https://bmjopen.bmj.com/content/15/2/e084955.long
https://bmjopen.bmj.com/content/bmjopen/15/2/e084955.full.pdf
Adewole S Adamson1, Vishal R Patel2, H Gilbert Welch2
- Department of Internal Medicine, The University of Texas at Austin Dell Medical School, Austin, Texas, USA
- Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts, USA
Traduction et synthèse par Cancer Rose, 11 février 2025
Examen de la relation entre l’incidence et la mortalité des cancers fréquemment diagnostiqués aux ÉtatsUnis : une étude observationnelle utilisant la base de données SEER basée sur la population
Contexte
G. Welsch, oncologue américain, avec publié en 2024 un article sur les signatures épidémiologiques.
La juxtaposition des tendances de l’incidence (le nombre de nouveaux cas) et de la mortalité d’un cancer peut facilement révéler un surdiagnostic, disait déjà en 2024 G.Welsch.
Il mettait alors en lumière deux phénomènes de « déconnexion » , autrement dit d’incohérences ou de ‘non parallélismes’ entre différents paramètres :
1- la déconnexion entre incidence et mortalité : une incidence d’un cancer qui, dès lors qu’on introduit un dépistage, s’envole avec une mortalité spécifique par ce cancer qui pourtant reste stable, alors qu’on devrait s’attendre à sa diminution, puisque théoriquement plus on dépisterait des cas de cancers au stade dit « précoce », plus on éviterait des cancers mortels.
2- la déconnexion entre l’augmentation de l’incidence (taux de nouveaux cas) des stades précoces des cancers trouvés par dépistage mais sans changement de l’incidence des stades plus avancés des cancers.
En clair, le dépistage permet de récolter des cancers de bas stades de malignité faisant espérer qu’ainsi on aurait moins de stades avancés de cancers, ceux qui sont le plus difficile à traiter et qui tuent. Welsch démontre qu’il n’en est rien pour les cancers du sein, prostate, rein, mélanome cutané, thyroïde, et que les sur-détections ciblées (les dépistages organisés) ou fortuites (découverte par la multiplication des examens d’imagerie) sont des pourvoyeurs d’excédents de diagnostics de cancers sans qu’il y ait en parallèle diminution des formes graves ; ces cas excédentaires constituent le surdiagnostic.
Cette publication de Adewole, Vishal et Welch de février 2025 a pour objectif d’étudier l’incidence et la mortalité ( mesures épidémiologiques fondamentales de la charge cancéreuse), pour 12 types de cancers fréquemment diagnostiqués aux Etats Unis, et de déterminer la corrélation entre ces deux mesures selon les endroits, sur une période de 40 ans.
Conception et méthodes
Étude observationnelle basée sur la population des comtés américains.
Cadre et participants : La base de données Surveillance, Epidemiology and End Results (SEER) a été utilisée pour obtenir des données sur l’incidence (2000-2016) et la mortalité (20022018) pour les 12 cancers non hématologiques les plus fréquemment diagnostiqués.
Résultats
L’incidence de certains cancers, notamment du cancer du sein, relatent les auteurs, est en effet en constante augmentation.
Plus précisément :
L’incidence et la mortalité par comté étaient fortement corrélées pour certains cancers, mais non corrélées pour d’autres.
Les cancers à forte corrélation comprenaient les cancers du poumon, de l’estomac, du foie et du pancréas. C’est à dire que chez les patients atteints de ces cancers, le risque de décès dû au cancer diagnostiqué était 4 fois supérieur au risque de décès dû à d’autres causes.
Les formes de cancers à corrélation modérée incluait les cancers du côlon, de la vessie, du rein et de l’utérus.
Il y avait peu ou pas de relation entre l’incidence et la mortalité pour les formes de cancers de faible corrélation : mélanome, prostate, sein et thyroïde. Le risque de décès dû au cancer diagnostiqué pour ces patients était soit inférieur, soit identique à leur risque de décès dû à d’autres causes.
C’est à dire que malgré une très forte détection, ces patients sont davantage susceptibles de décéder d’une autre cause que de leur cancer.
Mais si les fortes relations incidence/mortalité s’expliquent facilement pour des cancers cliniquement significatifs (plus de cancers = plus de décès), comme pour le pancréas par exemple, comment expliquer la faible relation incidence/mortalité pour ces autres cancers dont on constate la faible corrélation entre ces deux paramètres ? En d’autres termes, pourquoi pour certains cancers les taux de détection s’envolent avec une mortalité qui pourtant ne se réduit pas en proportions similaires ?
Selon les auteurs, cette discordance pourrait s’expliquer en considérant deux sources essentielles possibles de variations entre les comtés américains étudiés : (1) le traitement et (2) l’examen diagnostique.
1- variation de traitements
L’accès variable à un traitement efficace pourrait influencer la corrélation entre l’incidence et la mortalité dans les comtés. Par exemple, des variations dans les facteurs sociaux et économiques de la santé peuvent restreindre la fourniture de traitements contre le cancer et l’accès aux soins dans certains comtés.
On pourrait imaginer que les comtés présentant des taux d’incidence élevés pour le cancer de la prostate, le mélanome, le cancer du sein et le cancer de la thyroïde seraient également ceux où le traitement de ces cancers est exceptionnellement efficace, ce qui affaiblirait la relation entre l’incidence et la mortalité.
Mais, pour invoquer cette explication, il faudrait constater des variations spectaculaires dans la qualité des soins pour certains cancers mais pas pour d’autres, et imaginer que les facteurs sociaux de la santé influencent la corrélation entre l’incidence et la mortalité pour certains cancers seulement, mais pas pour d’autres.
Une explication connexe, qui a déjà été mise en avant, pourrait invoquer l’évolution de l’efficacité des traitements au fil du temps : en d’autres termes, plus un cancer devient curable, moins il est probable qu’une corrélation entre l’incidence et la mortalité existe. Il ne fait aucun doute que l’amélioration du traitement du cancer du sein au cours des 30 dernières années a été l’une des grandes réussites de la médecine moderne.
(NDLR : En d’autres termes encore, vu les effets indésirables du dépistage, plus le cancer est curable, moins l’intérêt persiste pour son dépistage.
Ce sont les améliorations apportées aux thérapies contre le cancer du sein qui, au cours des 30 dernières années, ont principalement contribué à réduire la mortalité, ce qui altère la balance bénéfices-inconvénients du dépistage par mammographie, les inconvénients du dépistage prenant le pas sur les potentiels bénéfices. Les améliorations futures de la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer du sein réduiront de plus en plus ce rapport bénéfice-risque du dépistage, .
Le bénéfice de la mammographie en termes de réduction de la mortalité de ce fait diminue, alors que ses inconvénients tels que le surdiagnostic sont, eux, constants. Le surtraitement induit par le surdiagnostic a un coût à la fois humain et économique.)
2- Variation dans l’examen diagnostique
En termes simples : la façon dont les médecins et le public recherchent le cancer, et les changements dans l’examen diagnostique (implantation du dépistage et élargissement des procédures de dépistage au fil du temps) ont entraîné des variations rapides et iatrogènes (induisant des conséquences sur la santé) dans l’incidence déclarée du cancer du sein, de la prostate, de la thyroïde et même du poumon, qui ont surtout augmenté fortement.
(NDLR : ce qui peut inciter à la prudence sur la pertinence du dépistage systématique du cancer broncho-pulmonaire qui doit être implanté plus largement ; lire ici les appréhensions de l’Académie de Médecine))
Illustrations

Ce schéma illustre l’évolution de la relation incidence–mortalité au fil du temps pour le cancer du sein, selon les périodes indiquées. (En bleu ère ‘prémammographique’ 1976-1984 ; en orange ère de la mammographie simple 1988-1996 ; en rouge ère de la mammographie numérique, tomosynthèse, IRM 2000-2016).
On constate que plus les méthodes d’investigations sont sophistiquées, plus l’incidence s’envole sans que la mortalité ne bouge significativement, entraînant cet effet de dé-corrélation entre les deux paramètres, qui s’amplifie au fil des époques.

Ici figurent les relations incidence/mortalité pour les cancers du sein, thyroïde, prostate, mélanome cutané : on constate pour ces 4 formes de cancer illustrées ici un manque de corrélation frappant dans les diagrammes de dispersion de ces cancers, en particulier pour le cancer de la thyroïde dans lequel l’incidence était négativement corrélée à la mortalité.
L’avènement du dépistage par PSA a fini par alerter les médecins sur la façon dont le degré d’examen diagnostique peut affecter l’incidence du cancer de la prostate. (NDLR, on a constaté que plus on dépistait, plus on sur-détectait beaucoup de formes non létales de cancers prostatiques, ce surdiagnostic entraîne un surtraitmeent (prostatectomie) avec une morbidité importante ; il n’est plus recommandé, mais reste pratiqué.
Lire aussi et voir la vidéo du Dr Dupagne ici).
L’incidence du mélanome cutané a été multipliée par six au cours des 40 dernières années aux ÉtatsUnis, en grande partie en raison de l’augmentation des taux de dépistage du cancer de la peau.
Une certaine combinaison de dépistage et de détection fortuite a conduit à un triplement de l’incidence du cancer de la thyroïde, qui a également connu la plus forte baisse du taux d’incidence en 2020 en raison de la pandémie de COVID19, où les examens systématiques (échographie) ont diminué.
Enfin, la prévalence de la mammographie de dépistage (c’est à dire l’ampleur de la mammographie depuis son existence) dans les comtés américains a été fortement associée à l’incidence du cancer du sein au niveau de ces comté.
‘(NDLR : En France, « des années 1980 aux années 2000, le nombre de mammographies réalisées explose. Dans le même temps, le parc des sénographes, les appareils permettant de réaliser les mammographies, s’étend considérablement : de 308 sénographes en 1980 avec 350 000 mammographies en 1982, on passe à 2 511 sénographes avec 3 millions de mammographies en 2000. Quel va être le résultat de cette progression spectaculaire de l’activité mammographique ? 21 387 cancers du sein diagnostiqués en 1980, 42 696 en 2000, 49 087 en 2005. Une épidémie de cancers du sein ? Épidémie indépendante de l’activité humaine ou résultat lié à une activité humaine hors contrôle ? » ; extrait du livre de B.Duperray aux éditions T.Souccar, » dépistage du cancer du sein, la grande illusion »)

Cette illustration fait figurer le ratio du risque de décès à 10 ans dû au cancer diagnostiqué par rapport au risque de décès à 10 ans dû à d’autres causes.
Le ratio est le plus élevé pour les patients atteints d’un cancer du pancréas, qui ont 10 fois plus et même davantage de risque de mourir de leur cancer que d’autres causes.
Le ratio suivant le plus élevé est d’environ six pour les patients atteints d’un cancer du poumon, un ratio probablement atténué par le risque accru de décès dû à d’autres causes chez ces patients tabagiques (par exemple, cardiovasculaires, respiratoires) associé au facteur de risque majeur du cancer du poumon : le tabagisme.
On constate aisément que les patients atteints des 4 cancers les plus dépistés (thyroïde, mélanome et prostate) sont soit plus susceptibles de mourir d’autres causes que du cancer diagnostiqué, soit tout aussi susceptibles de mourir (sein, en raison de formes de cancers plus agressives comme les triple négatifs, NDLR).
Conclusion
Au total, il y a peu ou pas de relation entre l’incidence et la mortalité pour les cancers suivants : mélanome, prostate, sein et thyroïde. Le risque de décès dû au cancer diagnostiqué pour ces patients était soit inférieur, soit identique à leur risque de décès dû à d’autres causes.
Ainsi selon cette étude réalisée aux États Unis, pour certains cancers la mesure épidémiologique fondamentale de la fréquence de la maladie, (l’incidence), n’a plus guère de rapport avec la mortalité par cancer. L’incidence augmente fortement notamment pour 4 cancers faisant l’objet de détections systématiques par dépistages, ou fortuites par augmentation des imageries, alors que la mortalité ne varie que peu ou pas.
Les faibles corrélations entre ces deux paramètres s’expliquent probablement, selon les auteurs, par des différences dans les pratiques diagnostiques, qui entraînent des taux variables de surdiagnostic du cancer entre les différents comtés américains, selon l’intensité des dépistages.
Commentaires Cancer Rose
Ceci donne à réfléchir sur l’utilité et la pertinence de ces dépistages qui ratent leur cible (diminuer la mortalité et diminuer les formes graves) et qui s’accompagnent d’inconvénients et de risques graves pour la santé des populations, qui, eux, ne diminuent pas, bien au contraire.
Cela rejoint bien d’autres études qui montrent que, en tous cas pour le cancer du sein qui est ici notre préoccupation, plus on dépiste, plus on favorise la sur-détection de cancers qui n’auraient pas impacté la vie des patientes, car sinon, la mortalité par cancer du sein aurait due rester corrélée aux taux d’incidence, et chuter d’autant plus drastiquement qu’on détecte des cancers, donc depuis qu’on dépiste[1] [2] [3].
Or ce n’est pas ce qu’on constate, dans aucun pays où le dépistage de masse est pratiqué.
[1] https://cancer-rose.fr/2015/07/06/analyse-etude-jama/
[2] https://cancer-rose.fr/2016/11/01/etude-dimpact-du-depistage-par-bleyermiller-2015/
[3] https://cancer-rose.fr/2017/01/10/etude-nejm/
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