Pourquoi aimons-nous tant le dépistage ?

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23/08/2024

Le Dr René Wittmer est médecin de famille québécois, et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal.
Il est également président de la campagne Choisir avec soin Québec, organisation qui s’engage activement en faveur de la décision partagée avec le patient, de plus il agit en tant que chercheur dans le Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription.

Selon Dr Wittmer, « la question de la pertinence du dépistage du cancer est très complexe et de nombreuses idées fausses ou peu nuancées polluent le débat. » En effet, ce dont le public n’est souvent que très peu informé : TOUS les dépistages comportent des risques, et l’enjeu est de savoir si la balance entre les risques inhérents au dépistage et les bénéfices potentiels en population est, de façon indubitable, réellement en faveur du bénéfice qu’on promet aux populations.

Cette balance est très variable selon les dépistages. Elle est clairement négative concernant le dépistage du cancer de la prostate qui n’est plus recommandé.
Les dommages potentiels associés à ce dépistage sont suffisamment préoccupants, et c’est pourquoi, jusqu’à présent, aucun programme de dépistage du cancer de la prostate en population n’a été mis en œuvre en Europe. 

Le dépistage du cancer du sein malheureusement, est l’objet de campagnes commerciales, qui, à chaque mois d’octobre et souvent même en dehors confisquent le débat. Ce dépistage est fortement promu, en dépit de remises en questions d’ordre scientifique, et ce à grand renfort de slogans, de « témoignages » et de messages simplistes fallacieux ; dans ce grand concert rose il est quasiment impossible de faire entendre la voix de la raison…

Le problème est la présentation biaisée des faits. Oui, la mortalité des femmes par cancer du sein a diminué depuis les années 90, et on ne peut que s’en réjouir.
Mais, comme explique René Wittmer, « une analyse complète des données scientifiques porte à croire que ces avancées pour la santé des femmes sont surtout le résultat de l’amélioration des traitements. Dans les pays occidentaux, la diminution de la mortalité par cancer du sein observée est à peu près la même dans les pays qui dépistent beaucoup et ceux qui dépistent moins. De plus, la mortalité par cancer du sein diminue de façon marquée même dans les tranches d’âge où le dépistage n’est pas offert.

La bonne nouvelle, c’est que toutes les femmes bénéficient de ces avancées, qu’elles choisissent le dépistage ou non. »

On les aime ces dépistages, faussement sécurisants, alors qu’on devrait davantage s’informer, et exiger une information sur tous les aspects de ces dispositifs de santé, pour les raisons suivantes.

La mésestimation des risques

Citons à nouveau le Dr Wittmer : « La nature humaine fait que les personnes survivantes croient sincèrement que sans dépistage, leur survie aurait été compromise. Cela est vrai pour certaines, mais pas pour d’autres. Il est difficile d’accepter que le cancer que l’on a trouvé ne serait peut-être jamais devenu symptomatique, et donc qu’on a peut-être reçu des traitements inutilement. »

 » À l’inverse, des récits tragiques de décès par cancer du sein sont souvent accompagnés d’incitations au dépistage, ce qui sous-entend que le dépistage aurait pu permettre d’éviter cette situation. Malheureusement, même avec le dépistage systématique, certaines femmes meurent du cancer du sein (1 ou 2 femmes sur 1 000 dans la tranche d’âge de 50 à 59 ans, et 2 ou 3 femmes sur 1 000 chez les 60 à 69 ans). »
Pourquoi ? Parce que certains cancers sont intrinsèquement de par leur nature-même, mortels, et qu’ils tueront leur hôte quoiqu’on fasse.

L’amplification d’un effet bénéfice, somme toute assez maigre comme on le voit ci-dessus, fait passer sous silence les effets indésirables du dépistage, qui eux, sont immédiats et bien réels, et qui représentent une réalité comptable très peu explicitée par les autorités sanitaires, en France en tous cas.
Il s’agit des fausses alertes et surtout du surdiagnostic, notions amplement développées dans notre site.

Notre Institut National du cancer français envoie un livret d’information aux femmes lors de leur première convocation au dépistage à l’âge de 50 ans ; la qualité de ce livret n’est pas optimale sur les effets secondaires qui sont largement minimisés, mais a évolué jusqu’à sa réactualisation en 2022, que nous avions analysé ici.
Si le surdiagnostic est bien évoqué, son ampleur est donnée dans sa fourchette la plus basse. Cette évaluation basse n’est pas erronée, en revanche malhonnête car ce qui est condamnable c’est de ne mentionner nullement la fourchette la plus haute, celle que suggèrent des études bien plus récentes que les évaluations données par l’INCa, et tout aussi solides.
Un deuxième reproche à faire à la communication délivrée par notre institut national est que les conséquences du surdiagnostic ne sont pas détaillées, or pour une femme un diagnostic inutile entraîne des traitements inutiles, ce qui est loin d’être anodin ; il s’agit de mastectomies inutiles, de radiothérapies et de chimiothérapies également inutiles, avec les effets secondaires que tout cela implique.

Le troisième reproche est que, si ce livret de l’INCa même insuffisant est bien envoyé aux femmes lors de la première convocation, il ne l’est plus du tout lors des convocations subséquentes, où là, simplement un dépliant parvient aux femmes, lequel ne mentionne AUCUN des effets secondaires du dépistage.
L’INCa a donc suivi, du bout des lèvres, les demandes de la concertation citoyenne de 2016 d’informer les femmes sur le surdiagnostic, (donné à sa fourchette la plus basse), et puis a trouvé le moyen de subtiliser cette information lors des envois ultérieurs, privant scandaleusement les femmes de l’information à laquelle elles ont droit.

Pour finir, le quatrième reproche qu’on peut adresser à la communication de l’INCa est la présentation de l’information en pourcentages, enjolivant ainsi les données, au lieu de fournir cette information en chiffres absolus.

Mauvaise présentation des données, amplification des bénéfices

C’est ce que pointe du doigt René Wittmer : « … un sondage réalisé auprès de femmes américaines montre que ces dernières prêtent au dépistage des vertus beaucoup plus grandes qu’il n’en a dans la réalité. Quelque 65 % des répondantes surestimaient les bénéfices de 40 à 50 fois… « 
« Elle (la sensibilisation aux dépistages NDLR) peut toutefois inspirer un sentiment de vulnérabilité ou de peur, induire une perception exagérée du risque (ou des bénéfices associés à un test ou un traitement) et créer un impératif social qui nuit au libre choix des individus. Comme patients, nous devrions exiger une communication plus transparente, où les risques et les bénéfices sont présentés de façon compréhensible. On ne devrait plus se contenter d’entendre que « le dépistage sauve des vies ». 

La communication est un enjeu capital pour permettre aux femmes de faire leur propre choix.

Screenshot

C’est pour proposer une information honnête et correspondant à la réalité que sont conçus les outils d’aide à la décision.

Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (Groupe d’étude canadien) qui a publié ce twitt a été créé par l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), c’est un groupe créé pour élaborer des lignes directrices pour la pratique clinique.
Le groupe a récemment publié ses nouvelles recommandations sur le dépistage du cancer du sein en fonction des tranches d’âge.
(Article connexe  : Bravo les Canadiens)
Dans beaucoup de pays ces outils, présentant des visuels très simples aidant à la compréhension des données, sont proposés aux femmes, ce qu’également la concertation citoyenne avait exigé.
Comme les autorités sanitaires françaises n’accèdent toujours pas aux demandes des citoyennes, nous avons reproduit sur notre site des outils de décision, mis à disposition des femmes de façon simple et gratuite.
Vous les trouverez ici : https://cancer-rose.fr/category/essentiel-nos-outils/, avec notamment celui de Cancer Rose basé sur des données françaises. Vous trouverez des aides aussi dans nos « supports« , avec notamment une affiche synthétique que les professionnels de santé peuvent imprimer et afficher en salle d’attente.

En France, les recommandations sont proposées par la Haute Autorité de Santé.
Les recommandations sont importantes pour aider le praticien à s’orienter dans les conduites à tenir qu’il va proposer à ces patients. D’une manière générale, encore faudrait-il que ces recommandations soient fiables et édictées de façon indépendantes, sur la base d’études correctement réalisée…

Des lignes directrices correctement établies

Les lignes directrices, ou recommandations que les autorités sanitaires édictent, peuvent néanmoins, elles aussi, être sujettes à controverses et influences diverses…

Pour preuve le débat récent à la suite de recommandations étatsuniennes demandant un abaissement de l’âge du dépistage du cancer du sein pour, soi-disant, gommer les différences raciales, les femmes noires étant plus victimes du cancer du sein en termes de mortalité, mais les causes ne sont pas à chercher dans un dépistage qui serait insuffisant, hélas, plutôt dans une inégalité flagrante de l’accès aux soins des populations noires.
Non seulement le but recherché par cet abaissement de l’âge du dépistage ne sera pas atteint, mais les effets secondaires seront largement majorés pour toutes les catégories de femmes si on commence à dépister à 40 ans, aberration qui a été amplement dénoncée par des chercheurs et scientifiques indépendants.
Nous en parlions ici et ici, et vous trouverez des prises de position intéressantes ici et ici.

Il est assez consternant de constater que ces recommandations étatsuniennes, officielles et promues par des médias et des leaders d’opinion, n’étaient nullement fondées sur de nouvelles preuves d’efficacité d’un dépistage commencé plus tôt, mais sur des …discussions et des modélisations plutôt hasardeuses.

Une équipe canadienne, avec René Wittmer, (encore une fois, bravo à ces providentiels et dynamiques amis canadiens !), équipe qui milite pour l’utilisation judicieuse des ressources en santé, a proposé un tableau de 10 recommandations détaillée, une table de 10 commandements en quelque sorte, destinée « notamment aux responsables de formation professionnelle continue, aux conférenciers, aux enseignants, aux responsables des facultés de médecine, aux responsables des lignes directrices et aux autres acteurs du système. »
Lire ici-

Comme le dit cet article : « « Des études ont montré que la majo­rité des panels d’experts proposent un élargissement des critères diagnostiques et que la plupart de leurs mem­bres ont des conflits d’intérêts de nature financière avec l’industrie. » Les entreprises pharmaceutiques peuvent par ailleurs aussi teinter les avis d’experts. Le Dr Wittmer et ses collègues conseillent de ne pas utiliser ce type d’information sans prendre en considération l’effet potentiel des conflits d’intérêts. »
« Les recommandations de son groupe (Choisir Avec Soins Québec, NDLR) pourraient d’ailleurs permettre de mettre de l’ordre dans les divers tests et trai­tements. « Devant l’explosion du nombre de ces derniers, il devient plus important que jamais de former des médecins capables de réfléchir et de proposer les bons tests au bon patient au bon moment. » »

Mais les omnipraticiens sont également concernés : « Nous invitons les professionnels de la santé à commencer à insister sur la transparence des informations qu’ils lisent ou écoutent. Ils représentent probablement le levier de changement le plus important. L’application de ces principes représenterait un pas en avant vers une utilisation judicieuse de nos ressources en santé et devrait commencer le plus tôt possible. »

Nous appelons de nos voeux une telle prise de conscience en France, un arrêt des campagnes promotionnelles autour du dépistage au profit d’une décision partagée et informée avec le patient.
Car, en matière de santé, tout ce que nous réalisons en excès pour des populations ciblées se répercute en déficit de soins pour d’autres.


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