, le cancer du poumon qui ne bénéficie d’aucun dépistage, montre un taux comparable de décès et de diagnostic.
Dans ce graphique on voit que le taux des cancers graves reste inchangé, alors qu’il était censé diminuer avec l’instauration du dépistage. (figure 9 du livre , page 121).
L’enthousiasme débridé et idéologique du dépistage, malgré les mises en gardes émergentes de lanceurs d’alerte dès 2000, rend ce fait inaudible et pousse à la poursuite des programmes, surtout devant la participation décevante des femmes.
2° Plan 2009-2013 [12] [13]
Libellé
P.56 : » Les actions menées n’ont pas permis de faire progresser la participation aux programmes de dépistage organisé du cancer du sein et du cancer colorectal. Les campagnes d’information et de mobilisation « Octobre rose » et « Mars bleu » ont été renouvelées chaque année en adaptant les messages. … La participation aux programmes de dépistage organisé ne progresse pas tant pour le cancer du sein (taux de participation national de 52,7 % en 2012, pour une cible de 65 % fixée par le Plan) que pour le cancer colorectal (31,7 % en 2012 pour une cible de 60 %). »
Devant ce constat il apparaît alors importants aux technocrates de la santé d’intensifier la participation comme on peut le lire dans les pages suivantes ; ainsi les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sont de maintenir le cap du dépistage organisé tout en renforçant les conditions permettant aux femmes, qui ne présentent pas un haut risque de développer un cancer du sein, de limiter les pratiques du dépistage individuel. (page 81 du rapport).
Sur le volet tabagisme, le rapport constate, page 47 :
Ainsi, si 76 % des enquêtés jugent « certains » les risques liés au tabagisme, la prévalence du tabac est encore de 32 % parmi les 15-85 ans. Soixante-cinq pour cent des personnes interrogées continuent par ailleurs de penser que « respirer l’air des villes est aussi mauvais pour la santé que de fumer des cigarettes. »
Résultats des données épidémiologiques
- Poumon
On peut lire dans le rapport Remontet [14]sur incidence et mortalité des tumeurs solides, page 176 « L’incidence et la mortalité du cancer du poumon sont encore deux fois plus élevées chez l’homme que chez la femme en 2018. »
Le rapport écrit :
« L’évolution de la mortalité du cancer du poumon est quant à elle étroitement liée à l’évolution de l’incidence dans les deux sexes et pour tous les âges…La mortalité est toujours en augmentation chez les femmes pour tous les âges et de façon plus importante pour celles de 50-60 ans«
- Sein
Rapport Remontet Page 204 tableaux 4 et 5
Rapportée à l’incidence on note une légère inflexion de la mortalité spécifique par cancer du sein, mais cela, comme on le voit ci-dessous, s’opère dès les années 90, donc bien avant la généralisation du dépistage, et ne peut lui être attribuée.
Le rapport dit ceci (page 207): « La mise en place d’un dépistage organisé s’accompagne habituellement d’une augmentation temporaire de l’incidence et d’une part de surdiagnostic (cancer qui n’aurait pas évolué avant le décès du patient et qui concerne davantage les cancers in situ non pris en compte dans cette étude). »
Concernant la mortalité le rapport affirme :
« Une diminution du taux de mortalité est observée depuis le milieu des années 1990, en lien avec des progrès thérapeutiques majeurs (hormonothérapie, taxanes, traitements ciblés adaptés au profil moléculaire de la tumeur) et avec une augmentation de la proportion de cancers diagnostiqués à un stade précoce, notamment grâce au dépistage. «
Mais ce dernier point est fortement contesté par plusieurs chercheurs internationaux qui objectent que le surdiagnostic augmente avec toujours plus de dépistage de façon quasi proportionnelle[15] .
D’autres suggèrent que les dépistage pourrait être pourvoyeur d’une surmortalité non comptabilisée du fait des effets du surtraitement.[16] Un fait troublant : il n’y a pas de différence constatée entre les groupes de femmes dépistées et non dépistées.[17] Et en tous cas la mortalité toutes causes confondues n’est pas réduite.
- Au total : En regardant et en comparant la globalité des données sur le cancer du poumon et celles du sein, on constate donc que la consommation de tabac, première cause de décès lié au cancer en France, n’a pas diminué et qu’elle contribue aux inégalités, en progressant chez les femmes et parmi les chômeurs. On voit clairement que les mesures d’interdiction de vente des cigarettes aux mineurs de moins de 18 ans et les avertissements graphiques sur les paquets sont largement insuffisantes.
Pendant ce temps, malgré l’observation d’une augmentation flagrante de l’incidence du cancer du sein toujours sans retentissement massif sur la mortalité, ce qu’on attend d’un dépistage réussi*, les campagnes d’octobre rose pour sensibiliser et inciter au dépistage du cancer du sein vont bon train et sans lésiner sur les moyens (illuminations des villes, courses organisées par les communes, placardages de slogans), sans aucune remise en cause ni réflexion sur le surtraitement généré en population.
*PS : (Lorsqu’on a une discordance aussi marquée entre une incidence (nombre de nouveaux cas) augmentant et une mortalité que ne chute pas dans les mêmes proportions, alors cette inflation des cas est attribuable à une seule chose : l’activité débridée du dépistage).
Encore une fois on peut constater que malgré la débauche de moyens mis en oeuvre pour les campagnes d’octobre rose, la mortalité par cancer du sein, surtout féminine, ne fait que croître.
Et le tabagisme à lui seul tue plus que les cancers du sein et de la prostate réunis ![18]
La lutte contre le tabagisme n’est visiblement pas à la hauteur des intentions affichées, sans doute parce que le tabac rapporte beaucoup sous forme de taxes[19]. Il est clair qu’en mettant l’accent sur l’intensification des dépistages on fait oublier que la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme n’est pas à la hauteur de ce qui serait possible si les politiques, au lieu de ménager les lobbies, souhaitaient réellement faire baisser les cancers.
3° Plan 2014-2019[20] [21]
Ce plan-là a mis l’accent sur le fait de faciliter l’accès des femmes les plus éloignées et par tous les moyens, au dépistage du cancer du sein.
Les femmes facilement accessibles, elles paraissaient récalcitrantes à ce dépistage, les autorités décidèrent qu’il fallait stimuler des femmes d’ordinaire peu sollicitées ou géographiquement inaccessibles à y participer.
Libellés, les ides ne manquent pas :
-Mettre en place des formations-actions régionales de femmes relais pour relayer la sensibilisation au dépistage des cancers (dépistage organisé du cancer du sein) en direction des femmes en précarité (partenariat avec IREPS2 ) (Picardie)
-favoriser l’accès au dépistage des femmes les plus éloignées du dépistage en organisant la prise en charge des frais de transport pour une mammographie à Cayenne (Guyane) et lutter contre les inégalités d’accès et de recours (Martinique). »
-Réaliser des états des lieux de l’accès au dépistage organisé du cancer du sein des personnes handicapées dans les établissements sociaux et médico-sociaux (Franche-Comté).
-faciliter l’accès au dépistage des personnes détenues en sensibilisant les équipes des Unités de consultations et de soins ambulatoires (Océan Indien)
Pages 72 et 74:
« l’objectif d’un taux de couverture du dépistage organisé ou spontané du cancer du sein des femmes de 50-74 ans de 75% au 31/12/2018» « accroître l’efficacité des programmes de dépistage organisé du cancer du sein »
Il faut accroître l’adhésion des femmes, toujours et encore ; ce plan cancer 2014-2019 n’aborde que le côté technocratique du dispositif et anticipe dans ses termes ce que les hautes instances ont envie de promouvoir, au mépris de l’information à laquelle la population féminine a droit et qu’elle a réclamée entre temps lors de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein et ses méfaits[22]. Il s’agit de maintenir ce programme de dépistage sur les rails fixés en 2013, dirigé vers des objectifs quinquennaux intangibles.
Résultats épidémiologiques
En 2017(voir sur le site officiel de l’INVS), en France, parmi les causes de décès par cancer chez la femme, le cancer du sein, responsable de 11 883 décès vient en tête, suivi du cancer du poumon (10 176 décès) puis du cancer colo-rectal (8 390 décès).
4°-Plan 2021-2030
Ce plan-là semble s’inscrire dans le grand plan européen censé élargir la participation des populations européennes au maximum à divers dépistages, au mépris de nombreux scientifiques demandant une information accrue sur la balance bénéfice-risques de ces dispositifs de santé.
L’objectif étant qu’à l’horizon 2025, 90% de la population de l’UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l’utérus et du cancer colo-rectal.
Dans le nouveau plan décennal français 2021-2030 on peut lire (https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030):
L’amélioration de l’accès au dépistage sera renforcée.
« Il s’agira de mieux connaître les déterminants de la réticence aux dépistages et de simplifier l’accès au dépistage (commande directe, professionnels de santé diversifiés, équipes mobiles notamment). Des approches seront développées, proposant un dépistage après une intervention de prévention ou de soins non programmés. Des partenariats seront envisagés, par exemple avec des associations d’aide alimentaire, pour réaliser des opérations de sensibilisation, notamment auprès des plus précaires. Les professionnels de santé, médico-sociaux et sociaux seront dotés d’outils d’information de premier contact et des applications mobiles délivrant des informations et des rappels seront développées. Des incitatifs matériels seront expérimentés pour faciliter la participation des personnes au dépistage. Enfin, les bornes d’âge du dépistage seront requestionnées. »
Les incitatifs pécuniers dont on parle dans le texte permettent de recruter notamment les plus faibles économiquement, là aussi au mépris de toute information médicale, ce qui a été dénoncé dans un article du BMJ, dont une des auteurs est une citoyenne française
Au total
Le constat est encore sans appel : En France, le recul de la mortalité spécifique (par cancer du sein) n’est pas significatif, en dépit du fait qu’on a fait du cancer du sein une priorité de santé publique et qu’on lui a consacré plus de moyens qu’à d’autres pathologies.
La mortalité par cancer du poumon, quant à elle, reste une préoccupation importante, notamment chez les jeunes auquel le plan actuel veut s’emparer, à nouveau…
Les plans se sont succédés, et aucun problème n’a été réglé : le tabagisme poursuit ses ravages, et les cas de cancers du sein ont grimpé à 54 000/ans de façon inquiétante avec un surdiagnostic reconnu par les autorités certes, mais largement minimisé et paraissant, pour ces autorités, ne remettre en aucune façon en question nos pratiques médicales, alors qu’on enregistre toujours, malgré le dépistage organisé, entre 11000 et 12000 décès/an, ce chiffre étant stable depuis 1996[23].
Remarques annexes avant de conclure
1°L’image d’illustration de l’article du Monde en ligne est une situation de dépistage du cancer de la peau.
Nous relayons ici un intéressant podcast [24]en anglais, sur le surdiagnostic du mélanome, tumeur cutanée cancéreuse.
Le constat de Dr. Adewole Adamson est affolant : pas de réduction de mortalité et un surdiagnostic massif en raison du fait que les seuils de tolérance des dermatologues et des anatomo-pathologistes s’abaissent devant les lésions cutanées.
Les premiers demandent de plus en plus et de plus en plus vite des prises en charge avec biopsies, les seconds préférent « upgrader » leur diagnostic des lésions examinées sous microscope ( c’est à dire dans le doute classer comme malignes des lésions simplement douteuses et qu’on pourrait seulement surveiller ), donnant lieu à une apparente épidémie de mélanomes avec d’autant plus de « survivors » artificiels.
Le cercle vicieux est sans fin, incitant patients et médecins à faire de plus en plus d’examens cutanés de routine.
2°spécifiquement sur le cancer du sein
Nous lisons dans le 6ème rapport au président de la République publié au mois de mars 2020 par l’INCa, page 7, prélude au plan cancer 2021/2025 présenté le 4 février 2021[25]:
Un renforcement de la qualité du dépistage organisé du cancer du sein.
« En termes d’organisation, en vertu d’un arrêté publié le 22 février 2019, seules les installations de mammographie numérique sont désormais autorisées dans le programme. L’arrêté confirme que le radiologue, premier lecteur, analyse obligatoirement les clichés sur une console d’interprétation. »
En reprenant les aménagements imposés aux radiologues tout au long de l’histoire du dépistage, il est flagrant de constater à quel point les décideurs ont délibérément opté pour l’amélioration de la forme, mais jamais pour la remise en question du fond -même de ce dispositif.
Au cours de ma carrière de radiologue, et depuis les années 90 j’ai ainsi assisté au passage de deux clichés par sein à trois, pour pallier au problème des cancers d’intervalles, survenant entre deux mammographies et échappant au dépistage.
Puis nous avons dû compléter ce « mammotest » par l’adjonction de l’échographie et de l’examen clinique. Nous sommes donc passés, devant la défaillance de la méthode, bel et bien d’un « test » à un examen finalement individuel !
Ensuite nous avons assisté à l’avènement de la mammographie numérique, technologie d’abord coexistant avec la mammographie analogique selon les cabinets de radiologie, et à présent imposée à tous.
Nul doute que nous ne tarderons pas à voir arriver la tomosynthèse[26] [27], hautement irradiante et souvent réalisée en complément des mammographies à l’insu de la patiente dans certains cabinets, avec une perspective de l’envolée des fausses alertes et des surdiagnostics.
Le soutien d’une étude expérimentant un dépistage personnalisé du cancer du sein.
« Une expérimentation internationale de dépistage ciblé du cancer du sein a été initiée. Soutenue par l’Institut national du cancer, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et la Ligue contre le cancer, et financée par l’Union européenne, l’étude MyPeBS (My Personal Breast Screening) entend évaluer si un dépistage personnalisé du cancer du sein pourrait être une meilleure option de dépistage pour les femmes de 40 à 70 ans. »
Meilleure preuve de la faillite du dépistage actuel : à présent on essaie un dépistage « individualisé », véritable piège pour les femmes notamment des tranches d’âge jeunes, puisque, si jugées à risque, elles auront des mammographies pouvant être annuelles et dès 40 ans….
Quelle meilleure façon, par le biais d’une étude d’un montage autant hermétique que pernicieux[28], d’étendre le dépistage à des catégories d’âges jusqu’à présent non concernés en raison d’une balance bénéfice-risques avérée néfaste pour ces femmes jeunes.
Voilà les « améliorations » continuelles apportées au dépistage du cancer du sein, véritable course absurde en lieu et place d’une interrogation de fond, à savoir repenser la pertinence fondamentale des dépistages.[29]
Mentionnons encore l’édition de la « feuille de route 2021-2030 » concernant la « STRATÉGIE DÉCENNALE DE LUTTE CONTRE LES CANCERS 2021-2030 », où on peut lire, page 20, une proposition d’incitation financière des femmes pour augmenter leur participation, revenant de façon décomplexée à une sorte d’achat du consentement des femmes : « Expérimenter des incitatifs matériels pour faciliter la participation des personnes au dépistage (action I.12.7) ».
3°Concernant le cancer de la prostate[30],
nous avions évoqué déjà le problème du surdiagnostic, et avions également parlé de celui de la thyroïde [31], ce dernier avec un impact préférentiellement sur la vie des femmes.
Surprenant de lire dans l’article du Monde » Autre enjeu : accentuer les recherches pour trouver de nouveaux dépistages, notamment vis-à-vis des cancers du poumon ou de la prostate. »
Un nouveau dépistage pour la prostate ? C’est bien que l’ancien n’était effectivement pas bien brillant en matière d’efficacité….
Et comme les questions critiques ne sont posées dans aucun média, l’information médicale peut sans vergogne se poursuivre au travers de l’émission « stars à nu », où des stars se déshabillent pour « sensibiliser » aux dépistages et pour la « bonne cause », sans aucun respect des données scientifiques.
La présentatrice, Mme Sublet, affirme en interview dans une minauderie de modestie feinte que son émission est « d’utilité publique »[32].
L’année dernière, dans la semaine qui a suivi l’émission, nos consultations en radiologie ont été littéralement assaillies de jeunes hommes découvrant des « boules » dans leurs bourses (absolument véridique), et de jeunes femmes en larmes ayant décelé elles aussi diverses tuméfactions dans leur poitrine.
Aucun diagnostic n’a été établi, toutes ces personnes étaient saines bien heureusement. Toute cette effervescence inutile a bien mobilisé le temps-médecin déjà compté, au détriment d’une patientèle réellement nécessiteuse de soins.
Conclusion :
Une planification « soviétique » qui se moque des données scientifiques
Il n’est nullement question d’informer mieux les femmes ou de diminuer les dépistages, nous retrouvons encore et toujours des objectifs fixés à l’avance, pré-décidés, échafaudés dans la tête de technocrates centrés sur un inventaire de chiffrages à atteindre.
On constate les malheureux résultats de la défaillance en matière de véritables campagnes de prévention (tabac, alcool, obésité), avec des cancers du poumon en augmentation inexorable et des décès en parallèle.
Pourquoi n’a-t-on pas privilégié l’éducation à la santé avec de véritables campagnes d’envergure au lieu d’une débauche de moyens pour valoriser des dépistages dont la plupart, il faut bien en convenir, n’ont aucun retentissement perceptible sur la mortalité globale, et au contraire entraînent des surdiagnostics dans des populations saines, les plongeant dans des situations inutiles de malades ?
Pourquoi ?
Dans un billet d’humeur Annette Lexa, toxicologue donne des pistes[33] :
- » les conduites destructrices ont longtemps été valorisées ;
- l’hygiène et la prévention sont supposées ne pas être hédonistes ;
- le champ du curatif est économiquement plus intéressant ;
- les cancers professionnels continuent d’être négligés et minimisés par les caisses de santé elles-mêmes (CPAM,MSA) obligeant à des procédures longues, improbables et coûteuses ;
- la société, si prompte pourtant à contrôler ses citoyens lorsque le système politico-économique est en danger, prétend craindre que cela s’apparente à de la réduction des « libertés » individuelles (libertés de fumer, de boire…) ;
- tabac, alcool, aliments industriels marketés par la publicité rapportent énormément en TVA ;
- la pilule contraceptive, symbole d’émancipation féminine, pourtant cancerogène avéré par l’IARC (http://www.cancer-environnement.fr/479-Classification-par-localisations-cancereuses.ce.aspx#Seins) et perturbateur endocrinien est encore et toujours présentée comme le moyen de contraception le plus populaire tout en minimisant savamment les effets indésirables, tant l’enjeu collectif sur la sexualité est majeur.
- Combien de jeunes femmes achètent des cosmétiques « bio » garantis sans bisphénol A et sans parabène supposé cancérogène tout en prenant la pilule et fumant ? Nos sociétés modernes n’ont pas su réinventer de rituel de passage à l’âge adulte, enfermant ses adolescents dans des conduites à risque (addiction au tabac, à l’alcool, aux drogues, banalisation et précocité des pratiques sexuelles à risque…) .
Enfin, le marketing opportuniste visant à développer une connivence avec les femmes (cosmétiques, mutuelles, professionnels de l’e-santé, évènements « sportifs ») symbolise à lui seul le pouvoir de manipulation et de désinformation ainsi que le cynisme d’une société toute entière affairée à développer les affaires en se donnant une caution vertueuse et même parfois pensant sincèrement réparer maladroitement les dégâts qu’elle a elle-même créés, alors qu’elle devrait mettre toute son énergie (moins rentable certes) dans la prévention des cancers et fournir à chacun dès le plus jeune âge les clés d’une vie et d’une santé optimales. »
Enfin, ce nouveau plan cancer a été élaboré sous l’égide de l’industrie pharmaceutique.
Et c’est notre collègue le Dr Gourmelon qui explique :
« Ce qui frappe d’emblée, dans les deux documents de presse, outre les moyens mis en œuvre, c’est la place que les « lobbys » du cancer ont prise dans le groupe prospectif qui a élaboré auprès du Pr IFRAH, les 220 propositions. (Voir l’annexe 3 du dossier de presse de 29 pages). Dans ce petit groupe de 24 personnes, on trouve le représentant des entreprises du médicament Mr Eric Baseilhac. Il s’agit du directeur des affaires économiques. »
Article complet disponible ici : https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/
En gros, les objectifs varient peu, les données épidémiologiques non plus, démontrant l’inanité de ces grands plans invariables de quinquennat en quinquennat, d’un président à l’autre.
A la fin il ne reste que les causes faciles et démagogiques, donnant l’illusion de « faire », d’empoigner les problèmes, au grand bonheur des firmes et de leurs « innovations ».
Lire ici : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_342
« …..faire en sorte que 90 % de la population de l’Union remplissant les conditions requises pour le dépistage du cancer du sein, du col de l’utérus et du cancer colorectal se voient proposer un dépistage d’ici à 2025. Pour y parvenir, un nouveau programme de dépistage du cancer cofinancé par l’Union sera proposé.
En outre, pour soutenir les nouvelles technologies, la recherche et l’innovation, un nouveau Centre de connaissances sur le cancer sera fondé afin de contribuer à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées au cancer à l’échelle de l’Union. Une «initiative européenne en matière d’imagerie sur le cancer» sera mise en place pour soutenir le développement de nouveaux outils assistés par ordinateur afin d’améliorer la médecine personnalisée et les solutions innovantes.«
Références
[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/04/une-nouvelle-strategie-nationale-pour-faire-reculer-le-cancer_6068728_3244.html
[2] https://www.e-cancer.fr/Presse/Dossiers-et-communiques-de-presse/L-Institut-national-du-cancer-publie-le-dernier-rapport-annuel-au-president-de-la-Republique-du-Plan-cancer-3-et-precise-les-echeances-de-la-strategie-decennale-de-lutte-contre-le-cancer
[3] https://www.roche.fr/fr/pharma/cancer/depistage-cancers-france.html
[4] https://consultation-cancer.fr/project/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation
[5] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/
[6] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/
[7] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf
[8] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013
[9] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/Plan_cancer_2003-2007_MILC.pdf
[10] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-colon-rectum/documents/rapport-synthese/evolution-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-de-1978-a-2000
[11] B.Duperray « le dépistage du cancer du sein, la grande illusion » Ed Thierry Souccar, page 155
[12] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013/Le-Plan-cancer-2009-2013
[13] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/2009-2013.pdf
[14] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-nationales-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropolitaine-entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud
[15] https://cancer-rose.fr/2015/07/06/analyse-etude-jama/
[16] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/
[17] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/
[18] http://www.unicancer.fr/le-groupe-unicancer/les-chiffres-cles/les-chiffres-du-cancer-en-france#:~:text=Cancer%20colorectal%20%3A%209%20294%20d%C3%A9c%C3%A8s,la%20prostate%20%3A%208%20207%20d%C3%A9c%C3%A8s
[19] https://www.who.int/tobacco/economics/taxation/fr/
[20] https://cancer-rose.fr/2016/10/10/a-propos-du-plan-cancer-2014-2019/
[21] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Plan-Cancer-2014-2019
[22] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/
[23] https://cancer-rose.fr/2016/07/30/mortalite-donnees-de-la-base-cepidc-de-1996-a-2012/
[24] Podcast dermato https://www.youtube.com/watch?v=068KMIe-gys&feature=emb_logo
[25] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Sixieme-rapport-au-president-de-la-Republique-Mars-2020
[26] https://cancer-rose.fr/2019/11/28/avis-de-la-haute-autorite-de-sante-sur-la-performance-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-depistage-organise/
[27] https://cancer-rose.fr/2019/03/09/association-de-la-tomosynthese-versus-mammographie-numerique-dans-la-detection-des-cancers/
[28] https://cancer-rose.fr/my-pebs/
[29] l’étude dont on rêvait : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/09/letude-dont-on-re%cc%82vait/
[30] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/
[31] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
[32] https://m.youtube.com/watch?v=7NQOTNDeM1c
[33] https://cancer-rose.fr/2016/11/05/la-vraie-prevention-parent-pauvre-du-plan-de-lutte-contre-le-cancer-du-sein/
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