Les risques des dépistages : un éléphant dans un couloir

Cet article vous propose d'abord une synthèse de deux points de vue d'universitaires néerlandais écrits pour une revue médicale, ensuite la traduction de chaque article vous est accessible en cliquant sur les noms des auteurs. .

Un regard critique sur les dépistages

Article de R. Giard

Article de Y. van der Graaf

Un regard critique sur les dépistages

Synthèse C.Bour

Deux universitaires néerlandais ont rédigé, au mois de juin, chacun une mise au point critique sur les dépistages, avec le recul contemporain qu'on peut avoir en 2022, mises au point publiées par le journal médical Nederlands Tijdschrift voor Geneeskunde (NTvG).

C'est le principal journal médical aux  Pays-Bas, à parution hebdomadaire, et l'une des plus anciennes revues au monde, siégeant à Amsterdam. 
L'objectif de la revue est de créer un média global pour les professionnels de la santé afin d'échanger idées, connaissances et opinions, mais aussi de faire paraître des critiques et des commentaires d'articles de recherche.
L'actuelle rédactrice en chef est Yolanda van der Graaf, auteure d'un des deux points de vue.

Yolanda van der Graaf est professeure émérite à l'Université de Utrecht, et épidémiologiste clinique.
Son article relate les risque cachés du dépistage.
van der Graaf Y. De verhulde risico’s van screening [The hidden risks of screening]. Ned Tijdschr Geneeskd. 2022 Jun 13;166:D6760. Dutch. PMID: 35899724.

Raimond Giard est professeur émérite, pathologiste clinicien, épidémiologiste , clinical pathologist, clinical epidemiologist à Rotterdam et a rédigé un point de vue critique sur les dépistages sous le titre "voyons-nous l'éléphant dans la pièce?"
Giard RWM. Kritische blik op kankerscreening [A critical view on cancer screening: do we see the elephant in the room?]. Ned Tijdschr Geneeskd. 2022 Jun 13;166:D6926. Dutch. PMID: 35899737.

Points clés communs aux deux auteurs

1° il faut porter un regard nouveau sur le dépistage

Pour ces deux auteurs, il existe un dispositif concret sur la base duquel on a pu statuer qu'il est utile d'introduire un dépistage du cancer, il s'agit des critères de Wilson et Jungner édités en 1968 sur lesquels de l'OMS se base, mais il y a aucun dispositif pour décider quand il est préférable de stopper un dépistage ou de changer d'approche, à présent où nous sommes confrontés à certaines réalités des dépistages, et que nous connaissons ses inconvénients.
Pour les deux auteurs les critères datent un peu, ils devraient être reconsidérés et réévalués.
Pour van de Graaf il y a même un grave manque de conformité à ces critères pour certains dépistages, certains dépistages ne remplissant pas même les conditions émises par Wilson et Jungner.

Mais quels sont ces critères déterminant le bien-fondé d'un dépistage retenus par l'OMS ?Les 10 critères retenus par L'OMS sont :

  • La maladie étudiée doit présenter un problème majeur de santé publique
  •  L’histoire naturelle de la maladie doit être connue
  • Une technique diagnostique doit permettre de visualiser le stade précoce de la maladie
  •  Les résultats du traitement à un stade précoce de la maladie doivent être supérieurs à ceux obtenus à un stade avancé
  •  La sensibilité et la spécificité du test de dépistage doivent être optimales
  • Le test de dépistage doit être acceptable pour la population
  • Les moyens pour le diagnostic et le traitement des anomalies découvertes dans le cadre du dépistage doivent être acceptables
  •  Le test de dépistage doit pouvoir être répété à intervalle régulier si nécessaire
  •  Les nuisances physiques et psychologiques engendrées par le dépistage doivent être inférieures aux bénéfices attendus
  •  Le coût économique d’un programme de dépistage doit être compensé par les bénéfices attendus

Pour les auteurs néerlandais justement, certaines maladies ne sont plus un problème majeur de santé publique, certains tests de dépistage ne sont plus acceptables pour la population à l'aune de leur effets adverses, les nuisances physiques et psychiques ne sont plus inférieures aux bénéfices attendus, ce qui leur fait conclure que les participants aux programmes de dépistage devraient recevoir des informations honnêtes, que si les avantages du dépistage sont effectivement surestimés et les inconvénients sous-estimés, il est certainement temps de reconsidérer le dépistage du cancer avec une vision ouverte et indépendante.

Plusieurs études ont fait valoir qu'une approche de dépistage universel de la population, en particulier pour le cancer du sein, n'est plus défendable, explique R.Giard. Nous avons besoin d'une évaluation nouvelle et indépendante des pratiques de dépistage.
Cette analyse avait déjà été exprimée lors d'une publication dans le CMAJ en 2018 que nous avions synthétisée et commentée.

Les principes de Wilson et Jungner commencent à dater, selon les auteurs de l'article CMAJ. Il est actuellement nécessaire, disaient-ils, d'appliquer une logique claire et cohérente pour orienter l'utilisation de divers types de preuves vers une décision de dépister.
Il est temps de moderniser ces principes qui servent aux explications et à la discussion d'un dépistage en population, et cette modernisation doit contribuer à l'avenir à des décisions éclairées et de meilleures informations sur le dépistage pour la population.
Notre commentaire allait en ce sens, arguant que le principe du choix éclairé, de la promotion de l'autonomie et de la protection des droits des participants aux dépistages est simple et peu coûteuse à mettre en œuvre.
Des pictogrammes avec des nombres absolus (en utilisant un dénominateur cohérent, tel que bénéfices et inconvénients rapportés à 1000 dépistés), et les visuels employant une même échelle pour l'information sur les gains et les inconvénients sont basés, eux, sur des preuves.

2° Quelles seraient les bonnes questions à se poser selon Giard et van de Graaf ?

Selon R.Giard, les bonnes raisons pour reconsidérer le dépistage pourraient inclure:

  • Y a-t-il eu des changements dans l'incidence de la maladie ?
  • Le traitement de la maladie est-il devenu plus efficace ?
  • Existe-t-il aujourd'hui de meilleures méthodes de diagnostic ?
  • Y a-t-il de nouveaux résultats, plus fiables, provenant de la recherche sur les effets du dépistage ?
  • Savons-nous maintenant mieux et plus précisément quels sont les effets indésirables ?
  • Sommes-nous en mesure d'évaluer plus précisément le risque de maladie et donc de procéder à un dépistage plus spécifique ?

Une question majeure à se poser est : le dépistage d'une maladie  vaut-il la peine ?
Y. van der Graaf prend l'exemple du dépistage du cancer du poumon, programme actuellement en évaluation.
"Il y a longtemps," écrit-elle, "nous avons décidé que nous étions prêts à payer 20 000 euros pour une année de vie sauvée, mais aujourd'hui la question est de savoir ce que nous pourrions faire d'autre avec cet argent. Pratiquement toutes les interventions de sevrage tabagique sont réalisables pour une valeur seuil nettement inférieure aux 20 000 € par année de vie gagnée.
C'est de loin dans le domaine du sevrage tabagique que l'on peut obtenir le plus de bénéfices pour la santé aux Pays-Bas. Les avantages pour la santé des programmes de dépistage sont minimes par rapport à ceux-ci."

3°Surestimation du risque et surestimation de l'impact du dépistage

Y de Graaf explique : "Seulement 3 % des femmes meurent d'un cancer du sein. Le risque de mourir d'un cancer du côlon n'est "que" de 2 %."
(Il faut donc remettre le risque de décéder du cancer en perspective avec les autres probabilités de décès comme les maladies cardio-vasculaires, risque 6X plus élevé que de décéder du cancer du sein pour la femme, NDLR)

La plupart des cancers du sein ne provoquent aucun décès chez les femmes. Même sans dépistage. Ce qui compte, c'est le risque de mourir prématurément d'un cancer du sein et la façon dont ce risque est réduit par la participation au dépistage, écrit-elle encore, ce qui signifie qu'il faut connaître l'impact réel du dépistage sur la mortalité.
Ce qui est important est de connaître le nombre de personnes qui doivent être dépistées pour éviter 1 décès dû au cancer en question. Par exemple pour le cancer du sein : "Pour chaque décès dû au cancer du sein que vous évitez grâce au dépistage, 1000 femmes doivent être soumises à un dépistage régulier. En appliquant un programme de dépistage, plus de 100 femmes sont traitées inutilement. Les probabilités de traitement inutile sont donc des dizaines de fois plus élevées que  les chances qu'une femme bénéficie d'un dépistage.
Le principal problème ici est que ce chiffre n'est pas communiqué de manière adéquate aux participants potentiels au dépistage."

MMe van der Graaf explique longuement dans son article la distorsion de la perception de l'effet bénéfique des dépistages autant dans la population que chez les professionnels de santé, les bénéfices et impacts étant largement sur-estimés, les effets adverses ignorés.

Pour les deux auteurs, les effets néfastes du dépistage que sont les fausses alertes, le surdiagnostic et le surtraitement sont des enjeux majeurs, ils sont élevés, et ne doivent plus être ignorés.

Pour R.Giard, " c'est le dépistage du cancer du sein en particulier qui ne semble pas tenir ses promesses supposées. Même après de nombreuses années de dépistage, la fréquence des cancers du sein avancés  n'a pas diminué."
En Suisse, à Hong Kong et en France (voir nos articles sous "concertation" dans le menu déroulant, NDLR), entre autres, des rapports critiques ont été publiés pour demander l'abandon du dépistage du cancer du sein sous sa forme actuelle.
Plusieurs études ont fait valoir qu'une approche de dépistage universel de la population, en particulier pour le cancer du sein, n'est plus défendable."

Van der Graaf écrit : "surtout, les participants potentiels doivent être informés des inconvénients potentiels et des faibles bénéfices au niveau de la santé."

4° Les enjeux financiers et nécessité d'évaluation indépendante

Mais la peur du cancer chez les gens rapporte beaucoup d'argent et occasionne une demande de beaucoup d'examens systématiques comme des scanners corps entier, dont Y. van der Graaf explique l'inutilité.
La pratique des scanners systématiques est un excellent modèle de revenu, car le prestataire ne fait que des diagnostics, avec une quantité exorbitante de résultats inattendus dont personne ne sait que faire, inutiles pour le patient mais débouchant sur des successions d'autres examens. C'est ce qui est nommé "résultats non pertinents" dans son article, c'est à dire des découvertes fortuites d'anomalies non recherchées et inutiles, dont le taux de découverte est extrêmement important et qui occasionneront des cascades d'autres investigations ou de surveillances systématiques au patient.

Pour les deux auteurs, le dépistage doit être évalué par des scientifiques indépendants, et non par des personnes qui pratiquent le dépistage depuis des décennies et grevés de conflits d'intérêts.
Il faut aussi contrer la multiplication des programmes de dépistage pour lesquels il n'existe pas la moindre preuve scientifique, et dans lesquels apparaît un gain financier prioritaire.
Les ré-évaluations des dépistages nécessiteraient des équipes de recherche appropriées, selon R. Giard " à large assise", non seulement constituées de médecins mais aussi de spécialistes des sciences sociales, d'éthiciens, de méthodologistes et d'économistes de la santé, équipes évidemment dénuées de toutes personnes ayant des implications financières dans les dépistages.

Article de R.Giard

Un regard critique sur le dépistage du cancer. Voyons-nous l'éléphant dans la pièce ?

Raimond W.M. Giard

« Beaucoup d’intelligence peut être investie dans l'ignorance  lorsque le besoin d'illusion est profond".-Saul Bellow, Vers Jérusalem et le retour

Résumé

Le dépistage du cancer promet des bénéfices pour la santé, mais il engendre également des risques et des coûts. Un problème important est le surdiagnostic de tumeurs ne nécessitant pas de traitement. Il existe des principes bien établis pour commencer le dépistage du cancer, mais nous avons également besoin d'évaluations périodiques et de règles pour l'arrêter. Pour cela, nous devons disposer des résultats d'études empiriques méthodiques avec des estimations correctes des bénéfices et des risques. Les partisans du dépistage soulignent ses avantages, mais se gardent bien de parler de ses inconvénients. Plusieurs études ont fait valoir qu'une approche de dépistage universel de la population, en particulier pour le cancer du sein, n'est plus défendable. Nous avons besoin d'une évaluation nouvelle et indépendante des pratiques de dépistage.

Conflit d'intérêts et soutien financier : aucun n'a été déclaré.

Ne devrions pas porter un regard neuf sur le dépistage du cancer ? 1-3 Il existe un dispositif sur la base duquel on peut décider qu'il est utile d'introduire le dépistage du cancer - voir les critères de l'OMS de Wilson et Jungner - mais pas pour déterminer quand il serait préférable d'arrêter ou d'adopter une approche différente.   Pour cela, on besoin à la fois de la bonne méthodologie et des bonnes données. Une telle évaluation, destinée à séparer les illusions de la réalité, devrait être répétée périodiquement.4
Le dépistage du cancer, qui fait partie des soins de santé publique, implique des conflits d'intérêts et des biais importants.
Les partisans et les adversaires du dépistage peuvent trouver sur ce sujet dans la vaste littérature scientifique médicale des résultats qui correspond bien à leur position. Repenser son utilité et sa nécessité nécessite donc des chercheurs indépendants et méthodiques. 3,4

Les bonnes raisons pour reconsidérer le dépistage pourraient inclure: y a-t-il eu des changements dans l'incidence de la maladie ? Le traitement de la maladie est-il devenu plus efficace ? Existe-t-il aujourd'hui de meilleures méthodes de diagnostic ? Y a-t-il de nouveaux résultats, plus fiables, provenant de la recherche sur les effets du dépistage ? Savons-nous maintenant mieux et plus précisément quels sont les effets indésirables ? Sommes-nous en mesure d'évaluer plus précisément le risque de maladie et donc de procéder à un dépistage plus spécifique ?

Sur-diagnostic et sous-diagnostic

Comme cela a été évoqué ailleurs dans le journal NTvG, les tests de dépistage du cancer présentent des lacunes en termes de sur- et de sous-diagnostic.5-7 La fréquence du surdiagnostic du cancer du sein a été reportée comme étant comprise entre 0 et 50 %. 8 Et les mêmes données peuvent être interprétés différemment selon que l'on est partisan ou critique du dépistage.9 Mais il ne fait aucun doute qu'un surdiagnostic important existe ; il est présent dans au moins 20 % de tous les cas de cancer du sein détectés par le dépistage.1,5

Le sous-diagnostic est mis en évidence par l'apparition de cancers d'intervalle, un "échec" possible du test de dépistage.
Comme solution on cherche des technologies complementaires ou plus  puissantes. Dans le dépistage du cancer du sein, on recherche des techniques d'imagerie plus sensibles, comme la mammographie numérique par tomosynthèse et l'IRM, et l'application de l'intelligence artificielle à l'évaluation des mammographies.
Le danger est que des technologies plus sensibles on va détecter encore plus d'anomalies, et surtout des plus petites anomalies, ce qui entraînera encore plus de surdiagnostics 10.

Que faut-il pour effectuer une évaluation correcte ?

Pour évaluer correctement les effets du dépistage, il faut disposer de données empiriques solides et surtout de mesures des résultats qui soient valides, reproductibles et suffisamment spécifiques.11 La détection d’une maladie n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour atteindre un objectif. L'objectif est de gagner des années de vie ou des chances accrues de guérison. La mortalité spécifique par cancer est certes réduite par le dépistage, mais la mortalité absolue dans les populations dépistées  ne diminue pas ou peu. Et il y a toujours la question de savoir si un prétendu gain de survie est en réalité le résultat du dépistage.5 La pondération attentive des avantages et des inconvénients est une tâche qui incombe à la fois à ceux qui effectuent le dépistage au sein de la population et à ceux qui y participent 3,4.

Les lignes directrices nationales pour le dépistage du cancer devraient énoncer explicitement les mesures de résultats pertinentes souhaitées, mais aussi aborder les arbitrages indispensables entre les avantages et les inconvénients que présente ce type particulier de dépistage au sein de la population. Une récente revue systématique a montré que seule une minorité de lignes directrices abordent explicitement cette question.12

Les participants potentiels devraient être en mesure de décider en toute connaissance de cause de participer ou non au dépistage. Mais qui leur fournit une information équilibrée sur les bénéfices, mais aussi sur les risques, et sur la manière de les aborder ? Il a été démontré que l'information sur les conséquences du surdiagnostic, en particulier la nécessité d'autres tests invasifs et d'une intervention chirurgicale, dissuade davantage les femmes de participer au dépistage du cancer du sein13.

Évaluation du dépistage du cancer dans la population

Le cancer est une maladie hétérogène et le dépistage dans la population est une procédure complexe. Un large éventail de variables détermine son résultat. C'est pourquoi une évaluation complète est si compliquée : quels sont ses objectifs, qui la réalisera, sur quoi portera-t-elle et comment ? Cela nécessite une équipe de recherche appropriée, c'est-à-dire à large assise, comprenant non seulement des médecins mais aussi des spécialistes des sciences sociales, des éthiciens, des méthodologistes et des économistes de la santé. Les personnes ayant une implication financière ou institutionnelle dans le dépistage doivent être exclues d'une telle équipe.4
Une plus grande participation du groupe cible du dépistage est également essentielle dans une telle évaluation : ils sont confrontés aux conséquences négatives. Comment pèsent-ils le pour et le contre ? Une étude norvégienne, par exemple, a montré que, dans le cadre du dépistage du cancer du sein, les conséquences du surdiagnostic et du surtraitement avaient un impact négatif sur la qualité de vie des femmes, exprimé en années de vie ajustées sur la qualité (qalys).14 Encore et toujours, les inconvénients du dépistage ne sont pas suffisamment pris en compte ; c'est ce que j'appelle l'éléphant dans la pièce.1-3

Conclusion

C'est le dépistage du cancer du sein en particulier qui ne semble pas tenir ses promesses supposées. Même après de nombreuses années de dépistage, la fréquence des cancers du sein avancés  n'a pas diminué.5

En Suisse, à Hong Kong et en France, entre autres, des rapports critiques ont été publiés pour demander l'abandon du dépistage du cancer du sein sous sa forme actuelle.2,4

Il y a vingt ans, le NTvG a organisé une conférence présentant des points de vue critiques sur le dépistage du cancer. Les problèmes identifiés et les conclusions tirées à l'époque sont toujours pertinents aujourd'hui.15
Si les avantages du dépistage sont effectivement surestimés et les inconvénients sous-estimés, il est certainement temps de reconsidérer le dépistage du cancer dans notre pays avec une vision ouverte et indépendante.

Conflit d'intérêts et soutien financier : aucun n'a été déclaré.
Article et commentaire en ligne à l'adresse suivante : ntvg.nl/D6926
Rotterdam : em.prof.dr. R.W.M. Giard, pathologiste clinique (n.p.), épidémiologiste clinique et juriste.
Contact : R.W.M. Giard (raimondgiard@gmail.com)
Accepté le 18 mai 2022
Citer comme : Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6926

Bibliographie

1. Adami HO, Kalager M, Valdimarsdottir U, Bretthauer M, Ioannidis JPA. Time to abandon early detection cancer screening. Eur J Clin Invest. 2019;49:e13062. doi:10.1111/eci.13062. Medline

2. Hochman M, Cohen P. Cancer screening: no longer the default. J Gen Intern Med. 2021;36:525-6. doi:10.1007/s11606-020-05781-7. Medline

3. Van der Graaf Y. De verhulde risico’s van screening . Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6760.

4. Ropers FG, Barratt A, Wilt TJ, et al. Health screening needs independent regular re-evaluation. BMJ. 2021;374:n2049. doi:10.1136/bmj.n2049. Medline

5. Autier P, Boniol M. Mammography screening: A major issue in medicine. Eur J Cancer. 2018;90:34-62. doi:10.1016/j.ejca.2017.11.002. Medline

6. Van der Graaf Y. De verhulde risico's van screening. Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6760.

7. Krom A, Dekkers OM, Ploem MC. Verlies de nadelen van screening niet uit het oog: zorgen over wijziging Wet op hetbevolkingsonderzoek. Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6701.

8. Chaltiel D, Hill C. Estimations of overdiagnosis in breast cancer screening vary between 0% and over 50%: why? BMJ Open. 2021;11:e046353. doi:10.1136/bmjopen-2020-046353. Medline

9. Njor SH, Paci E, Rebolj M. As you like it: How the same data can support manifold views of overdiagnosis in breast cancer screening.Int J Cancer. 2018;143:1287-94. doi:10.1002/ijc.31420. Medline

10. Jatoi I, Pinsky PF. Breast cancer screening trials: endpoints and overdiagnosis. J Natl Cancer Inst. 2021;113:1131-5.doi:10.1093/jnci/djaa140. Medline

11. Porzsolt F, Matosevic R, Kaplan RM. Recommendations for cancer screening would be different if we measured endpoints that are valid, reliable, specific, and important to patients. Cancer Causes Control. 2020;31:705-11. doi:10.1007/s10552-020-01309-w.Medline

12. Zeng L, Helsingen LM, Kenji Nampo F, et al. How do cancer screening guidelines trade off benefits versus harms and burdens of screening? A systematic survey. BMJ Open. 2020;10:e038322. Medline

13. Stiggelbout A, Copp T, Jacklyn G, et al. Women’s acceptance of overdetection in breast cancer screening: can we assess harm-benefit tradeoffs? Med Decis Making. 2020;40:42-51. doi:10.1177/0272989X19886886. Medline

14. Zahl PH, Kalager M, Suhrke P, Nord E. Quality-of-life effects of screening mammography in Norway. Int J Cancer. 2020;146:2104-12.doi:10.1002/ijc.32539. Medline

15. Giard RWM, Hart W. De pretenties en prestaties van kankerscreening, in het bijzonder voor borstkanker . Ned Tijdschr Geneeskd.2002;146:1045-9 Medline

Article de Yolanda van der Graaf

Les risques cachés du dépistage

Yolanda van der Graaf

Résumé

Le dépistage devrait permettre de modifier l'évolution naturelle d'une maladie afin de réduire la mortalité due à cette maladie. Le dépistage offre très peu de bénéfices mais présente de nombreux inconvénients comme les faux positifs, le surdiagnostic et la détresse psychologique. Les partisans du dépistage surestiment l'importance de la maladie et les effets du dépistage mais négligent les inconvénients.
Mais aussi les potentiels participants et les médecins surestiment les effets du dépistage. Bien que considérés comme importants, les critères encore valables de Wilson et Jungner sont négligés par les chercheurs et les commissions qui comités qui approuvent le dépistage. Même dans le cas où les médecins désapprouvent le dépistage, des personnes en bonne santé sont prêtes à se soumettre à des scanners corporels, bien que personne ne sache comment traiter les nombreuses anomalies détectées. Les programmes de dépistage doivent être évalués par rapport à d'autres types de dispositifs et non pas simplement en établissant des modèles avec de nombreuses hypothèses non prouvées. Et surtout, les participants potentiels doivent être informés des inconvénients potentiels et des faibles bénéfices au niveau de la santé.

Détecter la maladie avant qu'elle ne provoque des symptômes - c'est forcément mieux, non ? Mieux vaut prévenir que guérir. Cette prémisse semble si simple que de nombreuses personnes n'ont pas besoin de preuves. Mais la réalité est bien plus complexe. Pourquoi le dépistage est-il si attrayant pour les citoyens, les prestataires de soins de santé, l'industrie et le gouvernement, et pourquoi les inconvénients sont-ils si difficiles à percevoir ? Dans cet article, je décris les principes du dépistage, la surestimation par la société du risque de maladie, et la méconnaissance par les médecins et les participants des effets réels du dépistage sur la santé. Je quantifie ensuite les risques du dépistage et je discute des raisons pour lesquelles le dépistage reste néanmoins si populaire.

Les principes du dépistage

Un simple test de dépistage tente de classer les personnes ne présentant pas de symptômes en groupes à haut risque et à faible risque. Un deuxième test - par exemple une biopsie - est presque toujours nécessaire pour confirmer la présence de la maladie. Après confirmation, vous commencez à traiter la maladie. L'objectif du dépistage est d'influencer favorablement l'évolution naturelle de la maladie. Mais cela suppose que l'on connaisse cette évolution naturelle et qu'il existe un stade de latence au cours duquel la maladie peut être détectée et traitée. Parfois, on détecte la maladie plus tôt, mais il est encore trop tard et le participant ne vit que plus longtemps avec la prise de conscience de la maladie. Et parfois, on détecte des tumeurs dont certains ne souffriront jamais.

Ainsi, dans les tumeurs qui ont été détectées lors d'un dépistage, on peut avoir de meilleurs pronostics que dans les tumeurs qui ont été détectées parce qu'elles ont provoqué des symptômes. D'une part, cela peut être dû à une différence biologique entre les tumeurs ; c'est ce qu'on appelle le biais "lenteur d’évolution". D'autre part, ce gain de survie est en partie artificiel, car les tumeurs sont détectées plus tôt lors du dépistage que lorsqu'on attend qu'elles produisent des symptômes. Ce phénomène c'est ce qu'on appelle le biais "de temps d’avance au diagnostic".

Ces biais de lenteur d’évolution  et de temps d’avance au diagnostic rendent l'évaluation du dépistage complexe, si bien que seules des études comparatives, souvent avec un suivi de plus de dix ans, donnent une bonne représentation des avantages et des inconvénients du dépistage. Wilson et Jungner pensaient déjà, il y a plus de 50 ans, que "plus tôt" ne peut être meilleur que si un certain nombre de conditions sont réunies.1 Bien que ces conditions soient toujours mentionnées dans les rapports du Conseil de la santé, il suffit de comparer le dépistage actuel du cancer du col de l'utérus à ces critères pour constater un grave manque de conformité (tableau 1). Le cancer du col de l'utérus n'est pas un problème majeur de santé publique et il existe un écart énorme entre le nombre de lésions prémalignes détectées et le nombre de femmes atteintes d'un cancer invasif. Et parce que les connaissances sur l'évolution des anomalies prémalignes est insuffisante, il y a un surtraitement généralisé.

Il semble qu'avec la législation à venir - la loi sur l'examen médical préventif - les inconvénients du dépistage ont déjà été entièrement balayés sous le tapis.2,3

Surestimation du risque de maladie

En général, le risque de maladie est assez surestimé. La Dutch Brain Foundation tente de nous faire croire qu'un Néerlandais sur quatre est atteint d'une maladie du cerveau4. Cela semble beaucoup, jusqu'à ce que l'on lise que 1,9 million de néerlandais souffrent d'un trouble de la personnalité, d'anxiété ou de panique. Dormir mal s'avère soudain être une maladie du cerveau.
Même pour le cancer, le risque réel est surestimé. Il est rare que l'on soit informé du risque de décès par cancer au cours d'une vie. Seulement 3 % des femmes meurent d'un cancer du sein. Le risque de mourir d'un cancer du côlon n'est "que" de 2 %.
Sur le site du RIVM (National Institute for Public Health and the Environment), j'ai lu que 1 femme sur 7 aura un cancer du sein à un moment donné de sa vie. 5 Ce n'est pas pertinent, car la plupart des cancers du sein ne provoquent aucun décès chez les femmes. Même sans dépistage.
Ce qui compte, c'est le risque de mourir prématurément d'un cancer du sein et la façon dont ce risque est réduit par la participation au dépistage. En outre, l'âge auquel on meurt est un fait important qui est occulté lorsque l'on nous présente les nombres absolus habituels pour un type de cancer.

Surestimation de l'impact du dépistage

Les participants potentiels surestiment largement les avantages du dépistage de masse. Une vaste étude par interview auprès de plus de 10 000 participants, qui demandait dans quelle mesure le dépistage de masse pour le cancer du sein et de la prostate, a révélé que plus de 92 % des femmes surestimaient les effets du dépistage par un facteur de 10. 6
Aux Pays-Bas, plus de 50 % des femmes pensent que, grâce au programme de dépistage, plus de 50 femmes sur 1 000 ne mourront plus du cancer du sein. Et 20% ne le savent pas. La bonne réponse : pour 1000 femmes dépistées, 1 femme en moins sera décédée par cancer du sein. Cette réponse a été donnée par 1% des personnes interrogées.
Les médecins surestiment également les effets du dépistage. Plus de 50 % des médecins américains ne comprennent pas les principes du dépistage et pensent que le nombre plus élevé de tumeurs dans le groupe dépisté est la preuve de l'efficacité du dépistage. Les trois quarts d'entre eux n'avaient jamais entendu parler du biais du délai d'avance au diagnostic. Dans un communiqué de presse du 25 septembre 2018, Erasmus MC a affirmé que le dépistage du cancer du poumon permet d'éviter des milliers de décès.8 Les modestes chiffres qui donnent à réfléchir et qui accompagnent cet optimisme sont apparus un an et demi plus tard9.
Mais même si aucune profession médicale ne voit l'intérêt d'un test de dépistage et qu'il n'existe pas la moindre preuve scientifique, les gens se soumettent au dépistage.10 Les scanners corporels de la société commerciale Prescan que plus de 150 000 clients ont utilisé depuis 2003 en sont un bon exemple

Les risques du dépistage sont élevés

Les effets du dépistage du cancer du col de l'utérus, du sein et du côlon ont fait l'objet de nombreuses études. On connaît approximativement le nombre de personnes qui doivent être dépistées pour éviter 1 décès dû au cancer en question. Le principal problème ici est que ce chiffre n'est pas communiqué de manière adéquate aux participants potentiels au dépistage. Un problème bien plus important est celui des initiatives de dépistage dont on ne connaît même pas l'efficacité, sans parler du fait qu'il y a une conscience du surdiagnostic et du surtraitement.

Pour chaque décès dû au cancer du sein que vous évitez grâce au dépistage, 1000 femmes doivent être soumises à un dépistage régulier. En appliquant un programme de dépistage, plus de 100 femmes sont traitées inutilement.11,12 Les probabilités de traitement inutile sont donc des dizaines de fois plus élevées que  les chances qu'une femme bénéficie d'un dépistage. Récemment, le pourcentage de femmes âgées de 50 à 74 ans chez qui un cancer du sein a été diagnostiqué  à la suite d'un dépistage, mais qui ne développeront jamais de cancer du sein, a été estimé à 15,4 % 13.

Pourquoi un scanner du corps entier n'est-il pas utile ?

Les scanners (CT et IRM) révèlent bien plus que ce que nous souhaiterions. En particulier, ils cartographient le vieillissement. Le bénéfice potentiel que l'on attribue au scanner corporel total réside dans la détection précoce des tumeurs malignes, des anomalies vasculaires et des calcifications. A priori on ne s'attend pas à ce qu'un scanner corporel soit utile. Pour cela, la prévalence des tumeurs malignes est trop faible,  le traitement des vasoconstrictions asymptomatiques (carotides, vaisseaux coronaires) est nocif, et le calcium dans les vaisseaux coronaires peut prédire le risque mais ne signifie pas que les interventions sont utiles.16 Les calcifications sont simplement la somme des facteurs de risque classiques et des interactions entre les gènes et l'environnement.
Le gros problème du scanner corporel total est la quantité extraorbitante de résultats que personne ne sait comment traiter. Une revue portant sur un total de 15 877 patients a montré que le pourcentage de résultats extracardiaques était de 44 % (95 %-BI : 35-54).17
Une étude systématique similaire portant sur 12 922 patients a montré que la prévalence des résultats cliniquement pertinents était de 13 % (95 %-BI : 35-54).18
Les études ont utilisé une définition pragmatique de la notion de "cliniquement pertinent" : les résultats qu'un clinicien doit rechercher (par exemple, embolie pulmonaire, kystes, gros nodules, lymphome, suspicion de malignité).
Les caractéristiques que l'on s'attendrait à voir influencer la prévalence, comme l'âge, la prévalence du tabagisme ou le champ de vision, n'ont pas expliqué les différences de prévalence. Cela est probablement dû au fait que la définition d'une "anomalie cliniquement pertinente" n'est pas cohérente.

Mais la peur du cancer chez les gens rapporte aussi beaucoup d'argent. 20 Pour des raisons de commodité, aucune recherche n'est effectuée sur l'efficacité ; au lieu de cela, on utilise des promesses pour recruter. Les gens sont séduits par l'idée qu'en une journée, ils pourront mieux connaître leur santé. Pour 1250 €, vous obtenez 5 IRM - du crâne et du cerveau, des vaisseaux cervicaux, de la poitrine, de l'abdomen supérieur et inférieur - et des tests de laboratoire. C'est un excellent modèle de revenu, car le prestataire ne fait que des diagnostics. Pas de recherche sur le suivi et aucun traitement.
Prescan, une société qui propose des scanners du corps entier, pousse les conséquences de résultats anormaux au-delà des limites. Le secteur curatif devrait s'en soucier.

Le dépistage en vaut-il la peine ?

Enfin, quelques mots sur l'évaluation du dépistage.
L’évaluation consiste à comparer le dépistage avec une situation où il n'y a pas de dépistage. Une telle comparaison manque très souvent de données importantes et utilise des modèles complexes que presque personne ne peut comprendre.
Il y a longtemps, nous avons décidé que nous étions prêts à payer 20 000 euros pour une année de vie sauvée, mais aujourd'hui la question est de savoir ce que nous pourrions faire d'autre avec cet argent. Pratiquement toutes les interventions de sevrage tabagique sont réalisables pour une valeur seuil nettement inférieure aux 20 000 € par année de vie gagnée.
C'est de loin dans le domaine du sevrage tabagique que l'on peut obtenir le plus de bénéfices pour la santé aux Pays-Bas. Les avantages pour la santé des programmes de dépistage sont minimes par rapport à ceux-ci.

Conclusion

Bien que le dépistage soit pratiqué depuis des décennies, ses inconvénients ne sont pas suffisamment pris en compte.

La réalité est que "plus tôt" ne signifie pas toujours mieux. Les partisans du dépistage ne peuvent s'empêcher d'exagérer le risque de maladie grave, de surestimer les avantages du dépistage et d'ignorer le grand nombre de faux positifs.

Le dépistage est actuellement mal évalué parce qu'il ne permet pas de déterminer si l'on peut tirer bien plus de bénéfices pour la santé avec les mêmes coûts mais des mesures différentes. Le dépistage doit être évalué par des scientifiques indépendants et non par des personnes qui pratiquent le dépistage depuis des décennies.
En outre, la multiplication des programmes de dépistage pour lesquels il n'existe pas la moindre preuve scientifique et pour lesquels le gain financier est prioritaire doit être impérativement combattue. Avant tout, les participants à un programme de dépistage doivent recevoir des informations honnêtes. Ce magazine a fait de très bonnes suggestions à ce sujet en 2009.

Article et commentaire en ligne à l'adresse suivante : ntvg.nl/D6760
UMC Utrecht, Centre Julius, Utrecht : Prof. Dr. Y. van der Graaf, épidémiologiste clinique.
Contact : Y. van der Graaf (y.vandergraaf@gmail.com)
Conflit d'intérêts et soutien financier : aucun n'a été signalé.
Accepté le 5 mai 2022
Citer comme : Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6760

Bibliographie

1. Wilson JMG, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Genève: WHO; 1968.

2. Krom A, Dekkers OM, Ploem MC. Verlies de nadelen van screening niet uit het oog: zorgen over wijziging Wet op hetbevolkingsonderzoek. Ned Tijdschr Geneeskd. 2022;166:D6701.

3. Wijziging van de Wet op het bevolkingsonderzoek in verband met actuele ontwikkelingen op het terrein van preventief gezondheidsonderzoek. Tweede Kamer der Staten-Generaal. Kamerstuk 35384.

4. Een op vier Nederlanders heeft een hersenaandoening. RIVM, 27 november 2017. www.rivm.nl/nieuws/op-vier-nederlanders-heefthersenaandoening, geraadpleegd op 1 juni 2022.

5. Bevolkingsonderzoek borstkanker. RIVM, 19 april 2022. www.rivm.nl/bevolkingsonderzoek-borstkanker, geraadpleegd op 1 juni 2022.

6. Gigerenzer G, Mata J, Frank R. Public knowledge of benefits of breast and prostate cancer screening in Europe. J Natl Cancer Inst. 2009;101:1216-20. doi:10.1093/jnci/djp237. Medline

7. Klemperer D. Physicians’ and patients’ knowledge of cancer screening - a wake-up call. Oncol Res Treat. 2014;37(Suppl 3):8-10. doi:10.1159/000363459. Medline

8. De Visser E. Screening op longkanker bij bij (ex-)rokers zou ‘duizenden doden voorkomen’, maar deskundigen zijn sceptisch. de Volkskrant, 26 september 2019.

9. De Koning HJ, van der Aalst CM, de Jong PA, et al. Reduced Lung-Cancer Mortality with Volume CT Screening in a Randomized Trial. N Engl J Med. 2020;382:503-13. doi:10.1056/NEJMoa1911793. Medline

10. Nederlandse Vereniging voor Radiologie. Standpunt NVvR screenende total body scans / health checks. www.radiologen.nl/nvvr/standpunt-nvvr-screenende-total-body-scans-health-checks, geraadpleegd op 1 juni 2022.

11. Zaat J. Minister, ik wil een bevolkingsonderzoek. Ned Tijdschr Geneeskd. 2018;162:C4055.

12. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev. 2013;(6):CD001877 Medline.

13. Ryser MD, Lange J, Inoue LYT, et al. Estimation of Breast Cancer Overdiagnosis in a U.S. Breast Screening Cohort. Ann Intern Med. 2022;175:471-8 (epub ahead of print). doi:10.7326/M21-3577. Medline

14. Vermeer NC, Liefers GJ, van der Hoop AG, Peeters KC. Bevolkingsonderzoek naar darmkanker: zucht of zegen? Ned Tijdschr Geneeskd. 2015;159:A9059.

15. Factsheet bevolkingsonderzoek darmkanker. RIVM, 11 december 2020. www.rivm.nl/documenten/factsheet-bevolkingsonderzoekdarmkanker, geraadpleegd op 1 juni 2022.

16. Sedlis SP, Hartigan PM, Teo KK, et al; COURAGE Trial Investigators. Effect of PCI on long-term survival in patients with stablischemic heart disease. N Engl J Med. 2015;373:1937-46. doi:10.1056/NEJMoa1505532. Medline

17. Flor N, Di Leo G, Squarza SA, et al. Malignant incidental extracardiac findings on cardiac CT: systematic review and meta-analysis. AJR Am J Roentgenol. 2013;201:555-64. doi:10.2214/AJR.12.10306. Medline

18. Buckens CF, Verkooijen HM, Gondrie MJ, Jairam P, Mali WP, van der Graaf Y. Unrequested findings on cardiac computed tomography: looking beyond the heart. PLoS One. 2012;7:e32184. doi:10.1371/journal.pone.0032184. Medline

19. Johansson M, Borys F, Peterson H, Bilamour G, Bruschettini M, Jørgensen KJ. Addressing harms of screening - A review of outcomes in Cochrane reviews and suggestions for next steps. J Clin Epidemiol. 2021;129:68-73. doi:10.1016/j.jclinepi.2020.09.030. Medline

20. In één dag inzicht in je gezondheid! Prescan. www.prescan.nl/?gclid=Cj0KCQiA9OiPBhCOARIsAI0y71AT0HHRx4u4UkvG5luXgrTUZBmKGxdbdMTrZ8Q6maDE2NGV3PYvVIEaAqhYEALw_wcB, geraadpleegd op 1 juni 2022.

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Dépistage du cancer chez les personnes âgées ; mauvaise idée

Auteurs : Dr Jenna Smith.... Kirsten J McCaffery
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34748004/

  • Wiser Healthcare, École de santé publique de Sydney, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney, NSW, Australie.
  • Sydney Health Literacy Lab, Sydney School of Public Health, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney, NSW, Australie.

Objectif de l'étude:

Résumer les facteurs de décision que rapportent les patients âgés, qui les font décider de recourir à des dépistages, comme le dépistage du cancer du sein, de la prostate, le dépistage colorectal et celui du col de l'utérus.

Méthode :

21 études ont été incluses.
Les facteurs associés à la prise de décision de recourir au dépistage ont été synthétisés en 5 catégories : démographique, sanitaire et clinique, psychologique, médico-sociale et systémique. 
Les facteurs les plus couramment identifiés comprenaient les antécédents personnels ou familiaux de cancer, les attitudes positives au dépistage, la routine ou l'habitude, l'acquisition de connaissances, les amis et la recommandation d'un médecin.

Résultats :

Bien que les lignes directrices suggèrent d'intégrer l'espérance de vie et l'état de santé pour éclairer les décisions de dépistage du cancer des personnes âgées, les croyances enracinées des personnes âgées sur le dépistage peuvent aller à l'encontre de ces concepts. 

Il en découle que des stratégies de communication sont nécessaires pour aider les personnes âgées à prendre des décisions éclairées en matière de dépistage du cancer, en abordant les croyances sous-jacentes en matière de dépistage, dans le contexte de leur risque perçu et de leur risque réel de développer un cancer.

Actualisatiton du 5 novembre 2022, publication accessible ici : https://academic.oup.com/fampra/advance-article/doi/10.1093/fampra/cmac126/6804418?login=false

conclusion
"Des stratégies pour soutenir les conversations entre les médecins généralistes et les personnes âgées sur les avantages et les inconvénients potentiels du dépistage chez les personnes âgées et la justification des limites d'âge supérieures pour les programmes de dépistage peuvent être utiles. Des recherches supplémentaires dans ce domaine sont nécessaires."

Commentaire Cancer Rose

Nous avions analysé la campagne du CNGOF de 2019, stupéfiant "cri d'alerte" pour un dépistage du cancer du sein chez la femme âgée, avec grand renfort médiatique spectaculaire dans un ciel serein, alors qu'aucun pays pratiquant le dépistage ne recommande le dépistage au-delà de 74 ans, ni même l'OMS...

Pourquoi cette campagne, toujours relayée sur la page d'accueil de la société savante, est une mise en danger des personnes âgées ?

Une étude de l'université de Leyden apporte une réponse.


Lire ici : https://cancer-rose.fr/2019/04/07/la-campagne-pour-le-depistage-de-la-femme-agee-par-le-college-national-des-gynecologues-et-obstetriciens-de-france-cngof/


Peu d'essais ont été consacrés au dépistage chez les femmes au grand âge. L'étude des chercheurs de l'université de Leyden, sur les données des Pays Bas, publiée en 2014 dans le BMJ, rattrape ce manque [5].

Selon les auteurs, après 70 ans, le dépistage organisé du cancer du sein serait inutile. En effet, à cet âge, la pratique du dépistage n'améliore pas de façon significative la détection des cancers aux stades avancés mais fait en revanche bondir le nombre de surdiagnostics et donc de surtraitements.

Aux Pays-Bas, le dépistage du cancer du sein est proposé aux femmes jusqu'à 75 ans depuis la fin des années 1990. «Pourtant, rien ne prouve que le dépistage chez les femmes plus âgées est efficace », expliquent les auteurs de l'étude, mentionnant aussi le fait que peu d'essais aient été réalisés spécifiquement sur ces groupes d'âge.

Pour les chercheurs néerlandais, le dépistage systématique après 70 ans entraînerait surtout la détection et donc les traitements de lésions qui n'auraient pas évolué en maladie durant la vie des patientes.

Ces traitements inutiles entraînent un impact sur la santé trop important, et une co-morbidité trop lourde chez ces personnes âgées, qui supportent moins bien les effets secondaires des traitements, chirurgicaux, des radiothérapies et des chimiothérapies.

C'est pourquoi ils recommandent la non-extension du dépistage généralisé chez les plus de 70 ans et recommandent une décision personnalisée, en fonction de l'espérance de vie, du risque de cancer du sein, de l'état général et de la préférence des femmes concernées.

Rappelons aussi que le système immunitaire s’affaiblit avec l’âge. Ce qui suppose qu’on contracte davantage de cancers, de maladies infectieuses.  Tous les organes s'épuisent et fonctionnent moins bien, les facultés de cicatrisation, de régénération tissulaire sont moindres, tout cela est en prendre en compte dans l'administration de traitements lourds.

Conclusion

Un point de vue publié dans le JAMA en 2019 reposait la question de la pertinence du dépistage chez la personne âgée. Alors que toutes les recommandations stoppent ce dépistage à 74 ans, il n'est malheureusement pas rare de voir des personnes au-delà être envoyées à des dépistages et des "check-up".

Les auteurs arguent qu'il faut se garder d'inciter des femmes sous prétexte de nouvelles technologies disponibles, à faire l’objet d’un dépistage, alors qu'elles n’en profiteront pas, dépistage qui pourraient même leur être défavorable en raison du problème du surdiagnostic.

Encore une fois, il faut utiliser des outils d'aide à la décision pour soutenir une communication efficace sur les avantages réduits et les risques accrus du dépistage du cancer chez les personnes les plus âgées, afin d’aider ces personnes âgées et les omnipraticiens à faire des choix plus éclairés en matière de dépistage du cancer.

Le principe de la non-malfaisance implique de ne pas porter préjudice aux personnes, un principe que même une société savante comme le CNGOF doit faire sien.

Une communication à Glasgow

L' auteure australienne Jenna Smith vient de faire une communication lors du congrès de Glasgow de cette semaine, sur une étude basée sur interviews impliquant des généralistes, sur le même sujet, le résumé est ci-dessous :

Congrès

ICCH2022 INTERNATIONAL CONFERENCE ON COMMUNICATION IN HEALTHCARE
https://each.international/eachevents/conferences/icch-2022/programme/

5 - 9 SEPTEMBER 2022

CALEDONIAN UNIVERSITY, GLASGOW

Présentateur: Jenna Smith, Univeristy de Sydney, Australie

O.9.1 Approches des médecins généralistes en matière de dépistage du cancer chez les personnes âgées : Une étude qualitative par entretiens

Contexte : Les personnes âgées continuent à subir un dépistage du cancer avec une connaissance limitée des risques potentiels. En Australie, les médecins généralistes (GP) peuvent jouer un rôle important dans la communication et la prise de décision concernant le dépistage du cancer chez les personnes âgées. Cette étude visait à étudier les attitudes et les comportements des médecins généralistes concernant le dépistage du cancer (sein, col de l'utérus, prostate et intestin) chez les patients âgés de ≥70 ans (car les programmes de dépistage ont récemment commencé à cibler les 70-74 ans). Méthodes : Des entretiens semi-structurés ont été menés avec des médecins généralistes exerçant en Australie (n=28), recrutés par de multiples voies pour assurer des perspectives diverses (par exemple, réseaux de recherche basés sur la pratique, réseaux de santé primaire, médias sociaux, emailing à froid). Les enregistrements audio transcrits ont fait l'objet d'une analyse thématique. Résultats : Certains médecins généralistes ont entamé des discussions sur le dépistage uniquement avec des patients plus jeunes que l'âge supérieur ciblé par les programmes de dépistage (c'est-à-dire que certains pensaient à 69 ou 74 ans). D'autres ont entamé des discussions au-delà des âges recommandés. Lors de la communication d'informations, certains médecins généralistes n'étaient pas à l'aise pour expliquer pourquoi les rappels de dépistage s'arrêtaient, d'autres pensaient que les patients devraient payer pour avoir accès au dépistage du cancer du sein, et les discussions détaillées sur les avantages et les inconvénients étaient plus probables pour le dépistage de la prostate. En ce qui concerne les préférences des patients, les généralistes ont décrit des patients qui étaient ouverts à la recommandation, qui insistaient pour continuer/arrêter, ou qui étaient offensés de ne plus être invités, et ont adapté leurs réponses en conséquence. En fin de compte, c'est le patient qui a le dernier mot. Enfin, les omnipraticiens ont tenu compte de l'état de santé général/du fonctionnement du patient, du risque et de l'expérience antérieure en matière de dépistage pour déterminer si le dépistage était utile à un âge avancé. 

Discussion : Il n'existe pas d'approche uniforme de la communication sur le dépistage du cancer et de la prise de décision pour les adultes plus âgés en médecine générale, et les personnes âgées et les médecins généralistes comprennent mal pourquoi le dépistage a une limite d'âge supérieure. Des outils permettant de communiquer efficacement sur les avantages réduits et les risques accrus du dépistage du cancer à un âge avancé sont nécessaires pour aider les personnes âgées et les médecins généralistes à faire des choix plus éclairés en matière de dépistage du cancer.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


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L’effet du dépistage du cancer du sein en déclin

1 juillet 2022

https://academic.oup.com/eurpub/advance-article/doi/10.1093/eurpub/ckac047/6609838?login=false

Par Søren R Christiansen, Philippe Autier, Henrik Støvring

L'effet du dépistage du cancer du sein diminue

Une nouvelle étude soulève le débat sur la diminution progressive des bénéfices du dépistage du cancer du sein qui seraient à un niveau trop faible par rapport à leurs conséquences en termes de surdiagnostic et de surtraitement.
Des chercheurs de l'université d'Aarhus, Département de Santé Publique (Danemark) et de l'IPRI (International Prevention Research Institute), Lyon, France, sont à l'origine de cette étude.

Ils affirment que la mortalité par cancer du sein a diminué au cours des trois dernières décennies grâce à l'amélioration de la prise en charge des patientes et à de meilleures thérapies ; pour pouvoir trouver un décès par cancer du sein évité, en dix ans de dépistage, il faudrait doubler le nombre de femmes invitées au dépistage par mammographie, au Danemark.
"Alors que les effets bénéfiques du dépistage par mammographie diminuent de plus en plus, nous devrions envisager d'abandonner le programme actuel de dépistage par mammographie avec des mammographies bisannuelles pour toutes les personnes âgées de 50 à 70 ans. Peut-être qu'une stratégie de dépistage plus ciblée pour le haut risque pourrait être une alternative, si des études montraient la effets bénéfiques de la stratégie", a déclaré en interview H.Støvring, professeur associé au département de santé publique de l'Université d'Aarhus, auteur principal de l'étude.
"Je pense que nous approchons d'un point où le simple fait de continuer pourrait devenir intenable d'un point de vue éthique, car de moins en moins de femmes obtiendront des gains à travers le dépistage (elles ne mourraient pas du cancer du sein de toute façon, grâce au meilleur traitement actuel du cancer), en revanche le nombre des femmes atteintes par surdiagnostic et surtraitement reste constant », a-t-il noté.
H.Støvring estime que pour le cancer du sein, les preuves du dépistage par mammographie ne sont pas convaincantes, et qu'il devient essentiel que les programmes de dépistage soient ré-évalués au fur et à mesure que de nouvelles preuves deviennent disponibles.

En conclusion, les améliorations apportées aux thérapies contre le cancer au cours des 30 dernières années ont réduit la mortalité, ce qui pourrait éroder la balance bénéfices-inconvénients du dépistage par mammographie. 
De plus les améliorations futures de la prise en charge des patientes atteintes d'un cancer du sein réduiront de plus en plus le rapport bénéfice-risque du dépistage.

Le bénéfice de la mammographie en termes de réduction de la mortalité diminue alors que les inconvénients tels que le surdiagnostic ne sont pas impactés, eux. 
Le dépistage conduit à la fois au surdiagnostic et au surtraitement, ce qui a un coût à la fois humain et économique,

Interview de l'auteur principal, le 24 juin 2022 par Helle Horskjær Hansen

https://health.au.dk/en/display/artikel/effekten-af-brystkraeftscreening-bliver-mindre-og-mindre-1

Le dépistage du cancer du sein a un coût. C'est ce que montre une étude danoise et norvégienne qui a analysé 10 580 décès par cancer du sein chez des Norvégiennes âgées de 50 à 75 ans.

"L'effet bénéfique du dépistage est actuellement en déclin car le traitement du cancer s'améliore. Au cours des 25 dernières années, le taux de mortalité par cancer du sein a été pratiquement divisé par deux", explique Henrik Støvring, qui est à l'origine de l'étude.

Selon le chercheur, le problème est que les dépistages entraînent à la fois un surdiagnostic et un surtraitement, ce qui a un coût tant sur le plan humain que sur le plan économique.

Surdiagnostic et surtraitement

Lorsque le dépistage a été introduit, on estimait qu'environ vingt pour cent des décès par cancer du sein parmi les personnes dépistées pourraient être évités. Si cela correspondait à environ 220 décès par an au Danemark il y a 25 ans, ce chiffre a aujourd'hui été divisé par deux.
L'étude montre qu'en 1996, il était nécessaire d'inviter 731 femmes pour éviter un seul décès par cancer du sein en Norvège, alors qu'il faudrait inviter au moins 1364 et probablement plus près de 3500 pour obtenir le même résultat en 2016.

En revanche, les effets indésirables du dépistage restent inchangés.
"Une femme sur cinq âgée de 50 à 70 ans, à qui on annonce qu'elle a un cancer du sein, a reçu un diagnostic "superflu" grâce au dépistage - sans le dépistage, elle n'aurait jamais remarqué ou senti qu'elle avait un cancer du sein au cours de sa vie", explique le chercheur. (Surdiagnostic)
Une personne sur cinq, cela correspond à 900 femmes par an au Danemark.
En outre, chaque année, plus de 5 000 femmes apprennent que le dépistage a entraîné une suspicion de cancer du sein - une suspicion qui s'avère ensuite erronée.(Faux positifs)

Des petits nodules inoffensifs, mais pour qui?

Henrik Støvring note que le résultat n'est pas bénéfique concernant les programmes de dépistage.

Selon le chercheur, le problème est que nous ne sommes actuellement pas en mesure de faire la différence entre les petites tumeurs cancéreuses qui tuent et celles qui ne le feront pas. Certains de ces petits nodules sont si inoffensifs ou à évolution lente que la femme mourrait d'une mort naturelle avec un cancer du sein non détecté, si elle n'avait pas été dépistée. Mais une fois qu'une lésion cancéreuse a été découverte, elle doit bien sûr être traitée, même si cela n'était pas nécessaire pour certaines des femmes - nous ne savons pas lesquelles.

"Les femmes qui sont invitées au dépistage vivent plus longtemps, car toutes les patientes atteintes de cancer du sein vivent plus longtemps, parce que nous disposons de meilleurs médicaments, d'une chimiothérapie plus efficace, et parce que nous avons maintenant des filières de soins du cancer, ce qui signifie que le système de santé réagit plus rapidement qu'il y a dix ans", déclare Henrik Støvring.

Résumé de l'étude

Source : Søren R Christiansen, Philippe Autier, Henrik Støvring, Change in effectiveness of mammography screening with decreasing breast cancer mortality: a population-based study, European Journal of Public Health, 2022;, ckac047, https://doi.org/10.1093/eurpub/ckac047

Contexte

Les réductions de la mortalité par cancer du sein observées au cours des trois dernières décennies sont en partie dues à l'amélioration de la prise en charge des patientes, ce qui peut éroder l'équilibre bénéfices-inconvénients du dépistage par mammographie.

Méthodes

Nous avons estimé le nombre de femmes à inviter (NNI) pour prévenir un décès par cancer du sein en 10 ans. Quatre scénarios d'efficacité du dépistage (5-20% de réduction de la mortalité) ont été appliqués sur 10 580 décès par cancer du sein chez les femmes norvégiennes âgées de 50 à 75 ans entre 1986 et 2016. Nous avons utilisé trois scénarios de surdiagnostic (10-40% de cancers du sein en excès pendant la période de dépistage) pour estimer les ratios du nombre de cancers du sein surdiagnostiqués pour chaque décès par cancer du sein évité.

Résultats

Dans le scénario de base d'une réduction de 20 % de la mortalité par cancer du sein et d'un surdiagnostic de 20 %, le NNI est passé de 731 (IC 95 % : 644-830) femmes en 1996 à 1364 (IC 95 % : 1181-1577) femmes en 2016, tandis que le nombre de femmes atteintes d'un cancer surdiagnostiqué pour chaque décès par cancer du sein évité est passé de 3,2 en 1996 à 5,4 en 2016. Pour une réduction de la mortalité de 8,7%, le ratio de cancers du sein surdiagnostiqués par décès par cancer du sein évité est passé de 7,4 en 1996 à 14,0 en 2016. Pour une réduction de la mortalité de 5 %, ce ratio est passé de 12,8 en 1996 à 25,2 en 2016.

Conclusions

Grâce à des modalités thérapeutiques de plus en plus puissantes, les avantages en termes de réduction de la mortalité par cancer du sein diminuent, tandis que les inconvénients, notamment le surdiagnostic, restent inchangés. Les améliorations futures de la prise en charge des patientes atteintes d'un cancer du sein vont encore détériorer le rapport bénéfices/inconvénients du dépistage.

Points clés

En supposant un effet relatif du dépistage par mammographie de 20 % sur la mortalité par cancer du sein, le nombre de femmes qu'il faut inviter pour sauver une vie a augmenté de 87 % entre 1996 et 2016. (NDLR : c'est à dire qu'il faut actuellement dépister un nombre toujours croissant de femmes pour parvenir à retrouver un décès par cancer du sein qui serait évité grâce au dépistage, il est donc plus difficile de retrouver une femme bénéficiaire du dépistage, tandis que les effets adverses, eux, ne diminuent pas (surdiagnostic)).

Le nombre de femmes chez qui un cancer du sein a été surdiagnostiqué par femme sauvée d'un cancer du sein a considérablement augmenté entre 1996 et 2016.

La détérioration du rapport bénéfices/inconvénients du dépistage du cancer du sein va se poursuivre en raison de l'amélioration constante des thérapies.

Cette étude confirme la nécessité de réévaluer les programmes nationaux de dépistage dans les pays développés.

Tableaux

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"Un coût tant sur le plan humain que sur le plan économique..."

...Selon l'auteur principal.
Cette notion de surcoût par rapport à une efficacité déclinante du dépistage est également soulevée dans une autre étude, contemporaine : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277953622003793

Dans cet article, les auteurs exploitent une expérience naturelle résultant du déploiement géographique progressif d’un programme national de dépistage mammographique en Irlande pour examiner l’impact du dépistage sur les résultats du cancer du sein à la fois du point de vue de la cohorte de patientes et de la population.

L'Irlande est l'un des rares pays où, pour des raisons opérationnelles, le déploiement du dépistage a créé une cohorte de femmes non dépistées qui existe depuis suffisamment longtemps pour servir de groupe de comparaison approprié. 

À l’aide de données sur 33 722 cas de cancer du sein au cours de la période de 1994 à 2011, les auteurs utilisent un plan de recherche fondé sur des différences de résultats en utilisant des données de suivi sur dix ans pour les cas diagnostiqués avant et après l’introduction du programme dans les régions dépistées et non dépistées.
Ils concluent que même si le programme a produit les effets intermédiaires prévus sur la présentation et l’incidence du cancer du sein, ceux-ci ne se sont pas traduits par une diminution significative de la mortalité globale au niveau de la population, bien que le dépistage ait pu contribuer à réduire les disparités socio-économiques dans l'incidence du cancer du sein à un stade avancé.

Points forts de cette étude

  • Le dépistage a accru la détection des cancers asymptomatiques et à un stade précoce.
  • Il n'y a pas eu d'effet significatif sur la mortalité par cancer du sein dans la population ou sur la mortalité toutes causes confondues.
  • Le dépistage peut avoir réduit les disparités socioéconomiques dans l'incidence des stades avancés.
  • Les résultats remettent en question l'efficacité globale de cette intervention courante.





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Prise de conscience du surdiagnostic du cancer du sein chez les femmes atteintes de cancer du sein

Effects of awareness of breast cancer overdiagnosis among women with screen-detected or incidentally found breast cancer: a qualitative interview study

Synthèse et traduction par Sophie, patiente référente de Cancer Rose, 16 juin 2022

Cette recherche, menée par une équipe australienne de l'Université de Sydney (équipe de PrAlexandra Barratt) consiste en une étude qualitative par entretiens internationaux avec des femmes diagnostiquées d'un cancer du sein, et qui connaissent le concept de surdiagnostic.
En ce sens cette étude est originale, car c'est bien la première fois qu'on sollicite des personnes qui maîtrisent la connaissance du problème du surdiagnostic, concept ignoré et naturellement contre-intuitif pour le profane.

Le titre complet est le suivant : Effets de la prise de conscience du surdiagnostic du cancer du sein chez les femmes atteintes d'un cancer du sein détecté par dépistage, ou découvert de manière fortuite : une étude qualitative par entretiens.

Participantes : douze femmes âgées de 48 à 77 ans originaires du Royaume-Uni (6), des Etats-Unis (4), du Canada (1) et d'Australie (1),   atteintes d'un cancer du sein (carcinome canalaire in situ n=9, cancer du sein (invasif) n=3) diagnostiqué entre 2004 et 2019, et conscientes de la possibilité d'un surdiagnostic. Les participants ont été recrutés via des blogs en ligne et des réseaux cliniques professionnels.

Les entretiens ont duré de 50 à 123 minutes (moyenne de 73 minutes).

Résultats de l'étude

La plupart des femmes (10/12) ont pris conscience du surdiagnostic après leur propre diagnostic. Toutes se sont montrées préoccupées par l’éventualité d'un surdiagnostic ou d'un surtraitement, ou des deux.
La découverte du surdiagnostic ou du surtraitement a eu des répercussions psychosociales négatives sur l'image que les femmes ont d'elles-mêmes, sur la qualité de leurs interactions avec les professionnels de la santé et, pour certaines, a déclenché de profonds remords quant à leurs décisions et actions passées. Beaucoup étaient dans une situation inconfortable à l'idée d'être traitées comme des malades du cancer alors qu'elles ne se sentaient pas "malades". Pour la plupart, les traitements recommandés semblaient excessifs par rapport au diagnostic posé. La plupart ont trouvé que leurs équipes cliniques étaient peu ouvertes sur la possibilité d'un surdiagnostic et d'un surtraitement, et beaucoup ont trouvé que les protocoles de prise en charge établis étaient difficiles à supporter.

Conclusion globale de l'étude

Les expériences de ce petit groupe particulier de femmes donnent un éclairage inédit sur l'impact négatif majeur de la découverte du surdiagnostic après le diagnostic du cancer du sein.
Des études antérieures ont montré que les femmes attachaient de l'importance à l'information sur le surdiagnostic avant le dépistage et que cette connaissance ne réduisait pas le recours ultérieur au dépistage.
Les décideurs politiques et les cliniciens devraient reconnaître, affirment les auteurs, la diversité des points de vue des femmes et veiller à ce qu'elles soient correctement informées de la possibilité d'un surdiagnostic avant le dépistage.
(Paragraphe 'principales conclusions' en fin d'article)

Points forts et limites de cette étude

- Les entretiens qualitatifs ont permis d'explorer en profondeur cette expérience unique du cancer au niveau de chaque patiente.

- L'étude a été menée dans quatre pays dotés de programmes de dépistage du cancer du sein et a fait appel à un comité consultatif de patients composé de trois membres ayant une expérience du cancer du sein.

- La compréhension par les femmes du surdiagnostic et du surtraitement a été vérifiée dans le cadre du processus d'éligibilité à l'étude en leur demandant ce qu'elles comprenaient par ces termes.

- Le nombre de participantes est faible et l'étude est constituée d'un échantillon soigneusement sélectionné, instruit et compétent en matière de santé.

- Les diagnostics et les traitements rapportés n'ont pas été vérifiés, et ils reflètent les perceptions des participants.

Rappels


Les auteurs rappellent que le surdiagnostic est le diagnostic ou la détection d'un cancer qui, sans dépistage, n'aurait jamais entraîné de symptômes cliniques ou de décès au cours de la vie d'une personne. Les estimations du surdiagnostic provenant d'études d'observation et de modélisation varient de 10 % à 30 %, selon les méthodes d'étude, mais le panel britannique indépendant* a conclu que pour 10 000 femmes invitées au dépistage à partir de 50 ans pendant 20 ans, environ 681 cancers seront découverts, dont 129 représenteront un surdiagnostic, et 43 décès par cancer du sein seront évités.
* Rapport Marmot : Marmot MG, Altman DG, Cameron DA, Dewar JA, Thompson SG, Wilcox M. The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review. Br J Cancer 2013;108:2205-40. doi: 10.1038/bjc.2013.177 pmid: 23744281

Ils ont estimé qu'au Royaume-Uni, environ 3000 femmes sont surdiagnostiquées pour un cancer du sein chaque année, et qu'environ 1000 décès dus au cancer du sein sont évités. Le panel a recommandé que ces informations soient clairement communiquées aux femmes. Le surdiagnostic est un concept difficile à communiquer et à comprendre, notamment parce que les femmes atteintes de cancers surdiagnostiqués ne peuvent pas être identifiées individuellement. Au Royaume-Uni, des informations sur le surdiagnostic sont incluses depuis 2013 dans un dépliant envoyé avec les invitations des femmes à se faire dépister, mais des inquiétudes subsistent quant au fait que le risque de surdiagnostic n'est pas suffisamment pris en compte dans les informations fournies au public par le National Health Service (NHS).
Aux États-Unis, au Canada et en Australie, les femmes sont généralement invitées au dépistage sans recevoir d'informations claires sur le surdiagnostic.
Les données suggèrent que la plupart des femmes ne sont toujours pas conscientes de la possibilité d'un surdiagnostic, les avantages du dépistage dominant largement l'opinion publique.
Cette situation pourrait changer avec le temps, à mesure que les connaissances de la communauté augmentent et que davantage de femmes participent à des essais de désescalade de traitement pour les cancers du sein à faible risque.
Cependant, le fait d'être conscient du surdiagnostic peut accroître la détresse et l'incertitude des femmes diagnostiquées avec un cancer du sein asymptomatique, par rapport aux femmes qui ne sont pas conscientes de cette possibilité.
En effet, ni la femme ni son médecin ne peuvent savoir si ce cancer particulier se serait manifesté sans dépistage et aurait pu entraîner la mort ou s'il serait resté non détecté pendant le reste de la vie de la femme.

Ainsi, les femmes qui ont connaissance d'un surdiagnostic peuvent se demander si le cancer détecté par le dépistage nécessite vraiment un traitement ou si elles subissent un traitement et ses effets secondaires sans aucun bénéfice.
Deux études récentes, l'une portant sur des patientes atteintes d'un cancer de la thyroïde et l'autre sur des hommes atteints d'un cancer de la prostate, ont montré que les patients chez qui un cancer a été diagnostiqué et qui ont choisi de ne pas suivre le traitement recommandé parce qu'ils pensaient avoir été surdiagnostiqués se sentaient extrêmement isolés et anxieuses, certaines participantes se retirant complètement du système de santé.
Réf : Davies L, Hendrickson CD, Hanson GS. Experience of US patients who self-identify as having an overdiagnosed thyroid cancer: a qualitative analysis. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2017;143:6639.doi:10.1001/jamaoto.2016.4749
Et :
McCaffery K, Nickel B, Pickles K, et al. Resisting recommended treatment for prostate cancer: a qualitative analysis of the lived experience of possible overdiagnosis. BMJ Open 2019;9:e026960.doi:10.1136/bmjopen2018026960


Originalité de l'étude

Les auteurs écrivent : Nous n'avons pas connaissance d'études comparables explorant cette question chez les patientes atteintes d'un cancer du sein, disent les auteurs.
Par conséquent, dans la présente étude, nous avons cherché à comprendre les perceptions et les expériences des femmes qui vivent avec ce qu'elles perçoivent comme un cancer du sein détecté par dépistage possiblement surdiagnostiqué.
Cette étude s'est appuyée sur des entretiens approfondis pour explorer la manière dont les femmes vivent la perception d'un possible surdiagnostic ou surtraitement du cancer du sein.
Dans ce document, le terme "cancer du sein" inclut à la fois le carcinome canalaire in situ (CCIS) et le cancer du sein invasif.

Recrutement des participantes

Des femmes ont été recrutées pour l'étude par le biais d'annonces sur des blogs où le surdiagnostic est discuté ("DCIS411" : http://DCIS411.com et "Even Stars Explode" : https://evenstarsexplode.wordpress.com/) (n=6).
Des patientes ont contacté Pr.Alexandra Barratt par le biais de ses publications sur le thème du surdiagnostic du cancer du sein (n=4).
Enfin un recrutement a eu lieu par le biais des réseaux professionnels des chercheurs (n=2).

Cette approche était nécessaire pour permettre la participation des femmes qui auraient pu être admissibles sans risque de détresse pour les femmes qui n’étaient pas au courant du surdiagnostic du cancer du sein et l'auraient découvert.
Les femmes étaient éligibles lorsqu'elles avaient reçu un diagnostic de cancer du sein détecté par dépistage (défini comme un cancer détecté chez une femme asymptomatique) au moins 6 mois auparavant, et alors qu'elles étaient déjà conscientes de l'idée de surdiagnostic ou de surdétection en relation avec le cancer du sein détecté par dépistage.
Elles devaient avoir 40 ans ou plus au moment du diagnostic et parler couramment l'anglais.
Les femmes chez qui un cancer du sein a été diagnostiqué après une présentation symptomatique, ou qui avaient un cancer avancé au moment du diagnostic, ou encore qui présentaient un risque élevé de cancer, par exemple en raison d'antécédents familiaux importants de cancer du sein, n'étaient pas admissibles.

La compréhension du surdiagnostic par les participants a été vérifiée avant leur entrée dans l'étude afin de confirmer leurs connaissances préalables. Toutes les participantes ont donné leur consentement éclairé pour être interrogées.
Les participantes ont été recrutées dans quatre pays anglophones : Australie, Canada, États-Unis et Royaume-Uni. Cet échantillonnage dans différents pays a permis aux chercheurs de comprendre comment les variations dans la politique et la pratique du dépistage du cancer du sein peuvent affecter les expériences des femmes et leurs réponses à leurs connaissances sur le surdiagnostic.
Par exemple, des informations sur le surdiagnostic sont incluses dans les invitations au dépistage du cancer du sein au Royaume-Uni, mais pas dans d'autres pays, et des programmes universels de dépistage par mammographie financés par le gouvernement existent au Royaume-Uni, mais pas aux États-Unis.

Les femmes ont reçu une fiche d'information sur l'étude et ont répondu à une courte enquête en ligne avant l'entretien. Elles ont fourni des données démographiques, des détails sur leur diagnostic et leur traitement et ont rempli un formulaire de vérification de l'éligibilité comprenant la définition du surdiagnostic et du surtraitement dans leurs propres mots.

Synthèse des résultats, vécu et ressenti des participantes

Les femmes ont décrit diverses expériences personnelles liées à leur diagnostic et aux processus de prise de décision, mais leurs récits présentaient également de nombreux points communs, notamment en ce qui concerne l'identité, les interactions avec les professionnels de la santé, l'incertitude quant aux décisions prises...

Toutes les participantes ont expliqué qu'elles avaient le sentiment que l'approche "standard" du traitement proposée par leurs équipes initiales était inflexible et qu'elles subissaient une pression pour agir de la manière recommandée et attendue.

Lorsqu'on a demandé aux femmes de réfléchir à leur expérience de connaissance du surdiagnostic et du surtraitement et de l'application de ces connaissances à leur situation personnelle, la plupart des participantes ont reconnu que des éléments de leur situation personnelle leur avaient permis de remettre en question leur diagnostic et la prise en charge recommandée et, dans certains cas, d'éviter le surtraitement.

Par exemple, un certain nombre de femmes exerçaient une profession qui les incitait à poser des questions, disposaient de réseaux et de contacts personnels ou professionnels pertinents, d'une assurance maladie privée, ou se décrivaient comme ayant un type de personnalité particulier (c'est-à-dire qu'elles n'étaient pas timides, qu'elles avaient du caractère, qu'elles étaient plus susceptibles de contester l'opinion d'un médecin que la grande majorité des patients), ce qui leur a permis de poser des questions, de trouver des réponses et, en fin de compte, de changer la façon dont elles auraient été traitées.

Dix des 12 femmes ont pris conscience du surdiagnostic après leur diagnostic, dont deux qui l'ont découvert après avoir reçu un traitement. L'une d'entre elles en était consciente avant la mammographie de dépistage, et une autre n'était pas sûre du moment où elle l'a découvert. Plusieurs participantes ont précisé que, bien qu'elles aient entendu parler de la possibilité que les mammographies puissent détecter des cancers non létaux, elles ont acquis une "bien meilleure compréhension" (participante 1) en effectuant des recherches personnelles après leur diagnostic. La plupart des récits des femmes indiquent qu'elles ont commencé leurs propres recherches parce qu'elles avaient le sentiment d'avoir reçu des avis médicaux différents et souvent contradictoires et des informations confuses concernant leur diagnostic. Nombre d'entre elles ont estimé que les informations qu'elles avaient obtenues de leurs équipes cliniques initiales n'étaient pas suffisantes pour répondre à leurs besoins personnels, ce qui les a incitées à poursuivre leur exploration et leurs recherches de manière indépendante.

Une participante s'est sentie "soulagée" parce que cela a confirmé que sa préférence de ne pas subir une mastectomie n'était pas nécessairement une réaction excessive. Les femmes qui se situent à cette extrémité du spectre ont déclaré que le fait d'avoir découvert la vérité a atténué une partie de l'incertitude qu'elles ressentaient, a validé les raisons pour lesquelles elles se sentaient comme elles se sentaient, ont posé les questions qu'elles se posaient et ont vérifié qu'elles n'étaient pas les femmes folles, irrationnelles et en colère comme certains l'avaient indiqué. La participante 7 a eu l'impression qu'on lui avait "lancé une bouée de sauvetage" lorsqu'elle a découvert un blog où les gens discutaient du surdiagnostic.

En revanche, un certain nombre de femmes se sont senties choquées et tristes en apprenant l'existence du surdiagnostic après leur diagnostic et/ou leur traitement, en réalisant qu'elles avaient peut-être enduré ce qu'elles avaient subi inutilement.

Plusieurs des femmes de la cohorte que nous avons étudiée ont exprimé une profonde colère en découvrant qu'elles n'avaient pas été informées de la possibilité de surdiagnostic et de surtraitement avant le dépistage du cancer du sein. Une participante n'a complètement saisi le concept de surdiagnostic et ce que cela pouvait signifier pour sa situation personnelle que 3 ans après son diagnostic et a décrit cette découverte, et l'identification avec celle-ci, comme l'une des expériences les plus douloureuses de sa vie.

Deux des six participantes britanniques avaient été invitées au dépistage avant que l'information sur le surdiagnostic soit incluse dans les brochures de dépistage qui accompagnent les invitations adressées aux femmes britanniques dans le cadre du programme de dépistage du NHS ; pour elles, la prise de conscience du surdiagnostic a été particulièrement douloureuse, car il leur manquait quelques mois pour recevoir la mise à jour de l'information destinée aux patientes, qui mentionnait le surdiagnostic comme un préjudice possible de la mammographie.
"Cela a été particulièrement douloureux... J'avais l'impression d'avoir été prise au dépourvu par un changement de système et qu'en fait le service de dépistage... m'avait envoyé un dépliant qu'il savait ne pas être adapté à l'objectif... ce qui m'a mise encore plus en colère (participante 5)."

La plupart des témoignages des femmes suggèrent qu'elles ont rapidement pris conscience - dès qu'elles ont commencé à poser des questions et à en apprendre davantage sur leur diagnostic, le surdiagnostic et le surtraitement - que leur situation et leur expérience du cancer du sein étaient inhabituelles.
Plusieurs femmes ont décrit les défis que leur diagnostic leur a posé par rapport à leur sentiment d'identité, car elles se sentaient bien et n'avaient pas de symptômes avant de se présenter au dépistage. Certaines ont été surprises de la rapidité avec laquelle elles ont été traitées comme des "malades" du cancer après leur diagnostic.

Beaucoup ont dit avoir eu de la difficulté à s'adapter au fait d'être une "bonne patiente docile" (participante 2) et ont été consternées par les attentes à l'égard de cette identité, surtout les femmes qui, à ce moment-là, se demandaient si le traitement recommandé constituait un surtraitement.

Enfin, plusieurs femmes qui ont découvert le surdiagnostic après le diagnostic ou le traitement se sont entièrement identifiées à la possibilité d'avoir été surdiagnostiquées, et non au fait d'être une patiente ou une survivante du cancer.
Ces participantes ont déclaré qu'elles se sentaient en conflit avec le fait d'être une patiente du cancer, qu'elles luttaient contre l'identité de "patiente du cancer", mais qu'elles étaient incapables d'y échapper ou de nier le fait d'avoir été significativement affectées par un diagnostic de cancer. Cela restait inchangé dans le temps, deux des participants s'identifiant plutôt comme des victimes du système médical.

"N'appelons pas ça une maladie. Je ne suis pas, je ne me sens pas malade... Je ne m'identifie pas à la maladie ou au cancer... survivant, aucun de ces termes. Ils sont juste comme... c'est presque insultant, surtout quand vous vous sentez victime d'un surdiagnostic. Alors vous êtes, c'est une double peine. Parce que maintenant vous êtes une victime dans un sens du système médical... ce problème est un problème créé par la médecine (Participante 6)."

Elles avaient l'impression de ne pas pouvoir s'engager dans des groupes de soutien pour le cancer du sein parce qu'elles ne s'identifiaient pas comme des patientes du cancer.

Résister à la perception d'un surtraitement

Toutes les femmes ont décrit leur stupéfaction lorsqu'elles ont pris connaissance du parcours de traitement recommandé après avoir appris qu'elles avaient un cancer du sein détecté par dépistage (ou détecté de façon fortuite, dans un cas).
Elles ont perçu l'ampleur de la chirurgie recommandée comme étant disproportionnée par rapport à leur compréhension du diagnostic qu'elles avaient reçu et qui "pourrait ne jamais progresser" (participante 11), surtout lorsqu'elles ne ressentaient aucun symptôme.

Une participante, diagnostiquée avec un carcinome in situ (stade dit 0 du cancer), a déclaré qu'elle ne se considérait pas à l'époque comme ayant un "vrai cancer" et qu'il était "absolument ridicule" de lui recommander une mastectomie (participante 6).
........
"Ils me disaient que j'avais besoin d'une chirurgie pour quelque chose qui pourrait ne jamais progresser... J'ai été mise devant ce dilemme... La chirurgie proposée à ce moment-là était une quadrantectomie, ce qui me semblait être une grosse affaire, une chirurgie mutilante pour quelque chose qui pourrait ne jamais progresser, alors j'ai dit non (participante 11)."

La plupart des participantes avaient rencontré des critiques en réponse à leur curiosité et à leurs demandes d'informations supplémentaires pour pouvoir prendre une décision éclairée sur leur plan de traitement.
Elles ont décrit des échanges "inconfortables" (participant 5) lorsqu'elles posaient des questions à leurs cliniciens sur leur diagnostic ou leur surdiagnostic, ou lorsqu'elles remettaient en question les traitements conseillés.
Elles ont également décrit le sentiment grandissant qu'elles prenaient leur vie en main (participante 6), les médecins se montrant "totalement mal à l'aise avec le fait que je choisissais maintenant de ne rien faire", selon ses propres termes (participante 3).
Une participante - qui avait étudié la biochimie - a déclaré qu'elle posait des questions informées et intelligentes à ses médecins et au radiologue, mais qu'elle avait l'impression de ne pas obtenir de réponses, car "ils n'aimaient pas que je pose des questions" (participante 12).

Les femmes ont parlé de la pression qu'elles subissaient pour agir de la manière spécifiée et recommandée, notamment de la part de leur partenaire, de leurs amis et des membres de leur famille. Certaines femmes ont rapporté que leurs demandes pour une approche thérapeutique plus conservatrice n'ont pas été facilement acceptées par les praticiens : une femme a raconté qu'on lui avait dit "vous prenez une très mauvaise décision" lorsqu'elle a choisi de ne pas subir une mastectomie (participante 8). Par conséquent, certaines femmes ont demandé un deuxième avis et, dans certains cas, ont déclaré être heureuses de trouver une autre approche, avec un médecin qui, selon elles, était plus ouvert à la discussion de différentes options et disposé à prendre en compte les données sur le surdiagnostic ou les soins plus conservateurs.

Nos participantes, expliquent les auteurs, ont décrit des situations où elles avaient l'impression qu'on se moquait d'elles, qu'on les traitait comme "une folle" (participante 12), "négligentes... téméraires et arrogantes" (participante 1).
Une participante a rapporté s'être entendu dire qu'elle avait des "problèmes de gestion de la colère" par des personnes sur des forums Internet sur le cancer du sein, qui estimaient qu'il valait mieux "faire confiance au chirurgien, pas à Google" (participante 5).
"Au début, tout le monde me traitait comme une femme difficile parce que je disais que je ne voulais pas de mastectomie, que je voulais un suivi, s'il vous plaît, et qu'il fallait surveiller et voir si ça se développait ou non, parce que j'étais consciente du surdiagnostic et que je ne voulais pas de mastectomie si ce n'était pas absolument nécessaire" (participante 12).
"La clinicienne... était absolument furieuse que j'aie décidé de ne pas subir une mastectomie... elle m'a dit... quel genre d'absurdités avez-vous lues? Que faites-vous ?" (Participante 1)

Plusieurs participantes ont rencontré des réponses similaires lorsqu'elles se sont tournées vers des forums en ligne et des groupes de soutien pour le cancer du sein après s'être trouvées incapables d'avoir les conversations qu'elles souhaitaient avec des professionnels de la santé. Cependant, plutôt que de trouver du soutien, elles ont rapporté s'être senties incomprises et isolées lorsqu'elles ont exprimé leurs préoccupations concernant le surdiagnostic et le surtraitement.
Il est clair que la plupart des femmes se sont senties, à un moment ou à un autre, seules et isolées à cause de la remise en question de leur diagnostic et de leur traitement, et de leurs efforts pour informer d'autres femmes de la possibilité de surdiagnostic et de surtraitement.

Vivre dans l'inconnu

Il est apparu au cours des entretiens qu'un certain nombre de femmes avaient des sentiments de culpabilité et de regret plusieurs années après avoir reçu leur diagnostic et/ou leur traitement, en raison de leur connaissance du surdiagnostic et du surtraitement. Certaines participantes ont exprimé le regret de ne pas avoir été plus conscientes ou de ne pas avoir prêté plus d'attention à ce moment-là.
Elles ont exprimé des regrets pour des décisions prises antérieurement, comme le fait d'avoir passé une mammographie dès le départ.

Toutes les femmes ont mentionné une étape de leur parcours de diagnostic et de traitement au cours de laquelle elles ont eu le sentiment de ne pas avoir donné leur consentement éclairé ; certaines ont dit qu'elles ont réalisé rétrospectivement qu'elles avaient peut-être été effrayées et amenées à prendre des décisions qu'elles n'étaient pas prêtes à prendre. Certaines femmes pensent qu'on leur a refusé des informations cruciales pour permettre un consentement éclairé.
Tout au long des entretiens, les réflexions des femmes sur leurs expériences ont mis en évidence la nature épuisante et solitaire du travail à accomplir pour justifier les choix et les actions qu'elles avaient faits.
Certaines ont dit que, même si elles avaient subi l'intervention chirurgicale recommandée, rien ne les avait convaincues qu'elles en avaient eu vraiment besoin.
Plusieurs autres ont indiqué qu'elles étaient convaincues d'avoir pris les bonnes décisions en matière de gestion en choisissant de ne pas subir une mastectomie.
Beaucoup ont dit qu'elles se demanderont toujours si elles ont pris la bonne décision.

Effets ultérieurs sur la qualité de vie

Un certain nombre de femmes vivent avec des rappels physiques de leur expérience, tels que des douleurs "vraiment pénibles" (participante 4) au niveau des seins, des mutilations, des cicatrices, une anxiété exacerbée, des cordons lymphatiques ou les effets secondaires des médicaments et une "ménopause super chargée" précoce (participante 8) ; des impacts prolongés de cette situation sur leur qualité de vie.
Certaines ont mentionné le stress et le fardeau financier des factures et des rendez-vous médicaux, sans savoir si le cancer devait vraiment être découvert.

Suggestions pour les autres femmes

Il a été demandé à toutes les participantes, lorsqu'elles réfléchissaient à leur expérience personnelle, de donner des conseils sur la manière d'améliorer l'expérience pour d'autres femmes envisageant un dépistage du cancer du sein.

Les réponses se sont portées sur des facteurs individuels tels que la responsabilité du clinicien d'obtenir les préférences de la patiente et de leur donner la priorité, sur des facteurs liés au système de santé, notamment la création d'une opportunité de discussion adéquate sur les avantages et les inconvénients du dépistage avant le rendez-vous de dépistage, et sur des facteurs liés à la société, notamment l'influence d'un changement sociétal dans la façon de penser et d'étiqueter le cancer.

Principales conclusions

Cette étude internationale unique documente l'expérience d'un groupe soigneusement sélectionné de femmes ayant reçu un diagnostic de carcinome in situ ou de cancer du sein invasif.
Ces femmes ont toutes envisagé la possibilité qu'elles aient pu être victimes d'un surdiagnostic de cancer du sein.
Certaines ont estimé avoir été victimes d'un surtraitement et d'autres ont pris des mesures pour éviter le surtraitement.
Notre étude, concluent les auteurs, montre comment le fait d'apprendre l'existence d'un surdiagnostic après un diagnostic de cancer du sein a un impact profond sur l'image que ces femmes ont d'elles-mêmes, sur leurs interactions avec les professionnels de la santé et, pour certaines, sur les profonds remords qu'elles éprouvent à l'égard de leurs décisions et actions passées.
Beaucoup étaient mal à l'aise à l'idée d'être traitées comme des malades du cancer alors qu'elles ne se sentaient pas "malades" et de se voir recommander des traitements qui semblaient excessifs par rapport au diagnostic posé.
Certaines ont éprouvé de la colère à l'idée que des informations essentielles n'étaient pas facilement accessibles et ont eu le sentiment de ne pas avoir reçu un tableau complet du surdiagnostic avant de passer une mammographie de dépistage.
Les résultats soulignent la solitude de cette expérience, les femmes interrogées dans le cadre de cette étude ne disposant que de peu de soutien ou de réconfort.
En décrivant l'expérience de femmes qui s'identifient comme ayant un cancer potentiellement surdiagnostiqué, cette étude - qui illustre les préjudices psychosociaux de l'apprentissage du surdiagnostic après un diagnostic de cancer du sein - apporte une contribution importante à la littérature et à la pratique clinique.

Points forts et limites par rapport à d'autres études

Les auteurs expliquent : Nous savons, grâce à un ensemble substantiel de preuves épidémiologiques, qu'un grand nombre de femmes pourraient être lésées par le surdiagnostic au niveau de la population, mais il s'agit, à notre connaissance, de la première étude à documenter la manière dont les femmes sont personnellement affectées par la possibilité que leur diagnostic détecté par dépistage puisse représenter un surdiagnostic et/ou un surtraitement.
Les récits des femmes montrent l'impact psychosocial négatif significatif de la conscience du surdiagnostic dans le contexte du cancer du sein détecté par dépistage, en particulier lorsqu'elles n'ont pas été prévenues du risque.
Les résultats sont pertinents pour toutes les femmes qui envisagent de participer ou participent à des programmes de dépistage du cancer du sein, leurs cliniciens et les décideurs politiques.

Avec le temps, il est probable que ces questions deviendront saillantes pour un plus grand nombre de femmes, à mesure que la communauté se familiarisera avec le risque de surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein.
Les recherches biologiques futures permettront peut-être de déterminer avec plus de précision le pronostic des cancers du sein détectés par dépistage.
Il est important de réfléchir à la meilleure façon d'informer les individus sur le risque de surdiagnostic lors de la mise en place de programmes de dépistage.

En attendant, répètent les auteurs, nous recommandons de réfléchir à la manière de mieux informer les femmes sur la possibilité de surdiagnostic avant qu'elles ne subissent une mammographie de dépistage, afin d'éviter la détresse des femmes qui sont surdiagnostiquées et le découvrent plus tard.


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Et si on changeait de vocabulaire ?

31 mai 2022

https://philarchive.org/archive/LARCDS

L'article ici défend que le phénomène de surdiagnostic est lié à la fois à notre connaissance grandissante du cancer, au fait que ces nouvelles connaissances causent des biais dans les processus de dépistage qui sont conduits en vue de trouver un cancer, mais aussi à notre approche du cancer et au vocabulaire médical associé.

Deux types de cancer ont été retenus par les auteurs comme particulièrement exemplaires : le cancer papillaire de la thyroïde et le carcinome in situ du sein.

Au début il convient de s'accorder sur ce que nous considérons comme maladie, l’autrice (étudiante au baccalauréat en philosophie (Université de Montréal)) propose une définition de dysfonction qui, pour être préjudiciable, doit l’être autant pour le patient qu'être considérée comme telle par la communauté scientifique faisant autorité.

Rappel du surdiagnostic

La définition du surdiagnostic est, rappelons-le, la découverte d'une anomalie qui, si elle n'avait jamais été décelée, n'aurait entraîné aucun dommage pour le patient. C'est une découverte inutile mais qui va entraîner injustement le patient vers une cascade d'examens supplémentaires et de procédures thérapeutiques dont il aurait pu se passer et qui, en plus, peuvent lui apporter des dommages que la non-découverte n'aurait jamais occasionnés.

De nombreuses causes sont à la source de surdiagnostics :

  • Les taux plus élevés d’examens (fréquence ou utilisation accrues de tests dans des groupes à faible risque de maladie),
  • La sensibilité accrue des tests dont nous disposons et le désir du médecin ou du patient de ne pas échapper à un diagnostic,
  • La définition plus élargie des pathologies (abaissement des seuils biologiques auxquels on décrète un diabète ou un taux de cholestérol pathologique, ou un état d'hypertension artérielle).
  • Les incitatifs financiers (p. ex. rémunérations versées aux médecins pour remplir des objectifs de santé publique ; et actuellement projets de rémunérations des patients se soumettant à un dépistage; à ce propos lire : https://cancer-rose.fr/2022/01/11/incitations-financieres-pour-le-depistage/    

 Il devient donc important de questionner la pertinence des soins prodigués, puisque le surtraitement est une conséquence très fâcheuse de tout surdiagnostic.

Les solutions envisagées

1° Information et décision partagée

L'autrice écrit :

"L’approche par prise de décision partagée (PDP) est cohérente avec une approche hybride de la santé et de la maladie, puisqu’elle permet d’identifier à la fois les inquiétudes du médecin traitant, soutenues par les évidences médicales, et les préférences, craintes et valeurs du patient. L’approche par prise de décision partagée nous semble être une approche à privilégier puisqu’elle valorise non seulement l’autonomie du patient, mais aussi un consentement éclairé."

Nous en parlons depuis longtemps, ici : https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/
et ici : https://cancer-rose.fr/2019/06/04/pourquoi-il-faut-prendre-dabord-une-decision-eclairee-avant-de-recourir-au-depistage/

La décision partagée avec prise en compte des préférences des patients fait partie du trépied de la médecine basée sur les preuves. Nous évoquions cette notion ici : https://cancer-rose.fr/2021/05/22/prevention-quaternaire/
C'est une vision moderne de la médecine, éloignée d'un paternalisme médical qui confisque la décision éclairée au patient. Elle débouche sur la création d'outils d'aide à la décision qui permettent une schématisation de la balance bénéfices-risques d'une procédure de santé de façon plus accessible pour tout patient, quel que soit son degré d'éducation et de littératie en santé.

L'autrice ajoute encore à ce propos : "Il y a lieu d’envisager la possibilité d’un surdiagnostic dans la prise de décisions cliniques avant de prescrire un examen de dépistage ou de diagnostic, et il importe de communiquer la possibilité d’un surdiagnostic dans la prise de décisions conjointe avant que les personnes s’engagent dans une cascade de dépistages.....
Une étude américaine (Rogers, W. A. (2019), “Analyzing the ethics of breast cancer overdiagnosis: a pathogenic vulnerability”, p. 135) faite auprès de 300 femmes ayant été invitées à faire une mammographie a indiqué que seules 8,4% de ces femmes ont été informées de la possibilité d’un surdiagnostic, alors que 80% d’entre elles avaient explicitement demandé à leur médecin d’obtenir toutes les informations nécessaires".

Un autre moyen de limiter le surdiagnostic et de décourager les tendances à la recherche effrénée de lésions dans des examens de routine demandés à des patients asymptomtiques, est :

2° La modification du vocabulaire autour du cancer

 a) le cancer de la thyroïde

L'avènement de l'échographie thyroïdienne prescrite en masse a largement favorisé la sur-détection de petits cancers papillaires peu agressifs, mais qui, une fois découverts, n'échappaient pas à la chirurgie. Le surdiagnostic pour ces lésions est massif ; lire : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
On constatait alors la très forte hausse du nombre de petits cancers papillaires de la thyroïde (forme la plus fréquente et la moins dangereuse), et ce depuis les années 80-90.

Le préjudice psychologique du simple mot "cancer" dans ce contexte ne doit pas être sous-estimé, explique l'autrice.
Dans le cas du cancer de la thyroïde la modification du vocabulaire médical pour classer ces microcarcinomes papillaires simplement comme « lésions micropapillaires peu évolutives », est une modification qui encourage davantage une surveillance de ces lésions plutôt que le recours immédiat à une chirurgie mutilante, excessive et définitive. En effet jusqu'à présent la majorité des patients subissaient une thyroïdectomie plus ou moins complète, alors qu'on s'oriente davantage actuellement vers ce qu'on appelle la "surveillance active"pour certaines lésions dont on sait leur faible pouvoir évolutif.
"Lors d’une étude conduite en 2016 (Nikiforov, Y. E. et al. (2016), “Nomenclature Revision for Encapsulated Follicular Variant of Papillary Thyroid Carcinoma: A Paradigm Shift to Reduce Overtreatment of Indolent Tumors”, p. 1023.)" explique l'autrice,  "la refonte du vocabulaire médical lié au diagnostic du cancer de la thyroïde a permis aux patients participants d’éviter d’importantes conséquences du surdiagnostic. En effet, en recatégorisant les microcarcinomes papillaires comme "néoplasme thyroïdien folliculaire non invasif avec des caractéristiques nucléaires papillaires (NTFNIP)", les patients ont pu éviter de devoir souscrire à des chirurgies invasives (thyroïdectomie complète) et à des traitements de radiothérapie."
Lire:https://stringfixer.com/fr/Noninvasive_follicular_thyroid_neoplasm_with_papillary_like_nuclear_features

Le processus de décision partagée apparaît d'autant plus important, afin de donner des explications nuancées au patient et lui laisser une marge de manoeuvre pour ses choix.

b) Le carcinome in situ du sein

Le carcinome in situ, lésion qui ne franchit pas la paroi du canal galactifère du sein, alimente de façon importante le surdiagnostic en matière du cancer du sein, et les conséquences sont importantes car ces lésions sont traitées comme des "vrais cancers" par chirurgie et radiothérapie. On sait que le traitement par chirurgie et radiothérapie des carcinomes in situ n'a pas réduit le taux des cancers invasifs.
Toutes les explications sont à trouver dans l'article dédié : https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

D'une part les programmes de dépistage nationaux donnent l'impression à une grande majorité de femmes que les mammographies à partir de 50 ans sont obligatoires, d'autre part les politiques de santé publique font la promotion de ces dispositifs de santé et contribuent à dramatiser le cancer du sein en alimentant la peur, souvent avec des slogans angoissants et coercitifs.

Comme pour la thyroïde, certains scientifiques estiment que le terme « carcinome » dans l’expression « carcinome in situ du sein» est trompeur et devrait être abandonné (Mulcahy N. Take Carcinoma Out of DCIS and Ease O Treatment. Jan 21, 2010. In : Medscape. [En ligne : https://www.medscape.com/viewarticle/715586]).

Ces « in situ », aussi appelés « stade 0 du cancer », ne sont pas menaçants pour les femmes dans leur très grande majorité. Ils ne sont même pas saisis dans le comptage des nouveaux cas de cancers dans les rapports épidémiologiques officiels. Pourtant, dans la pratique ils sont traités comme de véritables cancers (chirurgie doublée éventuellement de radiothérapie). Il y a donc un véritable décalage entre leur non-prise en compte officielle d’un côté et la façon dont ils sont vus et traités par les praticiens (oncologues et chirurgiens) de l’autre, alors que le carcinome in situ est un candidat possible pour la simple gestion par surveillance active.

c) le vocabulaire militaire dans le champ du cancer

Des métaphores guerrières sont souvent utilisées : " se battre contre un cancer", "vaincre le cancer", "succomber au cancer", "arsenal thérapeutique" " lutter et survivre au cancer", etc....
L'autrice dans sa thèse défend l'idée que la métaphore militaire réitère constamment la difficulté et la souffrance liées au cancer. Ces choix sémantiques contribuent à dramatiser le cancer et à encourager les méthodes de prévention drastiques conçues en vue de trouver un cancer, de l'identifier et de le détruire à tout prix et dans tous les cas, quoi qu'il en coûte, sans distinction entre les lésions indolentes ou agressives.

Pour les auteurs, cette rhétorique militaire contribue à une "culture de la peur", en diminuant la culture de la peur associée au cancer, autant de la part de la communauté scientifique que de la part des patients, il serait possible de tendre vers davantage de traitements de surveillance, et de mieux cibler les populations pour lesquelles des dépistages spécifiques sont bénéfiques.

Conclusion

Les patients ne sont pas des guerriers aux ordres d’un commandement supérieur que serait le corps médical et ses injonctions à toujours plus de dépistages.

La culture de la peur infligée aux populations par des slogans comme « chaque jour compte », « le cancer frappe à toutes les portes », ou « le dépistage précoce sauve la vie », au sophisme indigent, entraîne dans la société une sur-représentation du risque de contracter un cancer, une surestimation du bénéfice des dépistages avec une sous-estimation, voire même un recel volontaire des risques et inconvénients des dépistages systématiques, pourtant massifs, comme nous l’apprennent maintenant des données scientifiques récentes et mondiales, tout cela contribue à du surdiagnostic qui s'auto-alimente par un succès apparent de toujours plus de détection.

La sémantique militaire et les dénominations abusives de "cancers" pour des lésions ne mettant pas en danger la vie des personnes contribue à la fois à l'augmentation du niveau d'angoisse global de la société et au surdiagnostic, vrai fléau de la médecine post-moderne.

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Perturbation des dépistages durant la pandémie : des inconvénients ? Des avantages aussi

28 mai 2022,

Durant la pandémie Covid, des Cassandre de tout poil et des médias  de tous horizons ont lancé de terribles prévisions et avertissements selon lesquels les perturbations des programmes de dépistage des cancers entraîneraient un «tsunami» de cancers avancés du sein, de la prostate, du côlon, du col de l'utérus et des décès. 
Des oncologues ont fait courir des bruits terrifiants selon lesquels une diminution es dépistages du cancer pendant cette période de Covid-19 entraînerait des décès en masse. Cette prédiction est fortement remise en question par plusieurs scientifiques qui s'expriment dans divers medias scientifiques et dans cette publication d'auteurs australiens du 27 avril dernier, considérant même la période de cessation des dépistages comme une "expérimentation naturelle" pour enfin évaluer avec justesse les bénéfices et les inconvénients des soins de santé de routine.
Online early publication https://doi.org/10.17061/phrp32122208
https://www.phrp.com.au/wp-content/uploads/2022/04/PHRP32122208.pdf

Considérer les avantages potentiels, ainsi que les inconvénients, résultant de la perturbation des programmes de dépistages des cancers et d'autres services de santé à cause du COVID-19

Katy JL Bell a,b,f, Fiona F Stanaway b, Kirsten McCaffery a,b,c, Michael Shirley a and Stacy M Carter a,d,e
a  Wiser Healthcare Research Collaboration, Sydney, NSW, Australia
b  School of Public Health, Faculty of Medicine and Health, University of Sydney, NSW, Australia
c  Sydney Health Literacy Lab, Faculty of Medicine and Health, University of Sydney, NSW, Australia
d  Australian Centre for Health Engagement, Evidence and Values, University of Wollongong, NSW, Australia
e  School of Health and Society, University of Wollongong, NSW, Australia
f  Corresponding author. katy.bell@sydney.edu.au

Points clés

- La surmortalité mondiale enregistrée en 2020 a été attribuée à la COVID-19 ainsi qu'à d'autres causes. Le taux de mortalité a touché de manière disproportionnée les personnes les plus défavorisées et les plus marginalisées.

- Les réponses pandémiques visant à empêcher la propagation du COVID-19 auraient peut-être aussi contribué à éviter des décès dus à des causes autres que le COVID-19, notamment ceux résultant de diagnostics, d'examens et de traitements inutiles.

- La recherche examinant les avantages et les inconvénients liés à la perturbation des soins de santé causée par le COVID-19 pourrait aider les services de santé à fournir des soins de santé de telle sorte que pour les patients il en ressorte un maximum d'avantages pour leur santé avec un minimum d'exposition à des inconvénients.

Résumé

Depuis 2020, dans le monde entier on enregistre des centaines de milliers de décès en excès par rapport à ce qui était attendu.
Au cours de la pandémie de coronavirus 2019 (COVID-19) les priorités de recherche ont consisté à maîtriser la propagation de l'infection et à minimiser les pertes de vies humaines.
Toutefois, il sera peut-être possible de tirer des enseignements de la pandémie pour mettre en place un meilleur système de soins de santé, qui offre un maximum d'avantages pour la santé et le moins d’inconvénients possibles.

Jusqu'à présent, une attention particulière a été accordée aux bénéfices manqués, imputés à la récession des dépistages du cancer lors de la pandémie.
Mais une approche plus équilibrée consisterait à reconnaître que tous les services de santé présentent aussi des inconvénients potentiels.
Ainsi, nous pourrions être en mesure d'utiliser les "expériences naturelles" liées à la pandémie pour identifier les cas où la réduction d'un service de santé n'a pas été préjudiciable à la population, et même où la défection de certains services auront pu être bénéfiques.

Lire : une expérience naturelle au travers de la pandémie

Impact de la pandémie COVID-19

L'année 2020 a connu plus de 500 000 décès de plus que prévu, rien qu'aux États-Unis[1] et une augmentation des décès dans le monde entier.[2] Ces décès excédentaires à l'échelle mondiale peuvent être regroupés en trois catégories :

  • les décès identifiés comme étant liés à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19),
  • les décès liés à la CoVID-19 mais non identifiés en tant que tels,
  • les décès dus à d'autres causes.

    La cause la plus évidente de décès excédentaires est celle des personnes chez qui l'on a diagnostiqué la COVID-19.
    Cependant, il y a eu beaucoup plus de décès en excès en 2020 que ceux directement attribués au COVID-19.[3] Une cause moins évidente de décès en excès est la non-déclaration de cas en raison d'un sous-dépistage et d'un sous-diagnostic. En Australie par exemple, disent les auteurs, les décès en excès attribués à une 'pneumonie' à la fin mars et en avril 2020 suggèrent que certains décès réellement dus au COVID-19 ont été manqués au début de la pandémie, lorsque l'accès au dépistage était plus limité.[4]

La cause la moins apparente de décès excédentaires est celle des décès liés à la COVID-19 mais causés par les effets indirects de la pandémie, notamment par la perturbation massive des systèmes de santé.
Bien que l'Australie s'en sorte mieux que la plupart des pays en termes de décès dus au COVID-19 et à d'autres causes[5] [6], les auteurs estiment qu'il faut prendre ce constat au sérieux. Dans le monde, il y a encore beaucoup de souffrance pour les travailleurs de la santé de première ligne et pour tous ceux qui voient la pandémie se développer, et leur vie changer.
Il est préoccupant de constater que la pandémie a exacerbé les inégalités en matière de santé dues à des déterminants sociaux, la charge de la mortalité (causée directement et indirectement par le SRAS-CoV-2) frappant de manière disproportionnée les personnes les moins bien loties et les plus marginalisées sur le plan culturel et linguistique, y compris les personnes de couleur[7].
Il faut être conscient de ces causes de décès et redoubler d'efforts pour lutter contre les injustices structurelles, en s'attelant aux causes profondes des inégalités de santé qui perdurent et sont omniprésentes.

La pandémie a-t-elle pu aussi sauver des vies ?

Mais dans ce tableau certains changements imposés par la pandémie à la société ont pu peut-être sauver des vies.
Les décès évités pendant la pandémie seraient dus à des facteurs évidents et moins évidents. La diminution du nombre de décès dus à la grippe[8], à la pneumonie et à d'autres agents pathogènes respiratoires autres que le SRAS-CoV-2 est le facteur le plus flagrant et résulte très probablement des mesures de lutte contre la pandémie.[9]  [10]
La réduction de la pollution atmosphérique due aux mesures de confinement imposées par de nombreux pays est moins évidente, les modélisations suggérant que plus de 300 000 décès ont été évités rien qu'en Chine et en Europe.[11]

Et puis il y a le facteur le moins évident et le plus contre-intuitif, qui est la possibilité que des vies aient été sauvées grâce à un recours réduit à des soins de santé qui auraient autrement causé des préjudices.[12] Ces décès peuvent avoir été évités parce que certaines personnes ont évité des tests, des diagnostics et des traitements inutiles, et que le risque de dommages lié à ces interventions l'emporte sur le potentiel bénéfice.

Le bénéfice absolu apporté par les soins de santé augmente généralement avec la gravité de la maladie et parmi les populations dont le risque de base des personnes testées, diagnostiquées et traitées est plus élevé que dans la population générale- (par exemple, les bénéfices absolus des traitements hypotenseurs et hypocholestérolémiants sont plus élevés chez les personnes présentant un risque de base plus élevé que chez celles présentant un risque de base plus faible[13] [14]).
D'autre part, la probabilité d'un préjudice pourrait être plus ou moins constante en fonction des différents risques de base[15].

Ce que les auteurs souhaitent souligner est que les patients à faible risque d'une maladie retirent très peu de bénéfice d'être dépistés, et pourraient être davantage exposés aux préjudices des dépistages de routine, comme p.ex. les détection inutiles, ce qu'on appelle le surdiagnostic.

Au sein de la population, un très petit nombre avec un risque de mortalité élevé bénéficiera d'une recherche spécifique de maladie, aux dépens d'un grande majorité de personnes pour lesquelles cette recherche est inutile et délétère, car ces dernières risquent d'être diagnostiquées et traitées par exemple pour des lésions prénéoplasiques ou des cancers à faible risque, lésions qui auraient pu être ignorées.[16]

A l'inverse, au sein d'une population surveillée pour cancer (personnes faisant l'objet d'un suivi pour un nouveau cancer ou une récidive après le traitement d'un premier cancer primaire), une proportion plus importante de personnes peut avoir un haut risque de développer un cancer et bénéficier d'une détection précoce, ce qui aura pu leur manquer durant la pandémie (ainsi que l'accès normal aux services de santé et aux soins).

Avantages potentiels découlant des perturbations des soins de santé

De nombreuses recherches sur l'impact sanitaire des perturbations des soins de santé dues à la pandémie de COVID-19 se sont focalisées sur les conséquences négatives probables de l'absence de soins et sur les solutions possibles pour les atténuer.
Ces recherches ont principalement consisté en études de modélisation prévoyant les impacts potentiels de la réduction des services de santé sur les résultats cliniques futurs, tels que la mortalité par exemple.
(lire étude Grouvid : https://cancer-rose.fr/2020/11/11/pandemie-covid-19-et-prise-en-charge-des-cancers/).

Cependant, il faut reconnaître que tous les services de santé offerts aux patients (y compris les tests, les diagnostics et les traitements) présentent des inconvénients et des avantages potentiels pour la population, et on devrait logiquement, pour ce genre d'évaluation, inclure les deux types d'impacts cliniques dans ces études de modélisation, à savoir l'impact négatif autant que l'impact positif.
Par exemple, bien que l'on puisse s'attendre à ce que l’interruption du dépistage du cancer, comme la mammographie, et la réduction du dépistage du cancer de la prostate par le test de l'antigène prostatique spécifique (PSA) entraînent une diminution des avantages liés à la détection et au traitement plus précoces de ces cancers, il peut y avoir également une diminution des inconvénients imputables à ces dispositifs de santé[17] .

Et en effet, les tests de dépistage du cancer peuvent augmenter le risque de mortalité par différents moyens.[18] [19]
Il s'agit notamment :
* Des conséquences des tests invasifs nécessaires pour confirmer le diagnostic après un test de dépistage positif (par exemple un dosage PSA positif qui entraîne une biopsie prostatique, elle-même suivie d'une septicémie post-biopsie de la prostate)[20] [21];
* Des implications psychologiques liées à l'étiquette de "malade" pour la personne qui aura été testée positive (pour exemple, l'augmentation des taux d'infarctus du myocarde et de suicide après une annonce de détection de cancer de la prostate)[22] [23];
* Des conséquences du traitement des cancers surdiagnostiqués (par exemple, les décès dus aux complications chirurgicales et aux effets des radiations après le traitement d'un cancer du sein inutilement détecté).25,26 

De futures études de modélisation pourraient s'appuyer sur des preuves empiriques des avantages et des inconvénients des services de soins de santé comme les dépistages et de leurs perturbations, et s'appuyer aussi sur la mortalité et la morbidité globales ainsi que sur les résultats spécifiques aux maladies pour évaluer ces impacts différents.

En Australie expliquent les auteurs, on a estimé qu'avant la pandémie de COVID-19, le surdiagnostic du cancer - le préjudice le plus grave du dépistage du cancer - entraînait chaque année un surdiagnostic du cancer du sein chez environ 4000 femmes australiennes et un surdiagnostic du cancer de la prostate chez plus de 8 500 hommes australiens [27] .( https://cancer-rose.fr/2020/01/28/30-000-cancers-surdiagnostiques-par-an-dans-une-etude-australienne-un-enjeu-de-sante-publique/)

La réduction liée à la pandémie du nombre de personnes en bonne santé subissant ces tests et d'autres tests médicaux peut avoir entraîné une diminution du surdiagnostic et du surtraitement des cancers et d'autres maladies depuis 2020.

L'ampleur de ces variations est susceptible de varier entre les régions géographiques et en fonction de la perturbation des services de dépistage.
Elle sera quantifiable lorsque les données de 2020 et des années suivantes seront disponibles. Les diminutions observées refléteront à la fois les cancers manqués, pour lesquels une détection précoce aurait été bénéfique, et la réduction du surdiagnostic, pour lequel une détection précoce aurait été préjudiciable, mais il pourra être difficile de différencier les deux.

Des paramètres, tels que les marqueurs biologiques qui jaugent la gravité de la maladie et l'appréciation du risque parmi les diagnostics, peuvent indiquer dans quelle mesure le spectre de la maladie s'est déplacé en 2020[24] et depuis. Les récentes constatations de réductions proportionnellement plus importantes de l'utilisation des soins de santé parmi les personnes atteintes d'une maladie moins grave[25] soutiennent l'existence d'un tel déplacement du spectre des maladies.

La diminution observée des diagnostics de cancer dans les groupes d'âge où le dépistage n'est pas recommandé sur la base des données disponibles, mais qui était néanmoins fréquemment prescrit avant l'apparition de la pandémie (à cause de tests de routine effectués en dehors des recommandations p.ex.), peut également fournir une preuve indirecte de la diminution du surdiagnostic (par exemple, le dépistage du cancer de la prostate chez les hommes <55 ans ou >69 ans ; ou le dépistage du cancer du sein chez les femmes <40 ans ou >74 ans).[26]
En lien lire : https://cancer-rose.fr/2020/05/28/un-effet-secondaire-inattendu-de-lepidemie-covid-19/

Les enseignements tirés de cette "expérimentation naturelle"

Dans certains cas, il serait possible d'identifier là où peuvent se faire des réductions des soins de santé, en particulier pour des dispositifs de santé à faible valeur ajoutée (que ce soit des prescriptions systématiques de médicaments pour des populations à faible risque de maladie ou des prescriptions de dépistages non recommandés) , puisque ces réductions durant la pandémie n'ont pas été nuisibles dans l'ensemble, ou même ont été bénéfiques.
Les résultats ne devront pas être sur-interprétés, recommandent les auteurs, car les impacts à plus long terme doivent être aussi évalués et pris en compte au même titre que ceux à court terme.

Mais en tirant le maximum d'enseignements des aspects positifs et négatifs des " expériences naturelles " vécues au cours de la pandémie[27], les auteurs suggèrent qu'il serait ainsi possible de tendre vers une " nouvelle normalité " post-pandémique, où seraient privilégiés des services de soins de santé apportant un maximum d'avantages pour la santé des populations et des individus, et un minimum d'expositions à des dommages.[28] [29]


Références

[1] Woolf SH, Chapman DA, Sabo RT, Zimmerman EB. Excess deaths from COVID-19 and other causes in the US, March 1, 2020, to January 2, 2021. JAMA 2021:325(17):1786–9.

[2] Kontis V, Bennett JE, Rashid T, Parks RM, Pearson- Stuttard J, Guillot M, et al. Magnitude, demographics and dynamics of the effect of the first wave of the COVID-19 pandemic on all-cause mortality in 21 industrialized countries. Nat Med 2020: 26(12)1919–28.

[3] Fineberg HV. The toll of COVID-19. JAMA. 2020;324(15):1502–3.

[4] Australian Bureau of Statistics. Measuring excess mortality in Australia during the COVID-19 pandemic. Canberra: ABS; 2020

[5] Gregory G, Zhu L, Hayen A, Bell KJL, Learning from the pandemic: mortality trends and seasonality of deaths in Australia in 2020, Int J Epidemiol. 2022;dyac032.

[6] Stanaway F, Irwig LM, Teixeira-Pinto A, Bell KJL. COVID-19: estimated number of deaths if Australia had experienced a similar outbreak to England and Wales. Med J Aust. 2021;214:95-95.e1.

[7] Marmot M, Allen J. COVID-19: exposing and amplifying inequalities. J Epidemiol Community Health. 2020;74:681–2.

[8] World Health Organization. Influenza update N° 379. Geneva: WHO; Oct 2020 [Cited 2021 April 09]. Available from: www.who.int/publications/m/item/influenza- update-n-379

[9] Gregory G, Zhu L, Hayen A, Bell KJL, Learning from the pandemic: mortality trends and seasonality of deaths in Australia in 2020, Int J Epidemiol. 2022;dyac032.

[10] Olsen SJ, Azziz-Baumgartner E, Budd AP, Brammer L, Sullivan S, Pineda RF, et al. Decreased influenza activity during the COVID-19 pandemic - United States, Australia, Chile, and South Africa, 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020;69:1305–9.

[11] Giani P, Castruccio S, Anav A, Howard D, Hu W, Crippa P. Short-term and long-term health impacts of air pollution reductions from COVID-19 lockdowns in China and Europe: a modelling study. Lancet Planet Health. 2020;4:e474–82.

[12] Moynihan R, Johansson M, Maybee A, Lang E, Légaré F. Covid-19: an opportunity to reduce unnecessary healthcare. BMJ. 2020;370:m2752.

[13] Cholesterol Treatment Trialists Collaboration. The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. Lancet. 2012;380:581–90

[14] Blood Pressure Lowering Treatment Trialists Collaboration. Blood pressure-lowering treatment based on cardiovascular risk: a meta-analysis of individual patient data. Lancet. 2014;384:591–98.

[15] Glasziou PP, Irwig LM. An evidence based approach to individualising treatment. BMJ. 1995;311:1356.

[16] Srivastava S, Koay EJ, Borowsky AD, De Marzo AM, Ghosh S, Wagner PD, et al. Cancer overdiagnosis: a biological challenge and clinical dilemma. Nat Rev Cancer. 2019;19:349–58.

[17] Jacklyn G, Bell K, Hayen A. Assessing the efficacy of cancer screening. Public Health Res Pract. 2017;27:2731727.

[18] Black WC, Haggstrom DA, Gilbert Welch H. All-cause mortality in randomized trials of cancer screening. J Natl Cancer Inst. 2002;94:167–73.

[19] Prasad V, Lenzer J, Newman DH. Why cancer screening has never been shown to “save lives” – and what we can do about it. BMJ. 2016;352:h6080.

[20] Loeb S, Carter HB, Berndt SI, Ricker W, Schaeffer EM. Complications after prostate biopsy: data from SEER- Medicare. J Urol. 2011;186:1830–4.

[21] Gallina A, Suardi N, Montorsi F, Capitanio U, Jeldres C, Saad F, et al. Mortality at 120 days after prostatic biopsy: A population-based study of 22,175 men. Int J Cancer. 2008;123:647–52.

[22] Fang F, Keating NL, Mucci LA, Adami H-O, Stampfer MJ, Valdimarsdóttir U, et al. Immediate risk of suicide and cardiovascular death after a prostate cancer diagnosis: cohort study in the United States. J Natl Cancer Inst. 2010;102:307–14.

[23] Smith DP, Calopedos R, Bang A, Yu XQ, Egger S, Chambers S, et al. Increased risk of suicide in New South Wales men with prostate cancer: Analysis of linked population-wide data. PLoS One. 2018;13:e0198679.

[24] Srivastava S, Koay EJ, Borowsky AD, De Marzo AM, Ghosh S, Wagner PD, et al. Cancer overdiagnosis: a biological challenge and clinical dilemma. Nat Rev Cancer. 2019;19:349–58.

[25] Moynihan R, Sanders S, Michaleff ZA, Scott AM, Clark J, To EJ, et al. Impact of COVID-19 pandemic on utilisation of healthcare services: a systematic review. BMJ Open. 2021;11:e045343.

[26] Kerr EA, Klamerus ML, Markovitz AA, Sussman JB, Bernstein SJ, Caverly TJ, et al. Identifying recommendations for stopping or scaling back unnecessary routine services in primary care. JAMA Intern Med. 2020;180:1500–8.

[27] Moynihan R, Johansson M, Maybee A, Lang E, Légaré F. Covid-19: an opportunity to reduce unnecessary healthcare. BMJ. 2020;370:m2752.

[28] Sorenson C, Japinga M, Crook H, McClellan M. Building a better health care system post-Covid-19: steps for reducing low-value and wasteful care. NEJM Catal Innov Care Deliv. 2020. Available from: https://catalyst.nejm.org/ doi/full/10.1056/CAT.20.0368

[29] Auener S, Kroon D, Wackers E, Dulmen Sv, Jeurissen P. COVID-19: A window of opportunity for positive healthcare reforms. Int J Health Policy Manag. 2020;9:419–22.


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Le surdiagnostic : La pandémie silencieuse de l’Occident ?

25 mai 2022

Achilleas Koumpos-Fanourios Perros-Department of History and Philosophy of Science, National and Kapodistrian University of Athens, Athens, Greece-Public Health and Toxicology. 2022;2(1):4. doi:10.18332/pht/145733.
http://www.publichealthtoxicology.com/Overdiagnosis-The-silent-pandemic-of-the-West-,145733,0,2.html

Public Health and Toxicology  est une revue en libre accès évaluée par des pairs, dans laquelle s'expriment cette fois des auteurs du département d'histoire et de philosophie des sciences de l'université d'Athènes ; ils nous livrent leurs considérations sur le surdiagnostic, une épidémie, selon eux, dans les pays industrialisés.

Nous allons restituer, traduits, les propos majeurs des auteurs.

Résumé

Un phénomène intense et répandu des sociétés occidentales modernes est le recours à la médecine préventive afin de se maintenir en bonne santé. Bien que cela semble très logique et puisse avoir une base scientifique solide, puisque ceci reflète les recommandations de la communauté médicale, diverses questions qui nécessitent une plus grande attention se posent à ce sujet.
Des questions seront abordées dans cet article comme: " qu'est-ce qu'une bonne santé ? ", " qu'est-ce qu'un problème médical ? ", " que recherchons-nous exactement lors des examens médicaux ? ", et " quelle est la relation entre la médecine, et la société et ses pratiques ? "

Introduction

Dans son ouvrage intitulé "Less Medicine, More Health" (moins de médecine, plus de santé), le célèbre médecin et auteur Welch[1] affirme que "plus nos technologies de diagnostic sont capables de détecter des anomalies minimes au niveau de l'anatomie, de la physiologie, de la biochimie et du génome, plus les détections inattendues se multiplient, ce qui n’est pas si étonnant".

Cette augmentation de la capacité diagnostique de nos techniques s'accompagne d'un recours de plus en plus fréquent à des examens préventifs chez des personnes qui ne sont pas forcément malades dans les faits, mais qui, dans ce contexte, sont "potentiellement" malades. Avec une rhétorique bien développée sur le maintien de la santé et l'utilisation systématique des statistiques, une partie de la population finit par devenir "potentiellement" malade. Parallèlement, dans de nombreux cas, les données et les images obtenues avec diverses techniques ne sont pas suffisamment claires dans ce qu'elles reflètent du phénomène complexe et multifactoriel qu'est la vie.

Commentaires

La pratique médicale

Selon Hippocrate, "mieux vaut prévenir que guérir", mais la réalité médicale actuelle n'a pas grand-chose à voir avec celle de l'époque d'Hippocrate. Si tel était le cas, la "théorie humorale" hippocratique et les traitements hippocratiques tels que les saignées, les purges et les laxatifs seraient encore utilisés pour traiter toutes les maladies humaines. Le principal agent pathogène de la médecine hippocratique était considéré comme la perturbation de l'équilibre entre l'homme et son environnement naturel mais aussi avec sa biotique quotidienne correspondante (alimentation et habitudes)[2].

En améliorant le mode de vie et l'alimentation, c'est-à-dire l'interaction avec l'environnement dans lequel il vit, l’humain préviendrait les maladies qui sont l'expression de cette mauvaise relation avec son environnement. L'approche hippocratique de la maladie était l'expression des perceptions et pratiques sociales de son époque.
Depuis lors, la vision de la maladie, en tant que telle, a changé. Son approche est aujourd'hui plus technique, reflétant l'orientation technologique des sociétés modernes ainsi que son intégration dans le modèle productif dominant. Dans ce contexte, pour maintenir une bonne santé et dans l'espoir de prolonger l’espérance de vie, les examens préventifs ont augmenté de façon spectaculaire.

Le danger de la découverte fortuite

Finalement, lorsque l'on découvre quelque chose, il est très difficile d'arrêter de chercher, ce qui conduit inévitablement à traiter et à surtraiter. Et là commencent les véritables dangers, car un traitement inutile peut nous nuire. Le surdiagnostic inclut des causes telles que l'hypertension légère, l'autisme, la ménopause, l'ostéoporose, le diabète de type II, le cancer et le contrôle des gènes. En ce qui concerne les maladies psychiatriques, nous rencontrons les mêmes problèmes, voire des problèmes plus importants, car les médecins rajoutent continuellement de nouvelles maladies à la panoplie de traitements.

Définition

Selon la définition, le surdiagnostic se produit lorsque des individus sont diagnostiqués avec des conditions qui ne provoqueront jamais de symptômes ou de décès[3]. On pourrait également affirmer que le surtraitement est un effet secondaire de la précision des méthodes de diagnostic. Les possibilités et la précision des méthodes de diagnostic se sont considérablement améliorées au cours des dernières décennies et ont ouvert de nouvelles perspectives à la médecine.  Les nouvelles méthodes de représentation de la santé, associées à la manière dont le patient se présente, apportent une assurance et une sécurité sans précédent au travail du médecin ( et à son autorité).

La "passion du diagnostic"

Mais qu'est-ce qui est exactement représenté ? Quel est le rapport entre la représentation et l'état fonctionnel réel du "patient" potentiel ? A quelles normes et conditions cette représentation est-elle comparée ? Dans la médecine moderne, nous ne nous concentrons pas sur un seul symptôme, mais effectuons des examens supplémentaires minutieux sur d’autres en l'absence de toute forme d'association entre ce symptôme et les autres systèmes. C'est ce qu'on appelle la "passion du diagnostic", un phénomène médical qui touche surtout les jeunes médecins. Il s'agit essentiellement de la peur de ne pas accorder suffisamment d'attention à une situation et de perdre son patient.

Malheureusement, à l'époque des capacités technologiques particulièrement accrues en matière d'imagerie et de contrôles biochimiques, la passion diagnostique ( ex : le diagnostic précoce par des examens de routine) se répercute également sur les personnes qui ne présentent pas de symptômes et qui ont tout simplement peur de les ressentir à l'avenir. On peut se poser les questions suivantes : que représente exactement cette imagerie avec ces techniques de diagnostic ; par rapport à quoi cette imagerie doit-elle être comparée ? La passion du diagnostic transforme progressivement l'individu en patient. Combien de personnes sont prêtes à subir un traitement qui ne leur sera d'aucune utilité, mais qui pourra aussi mettre leur vie en danger ?

Un exemple

Prenons un cas nous permettant de comprendre que la médecine ne dit pas toute la vérité. Le cholestérol est l'exemple le plus approprié, probablement parce que de nos jours, les "statines" ne sont pas seulement des simples médicaments, mais un mode de vie.
Dans la huitième édition de la "pathologie de Harrison" en 1977 (sorte de Bible de la médecine interne), la limite normale du cholestérol était de 300 mg/dL et seulement ceux qui la dépassaient devaient suivre un traitement.
Progressivement, en ajoutant des facteurs de risque (hypertension, tabagisme, coronaropathie), avec la distinction du cholestérol en bon et mauvais, avec la pléthore d'investigations et les avis des spécialistes, la limite normale du cholestérol est descendue à 200 mg/dL. Qu'est-ce qu'a signifié exactement la réduction du seuil de cholestérol de 240 à 200 mg/dL ? Eh bien cela a eu pour effet de transformer 42 millions d'Américains dans des clients potentiels[4]. Les grands gagnants sont les sociétés pharmaceutiques. À lui seul, le Lipitor (la statine la plus connue), représentait pour le laboratoire (Pfizer) un chiffre d'affaires annuel de 15 milliards de dollars US, il s’agissait de la formulation abusive la plus réussie de tous les temps[5].(Le Lipitor a perdu son brevet en 2011, ndlr)

Big Science

La manière dont la science est exercée dans le domaine des biotechnologies et par les entreprises pharmaceutiques au cours des deux ou trois dernières décennies correspond au plus près de ce qui est appelé par les auteurs « Big Science »[6].
Les grands financements impliquant les gouvernements des États et les grandes politiques, où la protection des intérêts des entreprises et des pays est une véritable stratégie, constituent la Big Science.

Mais les experts commettent aussi des erreurs, délibérément ou non.

Par exemple, en reprenant l'exemple du cholestérol, jusqu'en 1998, la limite du cholestérol normal était de 240 mg/dL. Puis une étude [7] a constaté que ceux qui présentaient un taux de cholestérol entre 228 et 184 mg/dL avaient moins de risque d'épisode coronarien aigu. Sur une période de cinq ans, 5% des patients qui n'ont pas reçu de statines ont eu un épisode cardiaque, contre 3% des patients sous statines.
En effet, il s'agissait d'une réduction de 40 % des épisodes coronariens pour les personnes prenant des statines. Mais ce n'est que la moitié de la vérité. L'autre moitié est la suivante : le bénéfice n'est que de 2 % (5 % - 3 % = 2 %), ce qui signifie que sur 100 patients prenant des statines, seuls deux en bénéficieront et les 98 autres n'en bénéficieront pas[8].
Et il faut également prendre en considération les risques des effets secondaires des médicaments, au temps passé pour les prescrire, au coût, etc.
Un médecin, par crainte d'un mauvais diagnostic ou en raison d' intérêts financiers avec une entreprise pharmaceutique, peut recommander le traitement au patient. Pour autant, il ne lui aura fourni que la moitié de la vérité.

Le problème supplémentaire c'est que l'artifice des statistiques est facilement communiqué au grand public par des journalistes ou des "spécialistes" qui expliquent au public que tel ou tel médicament, ou tel ou tel traitement, réduit d'environ 40 % les complications ou améliore la santé. Bien entendu, ils ne mentionnent rien de la multitude de personnes qui doivent subir le traitement pour qu'un patient, et un seul, puisse en bénéficier (ce qu'on appelle le NST, ou nombre de sujets à traiter (Number Needed to Treat NNT en anglais) pour qu'une personne puisse bénéficier du traitement).

Ce qu'il est essentiel de comprendre, c'est qu'un taux élevé de cholestérol total n'est pas un "problème de santé" nécessitant un traitement, mais un facteur de risque parmi d'autres qui augmente les risques de maladie cardiaque ou d'accident vasculaire cérébral. Après tout, le phénomène de la vie - et la question de la santé qui s'inscrit dans le phénomène de la vie - est multifactoriel et à plusieurs niveaux ; il ne semble pas être caractérisé par des liens de causalité immédiats et directs, mais plutôt par des dynamiques probabilistes correspondantes.

Le surdiagnostic en médecine.

Nous ne pensons pas que la médecine moderne est totalement « bonne », disent les auteurs. Selon eux, si nous ne sommes pas vigilants, la médecine peut nous être préjudiciable. Aujourd'hui, des scientifiques et des chercheurs indépendants mettent en lumière l'énorme problème du surdiagnostic, qui a commencé à frapper les sociétés depuis les années 1970 comme une pandémie silencieuse. Le surdiagnostic, en tant que partie intégrante de la "médicalisation" généralisée de la vie, cible les personnes en bonne santé et asymptomatiques, qui, sous prétexte de risques (qui se produiront inévitablement à un moment donné dans le futur), devront se soumettre à des examens médicaux.

Les examens complémentaires de diagnostic conduisent à leur tour à des interventions qui « soignent » généralement quelque chose qui n'aurait jamais provoqué de symptômes ou de décès. Nous savons aujourd'hui que 60 % des hommes de plus de 80 ans sont atteints du cancer de la prostate mais mourront d'une autre cause[9] [10]. Nous constatons également, expliquent les auteurs, qu'en Occident, les taux de cancer de la thyroïde, de mélanome et de cancer du sein ont augmenté, alors que les décès dus à ces cancers sont restés relativement stables par rapport à 1975[11]. La Fig 1 compare le taux d'incidence du cancer du sein chez la femme et du cancer de la prostate chez l'homme.

Dans les graphiques du haut, on peut voir qu'il y a eu une augmentation de l'incidence et une légère réduction des décès liés au cancer (mortalité). Alors que dans les graphiques du bas, on peut voir que l'augmentation des diagnostics coïncide avec la diffusion de la mammographie et du test de l'antigène prostatique (PSA) (zone colorée). Ce phénomène peut s'expliquer de deux manières : soit il y a eu une véritable augmentation des cancers, soit il y a eu un surdiagnostic. Or, la stabilité du cancer du sein métastatique plaide en faveur du surdiagnostic.
En fait, nous n'avons pas une véritable augmentation des cas de cancer mais plutôt des surdiagnostics. Le même schéma se répète pour presque tous les cancers. L'augmentation des nouveaux diagnostics de cancer est due à un dépistage meilleur et plus précis (c'est à dire les biotechnologies avancées), à la médecine défensive * et à l'amélioration de nos capacités financières. Cette augmentation du nombre de détections est également due au fait que nous demandons davantage de soins par le biais d'examens et, enfin, due à notre peur du lendemain.
*(ndlr : médecine défensive fait référence à la pratique consistant à recommander un test diagnostique ou un traitement médical qui n'est pas nécessairement la meilleure option pour le patient, mais qui sert principalement à protéger le médecin contre le patient en tant que demandeur potentiel) 

Mais si nous considérons que pendant environ 65 ans de notre vie, nous serons en bonne santé (années de vie en bonne santé - Eurostat), ce qui représente environ 81 % de l'espérance de vie, alors nous n'avons aucune raison de céder à nos peurs et de nous précipiter chez les médecins, dans les centres de diagnostic et les hôpitaux en absence de signes ou de symptômes.

L'information

Si nous avons des symptômes, c'est que nous avons donc un problème - c'est du bon sens.

Mais si les médecins insistent pour que nous fassions des tests préventifs/diagnostiques alors que nous n'avons rien, ils doivent alors expliquer les risques et les complications d'un test préventif/diagnostique (test de dépistage).
Si les médecins n'informent pas correctement et méthodiquement les patients sur les problèmes du surdiagnostic, alors, il y aura de la place pour le désaccord, et un besoin de critiques, et il semblera logique que la société se tourne vers la médecine alternative et alimente toutes sortes de négativité et de scepticisme. La confiance de la société dans la communauté médicale est ébranlée. La crédibilité de la science est mise à mal.

"Moins de médecine, plus de santé ", les choses semblent aller dans ce sens, même si les entreprises pharmaceutiques (avec 500 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an) mènent une bataille acharnée pour amoindrir notre rôle, et pour que nous ayons moins de pouvoir (sur notre santé).

Conclusion

La vraie médecine, la bonne médecine, est celle de la "médecine des signes et des symptômes", de la vaccination des enfants, et non la "médecine de laboratoire", disent les auteurs.

Pourtant, cette "bonne" médecine n'est pas aussi lucrative que la seconde,  qui est une médecine diagnostique aveugle en l'absence de symptômes, de traitements qui ne guérissent que des valeurs supérieures à des seuils, d'interventions qui sont promues par les industries qui vendent les robots et les machines, autrement dit la médecine de la "peur et du profit".
Aujourd'hui, la médecine lucrative est celle qui vend de la santé comme un produit, expliquent les auteurs, ou plus précisément, qui vend la fragilisation normale du corps qui survient inévitablement avec le temps.
Elle vend une fragilisation normale, disent-ils, après l'avoir d'abord "définie" comme une maladie. Ainsi, cette médecine ne se soucie que du profit, et non pas, comme elle l'invoque, des emplois qu'elle offrirait et de sa contribution à la réduction du taux de chômage, même si les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques utilisent cet argument. L'amélioration de la santé de la population et la réduction du chômage sont deux objectifs différents, et ils doivent être traités de manière différente, à l'aide d'interventions diverses. Le but de développement commercial ne sanctifie pas les formulations pharmaceutiques ou les machines médicales, comme un « oxymètre domestique ».

Bien sûr, nous ne devons pas éviter les médecins lorsque nous sommes malades.
Le problème du surdiagnostic commence avec ce que nous faisons quand nous sommes sains, et dans quelle mesure nous nous exposons à des risques en recherchant des choses, alors que nous sommes asymptomatiques. La recherche d'une maladie cachée ne nous expose-t-elle pas à un plus grand risque, puisque de nombreuses "maladies" ne sont pas destinées à nous nuire ?

Le jeu aveugle des probabilités, qui est le jeu du diagnostic précoce, doit-il être remplacé par ce que nous pouvons faire activement, comme arrêter les mauvaises habitudes, par exemple arrêter de fumer, adopter une meilleure alimentation, commencer à faire de l'exercice, maintenir un poids normal, ou éviter les comportements à risque (excès de vitesse au volant), etc.
(ndlr : On estime que s'il n'y avait eu aucune réduction du tabagisme, il n'y aurait eu pratiquement aucune réduction de la mortalité globale par cancer, ni chez les hommes ni chez les femmes, depuis le début des années 1990.)

Pour les auteurs, le plus grand problème de la médecine moderne, avec ses ramifications philosophiques, scientifiques, individuelles (mentales), sociales, éthiques, légales et économiques, c'est le surdiagnostic.

Références


[1] Welch G. Less Medicine, More Health: 7 Assumptions That Drive Too Much Medical Care. Beacon Press; 2015.

[2] Vegetti M. History of Ancient Philosophy. Travlos Publications; 2003.

[3] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2012.

[4] Schwartz LM, Woloshin S. Changing disease definitions: implications for disease prevalence. Analysis of the Third National Health and Nutrition Examination Survey, 1988-1994. Eff Clin Pract. 1999;2(2):76-85.

[5] Moynihan R, Cassels A. Selling Sickness. Allen & Unwin; 2005.

[6] Capshew JH, Rader KA. Big Science: Price to the Present. Osiris. 1992;7:3-25.

[7] Downs J, Clearfield M, Weis S, et al. Primary Prevention of Averestatin In Men and Women With Average Cholesterol Levels. JAMA. 1998;279(20):1615-1622. doi:10.1001/jama.279.20.1615

[8] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2011.

[9] Welch G. Less Medicine, More Health: 7 Assumptions That Drive Too Much Medical Care. Beacon Press; 2015.

[10] Welch G. Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health. Beacon Press; 2011.

[11] Carroll AE. The High Costs of Unnecessary Care. JAMA. 2017;318(18):1748-1749. doi:10.1001/jama.2017.16193


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Congrès Preventing Overdiagnosis, Calgary 8-12 juin 2022

Comme tous les ans, le congrès international sur la surmédicalisation a eu lieu, cette fois en présentiel à Calgary, avec la participation de Cancer Rose.

Précédentes participations

Présentations
Abstracts
Posters
On en parle
Photos
Edito BMJ

Précédentes participations

Congrès Preventing Overdiagnosis Sydney 5-7 décembre 2019

Congrès "Preventing Overdiagnosis" Copenhague 2018

Congrès 2022, Calgary

https://www.preventingoverdiagnosis.net/2022/Documents/DraftProgramme_2022.pdf

Présentations

Dr Jean Doubovetzky, rédacteur senior à la revue indépendante Prescrire, et auteur du blog AntiDrKnock a proposé, le 10 juin, une présentation sur les effets néfastes non visibles du dépistage, "Under the radar: unnoticed harms of breast cancer screening".

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Dr C.Bour est intervenue le 11 juin dans le cadre d'un panel discutant des "messages promotionnels par rapport aux messages neutres – impact sur les décisions individuelles de dépistage du cancer du sein lorsque l'information est supprimée".

Voici la présentation en anglais :

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Voici la présentation en français

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Elle relate la situation en France, depuis la concertation citoyenne jusqu'à la réponse des autorités sanitaires avec la censure du débat par l'Institut National du Cancer par la publication de sa page "éclairages", rangeant la controverse scientifique sur le dépistage du cancer du sein dans la rubrique des "fake-news".

Nos abstracts

Tous nos abstracts sont publiés dans le BMJ Evidence Medecine, dans les liens ci-dessous:

Under the radar

Dissemination of shared decision support knowledge...

Call for an international platform....

Better information of women

Socio-cultural environment

Posters

Dr Jean Doubovetzky exposera son projet innovant de site d'information collaboratif international d'information des populations sur la surmédicalisation : "Call for an international platform of collaborative websites to fight "the harms of too much medicine".

La Maison de la Culture et de la Médecine de Nice, en collaboration avec Cancer Rose affichera un poster concernant la diffusion des connaissances médicales pour une médecine plus intégrative avec le patient.
"dissemination of shared decision support knowledge in popular education and medical training regarding cancer screening "

Diffusion des connaissances d’aide à la prise de décision partagée en éducation populaire et en formation médicale autour du dépistage de cancers.

Cécile Bour, Md1, Jean-Michel Benattar, Md 2 3, France Légaré, PhD.  4, David Darmon PhD. 3 5 6, Luigi Flora PhD. 3 6

1 Association citoyenne (ONG) Cancer Rose

2 Association citoyenne (ONG) Maison de la Médecine et de la Culture (MMC)

3 Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P), Université Côte d’azur, France

4 Chaire de recherche sur la décision partagée et l’application des connaissances, Université de Laval, Québec, Canada

5 Département d’Enseignement et de Recherche en Médecine Générale (DERMG), Université Côte d’azur, France

6 Laboratoire de recherche RETInES, Université Côte d’Azur, France

Mots clés : Décision partagée, partenariat patient, dépistage du cancer, information éclairée, éducation populaire, éducation médicale

Deux associations citoyennes, Cancer Rose et la Maison de la Médecine et de la Culture (MMC) se sont emparées, chacune dans le rôle qui est le leur, des attentes de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein en France (2016). C’est à partir des travaux menés par Cancer Rose à travers la publication d’un Outil d’Aide à la Décision (OAD) à partir de données françaises, enrichis d’un petit OAD illustré, qu’il a été décidé de proposer des webinaires mensuels d’éducation médicale, en sciences de la santé tout en étant également ouvert aux citoyens.

Ce type de manifestation est une spécialité de la Maison de la Médecine et de la Culture depuis 2015, une proposition qu’elle mène en partenariat depuis fin 2019 avec le Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P), entité , du département d’enseignement et de recherche de médecine de famille DERMG d’,Université Côte d’Azur. La MMC est une association de citoyens et non d’usagers du système de santé qui propose, à partir d’œuvres artistiques des rencontres-ciné-débats qui questionnent entre citoyens, qu’ils soient proches, patients, décideurs futurs ou professionnels de santé en exercice, des questions de santé qui nous concernent tous. Une activité qui a, dès sa première année, suscité l’intérêt du département de médecine de famille qui permet à la MMC d’attribuer depuis 2015 des heures complémentaires d’enseignement aux internes de médecine de famille comptant dans leur processus de validation de leurs diplômes pour leur participation aux réflexions éthiques sur la santé élaborées au-delà d’un entre-soi, entre médecins.

Parallèlement, la MMC a favorisé l’introduction en France d’une nouvelle approche initiée au Québec avec l’actuel codirecteur patient du CI3P. La MMC a ainsi, en partenariat avec la faculté de médecine et le DERMG, missionnée pour se faire par le doyen de la faculté de médecine, co-conçu une formation: un cursus de diplôme universitaire d’Art du Soin en partenariat avec le patient. Une formation primée comme innovation pédagogique par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dès sa première année d’exercice en 2018 (Prix Passion Enseignement et Pedagogie dans le Supérieur dans la catégorie « formation tout au long de la vie »).

C’est ce premier partenariat entre citoyens et universitaires qui a permis l’émergence du Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P) au sein même de la faculté de médecine d’Université Côte d’Azur, tels que l’ont annoncé les concepteurs de cette formation lors de la remise de ce prix.

Cancer Rose et la MMC organisent, entre les automnes 2021 et 2022, entre deux campagnes Octobre Rose consacrées à la campagne de dépistage systématique en France, des webinaires mensuels donnant de l’information libre et éclairée susceptible de permettre le développement de l’esprit critique favorisant la décision partagée, tant pour les citoyens, citoyennes et patients, que pour les professionnels de santé et les étudiants en médecine.

Cette série de webinaires est enrichie par la participation d’un partenariat entre le CI3P et la chaire de recherche Canadienne sur la décision partagée et d’application des connaissances. Un partenariat qui renforce en fait des liens d’enseignement et de recherche développés historiquement entre ces universités francophones, canadienne avec l’Université Laval et française avec Université Côte d’Azur.

C’est ainsi que CI3P et la chaire de recherche canadienne de recherche sur la décision partagée et d’application des connaissances contribuent à un partenariat installé de longue date entre ces deux universités, entre la France et le Québec, et donc le Canada.

Ces webinaires mensuels participatifs initialement co-conçus entre les membres des deux associations et des citoyens (composés de patients, étudiants en sciences de la santé et médecins), proposent à chaque séance un échange initié par une œuvre d’art, qui peut être une œuvre ou un extrait de cinéma ou de documentaire, issu d’une œuvre littéraire ou encore de bande dessinée, d’illustrations graphique ou encore d’œuvre théâtrale ou de performance. Des œuvres principalement narratives mais pas uniquement. Cette approche artistique est proposées en introduction de la thématique. Les sujets traités permettent par la suite de développer l’esprit critique des citoyens par le fait même que chacun est mobilisé singulièrement dans sa sensibilité et l’interprétation unique qui en émerge, une approche qui ouvre à l’Art du Soin en partenariat avec le patient qui permet de se donner les moyens d’aboutir à une décision partagée, dans le cadre de la relation médecin-patient, en accord avec les valeurs éthiques d’un exercice médical ajusté aux mutations de la société et des êtres humains qui la compose.

C’est le cycle proposé que représente ce poster.

On en parle :

Article du CanadianTaskForce

Annonce dans la revue Prescrire

Photos

Edito dans le BMJ

Une réinitialisation du système pour lutter contre les excès de la médecine

BMJ 2022; 377 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.o1466 (Publié le16 Juin 2022)

Par Kamran Abbasi, editeur en chef

La pression actuelle sur les systèmes de santé est sans aucun doute aggravée par le surdiagnostic et le surtraitement. The BMJ a mis en lumière les dangers de l'excès de la médecine dans un numéro thématique en 2002. S'appuyant sur l'argument d'Ivan Illich (Limits to Medicine, Marion Boyards, 1976) selon lequel " le monde médical est devenu une menace majeure pour la santé ", Ray Moynihan et Richard Smith, dans un éditorial expliquaient " comment les processus normaux de la vie peuvent être médicalisés ".
Il est important de noter que l'excès de médecine était, déjà à l'époque, un sujet qui intéressait nos lecteurs, puisqu'ils ont voté pour que nous réalisions ce numéro thématique. En 2015, un autre éditorial a lancé notre campagne Too Much Medicine et notre rôle dans les conférences Preventing Overdiagnosis.

Les preuves de l'effet néfaste du surdiagnostic et du surtraitement ne cessent de s'accumuler. Elles comprennent le coût pour les services de santé, la pression de la charge de travail sur le personnel et les dommages causés aux patients et à la planète.

Cette semaine, nous soulignons la façon dont la ménopause, un événement naturel modelé par les attitudes culturelles et sociales, est médicalisée.
Bien que les avantages du traitement hormonal substitutif, par exemple, fassent l'objet de nombreuses recherches, le calcul du rapport risque-bénéfice ne plaide pas en faveur du traitement pour de nombreuses femmes.

Le surdiagnostic est officiel ; il est désormais reconnu comme une rubrique médicale (MeSH) par la Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis. Pourtant, la marche en avant de la "médecine industrialisée" est implacable. Les raisons en sont complexes, mais l'argent en est le principal moteur. "Vendre la maladie" est un commerce rentable, et le marketing de la maladie exploite les peurs et les émotions des patients. Les politiques joue un rôle, car les nouveaux traitements et les promesses d'interventions de haute technologie sont attrayants pour les électeurs. Les professionnels de santé y sont également entraînés, par leur désir de faire tout ce qui est possible pour le patient qu'ils ont devant eux.
Le tableau est brouillé par le fait que certaines maladies et populations sont sous-diagnostiquées et sous-traitées. Tout ceci est amplifié et compliqué par la pandémie Covid.

Trop de médecine, un concept qui date de plus de 20 ans, peut sembler être un boxeur dans les cordes qui se prépare à recevoir un coup de grâce de la part des industries qui vendent des maladies. Ce coup fatal n'arrivera pas. Il ne produira pas en raison des preuves solides que nous avons déjà des dommages causés par le surdiagnostic et le surtraitement. Il n’arrivera pas parce que la folie de la demande croissante de services de santé, des "soins de santé de faible valeur", doit cesser, parce que les systèmes de santé sont partout au bord de l'effondrement.

Il ne se produira pas parce que les intérêts financiers qui poussent à un excès de médecine seront de plus en plus exposés à mesure que les sociétés continueront à s'ouvrir. Il ne viendra pas parce qu'il y a suffisamment de cliniciens, de décideurs et de patients engagés, armés de preuves et de solutions, pour continuer à se battre, comme j'ai pu le constater lors de la dernière conférence sur la prévention du surdiagnostic Preventing Overdiagnosis Conference à Calgary la semaine dernière.

Mais il faut que certaines choses changent. Shannon Brownlee et Deborah Korenstein ont demandé si nous "cesserions d'utiliser à outrance des soins de santé de faible valeur si nous savions combien de fois ils font du tort aux patients". Une focalisation sur les préjudices causés aux patients par le surdiagnostic et le surtraitement serait un argument plus puissant qu'une focalisation sur les coûts. Pour cela, il faut que la science portant sur les préjudices soit mieux prise en compte dans la conception des recherches, dans la surveillance des systèmes de santé, dans l'enseignement clinique, dans les systèmes d'aide à la décision et par les médias.

The BMJ pourrait jouer davantage son rôle en introduisant une nouvelle section dans les résumés de recherche qui obligerait les auteurs à expliquer s'ils ont pris en compte les préjudices et ce qu'ils ont trouvé.

Un deuxième domaine de changement consisterait à prendre en compte les preuves issues des données d'observation et du monde réel et à optimiser les données pour mieux informer les cliniciens et les décideurs sur les effets néfastes, sans diluer l'importance et la place centrale des essais contrôlés randomisés correctement élaborés. Mais avant tout, la campagne contre l'excès de médecine nécessite une réinitialisation du système pour passer de la rhétorique et des preuves éparses à des preuves exploitables et à un impact mesurable.

Références citées dans l'édito ici : https://www.bmj.com/content/377/bmj.o1466

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Quand marketing, finance, lobbying et publicité s’invitent dans la santé

Déterminants commerciaux dans les politiques de lutte contre le cancer

https://eurohealthobservatory.who.int/publications/i/commercial-determinants-of-cancer-control-policy-(eurohealth)
(Rapport de l'Observatoire Européen de la Santé et des Polices de Santé, Eurohealth, téléchargeable)
Résumé Dr Bour C. - 30 avril 2022

Dans ce rapport de l'Eurohealth les auteurs ciblent l'influence négative d'intérêts privés sur les politiques de prévention, de dépistage et des soins.

La lutte contre le cancer, telle que définie par l’OMS et souvent appelée « prévention et soins du cancer », consiste en un continuum entre ce qui relève de la prévention, du dépistage précoce (c.-à-d. le dépistage tout venant et le diagnostic clinique précoce/rapide des patients symptomatiques), jusqu'au diagnostic et traitement.

Une définition des « déterminants commerciaux de la santé » a été présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) en 2017, il y est dit : « Les déterminants commerciaux de la santé sont les conditions, les actions et les omissions qui ont une incidence sur la santé. Les déterminants commerciaux surviennent dans le contexte de la fourniture de biens ou de services à des fins de paiement et comprennent les activités commerciales, ainsi que l’environnement dans lequel le commerce a lieu.
De façon générale, les activités du secteur privé qui ont une incidence sur la santé des populations. »
Cette question des déterminants commerciaux du cancer, qualifiée de "côté obscur de la santé", n’a encore jamais été explorée à fond.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 30 à 50 % de tous les cas de cancer sont évitables, le tabagisme étant la principale cause évitable de cancer en Europe. D’autres facteurs de risque importants sont la consommation d’alcool, le surpoids et l’obésité, une mauvaise alimentation et une activité physique insuffisante.
On ajoute à cela les sources de rayonnement et d’autres cancérogènes chimiques, y compris de l’industrie cosmétique. Ces sources augmentent également le risque de développer diverses formes de cancer.

L’Europe est l’un des plus grands marchés pour les ventes d’alcool et est aussi la région où la proportion de maladies et la mortalité prématurée due à l’alcool sont les plus élevées.
L'Europe a la moyenne la plus élevée de consommation actuelle de tabac chez les adolescents. Les preuves de leur lien de cause à effet avec le cancer sont incontestables.
Bien sûr il y a tout une gamme de facteurs comportementaux et environnementaux qui expliquent l'incidence accrue du cancer. Bon nombre sont évitables, mais les intérêts et les actions des entreprises contribuent à saper les efforts de santé publique pour les combattre.

La réponse aux critiques de l’industrie prend diverses formes. Cela va des menaces de poursuites judiciaires pour atteinte aux droits commerciaux de l’industrie, y compris en matière de propriété intellectuelle et de liberté économique jusqu'à brandir la crainte que les contraintes imposées à l’industrie aient une incidence disproportionnée sur l’économie et l’emploi.
D'autres exemples de tactiques des industriels comprennent le renforcement de la réputation de l'entreprise (concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE)*), la négation de l’impact de leurs produits ou le détournement de l’attention des préjudices occasionnés par leurs produits, et les tentatives de façonner des bases de données "probantes" puis de diviser le milieu de la santé publique.
Le constat en tous cas est que l'impact des acteurs commerciaux de l'industrie du tabac et de l’alcool sur le continuum du cancer, comprend tout un éventail de tactiques efficaces qui minent la santé publique, incluant le marketing direct** récent auprès des consommateurs.

* prise en compte par les entreprises des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités.

** Le marketing direct est une technique de communication et de vente qui consiste à diffuser un message personnalisé et incitatif pour toucher directement une cible d'individus dans le but d'obtenir une réaction immédiate et tangible.

Des dérives trompeuses

A-L’innovation comme panacée

Il est frappant que la plupart des articles revus dans ce rapport soulèvent une préoccupation particulière, à savoir une foi aveugle et trompeuse dans "l’innovation".

L’innovation présente un grand attrait pour les décideurs, les cliniciens, le public et les donateurs, mais tous les auteurs mettent en garde contre le lancement de nouvelles innovations préventives, diagnostiques ou thérapeutiques sans une évaluation rigoureuse de leur sécurité et de leurs avantages réels pour la population, et demandent une base de données probantes adéquate pour démontrer leur efficacité et leur rentabilité.
Ils nous rappellent aussi la croissance bien rapide des revenus pharmaceutiques générés par la vente de médicaments contre le cancer, malgré un manque de retour en termes de survie ou de guérison au cours de la même période de croissance.

B- Les dépistages

Le Conseil de l’Union Européenne recommande toujours le dépistage des cancers du col de l’utérus, du sein et du colorectal, mais avec une information plus nuancée et a notamment sorti un guide du bon usage des dépistages systématiques.
Depuis, la recherche continue d’évaluer les avantages et les inconvénients des dépistages et notamment d’autres types de cancers (poumon à l'étude).

Malgré une base de données qui ne soutient pas de telles pratiques, beaucoup de dépistages "opportunistes" (c.à d. en dehors des recommandations, sur demande d'un public revendiquant davantage de soins médicaux) sont en cours à travers l’Europe.
Les responsables et représentants commerciaux jouent un rôle important dans la promotion de pratiques de tests systématiques qui peuvent faire plus de mal que de bien (voir le sponsoring massif au moment d'octobre rose).
Les moteurs commerciaux peuvent fonctionner au moyen d’incitatifs financiers, en créant une "culture" qui favorise l’adoption rapide de nouvelles technologies, ou en exerçant des pressions, et bien sûr en faisant du marketing auprès des cliniciens et des consommateurs.

Un très grand nombre de personnes peuvent être intégrées dans des dépistages non pertinents, et des ressources peuvent ainsi être détournées aux dépens de ceux qui ont le plus besoin de conseils et de traitements médicaux, dit le rapport.
Le surdiagnostic notamment présente actuellement un problème particulier, et comme au niveau individuel il n’est pas possible de déterminer si un cancer évoluera ou pas, des personnes en bonne santé pourront être soumises à des procédures de diagnostic et à un traitement potentiellement inutiles, avec un risque d’effets indésirables qui en découle.

Pour exemple le dépistage thyroïdien, qui ne présente aucun avantage pour la population, mais en revanche apporte des preuves considérables de surdiagnostic massif et de procédures thérapeutiques inutiles.

La première vague de tests de dépistage du cancer a été élaborée en grande partie dans le secteur public et promue par des organismes de bienfaisance et sociétés de professionnels. Actuellement il y a une nouvelle vague d’innovation dans le dépistage du cancer et une grande partie de cette innovation provient du secteur privé, et elle est souvent appuyée par des professionnels de santé. Les entreprises de diagnostic sont devenues des acteurs importants dans la promotion des nouvelles technologies de dépistage, les laboratoires et cliniques privés peuvent chercher à élargir le marché des services de dépistage en offrant de nouvelles technologies (comme la mammographie 3D, voir trois premiers articles ici), ou s’étendre à des domaines de maladies non couverts par les programmes nationaux, ce qui pourrait accroître la demande publique et intensifier la pression politique en faveur de leur adoption au sein des systèmes de santé publique.

Au cours des dernières années, le dépistage du cancer a suscité beaucoup d’enthousiasme commercial (comme des logiciels de prédiction, voir par exemple ici et ici), et les analystes de l’industrie ont prédit de potentielles « superproductions de médicaments ».

Les entreprises qui mettent au point de nouvelles technologies de dépistage du cancer fondées sur la biopsie liquide ont attiré des milliards de dollars d’investissements privés. La technologie est très décevante en matière de dépistage, des études cliniques qui n’ont pas la rigueur nécessaire pour évaluer de façon complète et précise les méfaits et les avantages de cette technologie ont été publiées à grand renfort médiatique, un phénomène de "capture" de leaders d’opinion clés s'y est rajouté,  grâce à la collaboration de la recherche avec l’industrie.

Il est prouvé, selon le rapport, que la nouvelle génération de tests de dépistage moléculaire est commercialisée à l’aide de stratégies provenant directement du secteur pharmaceutique : recrutement de leaders d’opinion clés, publicité directe aux consommateurs, envers les médecins et financement d'ONG, y compris d'organisations de patients, pour faire du lobbying apparemment indépendant en faveur de l’adoption de nouvelles technologies par le gouvernement.
La volonté commerciale de générer des revenus mène à des messages déformés qui présentent une vision très partielle des preuves scientifiques, biaisées vers des bénéfices de santé invoqués, mais obscurcissant les préjudices potentiels, dont les résultantes sont des dépenses publiques majorées. Soigneusement conçues, les stratégies de relations publiques peuvent assurer une couverture médiatique qui renforce cette image déséquilibrée ; comme les tests moléculaires de biopsie liquide, la mammographie 3D et la détection fondée sur l’intelligence artificielle, qui sont fortement orientées vers la déclaration de formidables bénéfices pour les populations, et ne signalent généralement pas les conflits d’intérêts.(Lire les articles suivants : bio-creep, mammo3D, biopsies liquides).

C-L'hyper-technologie

Da Vinci Robot : ce dispositif est avancé dans le rapport comme l'archétype de la TNP (technologie non pharmaceutique).

Peu de technologies représentent mieux la commercialisation de ce qu'on appelle TNP que le Da Vinci Robotic Surgical System.
Ce dispositif, qui permet aux chirurgiens une chirurgie à distance, assis à une console pour actionner les bras télécommandés en vue de chirurgie micro-invasive, a été approuvé pour la première fois par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis en 2000.
On s’attendait à ce que ses avantages inhérents, y compris une meilleure visualisation du champ chirurgical, une plus grande amplitude de mouvement des bras robotisés et une ergonomie améliorée pour le chirurgien, se traduisent par une amélioration des résultats pour les patients. Toutefois, dans le cas du cancer de la prostate et du rectum, aucune amélioration des résultats fonctionnels ou oncologiques n’a été observée. Malgré l’absence de preuves claires de sa supériorité sur les techniques ouvertes et laparoscopiques, et aussi malgré ses énormes coûts, la technique a été largement adoptée à travers l'Europe, même dans des pays à plus bas niveau de vie. Et ce alors même que des lignes directrices ont été créées pour améliorer la rigueur de la collecte des preuves, en particulier pour les dispositifs médicaux.

L’approbation réglementaire d’un nouvel instrument médical ou d’une nouvelle technologie nécessite des données cliniques et une démonstration de sa sécurité, avant de mettre l’appareil sur le marché. En comparaison, les thérapies systémiques doivent passer par un processus plus complexe de démonstration d’une efficacité supérieure aux normes de soins actuelles. Ceci explique en partie la rareté des essais contrôlés randomisés pour les dispositifs médicaux.

Cependant, le récent examen de Cumberledge a mis en évidence l’impact dévastateur de l’intégration des médicaments et des dispositifs sans évaluation rigoureuse et rigoureuse de l’impact sur les patients notamment en ce qui concerne la sécurité et les avantages pour la santé. Malheureusement, la conception des études utilisées pour l’évaluation des nouvelles technologies manque souvent de rigueur, mais peut constituer la base de la mise en œuvre clinique, les séries rétrospectives monocentriques moins fiables dominant encore la littérature.

D-Le manque de couverture médiatique équilibrée

Cette dérive peut influencer non seulement les perceptions du public mais également les personnes qui prennent des décisions concernant le financement de la recherche biomédicale et des soins cliniques, ce qui exacerbe l'adhésion générale. Nous nous référons ici à l’énorme enthousiasme pour l’innovation et notamment à l’idée de médecine personnalisée ou de précision, enracinée dans la croyance de longue date que la génomique va révolutionner la pratique de la médecine, croyance maintenant renforcée par une foi dans le potentiel transformateur des technologies numériques, y compris de l’intelligence artificielle.

Les décideurs publics sont enclins à cette forme d'adhésion qui peut avoir deux effets négatifs potentiels sur la santé publique, notamment :

  • une volonté d’adopter de nouvelles technologies parce qu’on croit qu’elles représentent l’avenir des soins de santé, sans preuve solide qu’elles améliorent vraiment les résultats cliniques;
  • une mauvaise affectation des ressources de recherche, à mesure que le financement va à la découverte et au développement de nouvelles technologies, au détriment d’améliorations progressives plus simples dans la prestation des soins, comme l’amélioration du diagnostic clinique rapide pour les patients présentant des symptômes potentiels réels de cancer.

Non seulement cela peut être un gaspillage de ressources, mais dans les pays qui manquent de techniciens qualifiés dans des domaines tels que l’imagerie ou l’endoscopie, cela exacerbe ces pénuries et les retards de diagnostic chez les personnes symptomatiques. Cela exacerbe aussi les inégalités croissantes à l’accès aux soins médicaux.

Le paysage de l’offre de dépistage commercial est transformé non seulement par l’innovation dans les technologies de diagnostic, mais aussi par le développement plus large de l’internet en tant que nouveau mécanisme de consommation des soins de santé. Ces dernières années, les services de tests biologiques de dépistages divers destinés aux consommateurs vendus sur Internet ont fait l’objet de mesures réglementaires.

Pour conclure, et comme l’a fait remarquer Ioannides, la médecine et les soins de santé gaspillent les ressources de la société parce que « nous », cliniciens, avons permis que la médecine fondée sur des données probantes dans le domaine du cancer soit détournée en utilisant des technologies ayant une efficacité marginale, mais un coût maximal.

Les déterminants commerciaux du cancer nous rappellent que les approches gouvernementales mais aussi pangouvernementales (combinaison d'une gestion verticale et horizontale tout en établissant des partenariats avec des organisations externes au gouvernement) sont essentielles pour relever le défi auquel notre société est confrontée et aussi que, fondamentalement, les décisions en santé demeurent un choix politique.

Eventail des moyens employés par les tenants d'intérêts privés pour influencer la santé publique

1°Les incitations financières affectent tous les domaines de la santé

• Les incitations économiques sont mal alignées avec la promotion de la qualité de vie globale.

• On a à faire à une représentation trompeuse de l’information clinique et des données de  santé publique. (Pour exemple en matière de cancer du sein lire ici et ici)

Les incitatifs économiques favorisent la mise au point de nouveaux médicaments dont les applications ne cessent de croître, ce qui peut mener à des essais par rapport à des comparateurs faibles (études de non infériorité par exemple) et aux approbations fondées sur des effets modestes dans de nouveaux contextes. Dans la discussion sur le développement de nouvelles technologies de dépistage, d’outils de diagnostic utilisant des biomarqueurs moléculaires, de nouvelles thérapies de précision ou de médicaments ciblés, tous les auteurs du rapport de l'OMS ont soulevé des inquiétudes quant à savoir si les mesures d’efficacité des médicaments ou des dispositifs étaient correctement validées.
Les mesures des bénéfices peuvent ou non faire un suivi en parallèle de résultats qui comptent pour les patients, comme les données de la réduction de la mortalité globale (toutes causes confondues), ou de paramètres comme la qualité de vie ; plusieurs auteurs du rapport se sont dits préoccupés par la façon dont les facteurs sociaux et les incitatifs économiques ont façonné les soins cliniques, la publicité et les investissements de différentes façons, mais qui ne favorisent pas la santé et le bien-être des patients en général.

2° Lobbying

Au nom de l’industrie, et avec la complicité de médecins et leaders d'opinion,  la promotion de la recherche sur le dépistage du cancer et la promotion du développement technologique a entraîné la surenchère excessive des bénéfices de ces outils et de ces technologies, et une sous-évaluation des méfaits, comme les faux positifs ou les surdiagnostics.

3°Publicité

Comme mentionné plus haut, de nombreux auteurs ont attiré l’attention sur la nature trompeuse de la publicité et de la communication dans les médias sur les risques de cancer et sur les traitements contre le cancer.

Ils ont soulevé des préoccupations au sujet de la vente excédentaire des médicaments contre le cancer, ainsi que de nouvelles technologies mal éprouvées.

4° facteurs économiques

Les facteurs économiques influent sur les coûts croissants des soins, qui touchent de façon disproportionnée les plus démunis. Par exemple, la presse univoque pour les nouveaux médicaments et pour la « technomanie » a contribué en partie à l’augmentation des coûts des nouveaux médicaments et des technologies de dépistage, ce qui rend l’accès aux soins encore plus éloigné pour de nombreux patients, en particulier ceux des pays en voie de développement.

Des outils réglementaires pourraient être utilisés pour encourager l’investissement dans des mesures de vraie prévention (lutte contre alcoolisme, tabagisme, obésité, sédentarité), de meilleurs soins palliatifs et des soins plus intégratifs.

Il faut aussi prévoir une amélioration de la formation médicale sur les rôles des intérêts commerciaux dans le façonnement des soins du cancer, ce qui pourrait déjà atténuer les tendances à la « technomanie » des médecins, afin que les étudiants en médecine aient une meilleure appréciation des coûts et des avantages des traitements et des technologies nouveaux, ainsi que de l’importance des soins palliatifs et des soins de fin de vie avec meilleure intégration du patient.

Comment faire mieux ?

En résumé, il y a des questions d’éthique et de justice partout, ces questions ont à voir avec le respect pour l’autonomie des patients, avec l’équité et la bienfaisance.
Autonomie, avec un soutien solide des patients et une communication transparente sur les balances bénéfices-risques des dispositifs de santé.
Équité et justice en ce qui concerne l’identification et la prévention des risques, la détection précoce, les solutions alternatives, les solutions thérapeutiques et les soins palliatifs appropriés au réel besoin du patient.

Des outils réglementaires sont à élaborer pour améliorer l’éducation médicale, en mettant l’accent sur la transparence, c'est ce que peuvent faire les administrations publiques, les gouvernements nationaux, les agences internationales et c'est ce que peut exiger la société civile pour tenter d’atténuer les préjudices associés aux conflits d’intérêts.

Les auteurs notent aussi un besoin évident de normes élevées, tant au niveau de l’Agence Européenne des Médicaments, que par des mécanismes d’évaluation des technologies de la santé qui soient plus solides, avec des systèmes de tarification et de remboursement plus sophistiqués au niveau national.

La qualité insuffisante de la recherche et des normes réglementaires, et l’absence critique de corrélation entre les incitatifs économiques et ce qui est vraiment recherché en termes de qualité de vie globale des patients est un problème crucial.

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Dépistage du cancer – le bon, le mauvais et le laid

Traduction par Sophie, patiente référente Cancer Rose, d'un article de G.Welch publié le 6 avril 2022 dans le JAMA

https://jamanetwork.com/journals/jamasurgery/article-abstract/2790973

H. Gilbert Welch, a publié en 2013, avec les médecins Lisa Schwartz et Steven Woloshin, un ouvrage à destination du grand public intitulé "Le surdiagnostic - Rendre les gens malades par la poursuite de la santé". (H.-Gilbert Welch, Lisa Schwartz, and Steven Woloshin et Fernand Turcotte (Traducteur). Le surdiagnostic - Rendre les gens malades par la poursuite de la santé. 2013.)
Il est médecin universitaire américain et chercheur sur le cancer et travaille au Center for Surgery and Public Health, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts.

En pratique clinique, dire qu'une personne a un cancer renseigne aussi peu sur l'évolution possible de sa maladie que lorsqu'on dit qu'elle a une infection. Il existe des infections dangereuses qui peuvent être fatales et des infections inoffensives qui guérissent d'elles-mêmes ou peuvent disparaître. Il en va de même pour les cancers. Le cancer n'est pas une entité unique. Il s'agit d'un large éventail de pathologies qui n'ont de commun entre elles que le nom.

La reconnaissance de l'hétérogénéité dans la progression du cancer par le Dr. Crile

La reconnaissance de l'hétérogénéité dans la progression du cancer par le Dr. Crile dans un numéro de 1955 du magazine LIFE a laissé présager pourquoi la détection précoce du cancer pourrait défier la simple intuition. Il est tentant de penser que le dépistage du cancer ne peut qu'aider les individus et que tous les survivants d'un cancer détecté par dépistage sont la preuve irréfutable que celui-ci sauve des vies.
Cependant, le dépistage du cancer est contre-intuitif. Il s'avère que les risques sont plus probables que les bénéfices ; il est moins probable que les survivants soient la preuve de ses bénéfices et plus probable qu'ils soient la preuve de ses risques. C'est probablement le Dr Crile qui a introduit pour la première fois l'analogie de la ferme et de l'enclos - oiseaux, lapins et tortues - pour décrire l'hétérogénéité du cancer.

Les oiseaux se sont déjà échappés de la basse-cour : il s'agit des cancers à la croissance la plus rapide et les plus agressifs, ceux qui se sont déjà propagés au moment où ils sont détectables. Le dépistage ne peut pas aider les oiseaux ; la question est de savoir si un traitement peut le faire. Il y a ensuite les tortues (cancers lents NDLR) : il est inutile de les attraper car elles ne bougeront pas de toute façon.

Images ci-dessous pour comprendre (NDLR) : L'oiseau correspond au cancer très rapide (raté par le dépistage). L'ours est un cancer lent, rattrapé par le dépistage mais qui, non dépisté, se serait manifesté juste un peu plus tard par un symptôme clinique sans perte de chance. La tortue et l'escargot représentent les cancers très lents et stagnants, pour lesquels le dépistage ne sert à rien, car ils ne se seraient jamais manifestés. La patiente meurt avec son cancer mais pas à cause de lui.

Bénéfice limité (ou incertain)

L'objectif du dépistage du cancer est de réduire la mortalité par cancer. Mais l'existence d'oiseaux limite nécessairement son efficacité. Le dépistage a tendance à passer à côté des cancers à la croissance la plus rapide, car ces cancers ont une fenêtre temporelle très courte pendant laquelle ils sont détectables par le dépistage, mais ils ne sont pas cliniquement visibles. En outre, un dépistage efficace nécessite non seulement une détection plus précoce, mais aussi un traitement entrepris plus tôt qui est certainement meilleur qu'un traitement entrepris plus tard.

Bien que cela soit souvent vrai pour les maladies aiguës (telles que les urgences cardiovasculaires), ce n'est peut-être pas le cas pour les maladies à long terme. La détection de tumeurs cancéreuses plus petites de quelques millimètres par rapport à celles détectées antérieurement fait peut-être moins de différence que ce que l'on croyait autrefois, d'autant plus que l'on apprend que la biologie de la tumeur est plus importante que sa taille.
Ces facteurs expliquent pourquoi les effets les plus favorables observés dans les essais randomisés des tests de dépistage se traduisent par une réduction de moins d'un tiers de la mortalité par cancer.

Ironiquement, au fur et à mesure que le traitement du cancer s'améliore, le bénéfice du dépistage diminue. Si un cancer détecté cliniquement peut être systématiquement traité avec succès, l'utilité du dépistage du cancer tombe naturellement à zéro.  (Par exemple, pourquoi ne faisons-nous pas de dépistage de la pneumonie ? La réponse est que nous pouvons traiter la pneumonie).

Des risques mal reconnus (ou cachés)

Du point de vue de l'individu, le surdiagnostic constitue le plus important risque du dépistage. Le surdiagnostic reflète l'existence de tortues : des anomalies qui répondent aux critères pathologiques du cancer mais qui ne sont pas destinées à provoquer des symptômes ou le décès. Le dépistage est très efficace pour trouver les tortues : il détecte de manière disproportionnée les cancers à croissance lente et de petite taille, c'est-à-dire des cancers qui sont biologiquement favorables.
Cependant, nous, les médecins, ne sommes pas très doués à distinguer les tortues des lapins. Par conséquent, nous avons tendance à traiter tous ceux qui reçoivent un diagnostic de cancer.
Parce qu'il n'y a rien à guérir, les patients avec des cancers surdiagnostiqués ne peuvent pas bénéficier d'un traitement, mais ils peuvent en subir les méfaits.

Étant donné que le surdiagnostic est si rarement confirmé chez un individu (c'est-à-dire un patient atteint d'un cancer détecté par le dépistage, mais qui n'est pas traité, ne développe jamais de symptômes et meurt d'une autre cause), l'existence réelle du problème a fait l'objet de nombreux débats.
Cependant, le surdiagnostic peut être facilement confirmé au niveau de la population. Ainsi, les débats sur l'existence du surdiagnostic sont maintenant pratiquement réglés, et portent à juste titre sur la question de sa fréquence - et de son importance.

Dans le cas du dépistage du cancer du sein, de la prostate, de la peau et de la thyroïde, les patients sont plus susceptibles de subir le préjudice du surdiagnostic que le bénéfice du dépistage - éviter le décès par cancer. Néanmoins, le surdiagnostic reste, heureusement, un événement relativement rare.
Du point de vue de la population, les préjudices les plus conséquents sont liés à la dynamique du dépistage : de nombreuses personnes doivent être dépistées pour qu'un très petit nombre en bénéficie. Pour le dépistage du cancer dans la population générale (c'est-à-dire sans cibler un groupe à très haut risque, comme le dépistage du cancer du poumon chez les gros fumeurs), il faut dépister environ 1 000 personnes pour éviter un décès par cancer en 10 ans.
Ainsi, les interrogations sur ce qui arrive aux autres 999 autres individus deviennent pertinentes. Les fausses alarmes affectent de nombreuses personnes : on dénombre jusqu'à 600 faux positifs au cours de 10 ans de mammographie.

Cependant, le problème le plus important est que de nombreuses personnes ayant obtenu des faux positifs ne sont pas informées que le test était mauvais, mais plutôt que quelque chose ne va pas chez elles.
On dit à ces personnes qu'elles ont une lésion présentant des atypies cellulaires ou une dysplasie, ou qu'elles sont elles-mêmes plus vulnérables au développement d'un cancer et doivent donc subir des tests plus fréquents. Même les campagnes de dépistage induisent la vulnérabilité - la peur du cancer - comme un moyen de persuader les gens de se faire dépister.
Ainsi, le dépistage du cancer instille un sentiment de "mal-être" dans la population.

Réactions trompeuses, incitations financières, et diversion

Ces inconvénients pourraient être acceptables s'ils s'accompagnaient d'avantages substantiels et certains. Malheureusement, le dépistage lui-même fournit des informations trompeuses qui suggèrent toujours qu'il est plus bénéfique qu'il ne l'est réellement. Après le début du dépistage, les cliniciens constatent un changement dans la distribution des stades : la proportion de cancers se présentant à un stade avancé de développement diminue, même s'il s'agit simplement d'un artefact dû à un diagnostic plus précoce et non à une diminution des cas de présentation tardive.

Comme le montre l'exemple dans le cadre B de la figure, la proportion de cancers de stade tardif détectés passe de 50 % à 25 %, alors que l'incidence du stade tardif n'a pas changé.

Cliquez pour agrandir :

Légende :
Une augmentation constante de l'incidence du cancer couplée à une mortalité stable (A) suggère un surdiagnostic superposé à une incidence véritablement stable du cancer.
L'augmentation de l'incidence des cancers à un stade précoce couplée à une incidence stable à un stade tardif (B) suggère également un surdiagnostic et que les efforts accrus en matière de détection précoce du cancer n'ont pas produit le résultat escompté : une diminution du taux de personnes atteintes d'un cancer à un stade tardif (la détection précoce n'a pas permis d'avancer le moment du diagnostic des cancers destinés à se présenter à un stade tardif). Signatures à condition que la fréquence réelle du cancer soit stable dans le temps. Si la fréquence d’un vrai cancer  changeait, on s'attendrait à ce que l'incidence et la mortalité évoluent en tandem, tout comme la maladie à un stade précoce et à un stade avancé

NDLR : En effet, si on parvenait à éliminer complètement le surdiagnostic, la part, c'est à dire la proportion des cancers graves apparaîtrait alors plus importante dans le total cancers amputé des surdiagnostics, qui amplifient d'ordinaire le total des cancers. La proportion des cancers graves est diluée dans le total-cancer lorsque, dans ce total, on rajoute la part des surdiagnostics. )

Au fil du temps, la survie à 5 ans augmente en raison de l'association combinée du temps d'avance au diagnostic et du biais de surdiagnostic, même si l'âge du décès reste inchangé. Les histoires de survivants sont particulièrement pernicieuses : plus le dépistage entraîne de surdiagnostics, plus il y a de personnes qui croient devoir leur vie au test - et plus le dépistage devient populaire. Les campagnes de dépistage utilisent régulièrement ce retour d'information trompeur ; elles mettent en avant les taux de survie plus élevés et les survivants du cancer comme preuve du bien-fondé du dépistage.

Cf "le paradoxe du dépistage", NDLR

Le dépistage du cancer est généralement motivé par une croyance sincère en sa valeur, mais il est également devenu une importante source de revenus pour les systèmes de soins médicaux axés sur le volume aux États-Unis. Bien que la multiplicité des payeurs constitue un obstacle à une comptabilisation à l'échelle nationale, les dépenses américaines liées au dépistage sont substantielles.
Je les estime à 40 à 80 milliards de dollars par an. Ces dépenses représentent des revenus pour le système - des revenus provenant non seulement du dépistage lui-même, mais aussi des services diagnostiques et thérapeutiques qu'il déclenche.
L'importance de cette source de revenus a été mise en évidence après le déclin substantiel du dépistage qui s'est produit après le début de la pandémie de COVID-19. Bien que d'autres services et entreprises soient restés fermés, le dépistage a été rapidement rétabli en quelques mois.

Le Dr Crile était convaincu que les soins médicaux devaient être axés sur les besoins des patients, et non sur ceux des chirurgiens (ou maintenant, sur ceux du système). Il reconnaissait qu'il y avait un prix à payer pour devancer les symptômes. Bien que le dépistage du cancer puisse être judicieux chez certaines personnes à haut risque, je pense que le dépistage dans la population générale, tel qu'il est actuellement pratiqué aux États-Unis, est devenu une énorme dérive par rapport à notre travail de base.
Il détourne le système des patients gravement malades ou blessés : les performances des médecins sont mesurées en fonction de la fréquence à laquelle ils testent les personnes en bonne santé et non à la façon dont ils soignent les malades. Le dépistage dans la population générale détourne les patients et les décideurs politiques des véritables déterminants de la santé humaine. Les ressources considérables impliquées dans le dépistage - en termes d'argent, de personnes et d'efforts - seraient mieux utilisées ailleurs.



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