Témoignage d’une obstétricienne britannique

Susan Bewley (née en juillet 1958) est une obstétricienne britannique et professeur émérite d’obstétrique et de la santé des femmes au King’s College de Londres.
Ses principaux domaines de recherche portent sur les maladies maternelles graves et la violence pendant la grossesse, avec d’autres travaux sur la fertilité avec le National Institute for Clinical Excellence (NICE).

Voici son témoignage dans le media Mail Online/Health, publié le 19 février 2025.

Traduction et retranscription par Cancer Rose

Je suis un médecin spécialiste des femmes et JAMAIS je n’accepterais une invitation à un dépistage du cancer du sein.
Les femmes sont trompées par le NHS*et voici la VRAIE vérité sur les mammographies, que vous devez connaître

*NHS : National Health Service. Le système national de santé est en grande partie basé sur la gratuité des soins même si une participation financière (franchise) incombe au patient, pour certains types de soins, Il est largement financé par les impôts et son accès est généralement gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni qui y ont recours.

Par SUSAN BEWLEY

Les publicités faites cette semaine par le NHS ont pris un ton libéré, presque festif.
Mettant en scène des femmes qui arrachent leur soutien-gorge sur une bande-son de Wilson Pickett avant de soupirer de soulagement, ses publicités ont été conçues pour attirer l’attention des femmes sur leurs seins.
« Enlever son soutien-gorge fait du bien – de même qu’effectuer un dépistage du cancer du sein », dit une voix off. Il peut permettre de détecter un cancer bien avant que vous ne le sentiez ou, le plus souvent, vous rassurer. »

Il s’agit de la première campagne nationale du NHS England en faveur du dépistage du cancer du sein, qui vise à accroître le recours aux mammographies de routine proposées tous les trois ans aux femmes âgées de 50 à 71 ans.

Pourquoi ? Parce que le taux de participation est en baisse – les derniers chiffres montrent qu’un tiers des femmes invitées à un dépistage du cancer du sein ne s’y rendent pas. Pour celles qui sont invitées pour la première fois, le taux est de 46,3 %.
On nous fait croire qu’il s’agit d’un désastre. Selon le NHS, sans dépistage, les cancers du sein risquent de ne pas être diagnostiqués ou traités avant un stade bien plus avancé, entraînant la mort inutile de femmes atteintes d’un cancer qui peut, dans une large mesure, être traité grâce aux progrès considérables de la science et de la médecine.
La campagne a été lancée en même temps qu’une lettre sincère de Victoria Derbyshire, présentatrice à la BBC, à qui l’on a diagnostiqué un cancer du sein à l’âge de 47 ans en 2015.
« Je suis toujours en vie grâce à la compétence du NHS – en 2025, cela fera dix ans que j’ai été diagnostiquée », écrit-elle. Le dépistage du cancer du sein pourrait bien vous sauver la vie. S’il vous plaît, allez-y. »

On ment aux femmes

Pourtant, rien de tout cela ne permet aux femmes de connaître la réalité – la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. J’irais même jusqu’à dire qu’on ment aux femmes sur les avantages du dépistage du cancer du sein et qu’on ne leur parle pas du tout des risques réels.
Je sais que cette affirmation suscitera des inquiétudes compréhensibles chez de nombreuses femmes qui lisent ces lignes. Après tout, il est naturel de craindre cette maladie et de penser que la promesse d’une détection précoce peut offrir de meilleures chances de vivre plus longtemps et d’être en meilleure santé.
Cependant, après avoir examiné les données probantes qui sous-tendent le dépistage, avec de plus en plus de doutes, je sais que ce n’est pas le cas.
Laissez-moi vous expliquer – et vous pourrez ensuite décider par vous-même.
Je suis un médecin de 66 ans et j’ai consacré toute ma carrière à la santé des femmes et à la médecine fondée sur des données probantes. J’ai également des antécédents familiaux de cancer du sein. Ma sœur a découvert une grosseur cancéreuse au milieu de sa quarantaine, il y a près de 20 ans. Ma tante et ma grand-mère ont toutes deux été diagnostiquées avec cette maladie.
On peut dire que je suis terrifiée à l’idée de contracter moi-même la maladie.
Et pourtant, tous les trois ans, lorsque je reçois dans ma boîte aux lettres l’invitation à passer une mammographie de routine, souvent plus agressive dans ses propos quant aux risques pour ma vie si je ne m’y présente pas, je décline l’invitation.

Je n’ai jamais passé de mammographie de dépistage et je ne le ferai jamais.

Et voici la vérité désagréable qu’ils ne vous diront pas dans l’invitation à la clinique : en refusant le dépistage, je réduis d’un tiers mon risque d’être diagnostiquée d’un cancer du sein – une statistique étayée par de nombreuses études. Ce que nous savons du dépistage, c’est qu’il permet souvent de détecter des cancers précoces qui disparaissent naturellement d’eux-mêmes ou ne provoquent jamais de symptômes.
Par exemple, environ 25 % des cancers du sein détectés lors du dépistage sont classés comme CCIS (carcinome canalaire in situ), ce qui signifie que les cellules cancéreuses sont confinées dans les canaux lactifères.
La recherche suggère que 80 % d’entre eux peuvent disparaître d’eux-mêmes, sans envahir le tissu mammaire.
Mais une fois qu’elles ont été repérées par les rayons X, les médecins ne peuvent pas dire lesquelles deviendront un problème et lesquelles ne le deviendront pas ; ils doivent donc élaborer des protocoles de traitement pour chacune d’entre elles.
Cela signifie que certaines femmes reçoivent un diagnostic et sont traitées inutilement par des biopsies, des interventions chirurgicales et des médicaments.
Une fois le diagnostic posé, il est impossible de le faire disparaître. Vous serez toujours une survivante du cancer du sein, et personne n’est plus reconnaissant qu’une femme à qui on a annoncé qu’elle avait un cancer du sein et qui pense que sa vie est sauvée. On pense que vous avez évité une catastrophe. Mais qu’en est-il si votre cancer n’aurait jamais progressé de toute façon ? Dans ce cas, je dirais que le dépistage vous a fait du tort et vous a induite en erreur.

Un diagramme utile

Ceci est très bien illustré dans un diagramme produit par le réputé Harding Center for Risk Literacy, et basé sur des données analysées par la Collaboration Cochrane de renommée mondiale.
C’est le genre de diagramme qui devrait figurer sur toutes les brochures et être affiché dans toutes les salles de dépistage, afin que les femmes sachent ce qu’elles acceptent.

Il montre que, pour 1 000 femmes qui se soumettent à un dépistage du cancer du sein, quatre mourront quand même de ce cancer et 18 d’un autre type de cancer. Elles peuvent être diagnostiquées plus tôt, ce qui signifie qu’elles sont atteintes d’un cancer pendant une période plus longue. Mais cela ne signifie pas qu’elles vivront plus longtemps. (Lire https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/)
Par ailleurs, une centaine d’autres n’auront pas de cancer, mais auront une « fausse alerte » lors du dépistage et devront subir des examens complémentaires ou une biopsie pour écarter la possibilité d’un cancer.
Cinq autres personnes sur 1 000 subiront également l’ablation totale ou partielle d’un sein, même si leur cancer n’aurait pas progressé. (surdiagnostic, NDLR)

Le diagramme montre également ce qui arrive à 1 000 femmes comme moi qui ne bénéficient pas d’un dépistage du cancer du sein.
Dans ce scénario, cinq d’entre elles meurent d’un cancer du sein, soit une femme de plus sur 1 000. Bien entendu, sur une population plus importante, ce chiffre devient plus significatif. Dans l’ensemble, le même nombre de femmes (22) meurent de n’importe quel type de cancer.
Mais aucune d’entre elles ne sera victime de craintes, de traitements ou d’interventions chirurgicales inutiles.

Les auteurs de la Collaboration Cochrane précisent en outre que si l’on se contente d’examiner les études les plus solides, on constate que le dépistage ne réduit pas du tout le nombre de décès dus au cancer du sein.
Nous aimons tous penser que nous sommes cette personne sur 1 000 – que le dépistage nous a sauvé la vie – mais aucune d’entre nous ne le saura un jour. Statistiquement, nous avons plus de chances d’être celles qui subissent des préjudices inutiles.
Ce que les diagrammes ne montrent pas, c’est le potentiel et les causes d’autres préjudices – par exemple, que la dose de radiation utilisée dans une mammographie peut en fait provoquer 1,3 cas de cancer supplémentaire pour 100 000 femmes dépistées au cours d’une vie.
Le fait de pratiquer une biopsie sur des cellules cancéreuses précoces parce qu’elles paraissent « suspectes » peut les transformer en cellules plus avancées, capables de se développer et de se propager.
Lorsque l’on introduit une aiguille de biopsie dans une tumeur, il arrive que quelques cellules cancéreuses s’installent le long du trajet de l’aiguille. Sans cette intervention, ces cellules seraient restées en place et auraient été inoffensives.
Bien entendu, les partisans du dépistage feront valoir que celui-ci a permis de réduire considérablement le nombre de décès dus au cancer du sein au Royaume-Uni.
Dans les années 1970, 40 % seulement des femmes survivaient à 10 ans, contre 78 % aujourd’hui.

Mais les études comparant les pays avec et sans dépistage montrent des améliorations parallèles pour les taux de mortalité. En outre, la baisse la plus importante du nombre de décès a été enregistrée chez les femmes de moins de 50 ans qui n’avaient pas encore été invitées à se faire dépister, ce qui laisse à penser que ce sont les formidables progrès réalisés en matière de traitements au fil des décennies, et non le dépistage, qui devraient être mis à l’honneur. Nous continuons également à diagnostiquer toujours un nombre important de cas de cancer du sein avancé – que nous devrions voir moins souvent, si le dépistage fonctionnait.
Je ne suis pas la seule à m’exprimer sur ce point. Le professeur Michael Baum, cancérologue très réputé de l’University College London, qui a contribué à la mise en place du programme de dépistage au Royaume-Uni, a démissionné en 1997 en raison de ce qu’il considérait comme un problème de consentement éclairé : les femmes étaient informées des avantages « exagérés » du dépistage, mais n’étaient pas informées des risques.
Il m’a expliqué que l’idée selon laquelle « le plus tôt est le mieux » en matière de détection du cancer ne fonctionne que si les cellules cancéreuses suivent une chronologie linéaire spécifique, c’est-à-dire qu’elles commencent par être petites, puis deviennent des grosseurs que l’on peut sentir, et enfin grossissent et se propagent.
Mais comme le souligne le professeur Baum, ce n’est pas ce qui se passe. En théorie, les cancers peuvent régresser, ne pas évoluer ou augmenter de taille. Certains peuvent se propager, mais il n’est pas nécessaire qu’ils se développent pour que cela se produise. L’issue dépend du comportement de ces cellules, et non du fait qu’on les détecte lorsqu’elles sont encore minuscules.
Lire : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/comment-se-developpe-un-cancer/
Et l’histoire naturelle du cancer

Et le dépistage ne peut pas vous le dire. Il s’agit d’un instantané dans le temps, il ne peut pas prédire l’avenir.
Cela ne signifie pas que vous ne devez pas consulter un médecin si vous remarquez quelque chose d’inquiétant. Une nouvelle grosseur, un écoulement du mamelon ou des fossettes sur le sein doivent toujours être examinés.
Si je présentais des symptômes, je consulterais mon médecin généraliste dans les plus brefs délais.
Si vous ou moi sommes atteints d’un cancer dans ces circonstances, nous serons entre de bonnes mains et notre pronostic sera probablement bon.
Comme ma tante et ma grand-mère qui sont toutes deux mortes de vieillesse et ma sœur qui est toujours là 20 ans plus tard.

Un choix éclairé pour les femmes

Le dépistage, en l’absence de symptômes, devrait être un choix – alors quand vous verrez les dernières publicités télévisées, rappelez-vous que ce n’est pas une évidence comme on pourrait le croire.

Commentaires Cancer Rose

En France la situation est malheureusement analogue. La trop faible participation des femmes au goût des autorités sanitaires met à mal l’information médicale qui est due aux femmes. Elle est sacrifiée sur l’autel de campagnes incitatives roses véhiculées tous les mois d’octobre et encore en dehors, comme en ce moment même, à foison, par Mr le ministre Y.Neuder, dans un complet mépris des données scientifiques et des demandes de la concertation citoyenne de 2016, bien vite balayée sous le tapis, où les citoyennes revendiquaient cette information loyale et neutre.

On est en 2025, et les convocations et brochures envoyées par l’INCa ne contiennent toujours pas d’information juste sur ce dépistage mammographique qui parvient de moins en moins à prouver son utilité et son innocuité.

Le surdiagnostic est un effet majeur du dépistage, impliquant des traitements inutiles aux femmes ; suffisamment d’études maintenant montrent que ce dépistage ne sauve pas des vies, mais peut faire basculer la vie d’une femme dans une maladie qu’elle n’aurait jamais connue sans lui.

Ce n’est pourtant pas faute d’alerter, depuis les années 2000 des lanceurs d’alerte comme la Collaboration nordique Cochrane émettent des documents et des visuels pour alerter, comme le diagramme ici reproduit.
Déjà en 2009, une généraliste londonienne alertait, elle aussi. https://cancer-rose.fr/2020/01/04/temoignage-dune-generaliste-londonienne-iona-heath-bmj-27juin-2009/

C’est parce que ce mépris des femmes auxquelles on confisque une précieuse information nous insupporte que nous-mêmes multiplions nos efforts pour la mise en place d’outils pédagogiques, vous les trouverez ici : https://parlonsmammo.fr/outils-daide-a-la-decision/, entre autres une affiche qui reprend le visuel du Harding For Risk Literacy Center, basé sur les calculs de la Cochrane, le tout est hébergé sur le site parlons mammo, d’accès libre et gratuit pour toutes les femmes qui souhaitent être aidées à prendre leur propre décision, et faire leur propre choix, en connaissance de cause.

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