Octobre rose, bis repetita mais pas placent

30/09/2023
Par Dr C.Bour

Durant l'année 2023, trois études sont venu bousculer, encore un peu plus, les certitudes roses que l'on vend aux femmes.
Il sera dorénavant impossible de prétendre encore que ce dépistage sauve des vies ; continuer à en faire des slogans simplistes tels que les associations et les médias les ont servis au public pendant des décennies relève de la propagande, purement et simplement.
Propagande rappelée dans l'excellent billet "octobre noir, c'est reparti" , où l'auteur, Dr Grange alias doc du 16 sur les réseaux a réalisé une compilation des campagnes des plus cocasses aux plus scandaleuses et sexistes.
Gouvernements et ministres de santé posent régulièrement pour les photos d'usage arborant l'inévitable petit ruban rose, y compris Mme Buzyn qui, en dépit des demandes de la concertation citoyenne de 2016 de cesser l'incitation rose des femmes promeut en image le dépistage et y incite littéralement dans ce tweet.

Celle qui actuellement explique dans les médias que des médecins inquiets concernant la désinformation lors de la pandémie Covid n'ont pas été entendus, n'a pas beaucoup écouté elle-même en son temps d'autres médecins inquiets de la désinformation sur le dépistage, et qui essaient de s'exprimer eux aussi depuis au moins deux décennies.

Malheureusement le fait que le dépistage pourrait comprendre plus de risques qu'il ne présente de bénéfices n'arrivera probablement que difficilement aux oreilles des concernées (les femmes) puisque très officiellement qualifié de fake-news.
Nous en avions parlé lors d'un congrès international à Calgary devant une communauté scientifique internationale plutôt médusée des tentatives de muselage françaises, si peu en accord avec le mythe de la liberté d'expression française. S'ils savaient...S'ils savaient combien d'interviews avortés, de tribunes refusées, d'articles jamais publiés notre collectif a essuyés, combien d'heures accordées en entretien à des journalistes parfois réellement motivés mais restées sans suite en raison d'une rédaction qui ne valide pas le sujet, ou pas les propos... Combien de déplacements inutiles pour parler dans des rédacs parisiennes pour apprendre ensuite que le sujet "ne passera finalement pas".

MMe Buzyn aborde "l'aspect genré" dans son nouveau livre, arguant que si elle n'avait pas été une femme et avait été dotée "d'une plus grosse voix" (sic) elle aurait été davantage écoutée.

...Mais combien de voix féminines alors, de femmes indûment traitées, surdiagnostiquées, amputées inutilement, avec des hémopathies ou des cardiopathies secondaires aux traitements faudra-t-il, combien de livres, de blogs, de publications de chercheurs indépendants faudra-t-il avant qu'un(e) ministre de la santé ait enfin l'honnêteté intellectuelle d'avouer que les campagnes de dépistage ont été lancées trop vite, avec trop de précipitation, trop d'engouement alors que déjà dans les années 2000 les preuves que ce dépistage était risqué et ne tenait pas ses promesses existaient ? Quelle ou quel ministre, au lieu de poser enrubanné sera assez fort(e), digne et droit(e) pour dire aux femmes de ce pays que ce dépistage doit rester LEUR choix, et uniquement LEUR choix, après les avoir honnêtement informées que non, se faire mammographier tous les deux ans ne les protègera pas d'un cancer du sein, ne leur sauvera pas la vie, mais leur fera même peut-être connaître une maladie que sans dépistage elle n'auraient jamais connue ?

Des études, toujours des études

Trois études disions-nous en préambule, que nous vous résumons à nouveau.

1°-Pour commencer une excellente nouvelle, le risque de décès par cancer du sein est en baisse, dépistage ou pas.
Bien que cette étude ne permette de tirer AUCUNE conclusion sur les avantages du dépistage, vu que le dépistage n'en était pas l'objet, et malgré les avertissements explicites dans la publication, les promoteurs du dépistage n'ont pas manqué de l'utiliser pour promouvoir ce dépistage, poussant des hourras et des cris de victoire.

Que dit l'étude : les améliorations en termes de mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage ont été parallèlement constatées chez les femmes dont le cancer n'a pas été détecté par dépistage.

 Le pronostic des cancers du sein s'améliore, sans qu'il soit possible de dire quelle est la part du dépistage, des progrès thérapeutiques et des facteurs de confusion que sont le biais d'avance au diagnostic, les surdiagnostics surtout, et aussi les facteurs sociaux et économiques.

Selon les études déjà disponibles (voir l'article) le rôle du dépistage est vraisemblablement marginal, et l'apparent succès dans les groupes dépistés est influencé par l'avance au diagnostic.

C'est tout, mais c'est déjà une EXCELLENTE nouvelle qu'il faut transmettre aux femmes.

2°- On ne peut espérer un prolongement de sa durée de vie en se faisant dépister.

Les résultats de cette méta-analyse ne corroborent pas l’affirmation selon laquelle les tests de dépistage du cancer sauvent des vies en prolongeant la durée de vie, sauf peut-être pour le dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie.

A droite "durée de vie gagnée", à gauche "durée de vie perdue"

Alors que des moyens colossaux sont mis dans des campagnes de promotion de dépistages, appelées fallacieusement "campagnes de prévention", on apprend que de véritables campagnes contre l'alcoolisme, pourtant plutôt efficaces, ont été retoquées.  
Eh bien c'est dommage...
L'alcool, le tabagisme font partie des facteurs de risque des cancers en général.
Le risque du cancer du sein augmente de 7 % par verre quotidien. Le risque est également augmenté par le tabagisme actif ou passif, et le dépistage 'précoce' est une ineptie si on ne lutte pas plus efficacement contre ces fléaux.

3°- le surdiagnostic, écueil majeur des dépistage et dont nous parlons énormément sur ce site, est sous-évalué, selon une revue systématique du début d'année.

Pour le dépistage du cancer du sein, quasiment un cancer sur 3 détectés serait une détection inutile, aux conséquences ravageuses pour la femme qui le subit.
Le surdiagnostic est l'inconvénient le plus grave du dépistage du cancer.
Pourtant, de nombreux programmes de dépistage ont été mis en œuvre à la suite de résultats préliminaires incomplets, mettant l'accent sur des bénéfices assez maigres, visibles en dépistant de très grosses cohortes de personnes et sur de longues années seulement, cependant que les effets néfastes du dépistage, comme le surdiagnostic, prennent aussi de nombreuses années avant d'être estimés de manière adéquate.

Il faut prendre en compte ces effets néfastes pour aboutir à des modifications, voire à l'arrêt de certains dépistages disent les auteurs, encore trop souvent mis en oeuvre en population malgré des non-recommandations parfois (prostate, thyroïde), et qui sont coûteux et inopérants.

En conclusion

Finalement un article trouvé ici propose une très bonne conclusion exprimée par l'épidémiologiste Catherine Hill :

" Le dépistage du cancer du sein ne prévient pas l’apparition de ce cancer. Tout ce que peut faire une mammographie c’est détecter un cancer plus précocement. Pour prévenir le cancer du sein, il faut réduire sa consommation de boisson alcoolisée autant que possible (et le vin est un alcool !) car le risque augmente de 7 % par verre quotidien, éviter le surpoids et l’obésité, et n’avoir recours au traitement hormonal de la ménopause, pour une durée aussi courte que possible, que si les symptômes sont très gênants, pour ne citer que les causes les plus importantes en France à l’heure actuelle.

Participer au programme national de dépistage du cancer du sein en continuant à fumer, à boire plus de dix verres de boisson alcoolisée par semaine ou en étant en surpoids ou obèse, c’est avoir une stratégie inadaptée de prévention des cancers. Ne pas réaliser de dépistage du cancer du sein en préférant éviter le tabac, l’alcool, le surpoids et l’obésité, en ayant une alimentation équilibrée, et en étant vaccinée contre les papillomavirus et l’hépatite B n’a vraiment rien de déraisonnable."

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Thèse de psychopathologie-appel à témoignage

Je suis doctorante en psychopathologie au laboratoire CERPPS à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Je réalise une étude sur les trajectoires des personnes ayant vécu un évènement traumatique (notamment cancer) et leurs proches, dont le protocole est validé par le Comité d’éthique de la recherche de Toulouse.
(Respect du le Règlement Général de Protection des Données)

Flyer PDF :

Description de l' étude avec le lien du questionnaire ci-dessous : 

🎓Dans le cadre de ma thèse en psychologie à l'Université Toulouse Jean Jaurès, je réalise une étude sur le vécu au cours du temps à la suite d’un évènement traumatique (attentat, catastrophe naturelle, accident de voiture, agression, décès soudain, cancer, AVC, etc.). Je recherche des participant(e)s ayant vécu ce type d’évènements, directement, en étant témoin, en apprenant que cela est arrivé à un proche ou dans le cadre de leur profession (militaire, etc.).
📝Vous pouvez répondre au questionnaire si vous avez minimum 18 ans et que vous n’avez pas de diagnostic de maladie neurodégénérative, retard mental ou trouble psychiatrique décompensé. Le questionnaire dure environ 25 minutes et les données sont rendues anonymes à partir d’un code participant. Pour y participer, cliquez sur le lien suivant : https://enquetes.univ-tlse2.fr/index.php/749687?lang=fr
🤝Votre participation permettra de mieux comprendre les différents vécus et processus associés suite à l’exposition à un évènement traumatique et ainsi mieux adapter les prises en charge. Merci d’avance pour votre participation qui sera précieuse pour la réalisation de cette recherche !

Merci pour votre retour.
Emma Gendre

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Culte du dépistage, une nouvelle religion

"La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer."

David Ropeik dans "Psychology Today", texte publié le 30/08/2023,
traduction et restitution par Cancer Rose
"Can It Be True? Does Cancer Screening Provide No Net Benefit?
"

"Cela peut-il être vrai ? Le dépistage du cancer n'apporte-t-il aucun bénéfice net ?
Etude : Les bénéfices rallongeant la durée de vie ne sont pas supérieurs aux risques la raccourcissant."
Avis de l'auteur à propos d'une étude que nous avons relayée

David Ropeik : ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.

Points clés

- Nous croyons profondément au dépistage du cancer, la seule chose que nous puissions faire pour lutter contre la maladie la plus redoutée.

- Les partisans du dépistage, comme les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques, mettent en avant ses bénéfices, mais pas ses effets néfastes.

- Une nouvelle étude révèle qu'en termes d'années de vie nettes sauvées, le dépistage du cancer n'apporte aucun bénéfice.

"Ce n'est pas possible"

Cela semble presque impossible à croire, et même après avoir lu ce post, vous vous direz peut-être : "Ce n'est pas possible".
Pourtant, une importante étude publiée dans le JAMA Internal Medicine révèle que les formes les plus courantes de dépistage du cancer ne permettent pas de gagner des années de vie nettes pour l'ensemble de la population. Les mammographies, les tests PSA (dépistage du cancer de la prostate, NDLR), les coloscopies, les sigmoïdoscopies (qui n'examinent que la partie inférieure du tube colorectal) et les tests de recherche de sang occulte dans les selles (prélèvement à domicile que l'on envoie à un laboratoire) permettent de sauver quelques vies, selon l'étude.
Mais si l'on compare ces résultats à toutes les années de vie perdues en raison des effets secondaires néfastes du dépistage, auxquels la plupart des gens ne pensent jamais et que les partisans du dépistage ignorent presque tous, le résultat est sans appel.
En termes d'années de vie nettes sauvées pour l'ensemble de la population qui se soumet au dépistage, par rapport aux personnes qui ne se soumettent pas au dépistage, le dépistage du cancer ne présente aucun bénéfice.

Pas de bénéfice net ! Vous direz peut-être : "Mais mon médecin me dit que je devrais faire un dépistage. Tous les experts disent qu'il faut faire un dépistage. Ils affirment qu'il est préférable de détecter le cancer à un stade précoce, lorsqu'il est plus facile à traiter. Je connais tant de personnes qui ont fait un dépistage et qui ont découvert un cancer curable à un stade précoce. Le dépistage leur a sauvé la vie".

Les dégâts

En effet, j'ai des amis précieux pour qui c'est vrai.
Mais combien d'entre vous connaissent quelqu'un dont le cancer précoce a été détecté et traité, mais que le traitement a tué - une infection après une opération de la prostate ou une mastectomie, une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral après une opération des poumons, ou une hémorragie qui n'a pas pu être arrêtée à la suite de l'ablation d'un polype au cours d'une coloscopie ? Cela arrive aussi, et bien que ces événements soient rares, il s'avère que les vies sauvées par le dépistage le sont aussi. La mammographie, par exemple, ne sauve que deux vies pour mille personnes dépistées, sur une période de dix ans. Les tests PSA pour le cancer de la prostate n'ont pas permis de sauver des vies par rapport à l'absence de dépistage.
Donc, si l'on fait le total, comme l'a fait cette étude, et que l'on compare les années de vie sauvées parce que le dépistage a permis de détecter un cancer qui a été guéri, aux années de vie perdues en raison de toutes les autres causes de décès dont souffrent les patients dépistés, on obtient un résultat nul.

Et puis il y a les dizaines de milliers de personnes qui ne meurent pas mais qui souffrent des graves effets secondaires des traitements pour des cancers surdiagnostiqués que des technologies de dépistage plus performantes peuvent désormais détecter, de minuscules formations qui répondent à la définition cellulaire du cancer mais qui ne causeront jamais de dommages à la personne : cancer du sein in situ de bas grade, cancer de la prostate à croissance lente, et minuscules microtumeurs de la thyroïde et du poumon.
Cette étude n'a pas même comptabilisé ces préjudices.

Croyances populaires

Tout cela va profondément à l'encontre des croyances populaires. La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer. Après tout, c'est la seule chose que nous pensons pouvoir faire pour avoir au moins un certain contrôle sur la maladie que nous craignons plus que toute autre.
Une étude a montré que les gens souhaitent un dépistage du cancer même lorsqu'ils savent qu'il ne les aidera pas et qu'il pourrait même leur nuire.
Les participants ont été informés d'un test de dépistage du cancer (mammographie pour les femmes, test PSA (antigène prostatique spécifique) pour les hommes) et ont été avertis que "des années de recherche ont incontestablement montré que le test ne prolonge pas la vie ou ne réduit pas le risque de décès" et que le test pourrait "conduire à des traitements inutiles" ; 51 % d'entre eux ont tout de même voulu ce dépistage.

Il y a deux aspects du problème.
Premièrement, nous craignons tellement le cancer, plus que toute autre maladie, même les maladies cardiaques, qui tuent 10 % d'Américains en plus chaque année.
Deuxièmement, les partisans du dépistage, y compris les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques qui tirent profit du dépistage et des soins onéreux qu'il entraîne, font appel à notre peur mais ne nous donnent qu'une partie de l'histoire du dépistage : la partie rose, "le dépistage sauve des vies".
Notre croyance aveugle dans les bénéfices du dépistage du cancer, due à l'ignorance de ses inconvénients potentiels, est dépassée. Ces croyances obsolètes nous causent de réels préjudices, parfois mortels. Des études comme celle-ci s'inscrivent dans le cadre d'un effort croissant pour réduire ce coût.

Au nom de la santé publique

Au nom de la santé publique, il faut aller beaucoup plus loin. Les militants de la lutte contre le cancer, aussi honorables soient-ils, doivent être plus honnêtes et plus ouverts sur les coûts et les bénéfices du dépistage. Peu d'entre eux le font actuellement.
Aussi difficile que cela puisse être, l'énorme industrie des soins de santé qui profite non seulement du dépistage du cancer, mais aussi des soins onéreux qu'il entraîne, doit faire de même. Dans le cas contraire, ils causent un réel préjudice.

Et nos médecins doivent être plus francs avec nous. Ils doivent nous donner non seulement ce que nous voulons - le dépistage - mais aussi toutes les informations dont nous avons besoin pour choisir en toute connaissance de cause de procéder ou non à un dépistage. C'est précisément ce que demandent les auteurs de cette étude : "...les organisations, les institutions et les décideurs politiques qui promeuvent les tests de dépistage du cancer pour leur capacité de sauver des vies peuvent trouver d'autres moyens d'encourager le dépistage. Il serait peut-être judicieux (...) d'informer objectivement les personnes intéressées sur les bénéfices absolus, les préjudices et le fardeau des tests de dépistage qu'elles envisagent d'entreprendre".

Toute l’histoire du dépistage du cancer nous aidera tous à faire les choix les plus sains. Nous n’avons pas encore toute l’histoire.

David Ropeik

David Ropeik est ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.
Il est l'auteur de How Risky Is It, Really ? Why Our Fears Don't Always Match the Facts et co-auteur de RISK, a Practical Guide for Deciding What's Really Safe and What's Really Dangerous in the World Around You, publié par Houghton Mifflin en 2002. Il est le créateur et le directeur du programme "Improving Media Coverage of Risk", un programme de formation destiné aux journalistes.
David Ropeik a été journaliste de télévision pour WCVB-TV à Boston de 1978 à 2000, où il s'est spécialisé dans les reportages sur l'environnement et les questions scientifiques. Il a remporté à deux reprises le prix DuPont-Columbia, souvent cité comme l'équivalent télévisuel du prix Pulitzer, ainsi que sept prix EMMY régionaux.
Il a été Knight Science Journalism Fellow au MIT de 1994 à 1995, et membre du conseil d'administration de la Society of Environmental Journalists de 1991 à 2000. Il a enseigné le journalisme à l'université de Boston, à l'université de Tufts et au MIT.

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Alors, le dépistage sauve-t-il des vies ?

par Cancer Rose, 2 septembre 2023

Testing Whether Cancer Screening Saves Lives-Implications for Randomized Clinical Trials of Multicancer Screening

L'auteur principal de cet article, G.Welsch*, pose la question de savoir si le dépistage du cancer permet de sauver des vies, question de plus en plus pertinente étant donné l'enthousiasme croissant pour les tests sanguins de détection multicancers (c'est-à-dire les biopsies liquides) parallèlement à la difficulté croissante pour la plupart des dépistages à démontrer leur bénéfice en population.
Le dépistage du cancer est souvent présenté comme un moyen de sauver des vies, écrit l'auteur. Pourtant, dans ce même numéro du JAMA Internal Medicine, une méta-analyse des tests de dépistage courants réalisée par Bretthauer et al douche cet enthousiasme en démontrant l'absence de gain de survie pour la plupart des dépistages pourtant très promus.
Allons-nous refaire les mêmes erreurs avec les biopsies liquides**, les promouvoir en raison d'attentes irréalistes d'être sauvés par les dépistages, sans estimation prudente des effets adverses que nous connaissons maintenant pour bon nombre de dépistages en vigueur (notamment surdiagnostic), et exposer les populations à des effets délétères avant même d'avoir réalisé une réelle et solide évaluation par des essais cliniques d'envergure ?
C'est la question et surtout l'avertissement que le chercheur exprime ici.

*Chercheur sur le cancer, Center for Surgery & Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts

** Biopsies liquides : La biopsie liquide permet de détecter les cellules tumorales circulantes détachées d'une tumeur primaire voire de métastases et véhiculées dans le système vasculaire, ainsi que l'ADN circulant de ces cellules circulantes tumorales. L'espoir étant de pouvoir déceler un cancer avant son expression.

Nous avions déjà traité le sujet des biopsies liquides, pour lesquelles l'enthousiasme initial est contrebalancé par une prise de conscience des risques et effets adverses auxquelles ces techniques sont susceptibles d'exposer le public, comme la surmédicalisation par détections inutiles, les auteurs s'accordant quasi unanimement pour que soient réalisés des essais cliniques de grande envergure.

Que signifie 'sauver des vies' et pourquoi le dépistage pourrait bien ne pas sauver des vies ?

A cette question Welsch explique :
"...pour la plupart des gens, sauver des vies implique de vivre plus vieux qu'ils ne le feraient autrement. Pour ce faire, il faut réduire le taux de mortalité toutes causes confondues."

Une notion à comprendre : la mortalité 'toutes causes'

Les études de dépistage du cancer de meilleure qualité, à savoir les essais cliniques randomisés, se concentrent sur une seule mesure : la mortalité spécifique au cancer.
La mortalité spécifique au cancer ne compte que les décès dus au cancer ciblé par le dépistage (par exemple, la mortalité par cancer de la prostate serait le principal résultat d’un essai clinique randomisé de dépistage du cancer de la prostate).
Mais réduire la mortalité par un cancer n'implique pas forcément la réduction de la mortalité globale.

Est-ce possible de réduire la mortalité spécifique à un cancer sans abaisser le taux de mortalité en général, autrement questionné, comment le dépistage pourrait ne pas sauver des vies, demande l'auteur ?
Deux réponses à cela :
Soit la réduction de mortalité par le cancer étudié est simplement trop faible pour impacter de façon mesurable la mortalité globale.
Soit d'autres causes de décès, concomitamment au dépistage, peuvent augmenter, par exemple les cas de décès par les traitements contre le cancer qui peuvent contrebalancer négativement un éventuel bénéfice.

"Un plus grand nombre de personnes sont exposées à des interventions diagnostiques (par exemple, biopsies du poumon, du foie et du pancréas) et un plus grand nombre à des interventions thérapeutiques (par exemple, chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie).
Les décès associés au traitement du cancer ne sont pourtant pas attribués de manière fiable au cancer (ces décès ne sont pas reliés au cancer étudié et non intégrés lors du comptage des décès imputables au cancer, NDLR) : environ 40 % des décès survenant au cours du mois suivant une chirurgie du cancer sont attribués à une autre cause. Les décès associés aux interventions diagnostiques (comme les complications des coloscopies ou des biopsies, NDLR) sont encore plus susceptibles d'être attribués à des causes autres que le cancer (en particulier si aucun cancer n'est détecté)."
Alors que ces décès 'non cancéreux' sont néanmoins la conséquences d'actes liés à la recherche d'un cancer.
Pour ces raisons le paramètre "mortalité toutes causes confondues" est plus robuste car il intègre toutes ces causes.

Comment un dépistage peut-il augmenter ces cas de décès 'non-cancéreux' ?


Selon G.Welsch, il y a 2 explications biologiques possibles pour lesquelles le dépistage peut augmenter d’autres causes de décès.

Premièrement, le dépistage, par les fausses alertes et les surdétections inutiles qu'il engendre, peut déclencher une cascade d’interventions diagnostiques et thérapeutiques, qui présentent toutes un certain risque de décès, comme expliqué plus haut. Les décès associés au dépistage d'un cancer peuvent donc être la conséquence d'autres causes.
Par exemple, cite Welsch, deux essais cliniques randomisés de premier plan inclus dans la méta-analyse de Bretthauer et coll. ont révélé une mortalité toutes causes confondues équivalente dans les groupes de dépistage et de contrôle, malgré un dépistage concluant à des réductions significatives de la mortalité spécifique au cancer.

Figure 1 (cliquez sur l'image)

Comme on le voit sur ces graphiques, chacun de ces deux dépistages semble démontrer un gain en termes de mortalité par cancer, mais lorsque on examine la mortalité par toutes les causes qui entourent les procédures de dépistage de ces deux cancers ainsi que la mortalité par leurs traitements, en incluant la mortalité par le cancer lui-même, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un 'jeu à somme nulle', comme le suggérait déjà une étude du professeur M.Baum publiée dans le BMJ en 2013.
Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

La seconde explication donnée par l'auteur est l'hypothèse du soma vieillissant (soma = ensemble des cellules qui composent le corps) :
"La fragilité n'augmente pas seulement la susceptibilité aux expansions clonales de cellules précancéreuses, mais aussi à d'autres maladies (par exemple, les maladies cardiovasculaires, les infections) et aux blessures (par exemple, les chutes). En d'autres termes, les personnes présentant un risque élevé de décès par cancer présentent également un risque élevé de décès pour d'autres causes. Si l'on peut s'attendre à ce que le dépistage réduise le premier risque, il n'en va pas de même pour le second. Bien que ces deux explications biologiques potentielles soient conceptuellement distinctes, elles peuvent être liées dans la pratique : un décès par infarctus du myocarde après une anesthésie générale et une chirurgie du cancer pourrait refléter un décès lié au traitement et un vieillissement du soma."

Taille de l'échantillon nécessaire pour tester la mortalité toutes causes confondues

L'auteur explique : "Les résultats présentés dans la figure 1 ont une explication statistique potentielle : l'association entre le dépistage et la mortalité toutes causes confondues est tout simplement trop faible pour être détectée de manière fiable."

Le tableau 1 ci-dessous met en évidence comment des échantillons de très grande taille sont nécessaires simplement pour détecter des changements dans la mortalité, aussi bien spécifique au cancer que globale.

Tableau 1

La taille des échantillons nécessaires pour tester de manière fiable la mortalité toutes causes confondues dans un essai clinique randomisé est encore plus grande, parce que l'effet attendu du dépistage d'un seul cancer sur la mortalité toutes causes confondues est faible.
Déjà pour parvenir à dégager un bénéfice pour une femme lors du dépistage du cancer du sein par exemple, il faut étudier une grande cohorte de femmes sur un long laps de temps afin de trouver une vie sauvée (avec en parallèle malheureusement un bien plus grand nombres de femmes exposées aux risques d'irradiation, fausses alertes, surdiagnostics inutiles.)

Pourquoi des essais cliniques randomisés sont-ils obligatoires ?

Comme beaucoup d'autres chercheurs avant lui, G.Welsch estime qu'avant de nous emballer à nouveau dans des dépistages multiples de cancers avec des techniques aussi coûteuses que les biopsies liquides, il convient d'évaluer ce que l'on fait, et cela passe par des études solides.
L'auteur écrit :
"Qu'il s'agisse d'un résultat spécifique au cancer ou d'une mortalité toutes causes confondues, les essais cliniques randomisés sur le dépistage prennent du temps : en général, une décennie ou plus.
En conséquence les partisans du dépistage multicancer plaident en faveur d'une approbation accélérée sur la base de résultats intermédiaires, d'avantages modélisés et/ou de l'idée reçue selon laquelle la détection précoce du cancer est manifestement efficace."...
"Des résultats apparemment favorables, tels que l'augmentation de la proportion de patients dont le cancer a été détecté à un stade précoce (ce que l'on appelle un "changement de stade favorable"), peuvent simplement refléter la détection d'un plus grand nombre de patients atteints d'une maladie à un stade précoce, mais pas d'un moins grand nombre de patients présentant une maladie à un stade avancé. La statistique la plus trompeuse est de loin la survie à 5 ans.
La survie spécifique au stade (c'est-à-dire l'observation que la survie à 5 ans est élevée chez les patients atteints d'un cancer à un stade précoce et faible chez ceux atteints d'un cancer à un stade avancé) est fréquemment utilisée comme preuve que le dépistage du cancer sauvera des vies."
.......

Une trompeuse survie

Être en vie 5 ans après le diagnostic ne veut pas dire être guéri.
La survie mesure la durée de vie du patient 'en connaissance de son cancer' par la détection au dépistage ; on anticipe la "date de naissance" du cancer qui se serait manifesté, sans dépistage, simplement plus tard. On allonge ainsi par effet d'optique la durée de vie du patient avec son cancer qui a été trouvé plus tôt, mais sans allongement réel de la longévité, sans réel gain d'années de vie, ce que démontre très bien la méta-analyse de Bretthauer et col sus-citée.
Une survie plus longue reflète essentiellement deux paramètres : l'efficacité des traitements et l'ampleur du surdiagnostic.
Plus on effectue des détections de cancers de bas stade et plus on a une impression d'efficacité des dépistages, alors qu'il s'agit simplement de personnes 'survivantes' d'un cancer qui de toute façon ne les aurait jamais tués.
Lire : https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/

Il est vrai que les cancers trouvés à un stade plus bas et de petite taille garantissent à la personne une meilleure survie que des cancers de haut grade et agressifs, mais la question de base est : le dépistage est-il capable de détecter ces cancers agressifs suffisamment petits et suffisamment tôt, avant qu'ils aient déjà envahi l'organisme et métastasé ? Et c'est là où le bât blesse, ce que l'auteur explique en détail.

Des hypothèses fausses conduisant à un espoir déçu de l'efficacité des dépistages

"la survie observée à 5 ans est d'environ 90 % pour les cancers localisés, mais de seulement 20 % pour les cancers métastatiques. Bien que les données soient en grande partie exactes, la conclusion selon laquelle elles constituent une preuve que le dépistage sauve des vies est le produit de trois hypothèses erronées (tableau 2).

La première est l'hypothèse selon laquelle tous les cancers présentant actuellement des métastases pourraient être détectés à un stade précoce. Au contraire, certains de ces cancers peuvent ne pas être détectés à un stade localisé parce que leur biologie agressive signifie qu'ils sont déjà systémiques au moment où ils sont détectables."

Tableau 2 (cliquez sur l'image)

Deuxièmement, l'hypothèse selon laquelle la détection précoce des cancers destinés à présenter des métastases retardera nécessairement le moment du décès.
le traitement initié plus tôt peut ne conférer aucun avantage par rapport à un traitement initié plus tard."

Troisièmement, le surdiagnostic

"On suppose que le taux élevé de survie à 5 ans des patients atteints d'un cancer localisé reflète l'efficacité d'une intervention précoce.
Si le traitement peut être efficace pour certains, il peut aussi être inutile pour d'autres. Les patients ayant fait l'objet d'un surdiagnostic* ne sont pas destinés à mourir de leur maladie, ce qui gonfle le taux de survie à 5 ans. Le taux de survie de 90 % pour les cancers localisés aux États-Unis est fortement influencé par les cancers couramment surdiagnostiqués : le cancer du sein, le mélanome, le cancer de la prostate et le cancer de la thyroïde."
* Surdiagnostic : diagnostic d'un cancer de détection inutile, qui, s'il n'avait jamais été détecté, n'aurait jamais tué la personne.

Conclusions

L'article conclut ceci :

"Le dépistage a des effets négatifs sur beaucoup plus de personnes (plus de tests et de procédures, plus de fausses alertes et de surdiagnostics, et plus de chances de subir les effets toxiques financiers des paiements directs ou de l'augmentation des primes d'assurance maladie) qu'il ne pourrait en avoir de positifs.
La question cruciale est donc de savoir si les bénéfices pour quelques-uns sont suffisamment importants pour justifier les inconvénients qui en découlent pour le plus grand nombre. Il est tout à fait possible que les tests sanguins de détection multiple des cancers sauvent des vies et justifient les coûts et les inconvénients qui en découlent.
Mais nous ne le saurons jamais si nous ne posons pas la question."

Ne faisons donc pas les mêmes erreurs pour les biopsies liquides que pour bon nombre de dépistages pour lesquels les campagnes et les promotions ont démarré beaucoup trop vite, sans se donner le temps d'en évaluer les effets adverses, ou bien en dépit de la connaissance des effets adverses, comme ce fut le cas pour le cancer du sein ; des lanceurs d'alerte avaient déjà mis en garde sur les potentiels risques et n'ont pas été écoutés.
L'enthousiasme, l'idéologie de dépistages salvateurs, les attentes et les espoirs irréalistes, la foi en la détection précoce et l'appât du gain sont les pires avanies conduisant à la situation actuelle : l'ancrage dans nos pratiques de dépistages comportant de graves risques pour la population, plongeant des personnes dans des parcours de malades qu'elles n'auraient jamais connus sans dépistage, tellement promus par des thuriféraires du dépistage coupables de conflits d'intérêts, par des médias complices et par des décideurs politiques qu'on ne pourra jamais plus nous en défaire, alors que les preuves s'accumulent sur les risques encourus par le plus grand nombre, pour des bénéfices très maigres.

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Cancer du sein, le risque du travail de nuit

7 août 2023

Lorsqu'on parle des facteurs de risque des cancers, pour certains, ces facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, et ceux dits 'probables'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

En 2012, des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 1018 « centre de recherche en épidémiologie et santé des populations ») publient dans l’International Journal of Cancer une étude montrant que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes travaillant de nuit.
L’étude réalisée en France et baptisée CECILE a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Déjà en 2010, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) avait classé le travail entraînant des perturbations du rythme circadien comme « probablement cancérigène ».
Stevens RG, Hansen J, Costa G et al. Considerations of circadian impact for defining ‘shift work’ in cancer studies: IARC Working Group Report. Occup Environ Med. 2010; 68: 154-162. Rapport du groupe de travail du CIRC pour proposition sur la façon d’évaluer le travail posté dans le cadre des futures études épidémiologiques.

Les chercheurs de l'INSERM mettent en évidence un risque de cancer du sein augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes.
Cette augmentation du risque, disent encore les scientifiques, était particulièrement marquée chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou chez celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, entraînant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de la nuit.

Une autre conclusion était que cette association entre travail de nuit et cancer du sein semblait plus marquée lorsqu'il s'agissait de travail de nuit effectué avant la première grossesse, probablement en raison d'une plus grande vulnérabilité des cellules mammaires chez la femme avant le premier accouchement.

Les mécanismes de cet impact du travail de nuit sur le sein seraient les suivants :

  • l’exposition à la lumière durant la nuit qui supprime le pic nocturne de mélatonine, hormone ayant une action anti-cancérigène ;
  • la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire ;
  • les troubles du sommeil pouvant affaiblir le système immunitaire luttant contre les cellules cancéreuses que l'organisme peut produire.

Un cas faisant jurisprudence

Un article dans Libération au mois de mars dernier nous apprend le cas d'une ancienne infirmière de 62 ans, ayant travaillé au Centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) au service de radiologie puis de gynécologie entre 1981 et 2009. Pendant 28 ans, elle a ainsi cumulé 873 nuits de travail - soit environ une par semaine, et elle a contracté un cancer du sein.
La pathologie de cette femme vient de lui être reconnue comme maladie professionnelle.

Un médecin-expert dans le dossier relate : «On peut affirmer qu’il existe un lien direct et essentiel entre le cancer du sein dont elle est victime et le travail effectué auparavant» 

Ce cas pourrait faire jurisprudence et si le cancer du sein est inscrit dans le tableau de reconnaissance de maladies professionnelles, ceci amènerait à d'autres reconnaissances de maladies professionnelles chez les travailleurs de nuit.
Et c'est important car ainsi les victimes n’auraient plus besoin de prouver le lien entre leur maladie et leur travail.

Mauvaise documentation de l'impact du travail de nuit et mauvaise reconnaissance chez la femme.

En 2016 nous avions déjà publié un article sur le sujet.

En Europe et aux États-Unis, le travail de nuit a augmenté ces dernières décennies et concerne 19 à 25 % de l’ensemble des travailleurs.
Pourtant les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention, et le manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme, lui, fait l’objet de campagnes et d'effort de stimulations extrêmes de la part des autorités sanitaires pour augmenter la participation des femmes, et ce en dépit de résultats bien décevants du dépistage.

Alors que la pathologie cancéreuse est identifiée comme première cause de décès par le travail en Europe et alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité 'travail' à ce phénomène, comme le détaille très bien cet article dans The Conversation.

Il faut attendre 2023 pour voir menés des travaux sur l'impact du travail sur la santé des femmes, l'étude des risques au travail s'étant jusqu'à présent concentrée sur la population masculine.
"Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail." dit le rapport.
Un des grands axes de ce travail est de "chausser les lunettes du genre" pour comprendre, mais aussi pour développer une vraie prévention du cancer à l'attention des femmes, le dépistage, rappelons-le, n'en étant pas une.

L'article dans The Conversation rapporte :
"La récente médiatisation autour de la reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs dizaines de molécules chimiques présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail."

Vraie volonté politique ou affichage ?

C'est aussi la question que pose The conversation.

"Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du Plan santé travail 2021-2025, et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.
La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie."

Conclusion

Dans le dossier de l'infirmière mosellane, d’autres facteurs de risque probables ont été notés : rayonnements ionisants, perturbateurs endocriniens et produits chimiques pour stériliser du matériel médical.

En effet, très fréquemment, les causes de cancer sont multiples et intriquées, et des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité dans l’exercice de leur profession. 

Mais, alors que le cancer est identifié comme la première cause de décès par le travail en Europe et en constante progression depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique occultent soigneusement l'impact du travail, et notamment celui du travail de nuit féminin sur un organe particulièrement sensible, le sein, préférant largement focaliser sur un dépistage du cancer du sein qui a failli à sa mission de diminution des formes graves et d'allègements thérapeutiques.
Les campagnes de prévention primaire, quand elles existent, mettent l'accent également très lourdement sur les facteurs comportementaux individuels, qui ne sont certainement pas à ignorer, mais qui ne sont pas exclusifs.

Seule bonne nouvelle, la mortalité par ce cancer diminue depuis les années 90, dépistage ou pas, concernant même les cancers avancés, en premier lieu imputable aux avancées thérapeutiques ce que suggère une étude parue récemment, malheureusement régulièrement citée comme victoire du dépistage dans la presse.

Mais ce serait quand-même tellement plus logique et plus intelligent de lutter en amont contre les facteurs de risques de la maladie plutôt qu'en aval, et notamment contre les facteurs de risque au travail, plutôt que de gaspiller tant de moyens logistiques, humains et financiers pour un dépistage décevant, dont la faillite est aggravée d'une désinformation des femmes inexcusable, non éthique, et de campagnes marketing outrancières à chaque mois d'octobre.

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Leçons à tirer de la guerre des mammos

15 juillet 2023

Synthèse Cancer Rose

Lessons from the Mammography Wars

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsb1002538

https://joelvelasco.net/teaching/2330/Lessons_from_the_Mammography_W.pdf

Les auteurs :

  • Kerianne H. Quanstrum, M.D., Rodney A. Hayward, M.D. chirurgienne à l'University of Michigan;
  • Rodney A. Hayward, M.D., professeur de santé publique et de médecine interne à L'Université de Michigan.

Selon ces auteurs, la controverse sur le dépistage du cancer du sein était prévisible.

En 2002, L'USPSTF[1]recommandait des mammographies annuelles pour les femmes de 40 ans ou plus.
Tout à coup, voilà qu'un groupe indépendant financé par le gouvernement laisse entendre que ce barème était peut-être trop élevé, et que 'moins', en fait, c’était peut-être mieux.[2]

Les partisans du dépistage du cancer du sein, en particulier les radiologistes du sein, ont immédiatement pris des mesures, dénonçant les déclarations des membres du groupe comme velléités de rationnement des soins par le gouvernement, suggérant que les membres du panel avaient ignoré les preuves médicales, et même sous-entendant qu'ils étaient coupables d’un mépris total pour la vie et le bien-être des femmes.

Les sociétés savantes de spécialistes n'ont pas tardé à réagir et ont rapidement émis des lignes directrices contraires.[3]

En réalité,

Ce groupe de travail sur les services préventifs, groupe indépendant, avait simplement recommandé que la mammographie de dépistage systématique commence à l’âge de 50 ans, alors que les femmes âgées de 40 à 49 ans devraient décider individuellement avec leur médecin si leurs préférences et leurs facteurs de risque imposaient une indication de dépistage à un âge plus précoce.
Le comité avait également recommandé que les mammographies de dépistage soient effectuées tous les deux ans, ce qui, selon lui, réduirait les méfaits de la mammographie de près de la moitié tout en maintenant la plupart des avantages de l’imagerie annuelle. . .

En résumé, le groupe de travail avait conclu implicitement que nous avions déjà surestimé la valeur de la mammographie : la mammographie est bonne, mais pas si bonne; peut-être utiles à des femmes, mais pas à toutes; et qu’elle devrait être effectuée à une certaine fréquence, mais pas chaque année, ou pour chaque femme.

Derrière les conclusions du groupe d’experts au sujet de la mammographie se cache une réalité malvenue que notre profession a souvent omis de reconnaître.

Chaque intervention médicale, aussi bénéfique soit-elle pour certains patients, entraînera une diminution continue des rendements à mesure que le seuil d’intervention baissera, c'est à dire plus on élargit l'indication de cette intervention (ici le dépistage) à tout une population.
La mammographie n’est qu’un exemple, expliquent les auteurs.

Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, le taux de faux positifs est assez élevé et les avantages attendus sont faibles : plus de 1900 femmes devraient être invitées à subir une mammographie de dépistage afin de prévenir un seul décès dû au cancer du sein pendant 11 ans. . .Avec un coût direct de plus de 20 000 visites en imagerie mammaire et d’environ 2 000 mammographies faussement positives.
À l’inverse, pour les femmes âgées de 60 à 69 ans, moins de 400 femmes devraient être invitées à se soumettre à un dépistage afin de prévenir un décès par cancer du sein au cours des 13 années de suivi, tout en accumulant environ 5000 visites et 400 fausses mammographies positives.[4]
Cela signifie qu'à mesure que le risque de cancer du sein augmente (avec l'âge), les avantages de la mammographie augmentent, tandis que les préjudices relatifs, qui existent toujours, deviennent néanmoins progressivement moins importants.
Et l'inverse est vrai, à mesure que le risque de cancer du sein diminue (tranches d'âge jeunes et au-delà de 74 ans), les risques existants et connus deviennent prééminents.

Pour de nombreuses interventions, si le risque de ne pas traiter est suffisamment faible, alors ce sont les effets secondaires et les risques du traitement lui-même qui domineront, et le traitement induira des dommages bruts

Comme le risque de ne pas traiter varie considérablement chez les patients pour presque toutes les maladies ou affections, même une intervention dite très efficace montrera une variation des bénéfices dans une population donnée par rapport aux risques, lesquels sont inhérents à cette intervention.

Dans la situation d'une prise de décision médicale et pour le cas d’un patient donné, nous devons choisir de traiter ou non, de dépister ou non.
Pour nous aider à faire ces choix, notre profession s’efforce constamment d’élucider des seuils d’intervention clairs, comme des taux biologiques lors d'examens sanguins, ou l’âge, ou des intervalles de temps standard, comme pour le dépistage.

Ce dont nous ne nous souvenons pas assez souvent, nous disent les auteurs, c’est que ces seuils — par exemple, l’âge de 40 ans ou 50 ans, ou la mammographie annuelle par rapport à la mammographie de routine biennale — sont dans une certaine mesure subjectifs et arbitraires.
Après tout, les preuves scientifiques ne peuvent que nous aider à décrire le continuum entre bénéfices et risques.
L’évaluation de la question de savoir si le bénéfice est suffisant pour justifier le préjudice — c’est-à-dire la décision quand "faire" — cette évaluation se base nécessairement sur un jugement de valeur.

Dans la guerre de la mammographie de dépistage, chaque camp affirme que les données probantes suggèrent que les femmes devraient ou ne devraient pas subir une mammographie de routine à partir de l’âge de 40 ans.  
Mais ainsi on prive le public, selon les auteurs, de ce que les données probantes peuvent nous dire.
Les camps adverses ne font que porter des jugements de valeur différents sur l’endroit où fixer le seuil.
Mais qui a raison? Qui devrait porter ces jugements?
La réponse évidente pourrait être « la patiente et son médecin ». Mais il serait insensé de suggérer que chaque décision médicale devrait être prise à nouveau pour chaque patient sans des lignes directrices, et sans normes professionnelles.
On tourne en rond, puisque les lignes directrices dépendent aussi du panel du groupe d'étude....

Notre profession doit commencer à faire la distinction entre les choix qui sont clairs et ceux qui nécessitent une prise de décision personnalisée.


Extrait :

"A cette fin, pour la plupart des interventions, plutôt que de rechercher un seuil unique et universel d’intervention (ici le dépistage NDLR) (Fig. 1A), nous devrions argumenter sur un minimum de deux seuils distincts; nous devrions argumenter sur minimum deux âges distincts : un âge au-dessus duquel les avantages l’emportent clairement sur le risque de préjudice, auquel cas les cliniciens devraient recommander l'intervention; et un âge au-dessous duquel des préoccupations dominent clairement quant aux préjudices. Dans ce cas, les cliniciens devraient déconseiller cette intervention.
Entre ces deux seuils se trouve une zone grise de bénéfice net indéterminé, dans laquelle les cliniciens devraient s’en remettre aux préférences de la patiente, comprenant par exemple la réaction émotionnelle d’une femme au risque de cancer du sein, afin de décider d’intervenir ou non (Fig. 1B).

C'est justement une zone grise dans laquelle les femmes de la quarantaine se retrouvent avec les nouvelles directives mammographiques.
Lire à ce sujet : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Les auteurs avancent que nous, praticiens, préférons généralement ignorer ces zones grises. Il est plus facile, après tout, de simplement abaisser le seuil d’intervention, de recommander la mammographie à toutes les femmes de 40 ans ou plus, plutôt que de se fier à des jugements individuels quant à savoir laquelle de ces femmes mérite réellement un dépistage.

Rentabilité

Mais, disent aussi les auteurs, l'approche actuelle est plus qu’une simple quête d’uniformité. Lorsqu’un service donné est étendu avec succès à un plus grand nombre de personnes avec plus d’intensité, la profession qui fournit ce service tend à croître en importance et en rentabilité.
Et de citer l'exemple américain : Aux États-Unis, où les médecins spécialistes jouissent souvent d’un statut élevé dans l’esprit de la population, si les experts crient haut et fort que chaque femme de 40 ans ou plus DOIT être dépistée annuellement pour le cancer du sein, alors le cancer du sein doit être important, le dépistage doit être un droit humain fondamental, et les médecins qui fournissent ce service doivent avoir une grande valeur et grande autorité (dans l'esprit du public).

On peut dire qu'en France nous connaissons les mêmes tendances, avec des "experts" ou des leaders d'opinions aux conflits d'intérêts bien celés qui ont néanmoins pignon sur rue à peu près librement dans n'importe quel média (radio, écrit, télévisé), surtout au moment d'octobre rose.(NDLR)

Dans toute industrie, nous acceptons l’idée comme naturelle que ceux qui fournissent un service ou un produit détiennent leurs propres intérêts et ceux de leurs actionnaires comme objectif principal.

Les auteurs avancent qu'il se passe le même mécanisme dans les soins de santé. Selon eux et bien qu’il soit vrai que les professionnels de la santé se soucient profondément de leurs patients, la tentation est grande des sociétés savantes professionnelles (par exemple pour le dépistage mammographique il s'agit des sociétés savantes de radiologie) de privilégier les intérêts de ses membres, et de gonfler la valeur réelle d'un dispositif, surtout lorsque cela est facile à faire (promotion sociétale et médiatique).

Des protections nécessaires


C’est pour cette raison qu’un certain degré de réglementation du marché est nécessaire, comme les lois sur la vérité dans la publicité.
Ce n’est que dans le domaine de la santé que nous n’avons pas reconnu la nécessité de protections analogues, critiquent les auteurs.
Ce n’est que dans le domaine des soins de santé, après tout, que le même groupe qui fournit un service nous dit aussi à quel point ce service est utile et combien nous en avons besoin, comme lorsque la Society of Breast Imaging établit les recommandations pour la mammographie.[5]

En cas de sur-utilisation dans les soins de santé, nous pouvons être sûrs que le système continuera tant que ceux qui ont un intérêt direct seront autorisés à gagner les guerres de la communication publique en criant au « rationnement » alors qu'on souhaite tout simplement rationaliser les soins de santé. Ou ils accuseront les membres des groupes de travail de « jury de la mort » dès lors que le panel émettra des conseils de prudence, ou à chaque fois que quelqu’un laissera entendre que plus de soins de santé, en fait, eh bien non, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de meilleur.

NDLR : nous assistons en ce moment sur les réseaux sociaux à une guerre de communication sans merci entre le groupe canadien des soins préventifs, le CanTaskForce, en train de travailler sur des nouvelles recommandations, et des leaders d'opinion très bien relayés par la presse.[6]


Il est temps de changer les choses.

Les auteurs avancent :

"Nous devons reconnaître que, comme dans toute autre profession ou industrie, l’intérêt personnel est inévitablement à l’oeuvre dans le domaine des soins de santé. Plutôt que de reconnaître les lignes directrices de pratique offertes par les experts, nous devrions nous inspirer de la sagesse d’une saine gouvernance et mettre en place un système de freins et de contrepoids en ce qui concerne l’interprétation et l’application des données probantes médicales.
En même temps, nous devons reconnaître que ces deux tâches (interprétation et application) sont distinctes.

Bien que l’interprétation de la preuve médicale soit (ou devrait être) un exercice scientifique, l’application de cette preuve, comme dans l'élaboration de lignes directrices, est en définitive un exercice social."

Les décisions concernant les lignes directrices sur la pratique peuvent et doivent certainement être fondées sur des données probantes. Mais elles exigeront toujours des jugements de valeur émanant de patients pour dicter les soins, et se réfèreront à des réflexions sur : dans quelle mesure les coûts pour leur application pourront être engagés ?

En séparant l'examen des données probantes et la formation de lignes directrices, les désaccords fondés sur la qualité ou la substance des données probantes peuvent s'exprimer séparément des désaccords concernant les répercussions de ces lignes directrices sur les soins cliniques et sur les patients.


"Idéalement, nous devrions avoir un système dans lequel des groupes de généralistes indépendants, possédant une expertise dans les méthodes d’examen et de synthèse des données probantes, seraient chargés de synthétiser objectivement les données médicales sur une question ou un processus de soins donné.
Ces groupes indépendants pourraient ensuite solliciter les commentaires des groupes de cliniciens concernés afin de savoir ce qu’ils pensent des données probantes et où ils situeraient les seuils pour recommander les soins par rapport au processus décisionnel individualisé.
Pour faciliter l’impartialité et la visibilité politique, il serait peut-être préférable de créer une alliance entre les secteurs public et privé, avec un financement et une représentation des groupes indépendants provenant du gouvernement, de fondations privées et de groupes de fournisseurs et de payeurs.
En outre, contrairement aux groupes spéciaux ponctuels ou occasionnels, ce processus d’examen des preuves et de formation de lignes directrices devrait être financé adéquatement pour permettre des mises à jour régulières à mesure que de nouvelles preuves seront disponibles.
Les récentes propositions visant à accroître les dépenses de recherche sur l’efficacité comparative sont certainement louables, mais il est irréaliste de penser qu’un investissement dans la recherche à lui seul aura un effet considérable sur la pratique de la médecine, sans un investissement concomitant dans un processus crédible d’examen des preuves médicales et des lignes directrices en matière de soins cliniques."

Quanstrum et Hayward écrivent :
"Le Groupe de travail sur les services préventifs américain adopte le format que les auteurs proposent ici, car le groupe est composé d’experts généralistes.
Toutefois, ce groupe d’experts a tendance à interpréter les preuves et à rédiger les recommandations comme un processus unique, créant l’apparence, et peut-être la réalité, de permettre trop peu de commentaires de la part des intéressé(e)s, et de confondre souvent les désaccords sur les preuves et les désaccords sur les recommandations."

En conclusion

En tant que profession de santé, concluent les auteurs, nous avons le potentiel de jouer un rôle très réel dans l’amélioration de notre système de santé.
Nous pouvons choisir de reconnaître les zones grises de la médecine et insister pour qu’elles soient reflétées dans les guides de pratique clinique.

Et nous pouvons travailler pour empêcher que les intéressé(e)s ne se fassent entendre au plus fort dans le domaine des soins de santé — même lorsque ces voix émanent de notre propre spécialité — en accordant foi à des groupes comme le Groupe de travail sur les services préventifs qui cherche à formuler des lignes directrices objectives.

Et ce, ajoutent-ils, au lieu de poursuivre une guerre de la mammographie dès lors qu'une recommandation d'application prudente est ressentie comme menaçant la rentabilité et la stature de nos propres spécialités.

Références


[1] U.S. Preventive Services Task Force. Screening for breast cancer: recommendations and rationale. Ann Intern Med 2002; 137:344-6.
Le groupe de travail sur les services préventifs des États-Unis est "un groupe indépendant d'experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves d'efficacité et élabore des recommandations pour les services cliniques de prévention". (Traduction Wikipédia anglais)- il est composé de cliniciens de soins primaires volontaires et ayant des compétences en biostatistique et épidémiologie.

[2] https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/0003-4819-137-5_Part_1-200209030-00011 "Chez les femmes de 40 à 49 ans, les données probantes selon lesquelles la mammographie de dépistage réduit la mortalité due au cancer du sein sont plus faibles, et les avantages absolus de la mammographie sont plus faibles que chez les femmes âgées. La plupart des études, mais pas toutes, indiquent un avantage sur le plan de la mortalité chez les femmes qui subissent une mammographie entre 40 et 49 ans, mais le retard observé chez les femmes de moins de 50 ans rend difficile la détermination de l’avantage supplémentaire du dépistage à 40 ans plutôt qu’à 50 ans. L’avantage absolu est moindre parce que l’incidence du cancer du sein est plus faible chez les femmes dans la quarantaine que chez les femmes âgées."
L'article cite les recommandation du bureau d'études canadien qui, en 2001 conclut à des preuves insuffisantes pour recommander la mammographie de dépistage pour les femmes de 40 à 49 ans.

[3] Society of Breast Imaging, American College of Radiology etc...

[4] Nelson HD, Tyne K, Naik A, et al. Screening for breast can- cer: an update for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2009;151:727-37.

[5] Lee CH, Dershaw DD, Kopans D, et al. Breast cancer screen- ing with imaging: recommendations from the Society of Breast Imaging and the ACR on the use of mammography, breast MRI, breast ultrasound, and other technologies for the detection of clinically occult breast cancer. J Am Coll Radiol 2010;7:18-27.

[6] Les recommandations du CanTaskForce, groupe canadien d'étude des données probantes dans les soins préventifs, sont celles-ci :
CantaskForce

«  Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

Trois articles de la presse canadienne ont donné très largement et majoritairement la parole à une leader d'opinion aux conflits d'intérêts manifestes, Dr P. Gordon.

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women"Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"

2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"LES POLITIQUES SUR LES MAMMOGRAPHIES DE DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN SONT FONDÉES SUR DES RECHERCHES ERRONÉES : DRE PAULA GORDON"

3-
https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

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Tromperie dans les indicateurs et les mesures du dépistage

Mesures trompeuses sur les progrès dans le plan à long terme de lutte contre le cancer du NHS : mesures basées sur des cas et mesures basées sur la population

Oke, J.L., Brown, S.J., Senger, C. et al. Deceptive measures of progress in the NHS long-term plan for cancer: case-based vs. population-based measures. Br J Cancer (2023). https://doi.org/10.1038/s41416-023-02308-9
Jason L. Oke 1, Sarah Jo Brown 2, Chris Senger 2, and H. Gilbert Welch 3
1.Nuffield Department of Primary Care Health Sciences, Oxford University, Oxford, England
2. Manchester, NH, USA
3.The Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, MA, USA

Dans cet article, les auteurs nous expliquent comment, en prenant l'exemple du plan "long terme pour la lutte contre le cancer" du NHS*, des indicateurs et des mesures non pertinents en trompeurs sont mis en avant pour valoriser un "succès" des campagnes de dépistage.

Le NHS est le système de santé du Royaume-Uni, système universel financé par les impôts et d'accès gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni.

Traduction Cancer Rose, 25 juin 2023

Résumé

Le plan à long terme du NHS pour la lutte contre le cancer vise à augmenter de 50 % à 75 % le nombre de diagnostics à un stade précoce et à accroître de 55 000 le nombre de personnes qui, chaque année, survivent à leur cancer pendant au moins cinq ans après le diagnostic. Les mesures de ces objectifs-cibles sont imparfaites et pourraient être atteintes sans améliorer pour autant les résultats qui comptent vraiment pour les patients.
La proportion de diagnostics à un stade précoce pourrait augmenter, alors que le nombre de patients se présentant à un stade avancé resterait le même. Davantage de patients pourraient survivre plus longtemps à leur cancer, mais les délais et le biais de surdiagnostic empêchent de savoir si quelqu'un a vu sa vie prolongée.
Les objectifs-cibles devraient être modifiés pour remplacer les mesures biaisées basées sur des cas, par des mesures non biaisées basées sur la population et qui reflètent les objectifs clés des soins du cancer sui sont : la réduction de l'incidence et de la mortalité à un stade avancé.

Introduction

En juin 2018, le Premier ministre britannique a annoncé un nouveau plan de financement quinquennal pour le National Health Service (NHS) afin d'élaborer un plan à long terme pour ce service. L'un des objectifs du plan à long terme du NHS est de "sauver des milliers de vies supplémentaires chaque année en améliorant considérablement la façon dont nous diagnostiquons et traitons le cancer"[1]. [En janvier 2019, le ministre de la santé Matt Hancock a défini deux objectifs clés pour 2028 afin d'atteindre ce but :

1.         La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce devrait augmenter de 50% environ actuellement à 75%.

2.         55 000 personnes supplémentaires par an devraient survivre à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic.

Ces objectifs seraient atteints grâce à la mise en œuvre d'une série d'initiatives, notamment la révision et l'extension des programmes de dépistage du cancer existants, l'introduction de nouveaux tests, des unités mobiles de dépistage du cancer du poumon et des investissements importants dans l'intelligence artificielle (IA) afin de mieux cibler les populations à risque.

Si nous saluons l'objectif, les mesures ciblées sont imparfaites.
Si ces objectifs peuvent être atteints grâce à des améliorations significatives pour les patients atteints de cancer, ils pourraient bien aussi être atteints sans qu'il y ait une seule amélioration de ces résultats qui comptent vraiment pour les patients :

  • une réduction du risque de souffrir de symptômes du cancer ou
  • une réduction du risque de mourir d'un cancer.

En outre, la poursuite de ces objectifs pourrait même nuire directement aux patients, en diagnostiquant et en traitant des cancers qui n'étaient pas destinés à causer des problèmes, et indirectement, en détournant les ressources d'initiatives plus efficaces en matière de santé.

Paradigmes du cancer : la vision traditionnelle

Diagnostiquer le cancer plus tôt est un objectif recherché par les individus, les systèmes de santé et les gouvernements du monde entier. Le raisonnement est familier : les cancers détectés à un stade précoce sont apparemment plus "curables" et nécessitent un traitement moins agressif, avec moins d'effets secondaires.

Cette stratégie est logique si l'on se réfère à un modèle largement répandu de progression du cancer, généralement attribué à William Stewart Halsted [2]. Selon Halsted, le cancer progresse de manière ordonnée : il survient à un seul endroit, s'y développe et finit par s'étendre à d'autres parties du corps (Fig. 1, panneau de gauche). En termes de détection précoce, ce modèle repose sur l'hypothèse que les métastases ne surviennent qu'à un stade avancé de la maladie, plusieurs années après l'apparition du cancer. En outre, ce modèle homogène de progression suggère que tous les cancers, s'ils ne sont pas traités, progresseront inexorablement jusqu'à former des métastases et conduire au décès. Selon le modèle traditionnel, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce est toujours bénéfique.

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NDLR : nous vous proposons un autre illustration des deux schémas d'évolution des cancers

Paradigmes du cancer : la vision contemporaine

Le modèle traditionnel est dépassé. Il est beaucoup trop simple pour représenter correctement la multitude de maladies actuellement désignées sous le nom de "cancer" [3]. Le modèle contemporain de progression du cancer est nécessairement plus complexe et hétérogène (figure 1, panneau de droite).

Dans les années 1960 et 1970, Bernard Fisher a remis en question le point de vue de Halsted sur la progression ordonnée du cancer. Il a émis l'hypothèse que le cancer du sein pouvait être une maladie systémique dès le départ : les cellules tumorales pouvaient être disséminées dans tout l'organisme au moment de la détection [4]. Des recherches récentes en génomique du cancer suggèrent que l'hypothèse de Fisher s'étend au-delà du cancer du sein. Dans une analyse de 118 biopsies provenant de 23 patients atteints de cancer colorectal et présentant des métastases à distance, il a été estimé que la dissémination se produisait bien avant que la tumeur primaire ne soit suffisamment importante pour être cliniquement détectable [5]. Ces cancers agressifs, "nés pour être mauvais", échapperaient à tout effort de détection précoce réalisable, et pourtant ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de causer la mort.

Les cancers situés à l'autre extrémité du spectre de croissance sont apparus avec l'avènement du dépistage généralisé du cancer de la prostate aux États-Unis dans les années 1990. Certains cancers localisés de la prostate se développent si lentement qu'ils ne sont pas destinés à provoquer des symptômes avant que le patient ne meure en raison de risques de décès concurrents, en particulier chez les hommes plus âgés [6, 7]. Par ailleurs, certaines lésions répondant aux critères pathologiques du cancer peuvent ne pas évoluer du tout. Le même phénomène est rapidement apparu dans les essais randomisés de dépistage du cancer du poumon par radiographie pulmonaire [8]. Des observations ultérieures suggérant que certains cancers du sein [9], de la thyroïde [10] et du rein [11] régressent ont ajouté à la complexité de la situation. Collectivement, la détection de ces cancers à croissance très lente, non progressifs et en régression est devenue un surdiagnostic, c'est-à-dire le diagnostic d'une "maladie" qui n'est pas destinée à être vécue par le patient.
NDLR Lire : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Nous commençons à peine à connaître l'hétérogénéité de la progression du cancer. Mais il semble probable que cette hétérogénéité existe au niveau des sites primaires du cancer. En d'autres termes, certains cancers du sein, du côlon et du poumon sont déjà systémiques lorsqu'ils sont détectables, tandis que d'autres ne sont pas destinés à former des métastases. Selon le modèle contemporain, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce n'est pas toujours bénéfique et peut même être néfaste.

Comment la répartition des stades peut être trompeuse

"La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce augmenterait pour passer de 50% environ aujourd'hui à 75%. "

Le modèle contemporain admet que certains cancers à un stade précoce ne sont pas destinés à devenir des cancers à un stade avancé. Ainsi, il est possible de trouver plus de cancers au stade précoce, mais sans aucun effet sur le nombre de personnes qui d'emblée présentent un cancer au stade avancé.
Néanmoins, la mesure de la distribution des stades basée sur les cas deviendra apparemment plus favorable simplement en trouvant plus de maladies à un stade précoce.

Deux exemples marquants de ce phénomène sont présentés dans la figure 2. L'introduction d'un dépistage généralisé par mammographie aux États-Unis dans les années 1980 a permis de détecter beaucoup plus de cancers du sein à un stade précoce, alors que l'incidence du cancer du sein à un stade avancé est restée quasiment la même [12]. Néanmoins, la distribution des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 55 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade précoce, après le dépistage, 75 % étaient diagnostiqués à un stade précoce.
L'affirmation sans doute plus pertinente est celle reformulée : avant le dépistage, 45 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade tardif, tandis qu'après le dépistage, 25 % étaient diagnostiqués à un stade tardif. Pourtant, les deux affirmations sont trompeuses, car l'incidence de la maladie à un stade avancé n'a pratiquement pas changé.

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NDLR- explication imagée

Avec le dépistage, la proportion des cancers peu graves, peu avancés (en orange) augmente fortement tandis que celle des cancers les plus graves, les cancers avancés (en rouge) stagne.
Dans cette population des cancers peu avancés, augmentée à cause du dépistage, il y a une importante proportion de surdiagnostics.
(Extrait du livre "mammo ou pas mammo?" de C.Bour, ed.T.Souccar)
La proportion des cancers graves est donc moindre avec dépistage, puisque diluée dans l'ensemble des cancers, alors que leur taux réel n'a pas baissé.

Une tendance similaire a récemment été observée lors de la promotion du dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie à faible dose chez les femmes taïwanaises, dont la majorité n'a jamais fumé [13]. Beaucoup plus de cancers du poumon ont été détectés à un stade précoce, tandis que l'incidence des cancers du poumon à un stade avancé est restée stable. Là encore, la répartition des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 90 % des cancers du poumon étaient diagnostiqués à un stade avancé, alors qu'après le dépistage, 58 % d'entre eux étaient diagnostiqués à un stade avancé. Ces deux exemples montrent comment une évolution favorable de la répartition des stades peut être trompeuse et pourquoi un changement dans la répartition des stades n'apporte pas en soi la preuve que les patients en ont bénéficié.

Comment la survie peut être trompeuse

"55 000 personnes de plus par an survivraient à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic". Même dans le cadre du modèle traditionnel de progression du cancer, il est possible de détecter des cancers plus tôt sans pour autant avoir un effet sur le moment où les patients meurent de leur cancer, simplement parce que le traitement entrepris plus tôt ne confère aucun avantage par rapport à un traitement entrepris plus tard. Néanmoins, une détection plus précoce fausse la mesure de la durée de survie basée sur le nombre de cas. La durée de survie étant mesurée à partir du moment du diagnostic, le dépistage du cancer fera toujours "démarrer l'horloge plus tôt" - et donc allongera toujours la durée de survie. La question de savoir si la vie est prolongée (c'est-à-dire si la mort est retardée) est distincte. Dans le cas le plus simple - aucun changement dans le délai de survenue du décès - la durée de survie s'allonge et indique un bénéfice alors qu'il n'y en a pas.

Cependant, même si le décès a été retardé, le temps de survie exagérera l'efficacité apparente du dépistage. En raison de ce "biais du temps d'avance" [14], un taux de survie plus élevé ne signifie pas nécessairement qu'une détection plus précoce a permis de prolonger la vie des patients.
NDLR, lire ici explication illustrée et détaillé sur survie et biais d'vance au diagnostic : https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/

Mais il existe un autre biais, potentiellement plus important, associé au modèle contemporain de progression du cancer : la détection de cancers qui ne sont pas destinés à provoquer des symptômes ou la mort. L'introduction du dépistage tend à découvrir ces cancers subcliniques qui passaient auparavant inaperçus. Le surdiagnostic fait des dégâts dans les statistiques de survie (Fig. 3).

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L'ampleur de ce problème ne doit pas être sous-estimée. Par exemple, lorsque les prestataires de services payants ont introduit le dépistage de la thyroïde par échographie en Corée du Sud, l'incidence du cancer de la thyroïde a été multipliée par 15 en l'espace d'une décennie. La totalité de l'augmentation concernait de petits cancers papillaires de la thyroïde, dont on sait depuis longtemps qu'ils sont fréquents à l'autopsie, mais qui constituent une cause de décès extrêmement rare [15].
NDLR, lire : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
Plus de 40 000 personnes ont été diagnostiquées avec la maladie rien qu'en 2011, et la quasi-totalité d'entre elles ont survécu 5 ans ou plus. En fait, un site web promouvant le tourisme médical coréen a présenté la Corée comme l'endroit où l'on peut être traité pour un cancer de la thyroïde, en vantant "le taux de survie au cancer de la thyroïde le plus élevé au monde" [16].

Rien ne prouve que le dépistage ait profité à qui que ce soit, mais beaucoup ont certainement souffert d'interventions chirurgicales inutiles et de la perte de la fonction thyroïdienne. Pourtant, grâce à ces actions, la Corée du Sud, un pays dont la population est inférieure à celle du Royaume-Uni, a presque réussi à faire en sorte que 55 000 personnes de plus par an survivent à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic, simplement en dépistant le cancer de la thyroïde.

Si la survie est une mesure parfaitement valable dans un essai de traitement randomisé, les comparaisons de survie dans le temps (par exemple 1980 vs aujourd'hui) ou dans l'espace (par exemple Royaume-Uni vs États-Unis) peuvent en dire plus sur la pratique diagnostique que sur la qualité du traitement ou le risque de décès [17]. Dans le cas du cancer de la thyroïde, par exemple, la survie à 5 ans est de 87 % au Royaume-Uni et de 98 % aux États-Unis [18, 19]. Alors qu'il est tentant d'imaginer que le traitement du cancer de la thyroïde doit être meilleur aux États-Unis, la mortalité par cancer de la thyroïde est en fait plus faible au Royaume-Uni (2,4 contre 3,0 par million d'habitants, standardisé par rapport à l'âge de la population mondiale) [20].
(NDLR : la survie n'est donc pas un bon indicateur d'efficacité du dépistage, elle est fallacieusement améliorée par les surdiagnostics, et par les améliorations thérapeutiques en vigueur. )

Aller de l'avant - mesures basées sur la population

Les mesures cibles du NHS, la répartition des stades et la survie, surestiment régulièrement la contribution de la détection précoce du cancer. Le problème de ces mesures basées sur les cas est que les efforts de détection précoce influencent à la fois le numérateur et le dénominateur, ce qui rend impossible de discerner si de véritables progrès ont été réalisés. Ce qu'il faut, c'est un dénominateur stable, qui ne soit pas affecté par la détection précoce, à savoir la population (tableau 1).

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Incidence à un stade avancé

La diminution de l'incidence des cancers à un stade avancé suggère que le dépistage remplit sa mission : avancer le moment du diagnostic pour les cancers qui, autrement, seraient destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé. (Il est important de souligner que l'incidence à un stade avancé ne prend en compte que les patients chez qui le cancer est diagnostiqué pour la première fois à un stade avancé ; elle ne concerne pas les patients chez qui le cancer est diagnostiqué à un stade précoce, mais qui évolue néanmoins vers un stade avancé [21]).
Les cancers destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé sont les plus agressifs et les plus mortels. Ce sont ceux que nous souhaitons le plus découvrir tôt, dans l'espoir qu'un traitement précoce confère un certain avantage par rapport à un traitement plus tardif.

La diminution de l'incidence des stades tardifs peut cependant ne pas conduire à une diminution du nombre de décès, car le traitement amorcé plus tôt n'est pas toujours plus efficace que le traitement amorcé plus tard. L'essai de dépistage du cancer de l'ovaire UKCTOCS, par exemple, a permis de réduire de 25 % l'incidence au stade avancé (stade IV), mais cette détection et ce traitement plus précoces ne se sont pas traduits par une diminution du nombre de décès dus au cancer de l'ovaire [22]. Les auteurs expliquent cela par le fait que "les cancers passés à un stade plus précoce avaient un mauvais pronostic intrinsèque" - en d'autres termes, ils étaient nés pour être mauvais.
Des essais randomisés sur la surveillance du cancer du sein [23] et du cancer du côlon [24] ont donné des résultats similaires : une surveillance agressive a permis de détecter plus tôt la récidive du cancer, mais une détection et un traitement plus précoces n'ont pas modifié le risque de décès. Ainsi, si la réduction de l'incidence à un stade avancé prouve que le dépistage permet d'avancer le moment du diagnostic pour les cancers les plus graves, elle ne signifie pas nécessairement que les patients sont aidés.

Mortalité : toutes causes confondues ou cancer ciblé

"Le risque de décès est le risque qui préoccupe le plus l'individu", a déclaré Sir Richard Doll il y a 30 ans, lorsqu'il s'est demandé si des progrès étaient accomplis dans la lutte contre le cancer [25]. C'est toujours vrai aujourd'hui : la réduction de la mortalité reste la mesure la plus importante des progrès accomplis dans la lutte contre le cancer.

Le langage est subtil mais sans ambiguïté : c'est le risque de mourir de toutes les causes qui préoccupe les patients, et pas seulement le risque de mourir d'un cancer. Éviter de mourir d'un cancer pour succomber à une autre cause n'est pas vraiment un progrès - certains ont même affirmé que mourir d'autres causes pourrait être pire [26].

Des essais randomisés sur le dépistage du cancer du poumon [27], du colon [28] et de la prostate [29] ont montré que le dépistage réduisait de manière significative le risque de mourir du cancer cible, mais n'avait aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce paradoxe apparent peut résulter à la fois (1) des décès hors cible (c'est-à-dire des décès qui sont la conséquence du dépistage et de l'intervention ultérieure, mais qui ne sont pas attribués au cancer cible) et (2) des risques concurrents de décès associés au vieillissement (c'est-à-dire que les personnes qui courent un risque élevé de mourir d'un cancer courent également un risque élevé de mourir d'autres causes) [30].
Les patients et les décideurs du NHS qui entendent que le dépistage "sauve des vies" peuvent raisonnablement s'attendre à ce que le dépistage améliore leur longévité (c'est-à-dire qu'il réduise la mortalité toutes causes confondues). Mais ce n'est peut-être pas le cas.

Le paradoxe apparent peut également s'expliquer plus simplement : comme étant le résultat du jeu du hasard. La mortalité toutes causes confondues est une mesure peu sensible pour les interventions à l'échelle de la population ciblant un seul cancer (par exemple, le cancer du côlon ou du poumon), car les décès dus au cancer ciblé ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble des décès. Un essai de dépistage d'un seul cancer visant à détecter l'effet sur l'ensemble des décès nécessiterait un effort herculéen - des centaines de milliers de personnes suivies pendant une décennie ou plus.

Ainsi, lorsque le NHS envisage d'abaisser l'âge de début du dépistage du cancer du côlon (de 60 ans à 50 ans) ou d'étendre le dépistage du cancer du poumon en ajoutant des unités mobiles, il est raisonnable de mesurer les progrès en termes de mortalité par cancer du côlon ou du poumon. Mais lorsque le NHS envisage des interventions destinées à lutter contre tous les cancers combinés - comme l'IA pour mieux cibler les populations à risque et les tests de détection précoce de plusieurs cancers (biopsies liquides) - nous pourrions affirmer que non seulement la réduction de la mortalité toutes causes confondues est la meilleure mesure du progrès, mais qu'elle est également atteignable, car tous les cancers combinés représentent une part importante de l'ensemble des décès [31].

Conclusion

Le décès n'est pas le seul résultat pertinent pour la détection précoce du cancer, d'autres résultats sont également importants. Il est concevable, par exemple, qu'une détection précoce réduise la charge symptomatique de certains patients atteints de cancer sans prolonger leur vie. Mais il est beaucoup plus probable que le dépistage entraîne un fardeau supplémentaire pour d'autres personnes. Tout d'abord, de nombreuses personnes en bonne santé doivent être persuadées qu'elles ont "besoin" de se faire dépister - trop souvent à l'aide de messages effrayants suggérant que les personnes qui meurent d'un cancer auraient pu éviter cette issue grâce à une détection plus précoce. Ensuite, il y a les problèmes causés par des résultats anormaux : le stress émotionnel et psychologique chez les personnes alarmées à tort, les tests ultérieurs de routine chez les personnes considérées comme présentant un "risque élevé" en raison d'une anomalie détectée, et la toxicité et les complications d'un traitement inutile chez les personnes surdiagnostiquées.

L'énigme du dépistage du cancer réside dans le fait que si seuls quelques participants peuvent potentiellement en bénéficier, tous peuvent potentiellement en pâtir. Les arguments en faveur d'un dépistage plus intensif exigent donc que les bénéfices soient suffisamment importants pour justifier les préjudices et les coûts d'opportunité qui y sont associés. Comme nous l'avons montré ici, les mesures indirectes des bénéfices peuvent être trompeuses - ce qu'il faut, c'est prouver que le dépistage permet en fait de sauver des vies. Cela sera difficile à réaliser car l'effet recherché est nécessairement faible. Compte tenu de l'évolution des connaissances selon lesquelles la biologie de la tumeur et la réponse de l'hôte sont plus pertinentes pour le pronostic que le moment du diagnostic, nous pensons qu'il est temps de remettre en question l'affirmation selon laquelle un dépistage plus intensif est la meilleure stratégie pour progresser dans la lutte contre le cancer.

Références

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Abaisser l’âge du début du dépistage, mais à quel prix ?

Synthèse Cancer Rose, 15 mai 2023

En fin d'article : réaction de la NBCC

Comme l'annonçait, en ce début mai 2023, le journal Globe and Mail ainsi que beaucoup d'autres médias nord-américains, il serait dorénavant recommandé pour les femmes à risque moyen de cancer du sein de passer des mammographies de dépistage tous les deux ans à partir de 40 ans, et cela en vertu d'une proposition de mise à jour des lignes directrices de l'USPSTF, le groupe de travail américain sur les services préventifs.
La nouvelle a fait grand bruit car il s'agit d'un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités de dépistage antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
C'est donc un changement conséquent.

Selon la présidente sortante de l'USPSTF, le Dr Carol Mangione, "les choses ont changé" : les taux de cancer du sein chez les jeunes femmes ont augmenté, les progrès de la mammographie numérique ont amélioré leur précision de détection et de meilleurs traitements se traduisent par une amélioration de la survie.

Déjà à ce stade nous relevons deux affirmations qui devraient faire poser la question de la pertinence d'un dépistage :

Comme on pouvait s'y attendre " L'American Cancer Society (ACS) applaudit le retour des recommandations de l'USPSTF de commencer le dépistage à 40 ans" dans un communiqué.
Les fournisseurs du secteur de l'imagerie de la femme, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche à la suite de cette annonce, car les volumes de mammographies de dépistage vont significativement augmenter. 

Et puis allez, pourquoi ne pas recommander que les femmes effectuent un dépistage par mammographie à partir de l'âge de 40 ans ET annuel, et même toute leur vie durant sans l'arrêt préconisé à 74 ans, donc sans limite supérieure ?
Voilà un pas allègrement franchi par l'Américan Cancer Society "car l'âge ne devrait pas être un facteur déterminant pour l'arrêt du dépistage, mais plutôt l'état de santé général ...", comme l'a déclaré Stamatia V. Destounis, MD, présidente de la Commission du sein de l'ACR (American College of Radiology)et membre du Réseau des conseillers en information publique de la société nord-américaine de radiologie.
(Pour les conflits d'intérêts de Mme Destounis avec iCAD, industriel de l'imagerie, voir ici : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure)

JUSTIFICATION ET CONSEQUENCES DE CE CHANGEMENT

Judith Garber, journaliste scientifique et analyste politique du Lown Institute dans un article ainsi que John Horgan, également rédacteur scientifique dans un autre article essaient tous deux d'analyser les raisons invoquées par l'agence américaine, qui sont essentiellement de l'ordre de deux :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.

Judith Garber relève avec justesse que "la modification des lignes directrices de l'USPSTF a surpris de nombreux experts de la santé, car il n'y a pas eu de nouveaux essais cliniques sur le dépistage du cancer du sein qui justifieraient un ajustement des lignes directrices."

A-le dépistage pourrait raccourcir plus de vies qu'il n'en "sauve"

"Le groupe de travail", explique Horgan,"justifie sa décision en citant l'augmentation récente du nombre de cancers du sein chez les femmes de 40 ans et les taux de mortalité plus élevés que la moyenne chez les femmes noires. Cette justification n'a aucun sens, car les mammographies n'aident pas les femmes à vivre plus longtemps - selon le groupe de travail lui-même ! En fait, il est prouvé que la mammographie raccourcit plus de vies qu'elle n'en sauve.*" selon ce travail de synthèse citée par Horgan, paru en 2021.
De toute façon, expliquent aussi bien Garber que Horgan, même en ajustant les modèles prédictifs pour tenir compte des taux plus élevés de cancers chez les jeunes femmes, la balance bénéfice/risque n'est toujours pas très différente des résultats précédents de l'USPSTF de 2016, avec toujours une prépondérance des inconvénients par rapport au bénéfice escompté.
* "L'examen de la tendance de la mortalité toutes causes confondues révèle que le compromis entre les inconvénients et les avantages de la mammographie s'est déplacé vers les inconvénients au fil du temps." 

"Le changement se produit toujours au fil du temps, évidemment, au fur et à mesure que les preuves évoluent" déclare Ruth Etzioni, biostatisticienne travaillant au Fred Hutchinson Cancer Center, dans le media STAT.
"En même temps, il doit y avoir une raison convaincante et dans les documents ici, je ne vois pas encore de raison convaincante. Lorsque je me suis penchée sur les études de modélisation de 2016, l'analyse des bénéfices et des risques était très similaire."

B-L'excès de cancers agressifs chez les femmes noires

"L'USPSTF a également voulu souligner que les femmes noires sont diagnostiquées avec un cancer du sein à un stade plus avancé et qu'elles sont confrontées à un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé que les autres groupes raciaux", reprend J.Garber ; "par conséquent, une date de début de dépistage plus précoce pour ces patientes pourrait sauver des vies et réduire les disparités raciales dans les résultats du cancer du sein. Cependant, bien que l'USPSTF ait utilisé de nouveaux modèles explorant les bénéfices et les risques du dépistage chez les femmes noires, elle s'est abstenue de recommander un dépistage plus précoce pour les femmes noires en particulier."
Pour Mme Garber :
-l'abaissement de l'âge ne résoudra pas le problème de l'accès aux soins pour certaines populations.
- pour réduire les disparités raciales, il ne suffit pas d'abaisser l'âge du dépistage. Les disparités dans la mortalité par cancer du sein sont la résultante, aux Etats Unis, souvent de disparité de nature structurelles, sociales et économiques, avec de moindres chances pour l'accès aux soins pour les populations noires.

C-bénéfice sur la mortalité, mais quelle contrepartie ?


L'agence étatsunienne de son côté affirme que les avantages de la mammographie, qui permet idéalement de détecter le cancer à un stade précoce où il est plus facile à traiter, l'emportent sur les inconvénients ( que sont les faux positifs et les surdiagnostics). Mais ces prétendus avantages du dépistage, très hypothétiques et de plus en plus remis en question, n'apparaissent que dans les études qui mesurent la mortalité due au cancer du sein, et ils ne tiennent pas compte des préjudices liés au surdiagnostic. Ils ne tiennent pas compte des cancers secondaires radio-induits, suite à la radiothérapie (cancers bronchiques secondaires, leucémies), des cardiopathies ayant significativement augmenté chez les survivantes du cancer, des suicides, des syndromes anxio-dépressifs, etc..

"Pour ces raisons," écrit Horgan," les chercheurs privilégient de plus en plus la "mortalité toutes causes confondues", c'est-à-dire le décès quelle qu'en soit la cause, comme mesure de l'efficacité du dépistage. La mort, point final, est un critère strict, qui ne laisse aucune marge de manœuvre subjective. Diverses études ont montré que la mammographie ne prolonge pas la vie lorsque la mortalité toutes causes confondues est mesurée. C'est pourquoi certains experts préconisent l'abandon du dépistage par mammographie."

J.Horgan cite Amanda Kowalski, économiste spécialisée dans les soins de santé, qui présente ces données dans "Mammograms and Mortality : How Has the Evidence Evolved ?", publié dans le Journal of Economic Perspectives en 2021.
"Sur une période de vingt ans, les femmes ayant bénéficié d'un dépistage sont décédées à un rythme nettement plus rapide que les femmes du groupe témoin. Kowalski note que les femmes dépistées avaient un risque élevé de mourir d'un cancer du poumon ou de l'œsophage ; elle cite des preuves que la radiothérapie pour le cancer du sein augmente les risques de cancer mortel du poumon et de l'œsophage pour les patientes."
Voici la mise en garde de J.Horgan : "les mammographies pourraient être bénéfiques aux femmes présentant un risque de cancer du sein supérieur à la moyenne, telles que celles dont des membres de la famille ont succombé à la maladie. Mais les conclusions du professeur Kowalski ont une conséquence dévastatrice : le dépistage des femmes en bonne santé et asymptomatiques finit par tuer plus de femmes qu'il n'en sauve." Ceci corrobore les conclusions de M.Baum, selon lesquelles, dans une publication du BMJ en 2013, les effets néfastes du dépistage du cancer du sein l'emportent sur ses bénéfices si les décès dus au traitement sont pris en compte.

DES SCENARIOS

Le rapport de modélisation de l'USPSTF pour ses nouvelles recommandations présente une multitude de scénarios qui estiment les taux auxquels le dépistage du cancer du sein entraînerait certains avantages et inconvénients, selon différents âges de début, de durée et selon différents rythmes de dépistage.

Mais à chaque fois, une personne sans sur-risque particulier, qui se fait dépister, a plus de chances d'être traitée pour un cancer qui ne lui aurait jamais fait de mal que d'éviter de mourir d'un cancer du sein. Elle a plus de deux fois plus de chances de mourir de toute façon d'un cancer du sein, dit J.Garber, que de se voir détecter et traiter avec succès un cancer agressif. Et les femmes dépistées sont bien plus susceptibles de subir une biopsie inutilement ou de recevoir un résultat faussement positif que d'éviter de mourir d'un cancer du sein.

Tout est une question de compromis, en intensifiant le dépistage, en le débutant plus tôt, en le poursuivant plus tard, on évite peut-être des décès, mais au prix de combien de faux positifs en contrepartie, de surdiagnostics et de surtraitements qui eux-même compromettent la santé et la survie ?
Quels sont les compromis que nous acceptons ? Est-ce que tout individu est prêt à accepter le même compromis que son voisin ?
Une décision prise dans l'intérêt de la santé de la population peut ne pas être acceptable pour tout individu.
Quel est le prix que chaque femme est prête à payer pour qu'un décès par cancer du sein soit évité, sachant que dans le même temps d'autres femmes (dont elle-même) peuvent expérimenter la détection d'un cancer qui ne leur aurait pas été fatal, qui les expose à un surtraitement, à un possible cancer secondaire dû à la radiothérapie pour un cancer qu'on pouvait ignorer ?

Avec l'abaissement de l'âge de début du dépistage de 50 à 40 ans, l'USPSTF affirme concrètement que pour éviter un décès supplémentaire par cancer du sein sur 1 000 femmes dépistées, les femmes doivent accepter 519 faux positifs supplémentaires, 62 biopsies inutiles de plus et deux cas supplémentaires de surdiagnostic" par rapport aux faux positifs, biopsies inutiles et surdiagnostics déjà existants pour un dépistage débutant à 50 ans.
Voilà exactement ce que signifie l'abaissement d'une décennie de l'âge de début du dépistage.

CONCLUSION, un retour en arrière

Selon Horgan, ces changements des recommandations de l'USPSTF ne sont pas justifiés, pour lui "l'appât du gain ne peut être écarté. La prise en charge du cancer du sein est une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l'égard de cette maladie." Ce business du cancer est ce qu'il explique longuement dans cet article.

La modélisation utilisée pour apprécier concrètement ce qu'un dépistage va produire "ne tient toujours pas compte des implications négatives à long terme du dépistage du cancer (par exemple, le surdiagnostic) ou du fait que les tumeurs se développent parfois de façon inattendue, ou du fait que les tumeurs se développent et régressent parfois à des rythmes différents." comme l'explique V.Prasad, professeur d' oncologie et hématologie américain dans sa video de 2021".

D'autres réactions notent le caractère très rémunérateur de cette nouvelle recommandation :
https://radiologybusiness.com/topics/medical-imaging/womens-imaging/uspstf-recommends-women-begin-breast-cancer-screening-40-boosting-stocks-mammo-related-firms
Dans Radiology business on peut ainsi lire : " Le groupe de travail américain sur les services préventifs a publié mardi de nouvelles recommandations sur le dépistage du cancer du sein, invitant désormais toutes les femmes à se soumettre à un dépistage tous les deux ans à partir de l'âge de 40 ans.
Ce projet de lignes directrices marque un changement par rapport aux normes précédentes de l'USPSTF, qui préconisait le dépistage à partir de 50 ans. Les fournisseurs du secteur de l'imagerie pour femmes, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche mardi matin à la suite de cette nouvelle, car les volumes de dépistage devraient augmenter. 
L'influente USPSTF avait précédemment encouragé les femmes à "prendre une décision individuelle" quant au moment de commencer le dépistage avant 50 ans, mais elle fait maintenant marche arrière et s'aligne sur les lignes directrices énoncées par les sociétés médicales."

Onco'Zine titre : "La mise à jour des lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein devrait stimuler la vente d'équipements de mammographie".
Selon ce média, la projection de croissance à escompter est faramineuse : "Évalué à 1,9 milliard de dollars américains en 2021, le marché mondial des équipements de mammographie devrait atteindre un montant stupéfiant de 4,3 milliards de dollars américains en 2030. Cette projection est basée sur une prévision de GlobalData, une importante société de données et d'analyse."

On peut considérer cette mesure, qui, nous pouvons parier, sera sûrement adoptée dans d'autres pays occidentaux, comme une réelle régression, à une époque où la médecine moderne préconise plutôt une réflexion mesurée et pondérée, conjointe avec le patient, où on commençait à se poser plutôt la question de la désescalade des procédures de routine préjudiciables.

L'information des femmes est une fois de plus fortement mise en danger, le message donné étant que davantage de dépistages équivaut à sauver des vies, cela sans preuve aucune, alors qu'à la fois le Conseil de l'Europe appelle à la prudence et que même l'Institut du Cancer Américain encourage les concepteurs de lignes directrices à approfondir leurs recherches avant de mettre à jour leurs lignes directrices, afin de s'assurer que les meilleures données possibles sur les effets néfastes du dépistage sont utilisées pour formuler leurs recommandations.

On en est bien loin....

REACTION DE LA NBCC (National breast cancer coalition, USA)

Il n'y a pas de nouvelles preuves à l'appui des changements proposés par l'USPSTF pour les lignes directrices relatives au dépistage par mammographie

14 juin 2023

National Breast Cancer Coalition demande des stratégies fondées sur des données probantes pour répondre aux questions difficiles et sauver des vies.

"Fondée en 1991, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) est une collaboration d'activistes, de survivantes, de chercheurs, de décideurs politiques, de groupes locaux et d'organisations nationales qui se sont rassemblés pour innover de manière radicale en vue d'un changement social. Nous mettons en relation des centaines d'organisations et des dizaines de milliers d'individus de tout le pays au sein d'une coalition dynamique et diversifiée qui donne au cancer du sein une voix significative à Washington, D.C., et dans les capitales des États, dans les laboratoires et les institutions de soins de santé, et dans les communautés locales partout présentes".

"Notre activisme a généré plus de 4 milliards de dollars supplémentaires pour la recherche sur le cancer du sein. Nos initiatives de recherche et notre plaidoyer ont contribué à l'émergence de nouveaux modèles de recherche".

Missions :
- Poser les questions difficiles.
- Interpeller les scientifiques.
- Dire la vérité.
- Faire campagne pour le financement de la recherche et l'accès aux soins.
- Faire avancer la cause pour sauver des vies.

Le dépistage par mammographie est, par définition, destiné aux femmes qui ne présentent aucun symptôme ou signe de cancer du sein. Lors du dépistage du cancer du sein chez les femmes asymptomatiques, les bénéfices doivent être clairs et les préjudices inexistants. Malheureusement, le projet de recommandations de l'United States Preventive Services Task Force (USPSTF) concernant le dépistage du cancer du sein chez les femmes présentant un risque moyen ne répond pas à ces critères.

Les dépistages devraient en fin de compte permettre de réduire le nombre de décès. Mais la question de savoir si le dépistage par mammographie réduit le nombre de décès, en particulier chez les jeunes femmes, est débattue depuis des décennies. Les chercheurs ont mené au moins sept essais cliniques prospectifs randomisés - l'étalon-or des preuves - et aucun n'a résolu la question. 

Aujourd'hui, des méthodes de preuve moins robustes et moins claires, connues sous le nom de modélisation statistique, sont utilisées pour trouver un avantage au dépistage précoce. Ces méthodes sont complexes et nécessitent de nombreuses hypothèses. Pourtant, l'USPSTF utilise les résultats de ces modèles pour recommander des dépistages bisannuels pour toutes les femmes de 40 ans et plus, plutôt que de laisser les femmes décider elles-mêmes. 

Lire notre déclaration officielle sur le projet de lignes directrices.

Position du NBCC sur le dépistage par mammographie
Le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes présentant un risque moyen et ne présentant aucun symptôme est un sujet extrêmement complexe et controversé. Parce qu'il a lieu dans une population en bonne santé, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) estime depuis longtemps que les bénéfices du dépistage doivent être nettement supérieurs aux risques. 

Dans ses recommandations antérieures, que la NBCC a soutenues avec réticence, l'USPSTF préconisait un dépistage mammographique bisannuel pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, avec l'option d'un dépistage bisannuel pour les femmes âgées de 40 à 49 ans à la suite d'une conversation avec leur médecin sur les risques et les bénéfices. Les femmes pouvaient choisir. Ces lignes directrices reconnaissaient les préjudices connus du dépistage et le fait que les données des essais contrôlés randomisés ont montré des bénéfices limités pour toutes les femmes, en particulier dans ce groupe d'âge.

Les preuves n'ont pas changé-
Aucune nouvelle donnée expérimentale n'est apparue concernant les bénéfices et les risques du dépistage par mammographie. Qu'est-ce qui a motivé ces nouvelles recommandations ?

La situation est complexe et les données scientifiques sont denses. L'USPSTF a fondé ses recommandations sur une analyse de modélisation collaborative utilisant les six modèles de cancer du sein du réseau CISNET (Cancer Intervention and Surveillance Modeling Network). 
Ces six modèles statistiques ont été utilisés pour estimer indépendamment les résultats du cancer du sein dans un groupe hypothétique de 1 000 femmes de 40 ans à risque moyen, avec ou sans dépistage du cancer du sein (soit par mammographie numérique, soit par tomosynthèse mammaire numérique). L'USPSTF a examiné les résultats pour les femmes de toutes races et les femmes noires, respectivement.
Les modèles ne concordent pas. Chaque approche de modélisation a donné lieu à des estimations différentes pour chaque résultat et préjudice. La valeur médiane de tous les modèles a été utilisée pour fournir les meilleures estimations des bénéfices et des dommages dans chaque scénario.

Un examen plus approfondi des chiffres

En 2016, en utilisant la même approche de modélisation statistique et les six mêmes modèles CISNET, l'USPSTF a donné au dépistage des personnes âgées de 40 à 49 ans une recommandation de niveau "C", laissant la décision aux femmes.  
En 2023, l'analyse du modèle collaboratif a fait passer la force de la recommandation de "C" (nécessitant une décision éclairée) à "B" (une pratique que le prestataire devrait fortement encourager et sur laquelle il sera noté). Quelle était la différence ? Ils ont constaté que 0,3 décès supplémentaire par cancer du sein était évité pour 1 000 femmes dépistées au cours de leur vie.

Quels sont les risques du dépistage ?

Les estimations du modèle de l'USPSTF comprennent
- Une augmentation d'environ 60 % des résultats faux positifs (de 873 à 1 376).
- Une augmentation d'environ 6 % des biopsies bénignes (environ 148 à 210).  
- Deux cas supplémentaires de surdiagnostic (de 12 à 14), bien qu'il y ait eu une grande variation entre les modèles, de seulement 4 à 37 cas.

Le surdiagnostic - et par conséquent le surtraitement - est l'un des principaux préjudices du dépistage. La détection, l'ablation et le traitement de cancers du sein qui, autrement, n'auraient jamais porté préjudice aux femmes ne sauvent pas des vies. En revanche, il soumet les femmes à des traitements toxiques qui pourraient entraîner des problèmes de santé importants tout au long de la vie, y compris d'autres cancers. 

Tant que les chercheurs ne pourront pas déterminer quels cancers du sein finiront par se propager, par réduire la qualité de vie ou par entraîner la mort, le surdiagnostic restera une conséquence des technologies de dépistage actuelles.

L'approche par modélisation ne reflète pas la réalité 

L'une des principales limites de l'approche par modélisation est que tous les modèles supposent une adhésion totale au dépistage, une évaluation rapide des résultats de dépistage anormaux et un accès approprié et rapide au traitement. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses se passent dans le monde réel, si bien que les bénéfices potentiels représentent une hypothèse optimiste et peu probable.

L'USPSTF a cité des données épidémiologiques qui montrent que le taux d'incidence (le nombre de nouveaux cas) du cancer du sein invasif chez les femmes âgées de 40 à 49 ans a augmenté de 2,0 % par an entre 2015 et 2019. Mais cette augmentation est probablement due, en grande partie, au dépistage intensif qui est déjà pratiqué chez les femmes de ce groupe d'âge. 

Selon les Centers for Disease Control and Prevention, entre 2008 et 2018, plus de 60 % de toutes les femmes âgées de 40 à 49 ans aux États-Unis ont subi une mammographie au cours des deux dernières années. Cela augmenterait bien sûr le nombre de cas diagnostiqués.

L'abaissement de l'âge du dépistage ne résoudra pas les disparités raciales

Il apparaît que l'USPSTF a modifié sa recommandation principalement pour combler l'écart de mortalité entre les femmes blanches et les femmes noires. Bien que l'objectif ne soit évidemment pas que les femmes noires décèdent au même rythme que les femmes blanches, mais que la mortalité par cancer du sein soit éliminée pour tous, nous devons nous pencher sur cet écart.  

Bien que l'incidence du cancer du sein soit comparable, le taux de mortalité par cancer du sein est 40 % plus élevé chez les femmes noires. Cependant, il n'est pas clair comment le fait de commencer le dépistage du cancer du sein à 40 ans aura un effet sur l'écart de mortalité, d'autant plus que, comme indiqué ci-dessus, environ 60 % des femmes de toutes les races dans cette tranche d'âge sont déjà soumises à un dépistage. L'écart persiste même si les femmes noires et blanches de cette tranche d'âge sont dépistées au même rythme. 

Le dépistage par mammographie n'éliminera pas les disparités de longue date en matière de cancer du sein, quel que soit l'âge de début et de fin du dépistage. Ces disparités sont le résultat d'un racisme structurel et des politiques de santé qui créent un accès inéquitable à des soins appropriés, opportuns et de qualité.

Que faudra-t-il vraiment pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies ?

Dépenser des milliards de dollars supplémentaires chaque année pour des interventions inefficaces - ou, au mieux, faiblement efficaces - détourne les ressources des questions difficiles, concernant par exemple sur la façon de prévenir le cancer du sein ou de l'empêcher de se métastaser et sur la façon de créer un système de soins de santé équitable. 

Le dépistage par mammographie n'est pas la solution pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies, et il est malvenu de continuer à le considérer comme une stratégie primordiale.

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La tomosynthèse intégrée dans le dépistage

C.Bour, 24 mars 2023

Dans l'actualité de ce mois de mars 2023 nous apprenons que la HAS admet l'adjonction de la tomosynthèse* dans le dépistage du cancer du sein, à certaines conditions, après avoir pourtant fait preuve de prudence jusqu'à présent, cette technique posant plusieurs problèmes.
L’analyse des données de la littérature disponible ne permet en effet pas de savoir si le fait d’intégrer la tomosynthèse dans le dépistage organisé permettrait d’améliorer le dépistage du cancer du sein, notamment en ce qui concerne le surdiagnostic et le surtraitement.

*La tomosynthèse est une technique d'imagerie qui permet d'obtenir un cliché numérique reconstitué en trois dimensions à partir d'images du sein obtenues par la réalisation de multiples coupes, ce qui jusqu'à présent conditionnait une irradiation importante supplémentaire. Parfois cette technique est effectuée dans les cabinets de radiologie sans que la patiente en soit informée.

Se pose aussi, encore et toujours en 2023, du fait de la diversité des dispositifs de mammographie numérique et de leurs fabricants, la question de la performance, de la fiabilité et de la sécurité de tous les dispositifs de tomosynthèse.

Après un deuxième volet d'analyse publié par la HAS, cette autorité valide finalement l'utilisation de la tomosynthèse (TDS) à la condition que ne soit réalisée qu'une acquisition en 3D permettant une reconstruction secondaire des images en 2D, épargnant à la patiente une double irradiation.

La HAS base donc son argumentation sur deux éléments : l'augmentation du taux de détection, et la non-augmentation de l'irradiation des femmes lors de cette procédure.
"Cette procédure permet en effet d’améliorer les performances du dépistage organisé, notamment son taux de détection des cancers, sans pour autant augmenter le nombre d’actes d’imagerie et la dose d’exposition."

Hélas, le véritable problème du surdiagnostic, pourtant évoqué dans la feuille de route de 2018, disparaît complètement des préoccupations.

Les véritables problèmes du dépistage systématique du cancer du sein restent entiers.

Tout d'abord, en aucun cas la TDS ne pourra régler le problème des cancers occultes à la mammographie standard, qui peuvent être occultes même dans des seins graisseux, et elle ne règlera pas non plus tous les problèmes des cancers d'intervalle qui peuvent se produire en très peu de temps entre deux mammographies.
Le véritable problème est que la découverte d'une image encore plus petite n'est qu'une image de l'instant T, et ne peut préjuger d'une maladie évolutive. C’est la leçon essentielle que nous donne le surdiagnostic.

En 2022 était paru un article de synthèse sur la TDS (lire ici), de tout ce que les études nous apprenaient :

  • Concernant les faux positifs, selon le résultat d'une étude de mars 2022 ici synthétisée, le dépistage répété du cancer du sein par mammographie 3D ne diminue que modestement le risque d'avoir un résultat faussement positif par rapport à la mammographie numérique standard. 
  • Une enquête portant sur huit études menées entre 2016 et 2021 montrait  que la tomosynthèse ne réduisait pas les taux de cancer d’intervalle.

Les mammographies 3D présentent donc de graves inconvénients qui doivent être clairement expliqués aux patientes, et compte tenu de l'absence totale d'information des femmes sur les risques du dépistage, ne le seront jamais. 
Aucune étude n'a été menée pour déterminer si l'utilisation de mammographies 3D améliore réellement la morbidité, la mortalité ou la qualité de vie. Cette technique peut détecter plus de cancers, mais rien ne prouve que les cancers détectés auraient réellement nui aux patientes et ne seraient pas des diagnostics inutiles, de sorte que les mammographies 3D peuvent également entraîner davantage de surdiagnostics et de surtraitements. 

D'autres problèmes existent, plus techniques, notamment pour les logiciels de 3D il n'y a pas de 'contrôle qualité image' comme c'est le cas pour la mammographie numérique habituelle, uniquement une dosimétrie est effectuée qui contrôle l'irradiation émise.
Le marché est de qualité inégale avec des constructeurs proposant des appareils moins onéreux mais dont on ne connaît pas la performance par rapport aux études du constructeur initial.

Derrière l'abdication de la HAS de toute prudence, on peut malheureusement y lire l’opportunité pour l’industrie de s’ouvrir de nouveaux marchés et pour les investisseurs d’accélérer l'émergence et la multiplication de méga-structures médicales pouvant investir dans un tel matériel, sur fond de bêtise médicale qui fait que les leçons des erreurs passées de "toujours plus de dépistage" ne seront jamais tirées.
Le salut, pour les femmes, n'est pas dans l'amélioration des techniques de détection qui fait bondir les diagnostics de cancers, mais dans la compréhension de ce que nous faisons et dans le questionnement de la pertinence et de l'utilité de nos pratiques, et de nos "découvertes".

Pour l'instant nous allons naviguer, avec la bénédiction de la HAS, vers toujours plus de diagnostics inutiles, d'interventions inutiles, de souffrances féminines inutiles.

Des oppositions

Des oppositions sur des arguments techniques de réalisation et de mise en pratique sont exprimées par l'association des centres régionaux de coordination des dépistages.
Voici son communiqué de presse :

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La densité mammaire, implications et sur-utilisation

Traduction par Cancer Rose, article publié par Judith Garber, scientifique en sciences politiques au Lown Institute, groupe de réflexion non partisan pour un système de santé plus juste et équitable.

18 mars 2023

DES SOINS DE FAIBLE VALEUR

Nouvelles lignes directrices de la FDA sur les notifications de densité mammaire et les implications d'une sur-utilisation - PAR Judith Garber | 10 mars 2023

Le contexte

Le critère radiologique de la "densité mammaire", c'est à dire la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans le sein féminin, est maintenant considéré comme étant, à lui seul, un facteur de risque de cancer du sein, en dépit de l'absence d'études probantes.
La densité mammaire est élevée généralement chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après la ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Une loi, adoptée en 2019 par le Congrès Américain, demandait à la FDA* (Food and Drug Administration) américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l' information de la densité mammaire des femmes. Déjà auparavant cette autorité qui supervise la réglementation des installations et les normes de qualité de la mammographie, demandait la communication de la densité mammaire dans les comptes rendus des radiologues.
*FDA : La Food and Drug Administration est l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

C'est chose faite, la FDA a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire.

Pourquoi est-ce une préoccupation émergente également pour les populations féminines européennes ?
Parce qu'avec l'avènement de logiciels dits prédictifs, le critère radiologique de la densité mammaire est intégré en tant que facteur de risque à part entière dans des études comme celle européenne MyPEBS pour un dépistage individualisé, alors qu'au vu d'études publiées (voir article) l'augmentation du risque de cancer du sein associé à la densité mammaire est modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l'augmentation de la densité mammaire n'était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.
La décision de la FDA est censée, selon la société Volpara qui commercialise des logiciels de mesure automatique de la densité mammaire, servir d'exemple "au reste du monde". (Voir le tout dernier chapitre de cet article, "commentaires Cancer Rose")

L'USPSTF (groupe groupe de travail indépendant examinant les services préventifs des États-Unis), soulevait déjà en 2016 plusieurs points de préoccupation de cette législation obligeant à notifier aux femmes l'information sur leur densité mammaire.

  • Variabilité importante et reproductibilité limitée dans la détermination des seins denses. Cette variabilité existe sur un examen qu'il soit lu par un radiologue ou par des radiologues différents. L'examen pour une patiente donnée peut avoir des classifications différentes et entraîner des incompréhensions conduisant à une réduction de la confiance d'une femme dans le dépistage en général, et une confusion quant à son propre risque de cancer du sein.
  • Incertitude sur les initiatives entreprises par les femmes auxquelles on a notifié une densité mammaire importante pour réduire leur risque de mourir du cancer du sein. Il s'agit de la demande d'examens complémentaires dont l'indication n'est pas étayée par des preuves, aucune donnée n'ayant prouvé que l'adjonction d'imageries autres que la mammographie chez les femmes à seins denses réduirait la mortalité par cancer ; en revanche ces adjonctions augmentent les faux positifs, les biopsies inutiles et le surdiagnostic. Le taux de rappel (pour faux positifs) est significativement augmenté par l'adjonction de l'échographie (de 14%), et par l'adjonction de l'IRM (de 9 à 23%) avec des VPP faibles[16] et un surcoût évident. Les auteurs rappellent que l'IRM, jugée souvent anodine, serait susceptible d'un (faible) sur-risque de fibrose systémique néphrogénique, et de risques incertains de dépôt de gadolinium dans le cerveau lorsque les examens sont répétés. La tomosynthèse (TS) est évoquée comme technique supplémentaire utilisée, mais les auteurs rappellent que des études à plus long terme sont nécessaires pour déterminer si l'utilisation systématique de la TS chez les femmes à seins denses entraînent une réelle amélioration des résultats du cancer du sein (mortalité, diminution du taux des cancers graves).
  • Difficulté de communiquer les informations sur la densité mammaire aux patientes. Les experts jugent cette communication difficile et dépendante du niveau d'alphabétisation des populations. Les résultats d'études montrent une médiocre compréhension et une source de confusion et de désinformation des patientes lors des informations données sur la densité mammaire.

Article de Judith Garber

La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire. Ce changement, qui entrera en vigueur en septembre 2024, est la version finale d'une directive proposée en 2019 .

Les lignes directrices de la FDA contiennent des suggestions de formulation pour les notifications relatives à la densité mammaire :  "Le tissu mammaire peut être dense ou non dense. Un tissu dense rend plus difficile la détection d'un cancer du sein lors d'une mammographie et augmente également le risque de développer un cancer du sein. Votre tissu mammaire est dense. Chez certaines personnes présentant des tissus denses, d'autres examens d'imagerie, en plus de la mammographie, peuvent aider à détecter les cancers. Parlez à votre médecin de la densité mammaire, des risques de cancer du sein et de votre situation personnelle".

Il y a beaucoup de problèmes ici. La densité mammaire est un facteur de risque de développer un cancer du sein, mais c'est l'un des nombreux facteurs de risque. Il peut y avoir des femmes qui présentent un risque de cancer beaucoup plus élevé en raison de leur âge, de leurs antécédents familiaux, de leur consommation d'alcool, etc. et qui n'ont pas de seins denses, alors que d'autres femmes qui ont des seins denses présentent un risque globalement plus faible.

Si la FDA se contente de dire que "le tissu mammaire peut être dense ou non dense", la situation n'est pas aussi tranchée.

L'American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) a souligné dans un commentaire adressé à la FDA qu'"il n'existe pas de méthode normalisée pour évaluer la densité mammaire", et que la classification d'une patiente comme ayant des seins denses dépend donc de l'opinion du radiologue qui lit le test. La densité mammaire peut également changer avec le temps, ce qui signifie qu'une notification peut ne pas être vraie des années plus tard. La notification incite également les patientes à subir des examens d'imagerie supplémentaires en affirmant qu'ils "peuvent aider à trouver un cancer", mais ne mentionne pas que ces examens d'imagerie augmentent également le risque de faux positifs et d'autres événements en cascade. Aucun essai ne montre que le dépistage complémentaire du cancer par IRM ou échographie améliore la réduction de la mortalité ou de la morbidité chez les femmes ayant des seins denses. Des recherches antérieures sur les politiques de notification de la densité mammaire montrent un risque de surutilisation. Les études portant sur les politiques nationales de notification de la densité mammaire montrent qu'elles augmentent fortement la probabilité que les patientes abordent la question du dépistage complémentaire avec leur médecin et qu'elles augmentent modestement la probabilité d'un dépistage complémentaire et de biopsies mammaires. Si le dépistage complémentaire fonctionnait comme prévu et permettait de détecter les cancers dangereux à un stade précoce, on pourrait s'attendre à une réduction des taux de cancer à un stade avancé dans les États où la densité mammaire est notifiée. Cependant, une étude de 2017 sur ces politiques n'a pas montré de différence dans les taux de cancers localisés ou métastatiques entre les États avec et sans notification.

En raison de leur taux élevé de faux positifs et de l'absence de bénéfices avérés, l'ACOG ne recommande pas l'utilisation systématique d'autres examens tels que l'échographie ou l'IRM pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes dont les seins denses constituent le seul facteur de risque. Le groupe de travail américain sur les services préventifs (US Preventive Services Task Force), un groupe indépendant qui émet des recommandations fondées sur des données probantes concernant les services préventifs, a conclu que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander un dépistage supplémentaire chez les femmes ayant des seins denses.

Les médecins se trouvent donc dans une situation délicate, car lorsque les patientes les consulteront pour savoir ce qu'elles doivent faire, ils devront soit leur conseiller de ne rien faire (ce qui est probablement frustrant et insatisfaisant pour les patientes), soit leur dire de procéder à un dépistage supplémentaire (ce qui n'est pas universellement recommandé et pourrait les exposer à des risques d'événements en cascade).
"Les médecins de premier recours dans les États qui ont adopté de telles lois se sentent souvent mal préparés à conseiller les femmes sur les mesures à prendre, le cas échéant, pour une femme ayant des seins denses et une mammographie normale”.
Kenneth Lin, Medscape

Cette politique a également des répercussions importantes sur les coûts, tant au niveau individuel qu'au niveau du système. On estime que 40 à 50 % des femmes aux États-Unis ont des seins denses. Si toutes ces femmes subissaient un dépistage supplémentaire, cela pourrait avoir un impact important sur les dépenses de santé. Si les mammographies de dépistage sont couvertes par la plupart des assurances, les IRM supplémentaires peuvent augmenter les frais à la charge des patients et les biopsies encore davantage.

Nous connaissons au moins un groupe pour qui cette modification des lignes directrices est une aubaine : les fabricants d'appareils d'imagerie, qui financent depuis des années des groupes de défense des notifications de densité mammaire (le groupe Dense Breast Info).

Commentaires Cancer Rose

On peut voir ici les conflits d'intérêts des membres de Dense Breast info dans la liste en suivant ce lien : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure
RSNA : Radiological Society of North America, c'est une organisation à but non lucratif et une société internationale de radiologues, de physiciens médicaux et d'autres professionnels de l'imagerie médicale

Parmi les "supports éducatifs" nous trouvons la société Volpara. Volpara est une Société néo-zélandaise, société cotée en bourse, (Volpara Solutions Ltd), qui commercialise des logiciels permettant de générer automatiquement des mesures normalisées de la densité mammaire.

Voici la Déclaration de Volpara à l’intention des  investisseurs le 30 sept 2022 :
https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Volpara enregistre une forte croissance en ligne avec ses prévisions révisées à la hausse, entre 33,5 et 34,5 millions de dollars néo-zélandais.
Nous poursuivons notre stratégie visant à équilibrer les objectifs et la croissance rentable en nous concentrant sur nos produits les plus rentables, nos marchés les plus lucratifs et en offrant la meilleure valeur aux " éléphants ", c'est-à-dire aux grandes entreprises. Nous attendons la publication de la législation de la FDA sur la densité mammaire, attendue d'ici début 2023 selon le dernier communiqué de la FDA

Attente du Mandat sur la densité mammaire par FDA

- fin 2022/début 2023
- Valide l'importance de la densité mammaire
- Donne l'exemple au reste du monde
- Décision fédérale = tout le monde doit être informé
- La densité des seins est prise en compte dans l'évaluation des risques

https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Par exemple, une radiologue extrêmement médiatique au Canada, Dr Paula Gordon, militant pour un dépistage du cancer du sein dès le jeune âge et contestant les recommandations de prudence du CanTaskForce**, est actionnaire de cette société et y détient des actions.
On peut ainsi lire ses prises de positions régulières dans la presse canadienne, qualifiant ni plus ni moins le groupe canadien CanTaskForce de "tueurs de femmes" :

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women "Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"
2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"Les politiques sur les mammographies de dépistage du cancer du sein sont fondées sur des recherches erronées / Dr Paula Gordon
3-https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

** Le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs a été mis sur pied par l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) pour élaborer des lignes directrices de pratique clinique qui appuient les fournisseurs de soins primaires dans la prestation de soins de santé préventifs.

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