Janvier 2025
Le 12 décembre 2024 étaient publiés les résultats de l’essai COMET, (Comparing an Operation to Monitoring with or without Endocrine Therapy)
De quoi s’agit-il ?
Comme les auteurs l’expliquent en introduction de la publication, chaque année, environ 65 millions de femmes se soumettent à un dépistage mammographique aux États-Unis, pour un coût de plus de 13 milliards de dollars.
Actuellement on s’inquiète de plus en plus du surdiagnostic et du surtraitement qui accompagnent le dépistage systématique du cancer du sein, c’est à dire la détection de lésions inutiles, qui n’auraient jamais mis en danger la santé ni la vie de la femme. Ces surdiagnostics sont coûteux autant sur le plan médical que sur le plan économique et deviennent un véritable enjeu de santé publique, car il s’agit de surmédicalisations inutiles avec de lourdes conséquences. Ce qui est gaspillé d’un côté en coûts de soins inutiles est perdu pour d’autres patients réellement nécessiteux.
Le traitement de ces lésions sur-détectées n’est pas bénéfique pour la survie et peut entraîner des dommages sur la santé des femmes.
Pour le cancer du sein, une partie importante du fardeau du surdiagnostic provient de la sur-détection du carcinome in situ (CIS), un diagnostic auquel font face plus de 50 000 femmes aux États-Unis chaque année.
Le carcinome in situ est une entité à part du cancer du sein, il s’agit de cellules cancéreuses qui ne franchissent pas la paroi des canaux lactifères du sein et qui n’envahissent pas les tissus mammaires autour de ces canaux.
Pour certains scientifiques, il ne devrait même plus être appelé « cancer« , et ces cas de carcinomes in situ ne sont pas comptabilisés parmi les cancers « vrais » dans les taux d’incidence (le taux des nouveaux cas de cancers) annuels.
Le carcinome in situ ou CIS est une lésion dite « pré-invasive » qui n’a pas le potentiel de se propager et de causer des symptômes, à moins qu’elle ne progresse vers un cancer invasif. On pense que le carcinome in situ est davantage un marqueur (non obligatoire) de risque de malignité potentielle qu’une lésion maligne à proprement parler, les femmes porteuses de CIS seraient plus enclines à développer ultérieurement un réel carcinome invasif.
Mais traiter systématiquement ces lésions n’est peut-être pas une attitude valable pour tout le monde. Une étude de Toronto montrait que traiter les cancers canalaires in situ ne réduisait pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives des CIS par radiothérapie ou mastectomie ne réduisait pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.
En fait, l’augmentation de la détection des carcinomes in situ entre 1992 et 2011, imputable à une surdétection massive par le dépistage intensif, ne s’est pas accompagnée d’une réduction significative de la mortalité, ni des vrais cancers infiltrants.
Lorsqu’un CIS est diagnostiqué, il est traité de façon conventionnelle par chirurgie, souvent en combinaison avec une radiothérapie adjuvante et/ou une endocrinothérapie (hormonothérapie). Ces traitements sont les mêmes que ceux recommandés pour les femmes atteintes d’un cancer invasif à risque faible à intermédiaire. Les effets indésirables de ces thérapies peuvent inclure la douleur à long terme, une image corporelle altérée, un dysfonctionnement sexuel, des symptômes de la ménopause ou, plus rarement, des cancers secondaires de l’endomètre (muqueuse de l’utérus).
Il faut donc réfléchir à une désescalade thérapeutique, ce qui est le but de cet essai.
Objectif de l’étude
L’objectif de cette étude clinique incluant presque 1000 femmes (essai prospectif, randomisé dit de non-infériorité) est d’examiner les taux de cancers invasifs à deux ans chez des patientes présentant un CIS à faible risque et recevant une simple surveillance active par rapport aux traitements habituels préconisés selon les lignes directrices en vigueur.
Il s’agit donc de comparer un groupe de femmes avec CIS de bas stade suivies (37 mois de suivi) par une simple surveillance active à un groupe de femmes traitées de leur CIS selon les soins habituels (chirurgie, radiothérapie, parfois hormonothérapie), et de comparer les taux d’évolution vers un cancer invasif dans les deux ans dans chaque groupe.
Les résultats
Des femmes atteintes de CIS qui ont choisi d’avoir des mammographies régulières et un simple suivi attentif de leurs lésions plutôt qu’une chirurgie et une radiothérapie, n’étaient pas plus susceptibles de développer un cancer invasif sur deux ans par rapport à celles qui avaient opté pour le traitement classique.
Même si les résultats sont très encourageants pour l’option de simple surveillance active, il reste néanmoins toujours un risque d’évolution vers un cancer invasif de l’ordre de 5% dans les deux ans, dans ce cas la chirurgie est alors bien entendu préconisée.
Les auteurs ne sont pas totalement rassurés et redoutent qu’avec un suivi des patientes plus long que deux années on puisse découvrir à terme plus d’évènements invasifs, remettant en question l’option de surveillance active.
Selon l’auteure principale, E. Shelley Hwang, du département de chirurgie de l’université Duke, Durham, (Caroline du Nord), il faudra donc certainement plus de données pour confirmer que les femmes qui choisissent le suivi actif ne développent pas plus de cancers au fil du temps.
Mais selon cette chercheuse, les données sont suffisamment encourageantes pour que davantage d’experts en oncologie du sein puissent discuter de cette option de surveillance avec leurs patientes atteintes de CIS, en leur donnant les directives des traitements standards qui existent et qui comprennent la chirurgie et la radiothérapie, mais en leur donnant aussi les résultats de cette étude qui ouvre la voie vers une option d’abstention thérapeutique, et permet d’éviter la chirurgie.
Conclusion
Cet essai américain COMET montre que la chirurgie n’est pas supérieure à la surveillance active dans la prise en charge du carcinome canalaire in situ de bas grade. Ces résultats, à rebours des habitudes thérapeutiques actuelles en vigueur, doivent inciter à affiner les indications chirurgicales dans le sens d’une réduction, pour limiter le problème du surtraitement, et inciter aussi à élaborer de nouvelles recommandations pour la prise en charge de ces lésions, trop souvent traitées avec agressivité (chirurgie élargie avec marges saines et radiothérapie).
À mesure que les méthodes de dépistage deviennent plus sensibles et qu’elles sont capables de détecter des formes de cancer plus petites et de bas stade comme les CIS, dont beaucoup alimentent le surdiagnostic, des approches telles que la surveillance active pourraient devenir plus pertinentes, selon cette étude.
Pour nous, cette étude est toutefois une démonstration de plus que le surdiagnostic se gère en amont, car une fois un diagnostic posé, même de tumeur de bas stade de malignité, ni la patiente ni le médecin ne seront jamais plus sereins, et même un suivi remplaçant une attitude interventionniste comporte son lot d’angoisses et d’inquiétudes pour la patiente, et des contraintes de suivis incessants, comme un rituel menaçant.
Il faut qu’une femme soit impérativement informée AVANT de s’engager dans un processus de dépistage, pour choisir en connaissance de cause si oui ou non elle participera, car une participation au dépistage peut faire basculer une vie de femme saine en celle de malade de façon inutile. Il faut que les femmes soient informées de données essentielles comme le fait que le dépistage ne fait pas décroître la mortalité par cancer du sein de façon significative mais expose bien davantage au risque de surdiagnotics et de fausses alertes.
Cf nos outils d’aide à la décision.
Tant qu’on n’aura pas compris ce qui fait qu’un cancer est agressif et qui fait que l’hôte mourra quoi qu’on fasse, qu’on n’aura pas compris les interactions entre cellule tumorale et son environnement, pas compris l’histoire naturelle du cancer en somme- tant qu’on n’aura pas élucidé ces mécanismes cancéreux complexes, toute tentative de régler son compte au cancer sera vaine.
En tous cas l’étude ouvre au moins la voie vers une désescalade thérapeutique, car il est question de réaliser à l’avenir des études analogues où sera testée l’absence de chirurgie pour les femmes porteuses d’un cancer du sein avec atteinte ganglionnaire selon Dr. Henry Kuerer, professeur et directeur exécutif des programmes de dépistage du cancer du sein au MD Anderson Cancer Network.
On attend les résultats des essais LORD et LORIS, également sur les CIS de bas grade – Affaire à suivre….
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