Irradiée du mauvais côté ? Pas grave….

Par Cancer Rose, 30 avril 2024

On apprend la survenue de plusieurs incidents de radioprotection récents dans des cas de patientes porteuses de cancer du sein traité.

L'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) s'inquiète de la recrudescence de ces "erreurs" et alerte les centres de radiothérapie sur la nécessité d’évaluer la robustesse des barrières de sécurité mises en place tout au long du processus de traitement. 

Recherche faite, on retrouve sur le site de l'autorité108 signalements d'incidents de radioprotection depuis 2007, dont 15 entre 2023-2024.
L'ASN en décompte entre 2 et 5 en moyenne par an depuis 2011.

Les derniers incidents répertoriés lors du traitement par radiothérapie du sein

- Une erreur de côté lors d’un traitement en radiothérapie externe à l’Institut de Cancérologie de Bourgogne (ICB) à Dijon, signalée à l'ASN le le 27 mars 2024
- Une erreur de côté lors d’un traitement en radiothérapie externe  au Centre de cancérologie du Grand Montpellier (CCGM), signalée à l'ASN le 25 mars 2024
- Une erreur de côté au CHRU de Tours en 2023, une femme avait subi 25 séances de radiothérapie sur le mauvais sein, signalée à l'ASN le 27 juin 2023
- Une erreur de côté similaire à Villeurbanne en 2023, signalée à l'ASN le 28 septembre 2023.

Les erreurs humaines et médicales arrivent, hélas, ce qui ici est parfaitement choquant est la tentative de minimisation des faits.

Le cas dijonnais

On apprend tout d'abord dans un media grand public relatant l'affaire que la patiente avait alerté : "La patiente, elle, dit qu'elle l'a signalé une fois, mais que comme elle n'a pas eu de réponse, elle n'a rien redit ensuite. Elle n'a pas relancé lors des séances suivantes. Elle dit qu'elle n'a pas osé".
Cela dénote à quel point la parole de la patiente est ignorée, son alerte aurait dû impliquer une pause immédiate et une nouvelle vérification.

L' erreur n'a été formellement détectée que lors de la consultation de suivi post-traitement, selon l'ASN. L'organisation a classé cet incident de niveau 2 (sur 7) sur son échelle des événements en radiothérapie, ce qui correspond à "une altération modérée d’un organe ou d'une fonction, avec une altération minime ou nulle de la qualité de la vie."

Ce qui est sidérant est la divergence de considération entre l'urgence véhiculée aux femmes dans les médias et par le corps médical lui-même d'être prise en charge très vite en cas de cancer du sein ("chaque minute compte"), et l'indolence, la désinvolture, la minimisation des faits avec lesquelles ce cas est abordé.

Ainsi peut-on lire :

"À ce stade, le traitement n'a pas généré d'effets secondaires, mis à part quelques effets cutanés de type rougeurs sur le sein traité par erreur, mais qui se sont résorbées par la suite", commente Edouard Lagneau (Oncologue Radiothérapeute).
L'établissement "considère qu'il n'y a pas de séquelles, ni de pertes de chances quant au retard de traitement de son sein pathologique. Les recommandations nationales sont de commencer les radiothérapies dans les trois mois post-opératoires. On a pris du retard, mais on reste dans le délai.".

Mais le radiothérapeute reconnaît quand-même que la patiente a subi un "traumatisme psychologique".

Un peu plus qu'un "traumatisme psychologique"

Les effets de la radiothérapie

La radiothérapie comporte des effets secondaires tout à fait connus et répertoriés, ainsi que des risques dont plusieurs publications font état.

-Les effets locaux, plus ou moins tardifs :

  • Effets cutanés, simple rougeur jusqu'à la radiodermite
  • Fibrose pulmonaire faisant perdre son élasticité au tissu pulmonaire
  • Atteinte des coronaires, troubles du rythme cardiaque, roubles cardiaques, insuffisance cardiaque congestive.
  • Cancers secondaires radio-induits, sur l'oesophage, le poumon, la peau, les côtes.

-Les effets généraux :

  • Fatigue
  • Anémie
  • Inappétance
  • Baisse du nombre de cellules sanguines

Les réactions tardives se manifestent à partir de 3 à 6 mois après la fin de la radiothérapie et jusqu’à 5 ans après :

  • - Fibrose de toute ou partie de la zone irradiée : le sein peut se rétracter et se durcir (indolore)(tous les stades se voient de la simple modification de la consistance du sein [ le galbe du sein devient plus « jeune »] jusqu'à la rétraction pierreuse). Pas de traitement connu.
  • - Lymphoedèmes : le bras est le site le plus commun (lorsque l’irradiation a concerné les aires ganglionnaires), mais le thorax peut être concerné et ressenti clairement par les patientes, avec parfois la phlébite de Mondor (thrombose d’une veine superficielle thoracique antérieure). L’auto-massage de tout le membre supérieur, des doigts jusqu’à l’aisselle, et quotidien peut être préconisé, contraignant mais efficace.
  • - BOOP (Bronchiolite Oblitérante Avec Organisation Pneumonique) : réaction du parenchyme pulmonaire, évoluant pour son propre compte, d’évolution bénigne et traitée par corticothérapie au long cours (minimum 6 mois, possible jusqu’à 2 ans).
  • - De nombreuses pathologies de l’épaule (articulaires) où la chirurgie a un rôle aussi, mais pas seulement.

Les maladies cardiaques sont les premières causes de décès chez les survivantes du cancer du sein traitées : https://cancer-rose.fr/2020/01/12/les-maladies-cardiaques-sont-le-plus-grand-tueur-parmi-les-survivantes-du-cancer-du-sein/

Les cancers hématologiques sont significativement plus fréquents après un traitement par chimio-et radiothérapie du sein : https://cancer-rose.fr/2019/09/19/les-cancers-hematologiques-secondaires-apres-cancer-du-sein-traite/

Le risque de cancers cutanés graves est doublé en cas de radiothérapie externe : https://cancer-rose.fr/2024/03/12/risque-accru-de-cancers-cutanes-apres-irradiation-pour-cancer-du-sein/

Le cancer radio-induit est souvent grave, et la patiente, même si on nous répète à l'envi qu'il est rare, sera concernée à 100%.

Le traumatisme est donc, pour les patientes ayant été irradiées du mauvais côté,  largement plus impactant qu'uniquement psychologique, car en plus de la dose reçue par erreur il faut additionner la dose corrective sur le bon sein, ce qui va doubler la dose reçue en 1 an.

De plus la survenue des effets délétères et notamment des cancers secondaires est imprévisible, s'opère à long terme, et dépend non seulement de la dose reçue par séance et du nombre de séances mais aussi d'un facteur totalement inconnu, à savoir la radio-susceptibilité individuelle.
Chaque irradiation ionisante  peut en effet entraîne aléatoirement des cassures sur les 2 brins d’ADN, les plus redoutés des effets directs sur l'ADN.

Certaines femmes présentent des mutations héréditaires sur la protéine ATM (gène de réparation des cassures double brin d’ADN), ou sur des gènes suppresseurs de tumeurs (gardiens du génome comme p53, BRCA). (Lire ici : https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/)
Ces femmes présentant ces mutations réparent généralement moins bien et plus lentement les dégâts inévitables occasionnés par la radiothérapie qui est un protocole non personnalisé, standardisé, supposant que toute la population est armée de façon égale pour résister à ce débit de dose imposée, ce qui n’est pas le cas de 20% de la population à des degrés divers.
Pour ces 20% l’irradiation  peut engendrer des lignées cellulaires instables pouvant dégénérer insidieusement en cancers au bout de 8-10 ans.
Cette radio-susceptibilité étant inconnue individuellement, une personne présentant un risque 10 fois plus élevé qu’une personne radio-résistante de développer un cancer recevra pourtant, lors d'un traitement pour cancer, le même débit de dose qu’une personne réparant bien ses lésions de l’ADN et peu susceptible de développer un cancer secondaire.

Le surdiagnostic au centre des préoccupations

A nouveau se pose la problématique des femmes surdiagnostiquées.
Le surdiagnostic en oncologie est devenu une problématique aigüe de santé publique et nous en parlons souvent. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

Les femmes ont été et sont encore incitées et pressées, par le corps médical, par l'Institut National du Cancer (INCa), par les campagnes médiatiques outrancières à se faire dépister pour rechercher la plus petite lésion possible, avec des slogans terrorisants* selon lesquels il y a urgence, que le cancer peut les tuer s'il n'est pas découvert "à temps", que chaque minute compte dès lors qu'un cancer est trouvé.
*(« Cette femme a montré ses seins, elle a sauvé sa vie.» ; « Le cancer du sein est le cancer le plus meurtrier chez la femme. » )

L'information des risques et inconvénients du dépistage auprès des femmes de la population française est lacunaire, biaisée et incitative.
Ainsi autant sur le site de l'INCa que celui de la caisse d'assurance maladie le surdiagnostic n'est évoqué correctement, dans toute son amplitude et surtout avec la description du surtraitement qui en découle. D'après les évaluations les plus récentes près d'un cancer du sein détecté sur trois serait de découverte inutile et n'aurait jamais nui à sa porteuse. Le traitement par chirurgie et radiothérapie est, pour les personnes concernées, tout aussi inutile.

Se faire irradier sur le mauvais côté et ainsi subir un réel retard de traitement du côté malade apparaît mineur et est présenté ainsi par le radiothérapeute et oncologue de l'établissement de cancérologie où l'erreur de Dijon s'est produite.
Imaginons maintenant la situation d'une femme surdiagnostiquée, traitée erratiquement avec une radiothérapie administrée sur un organe sain, et avec un retard d'un bon mois sur le sein supposé malade, qui subira ce même surtraitement inutile et potentiellement dangereux, doublant ainsi la dose globale reçue.... Une "altération minime ou nulle de la qualité de la vie" ? Vraiment ?
Les conséquences semblent un peu plus nombreuses qu'uniquement psychologiques, ce que confirme une autre oncologue interrogée en 2023, Dr Assouline, au sujet de l'incident survenu à Tours.

Pourquoi la multiplication d'erreurs ?

C'est la question fondamentale à se poser très vite car elle pointe vers la dérive de notre médecine d'aujourd'hui et de demain : trop, trop vite, trop mal, trop méprisante, trop désinvolte, trop grevée de conflits d'intérêts, trop intéressée.

Le primum non nocere, d'abord ne pas nuire, est un principe-pilier de notre exercice, la non-malfaisance une obligation éthique.
Les programmes de dépistage du cancer causent des dommages aux individus en raison du surdiagnostic et du surtraitement, et leurs avantages au niveau de la population globale sont de plus en plus remis en question.
Le principe de non-malfaisance est déjà enfreint de facto par le dépistage, puisqu'il entraîne des dommages médicalement inutiles pour les individus, non-dits, sans information des conséquences et, comme on le voit à présent, de plus en plus sujets à des erreurs médicales.

Est-ce cela que nous voulons ?

Selçuc dans Monde Diplomatique

A lire aussi : https://anti-knock.fr/blog-actualites/irradiee-a-droite-au-lieu-de-la-gauche-pas-grave-erreurs-en-radiotherapie/

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