3 février 2025
Résumé de l’article grâce à l’aimable autorisation de l’auteure principale, Madame Pittet, qui nous a transmis la publication.
Des auteurs suisses du Centre Universitaire de Médecine Générale et de Santé Publique de Lausanne se sont attelés à la recherche d’outils d’aide à la décision disponibles en langue française.
Le professeur Jacques Cornuz dirige Unisanté depuis la création de ce centre en janvier 2019 ; l’auteure principale, Mme Pittet, est chargée de recherche en psychologie cognitive et appliquée, détentrice d’un master appliqué à la promotion de la santé et la prévention des risques à l’Université de Genève.
En préambule les auteurs soulignent, dans la vision moderne de la santé, le glissement de la relation médecin-patient d’une approche paternaliste et top-down (c’est à dire descendante, provenant du médecin détenteur du savoir vers le patient, récipiendaire d’un savoir venant « d’en haut ») vers une implication plus accrue des patients dans les décisions médicales les concernant.
Pour eux, les outils à mettre à disposition des patients doivent concerner autant la prévention primaire qui a pour but d’empêcher la maladie de se développer ( par exemple grâce aux vaccins, à la promotion de meilleurs comportements de santé etc..), que la prévention dite secondaire qui a pour objectif de détecter précocement une maladie avant l’apparition de ses symptômes, généralement au travers de tests de dépistage systématiques.
La prévention primaire et secondaire des cancers présente des bénéfices mais parfois également des risques, nécessitant déjà une bonne information des populations et une décision « alignée avec les valeurs et les préférences des patients et des citoyens. »
Ils écrivent : « la dynamique entre les professionnels de la santé et les patients et plus largement entre les acteurs de la santé publique et les citoyens a évolué, conduisant à un partage d’informations et parfois de responsabilités dans la prise de décision. Alors que les professionnels de la santé possèdent l’expertise de la maladie, les patients et les citoyens possèdent un savoir expérientiel issu de leur vécu, ainsi qu’une attitude individuelle concernant les risques et les bénéfices de la prévention primaire et secondaire des cancers. »
Malheureusement comme les auteurs eux-mêmes le relèvent, les cliniciens peuvent avoir du mal parfois à appréhender pleinement ce qui revêt de l’importance pour le patient. Nous rajouterons que certains cliniciens refusent de s’engager dans la recherche de la décision partagée et assument sciemment des comportements coercitifs, menaçant leurs patients de ne plus les recevoir s’ils refusent des dépistages qu’ils leur proposent, comme nous le voyons en pratique quotidienne et le lisons encore récemment, hélas, sur un réseau social.

Il faut donc s’efforcer de concevoir ces outils, modernes, fondés sur des données probantes et conçus pour aider les patients et les citoyens à faire des choix réfléchis parmi les options de soins de santé.
En effet, concernant les dépistages il n’y a pas qu’une option de décision possible, il s’agit de dispositifs de santé facultatifs que nous médecins proposons, ne l’oublions jamais, à des gens sains, qui ne se plaignent de rien. L’enjeu essentiel dans les dépistages est d’informer les personnes sur le risque majeur qui est celui du surdiagnostic[1], c’est à dire la détection inutile d’une lésion qui n’aurait jamais compromis ni la santé ni la vie de la personne si cette lésion était restée non découverte. Mais une fois détectée, la personne devient définitivement un « patient » et se retrouve dans un circuit de traitements et de surveillance, sans bénéfice pour sa santé, et qu’elle n’aurait jamais connu sans ce dépistage.
Les outils augmentent les connaissances des patients et des citoyens, valorisent leur participation dans la prise de décision, permettent de clarifier ce qui est important pour eux et réduisent leurs conflits décisionnels, ils améliorent leur compréhension des bénéfices et des préjudices encourus, favorisent les échanges avec les professionnels de la santé. Tout ceci contribue au final à une meilleure qualité des soins et à une meilleure confiance des patients en la médecine.
Ailleurs qu’en France ?
Dans certains pays la décision médicale partagée est même rendue obligatoire pour certaines décisions médicales. Comme l’expliquent les auteurs, ceci est le cas aux Etats Unis pour des procédures cardio-vasculaires ou pour le dépistage du cancer du poumon[2].
« En Suisse », écrivent-ils « cette approche gagne progressivement en reconnaissance, soutenue notamment par des acteurs majeurs du système de santé tels que la FMH » (Fédération des Médecins Suisses).
Au niveau international, de nombreux pays tels que les États-Unis, l’Angleterre, le Canada, l’Allemagne ou encore Taïwan, défendent l’importance de la décision médicale partagée.
Une étude[3] menée par la chercheuse britannique en soins Dr. Angela Coulter, a examiné l’état de la mise en œuvre de la décision partagée dans neuf pays (Australie, Canada, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Taïwan, Royaume-Uni et États-Unis) en vue d’identifier les meilleures pratiques, et de développer une stratégie pour la pratique plus large du principe de décision médicale partagée.
Les outils en langue française
Au total, dans leur étude, les auteurs suisses ont recensé 27 outils d’aide à la décision en français au travers d’une revue de la littérature, dont 8 traitant du cancer du sein/ovaire, 7 du cancer de la prostate, 5 du cancer colorectal, 5 du cancer du poumon et 2 du cancer du col de l’utérus.
Tous ces outils concernent le dépistage, hormis un (concernant les options de sevrage tabagique).
C’est le Canada qui a développé le plus grand nombre d’outils d’aide à la décision en français avec 11 outils identifiés, suivi par la Suisse (9), la France (5) et la Belgique (2).
Concernant le dépistage du cancer du sein sont cités par les auteurs les outils de l’INCa (Institut Natioonal français du Cancer) et, nous en sommes ravis, ceux de Cancer Rose.

L’étude[4] de Gocko et coll. publiée en 2020 dans une revue de santé publique, citée en référence 23 dans le tableau ci-dessus, comparait la qualité de l’information de l’INCa à celle de notre collectif.
Il en ressortait que les documents d’information proposés par l’INCa requièrent un niveau élevé de littératie (ou d’éducation en santé) du public, en d’autres termes les informations des documents de l’INCa ne sont pas rédigées en langage suffisamment accessible pour tous.
A aucun moment l’INCa n’atteint la moyenne dans les critères IPDAS* qui devraient être présents, n’atteignant au mieux que 37,5 % des critères requis, ce qui est très insuffisant, là où le collectif Cancer Rose, atteint, lui, avec ses propres moyens qui sont ceux des auteurs et de quelques dons, 62,5 %.
* Que sont ces critères IPDAS ? (International Patient Decision Aid Standard).
Il s’agit de normes rassemblées en une liste d’exigences et de spécifications auxquelles les outils d’aide à la décision doivent se conformer. Ces normes veillent à ce que les outils d’aide à la décision favorisent une prise de décision en matière de santé qui soient basée sur les meilleures données scientifiques disponibles, et qui reflète les préférences et valeurs des patients et patientes.
Les critères présents doivent être les plus nombreux. Les critères incomplets, doivent être les moins nombreux. Les critères absents, doivent être les moins nombreux également
Pour ce qui est des critères absents, là aussi l’INCa est imbattable ; l’INCa atteint 56.3% de critères absents alors que cancer rose n’atteint que 25%.
Enfin pour les critères incomplets, l’INCa nous devance encore largement et dans toutes ses publications…
Cette revue d’épidémiologie relevait le problème de désinformation institutionnelle persistant vis à vis des femmes mais il est regrettable qu’il n’y ait pas de remise en question explicite du travail de l’INCa qui taxe la remise en question scientifique autour du bénéfice du dépistage mammographique de « fake-news »[5], alors que cette situation non éthique et scandaleuse de non-information des femmes persiste depuis déjà de nombreuses années, et que nous la dénonçons régulièrement.[6]
Une analyse de cette étude de la revue d’épidémiologie est à lire ici , sur ce blog destiné aux malades de la thyroïde: https://www.afmthyroide.fr/2020/01/21/linstitut-national-du-cancer-epingle-mais-epargne-pour-sa-mauvaise-communication-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein/
Conclusion
Les auteurs écrivent « Si les pays anglophones se distinguent par un grand nombre d’outils d’aide à la décision développés, on constate actuellement une certaine lacune en langue française, en particulier pour la prévention primaire. »
C’est à dire qu’il manque cruellement d’outils sur tout ce qui concerne les dispositifs médicaux et les comportements qui permettraient d’éviter la survenue d’une maladie, comme la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme etc…
Selon eux, il paraît ainsi impératif de développer davantage d’outils d’aide à la décision en français, « pour répondre aux besoins des patients et citoyens francophones et de favoriser une participation active et éclairée de ces derniers dans les décisions relatives à leur santé« .
C’est aussi la conclusion d’une étude française[7], citée également en référence par les auteurs suisses, que nous avons résumée ici. Il s’agissait de comparer un groupe de femmes non informées sur les risques du dépistage mammographique à un groupe informé (groupe DECIDEO) par un outil qui pourtant, était loin de répondre aux critères IPDAS.
Le résultat n’est pas étonnant : plus l’information délivrée aux femmes concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie est exhaustive et énonce les risques encourus (surdiagnostics, fausses alertes essentiellement), moins ces dernières participent au programme de dépistage organisé mis en place et promu par les structures étatiques.
Plus les femmes sont informées, moins les campagnes d’incitation infantilisantes et commerciales comme celles d’Octobre Rose peuvent les influencer.
Il faut donc arrêter de vouloir persuader les femmes à tout prix de se faire dépister, il faut au contraire les informer pour leur permettre de prendre une décision éclairée.
Ce n’est rien de moins que les conclusions de la concertation sur la mammographie de dépistage de 2015[8], et nous nous efforçons de répondre aux demandes citoyennes d’information par notre propre site ainsi qu’un site dédié à tous nos outils conçus depuis 2015, le site « parlons mammo ».
[1] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
[2] https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2683805
[3] https://www.bertelsmann-stiftung.de/de/publikationen/publikation/did/national-strategies-for-implementing-shared-decision-making-engl
[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S039876201930522X?via%3Dihub
[5] https://cancer-rose.fr/2021/06/24/les-informations-independantes-en-sante-taxees-de-fake-news-cancer-rose-monte-au-creneau/
[6] https://cancer-rose.fr/2021/10/19/linca-toujours-scandaleusement-malhonnete-et-non-ethique/
[7] https://www.oncotarget.com/article/7332/text/
[8] https://cancer-rose.fr/concertation/ et https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/
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